ANNEXE 4 :
PRÉSENTATION, PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT, PREMIER
VICE-PRÉSIDENT DE L'OPECST, DE SON RAPPORT AU PREMIER MINISTRE DU 15
JANVIER 2013 SUR LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA
RECHERCHE
« Refonder l'Université, dynamiser la
recherche :
mieux coopérer pour
réussir »
Présentation le 30 janvier 2013 lors de la
journée à l'Assemblée nationale
du Partenariat avec
l'Académie des sciences
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Ce rapport s'est inscrit dans une démarche d'adaptation législative tout à fait inédite, consistant à associer le Parlement en amont de l'élaboration du texte gouvernemental, contrairement à la pratique courante l'impliquant seulement à partir du dépôt du projet de loi sur le bureau de l'une ou l'autre des deux chambres. Cette implication anticipée a reposé d'une part sur ma nomination comme parlementaire en mission et d'autre part sur l'implication de l'OPECST pour organiser un échange sur les conclusions des Assises entre les acteurs concernés et les parlementaires. Je profite de cette occasion pour remercier une nouvelle fois Bruno Sido d'avoir permis cet exercice originale et d'avoir ainsi donné l'occasion à tous les parlementaires présents de s'approprier par avance les principaux éléments de débat, et ainsi d'en valider l'importance.
Ma nomination s'est faite parallèlement au lancement d'une vaste consultation régionale et nationale qui devait permettre d'identifier les principaux enjeux d'adaptation. Il s'agit des Assises de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche que la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche Geneviève Fioraso a lancée. De nombreuses personnes y ont participé, et leur succès peut être en partie mesuré par le nombre et la qualité des contributions et des rencontres qu'elles ont permis : presque 1 500 contributions écrites, 20 000 participants sur tout le territoire. Mais surtout, au-delà des chiffres, il y a eu un esprit, un style qui a largement tenu à la manière dont a été conçu le comité de pilotage. Faire présider ce comité par Mme Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine, confier la tâche de rapporteur général à M. Vincent Berger, président d'une grande université française, le composer de personnalités représentatives, leur demander de s'exprimer librement, ne pas imposer de position prédéterminée, voilà tout un ensemble d'éléments d'organisation qui ont permis une approche collective dépassant l'expression ou la confrontation des positions des grandes institutions. Il en est résulté un dialogue particulièrement fructueux.
De ces Assises, 135 propositions ont été retenues dans le rapport final de Vincent Berger qui a été remis au Président de la République fin décembre 2012. Mon apport a été, à partir de ces conclusions, d'identifier les axes de réforme et les moyens pour la mener à bien. Mon travail s'est bien évidemment inscrit dans le contexte actuel et historique de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. La principale conclusion, assez unanimement partagée, est que le système français d'enseignement supérieur et de recherche est trop complexe, au point de devenir opaque et illisible.
Plusieurs réformes antérieures ont cherché à le transformer, et de nouvelles lois ont été adoptées par le passé.
Je rappellerai la loi Faure de 1968, la loi Savary de 1984, la loi du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation de la recherche, les lois du 23 décembre 1985, et du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.
Plus récemment, la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche n'était pas encore en place qu'elle entrait déjà en collision avec la loi sur l'autonomie des universités du 10 août 2007. Dans la foulée, toute la communauté scientifique et universitaire était sollicitée par les travaux du Grenelle de l'environnement, avant d'être invitée à participer en 2009 aux larges consultations (sur plusieurs mois) visant à l'élaboration de la Stratégie nationale de recherche et d'innovation. Parallèlement, le dispositif des Alliances se mettait en place, avec de nouvelles procédures de concertation entre les partenaires membres. À partir de janvier 2010, la création du Commissariat général aux investissements a ouvert une phase intense de mobilisation autour des deux vagues d'appel à projets appuyées sur le Grand emprunt, en 2011, puis en 2012. Enfin, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire dans la fonction publique a modifié directement les conditions d'emploi des chercheurs sous contrat.
