B. L'EXERCICE COORDONNÉ DES COMPÉTENCES DÉCENTRALISÉES
Dans le rapport précité d'Antoine Lefèvre sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, il est proposé, en ce qui concerne la mise en oeuvre des compétences partagées, de faire confiance à l'intelligence territoriale et de fournir aux collectivités les outils nécessaires à cet égard. Notons que ceci vaut pour toutes compétences concurrentes, parallèles, connexes, juxtaposées, quel que soit le terme utilisé pour décrire une situation dans laquelle plusieurs collectivités interviennent sur le même terrain sans que l'une dispose d'un droit plus éminent que les autres
Votre délégation a estimé que ces outils devaient être coopératifs et a identifié quelques pistes en ce sens.
La loi du 16 décembre 2010 ayant invité le président de la région et les présidents des départements à conclure un schéma d'organisation des compétences pour fixer certaines règles, relatives par exemple aux conditions de délégation d'une compétence ou de certaines interventions financières, votre délégation a proposé l'élargissement de ce schéma aux conditions du partage des compétences entre les départements et la région en vue d'une gestion coordonnée de leurs compétences et actions croisées.
Dans la même optique, votre délégation a proposé d'autoriser la conclusion de schémas départementaux de partage des compétences entre le département et les communes ou EPCI. Il paraissait en effet indispensable d'impliquer le bloc communal dans les procédures de partage négocié. Votre délégation a jugé logique que les EPCI aient leur mot à dire sur des schémas départementaux portant sur des compétences qu'ils exercent de plein droit.
Elle a, dans la même logique, estimé naturel d'exiger l'accord des métropoles sur les schémas de répartition des compétences entre les départements et la région dès lors que les métropoles exercent de plein droit des attributions relevant de ces deux collectivités.
Par ailleurs, le rapport « Faire confiance à l'intelligence territoriale » propose d'attribuer aux régions le rôle de chef de file dans les négociations régionales sur le partage des compétences : le président du conseil régional assurerait la présidence de l'instance dédiée (le rapport mentionne le conseil régional des exécutifs). Les prérogatives des autres membres seraient préservées, puisque ces derniers auraient la possibilité d'obtenir la convocation de réunions supplémentaires ou d'appeler à la discussion des questions dont ils souhaiteraient débattre.
La proposition de renforcer le « chef de filât » de la région en matière de développement économique et en ce qui concerne les interventions locales en faveur de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, en partenariat avec l'État figure aussi au nombre des propositions de la mission.
Ces approches reposant sur l'articulation de trois piliers : la notion de chef de file, les conférences territoriales et la présence de plusieurs catégories de collectivités dans un ou plusieurs domaines de compétences mises en oeuvre sur un territoire, restent pertinentes. Elles doivent être actualisées en fonction des enseignements tirés de la table ronde organisée par votre délégation sur les conférences territoriales le 4 décembre 2012.
Proposition n° 4. Pour permettre la gestion coordonnée des compétences partagées ou concurrentes, instituer des conférences territoriales regroupant les représentants de l'ensemble des catégories de collectivités ou des catégories de groupements de collectivités concernés. Les conférences territoriales, présidées par la collectivité chef de file dans le domaine de compétence concerné, négocieront et adopteront des schémas de mise en oeuvre des compétences. Elles devront satisfaire aux principes d'organisation suivants : mise à la disposition des participants de dossiers de séance avant les réunions, possibilité pour les participants d'obtenir la convocation de réunions supplémentaires ou d'appeler à la discussion des questions dont ils souhaiteraient débattre, possibilité pour les participants de présenter par écrit des observations sur les dossiers à l'ordre du jour, possibilité d'un vote sur les dossiers examinés, présence du préfet de région ou de son représentant aux réunions. |
La coordination par des schémas négociés sous l'impulsion, plus ou moins directive selon la nature des compétences en débat, de collectivités chefs de file au sein de conférences territoriales doit mobiliser l'instrument du schéma à son degré maximum d'efficacité pratique, sans verser dans l'exercice d'une tutelle.
À cet égard, il est intéressant de se référer à la notion de compatibilité, classique en droit de l'urbanisme. Moins rigide que celle de conformité, qui équivaut à l'octroi d'un pouvoir de tutelle à la collectivité responsable du document de référence, elle invite à des appréciations d'espèce. La jurisprudence administrative permet d'en dessiner assez précisément les contours. Les conclusions du commissaire du Gouvernement Gentot sur l'affaire Adam et autres du 22 février 1974 (CE, n° 91848 et 93520) ont expliqué à cet égard que la notion de compatibilité ne conduit pas à exiger de la décision d'urbanisme un respect scrupuleux de toutes les prescriptions du document de référence, il s'agissait en l'occurrence d'un schéma directeur : la compatibilité implique que la décision d'une autorité ne contrarie pas la réalisation des orientations et des objectifs, susceptibles d'être pour partie exprimés sous forme quantitative (voir sur ce point CE, société Davalex, n° 353496, 12 décembre 2012), fixés par le document de référence. La compatibilité se situe ainsi, expliquaient les conclusions Gentot, à un degré intermédiaire entre la conformité et la dénaturation. Elle se mesure à travers l'appréciation de la gravité de l'atteinte portée aux objectifs fixés, sachant qu'une atteinte, même sérieuse, peut ne pas emporter jugement d'incompatibilité de la décision contestée si celle-ci tend à la réalisation d'un autre objectif, jugé prioritaire, du document de référence. À titre d'illustration, le Conseil d'État, dans une affaire de compatibilité d'une autorisation d'aménagement commercial avec un SCOT, a jugé que le projet contesté, d'une part, « va bien au-delà de l'objectif de maîtrise de l'offre commerciale existante dans l'agglomération, d'autre part, méconnaît l'orientation prioritaire visant au renforcement des secteurs extérieurs à l'agglomération ; que l'autorisation n'est, dès lors, pas compatible » avec le schéma directeur valant SCOT (société Sumidis et société Coco Fruit, n° 274706 et 274707 du 28 septembre 2005).
Mutatis mutandis , cette économie de la compatibilité, appliquée de façon dynamique à l'élaboration des schémas de gestion des compétences, semble de nature à conforter l'exercice du rôle de chef de file.
Proposition n° 5. Exiger un haut degré de compatibilité des actions des collectivités territoriales avec les orientations et objectifs fixés dans les schémas de mise en oeuvre des compétences décentralisées. |