Les choix ont été parfois trop tranchés, parfois trop inspirés par des exemples étrangers ne correspondant pas toujours à notre culture. Ainsi l'idée de la loi de 2006 de transposer en France les modes de financements anglo-saxons n'est pas toujours possible ni souhaitable. On n'a pas choisi entre les systèmes mais on les a additionnés. De nombreuses structures sont venues s'intercaler dans le paysage institutionnel (PRES, RTRA, CTRS, Equipex, Labex, Idex, IRT, Alliances). Il en est résulté des incohérences. La France a ainsi inventé la géologie politique consistant à accumuler de nouvelles strates législatives et réglementaires sans leur donner la cohérence souhaitable avec les textes précédemment votés.
Ces changements accélérés ont conduit non seulement à un «mikado institutionnel», pour retenir l'expression qui découle des assises territoriales d'Alsace et qu'a reprise Vincent Berger, mais ont aussi créé des bombes à retardement, comme celle des personnels précaires.
Une autre politique est possible. Elle doit être basée sur la coopération et la mutualisation, la contractualisation, le volontariat et la simplification. Elle doit être enfin lisible non seulement au niveau national mais aussi international.
Partant de ce constat, mon travail m'a permis d'identifier de nombreuses propositions ; celles-ci pouvant être de nature législative, réglementaire ou simplement relever de la pratique des acteurs. Elles touchent à des aspects très divers de l'organisation de l'enseignement supérieur et de la recherche. Elles font émerger plusieurs concepts venant délibérément se substituer, et non se surimposer, à des éléments du contexte actuel : l'AUTEURE, le Livre blanc, les communautés d'université, la démocratie de la gouvernance, le Conseil stratégique de la recherche et de l'enseignement supérieur, les contrats de site, l'interdépendance entre formation et recherche.
Mais elles me semblent pouvoir se structurer autour de trois idées directrices correspondant à une démarche d'adaptation raisonnée aux données du contexte mondial actuel, à l'aulne duquel toute réforme d'ensemble sera inévitablement jugée, notamment parce qu'elle devra contribuer au regain de compétitivité voulu le Président de la République.
Ces trois idées sont le repositionnement de l'université au coeur de l'enseignement supérieur et de la recherche, l'amélioration de la performance par un effort de coopération à tous les niveaux, et enfin l'accroissement de la crédibilité internationale par la consolidation de l'ancrage régional.
Le repositionnement de l'université au coeur du système d'enseignement supérieur et de recherche est rendu nécessaire par l'essoufflement du processus de rattrapage, qui a donné durant des décennies tout son sens au fort développement des écoles d'ingénieurs et des organismes de recherche appliquée. Aujourd'hui l'économie française ne peut plus seulement compter pour sa croissance sur la mise en oeuvre intelligente de technologies venues d'ailleurs ; elle doit aussi maintenant se projeter le plus souvent possible en première ligne à la frontière de l'innovation. Dès lors, à côté de l'apprentissage rapide des savoirs, la formation par la recherche devient un atout stratégique pour le pays. C'est justement à l'université qu'incombe la mission de diffuser les connaissances les plus poussées pour nourrir les recherches les plus audacieuses. Il faut donc que l'université retrouve un rôle central dans le dispositif d'enseignement supérieur et de recherche, et les nouvelles modalités de regroupement des établissements que je propose doivent leur en donner l'occasion.
Dans mon rapport, je fais un certain nombre de propositions en faveur d'un plus large éclectisme du parcours des étudiants. Ces propositions vont également dans ce sens. Qu'il s'agisse de l'amélioration de l'orientation combinée à une spécialisation plus tardive, de la multiplication des passerelles facilitant les rebonds, ou de la pluralité des voies d'accès préservant toute la valeur des cheminements indirects, souvent enrichissants ; toutes ces propositions visent à remettre l'Université au premier plan de l'enseignement supérieur et à assurer la réussite de tous les étudiants.
Dans ce contexte de repositionnement de l'université, son autonomie n'est pas un mal en soi, au contraire. Mais encore faut-il la définir clairement et la faire fonctionner dans de bonnes conditions.
Définir l'autonomie, c'est d'abord clarifier le partage des compétences entre l'État et les établissements. Les vagues de réformes qui se sont succédées au cours de la période récente ont brouillé les lignes. Comme l'ont montré les Assises, il faut réaffirmer avant toutes choses les responsabilités qui doivent demeurer celles de l'État. Je milite ainsi pour que le pouvoir central demeure pleinement en charge des fonctions touchant à la cohésion nationale :
- d'une part, l'État doit continuer à garantir le niveau des diplômes et le statut des personnels ;
- d'autre part, l'État doit renforcer son rôle de pilotage stratégique.
À cet égard, la programmation prospective de la recherche proposée par le Conseil stratégique de la science et de la technologie, ainsi que les perspectives quinquennales tracées par chaque Livre blanc pour l'enseignement supérieur et la recherche, devraient permettre à tous les acteurs de mieux se situer dans le moyen terme.
La responsabilité de l'État doit en outre être exercée de façon cohérente. La tutelle est aujourd'hui morcelée entre plusieurs ministères ; il faut mettre fin à cette dispersion. Le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche doit se voir explicitement doté d'un rôle de coordination sur l'ensemble de l'enseignement supérieur post-baccalauréat. Il doit en particulier être associé étroitement au pilotage des établissements spécialisés relevant d'autres ministères, via l'instauration d'une tutelle conjointe. C'est une proposition forte des Assises, qu'il faudra inscrire dans la loi.
Je ne saurai trop rappeler l'importance de la coopération pour atteindre la performance. Cela correspond là aussi à une démarche d'adaptation raisonnée au contexte mondial, car l'importation d'un modèle de concurrence généralisée n'est pas pertinente dans un pays de taille moyenne comme la France, où les ressources sont comptées. L'excellence par la compétition convient aux grands pays où l'on peut supporter les coûts implicites induits par la rivalité entre les universités, et la course entre les laboratoires. En France, il faut certes essayer d'orienter les soutiens disponibles vers les projets présentant les meilleures chances, en organisant des jurys, car c'est une bonne pratique internationale qui prend d'ailleurs plus de sens encore en période de forte contrainte budgétaire ; mais il faut aussi regrouper autant que possible les forces et les motivations, au niveau disciplinaire et pluridisciplinaire, ne serait-ce que pour essayer d'atteindre la taille critique indispensable aux percées scientifiques.
Revendication majeure issue des Assises, la simplification s'inscrit pleinement dans la logique de la coopération, car elle en est à la fois un préalable et un effet. Car la clarification du paysage institutionnel facilite de toute évidence les rapprochements, et c'est pourquoi je propose la disparition des structures complexes qui n'ont pas fait leurs preuves comme les RTRA. À l'inverse, la coopération permet aussi la simplification, car elle peut d'emblée se traduire par des regroupements autour de compétences bien définies.
On assiste ainsi depuis plusieurs années à un puissant mouvement de reconfiguration des établissements au niveau des territoires, via des regroupements dont la forme et l'intensité varient, allant de la fusion à une démarche plus restreinte de coopération au sein de « Pôles d'enseignement supérieur et de recherche » (PRES).
Ce mouvement répond à une ambition politique majeure. Toutefois, il n'existe pas vraiment de cadre juridique adapté. L'Université de Lorraine, que je connais bien, a dû recourir au statut dérogatoire de « Grand Établissement », formule qui n'est pas satisfaisante.
Dans mon rapport, je propose plusieurs évolutions permettant de créer un continuum entre les différents niveaux de coopération. Ce continuum s'étendra d'une coopération assez souple à une fusion complète de plusieurs établissements. Je propose ainsi la création de communautés d'universités, basées sur le modèle bien connu des communautés de communes, c'est-à-dire basées sur la volonté de gérer en commun un noyau de compétences. Ces communautés d'universités permettront de regrouper des établissements sous divers statuts juridiques qui conserveront leur personnalité morale. Je propose aussi de faire évoluer les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel pour leur permettre d'adopter une structure adapté à la taille de chacun, notamment les plus grands issus de fusions.
Ces évolutions permettront de définir une gouvernance efficace, démocratique et collégiale, aussi bien au sein des EPCSCP que des communautés d'université. Les grandes lignes d'une gouvernance renouvelée que je propose sont une représentation renforcée des étudiants et des personnels BIATTS, un Conseil d'administration (CA) recentré sur son rôle stratégique, une revalorisation du rôle du Conseil scientifique et du Conseil de la vie universitaire (CEVU).
Je pense par ailleurs que l'on ne pourra pas renforcer la crédibilité internationale de notre système d'enseignement supérieur et de recherche sans lui donner un ancrage régional solide. Dans ce domaine, comme maints exemples étrangers l'ont montré, les projets qui réussissent sont ceux qui se construisent en étroit partenariat avec les collectivités locales et les entreprises ; les premières fournissent les infrastructures, les secondes les emplois, et toutes profitent des retombées liées au rayonnement scientifique et technologique qui attire les meilleurs professeurs et les meilleurs chercheurs.
Néanmoins, la question du rôle des collectivités territoriales est un sujet sensible, car la communauté universitaire redoute une « régionalisation » de l'enseignement supérieur. De leur côté, les collectivités locales, qui sont des acteurs très concernés par l'enseignement supérieur et de la recherche, et qui investissent des moyens importants dans ce domaine, souhaitent à juste titre que leur rôle soit reconnu.
La région est sans doute mieux placée que l'État pour remplir une fonction de coordination au niveau local, et mes propositions s'inscrivent à cet égard dans la continuité de la création de la Banque publique d'investissement, et dans la logique du prochain acte III de la décentralisation.
Je souhaite que l'autonomie des établissements aille au-delà d'une simple autonomie de gestion, et prenne la forme d'une vraie liberté de décision et de choix stratégique. Mais cette évolution passe par une relation contractuelle renouvelée avec l'État et surtout avec les collectivités locales.
C'est pourquoi je propose que des contrats de sites soient mis en place. Ceux-ci viendront se substituer aux contrats d'établissement et pourront reprendre une partie des CPER. Ces contrats permettront d'associer tous les partenaires nationaux et locaux et permettront de garantir la cohérence de l'effort en matière d'enseignement supérieur et de recherche, aussi bien au niveau national que régional.
Enfin les débats concernant les acteurs de la recherche, que ce soit à propos de l'évaluation des organismes et des personnels, les conditions de gestion du statut des personnels ou le devenir des docteurs, ont été parmi les plus passionnés des Assises. Ces problématiques suscitent à juste titre un vif intérêt, car elles sont primordiales pour l'avenir de notre pays. Dans mon rapport, je propose de remplacer l'AERES par une autorité administrative indépendante appelée Autorité de l'évaluation des universités, de la recherche et des établissements (AUTEURE). Au-delà d'un simple changement de nom, il s'agit d'être plus ambitieux et de redéfinir les objectifs d'une nouvelle autorité, de réconcilier la communauté scientifique et universitaire avec l'évaluation et de corriger des défauts assez unanimement dénoncés. Il s'agira de recentrer la nouvelle autorité sur une mission de garant de la qualité des évaluations et non plus de lui demander de procéder elle-même aux évaluations.
Un des apports essentiels de mon rapport concerne la précarité, qui a explosé au cours de la dernière décennie. Elle touche aussi bien des personnels menant des activités d'enseignement ou de recherche que des personnels chargés des tâches 'administratives ou techniques, pour un total de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Dans mon rapport, je propose plusieurs solutions à cette bombe à retardement ; certaines ont pour objet d'avoir un effet immédiat, d'autres visent à ce que la situation ne se répète pas dans le futur.
Enfin, je considère que notre pays ne forme pas suffisamment de docteurs, ce qui est lié au fait qu'on leur réserve souvent un sort peu enviable. Le doctorat est en effet trop peu valorisé en dehors de la recherche publique, et cela aussi bien dans le secteur privé que dans les administrations. Je propose donc de renforcer le statut des doctorants et d'améliorer leur poursuite de carrière, notamment en dehors de l'enseignement supérieur et de la recherche publique. Pour cela, je propose d'ouvrir des concours spécifiques d'accès à la haute fonction publique, de faire reconnaître le doctorat dans les conventions collectives et de renforcer l'incitation des entreprises à recruter des docteurs, notamment grâce à une réforme du crédit impôt recherche.
En conclusion, le sujet de ce rapport est vaste et passionnant. Je l'ai remis au Premier ministre le 15 janvier dernier et il a été assez bien accueilli par la communauté. Tout ne sera pas dans la loi. Il marque néanmoins un point d'étape important et propose un certain nombre d'éléments de réflexion. La prochaine étape pour le Parlement sera l'examen du texte de loi. Celui-ci a déjà été présenté par la ministre aux syndicats et devrait être présenté en conseil des ministres au cours du mois prochain. »
* (1) En présence de MM. Philippe Taquet, président de l'Académie des sciences, Bernard Meunier, vice-président, et Mme Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel.