B. CONCERTATION ET DIALOGUE SOCIAL

Dominique ROUSSET

Pensez-vous que la concertation essentielle à la réflexion stratégique que vous avez menée à la RATP et à La Poste a pu manquer aux entreprises françaises ?

Jean-Paul BAILLY

Je crois que la définition de l'ambition et de la vision d'une entreprise nécessite énormément de temps. Il est essentiel d'élaborer ces idées de la manière la plus participative possible ou, au minimum, de se consacrer pleinement à la pédagogie et à l'explication des changements essentiels nécessaires qui concernent chaque membre de l'entreprise.

Dominique ROUSSET

Yann Algan, vous avez conduit avec plusieurs confrères des travaux sur la confiance et la défiance dans nos institutions, notamment sur les données et les évaluations que celles-ci produisent.

Yann ALGAN

Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui parmi vous. De nombreux propos concernent la nécessité de renouveler la conception de l'Etat et tentent de définir les nouveaux modes d'action et de gouvernance qui favorisent la transparence ainsi que les méthodes d'évaluation. Réfléchir au sujet de l'Etat suppose de réfléchir à la gouvernance. Il s'agit de trouver le bon niveau d'analyse pour que les interventions de l'Etat, en termes de régulation, ne soient pas sujettes à des problèmes de rupture d'égalité. Par exemple, les aides sectorielles à l'innovation les plus efficaces sont celles qui s'avèrent les plus égalitaires. Au lieu de choisir une entreprise, une aide efficace concerne un secteur entier, ce qui permet notamment de préserver la concurrence au sein de ce secteur.

Par ailleurs, le dialogue social tient une place prépondérante. En effet, les travaux dans le domaine économique montrent que la performance économique et la performance sociale fonctionnent ensemble. De nombreuses études révèlent que les entreprises les plus innovantes reposent souvent sur une organisation horizontale. Elles ont aussi, lors de la mise en oeuvre de réformes, réussi à créer un dialogue social et un consensus au sein des effectifs. Il en est de même pour la puissance publique. Une organisation trop hiérarchique ne peut conduire à la même efficacité.

Enfin, pour une gouvernance transparente et équitable, la culture de l'évaluation doit s'imposer. Or, selon moi, la France manque de cette culture. Très peu de centres d'évaluation existent dans notre pays. Nous n'avons pas d'équivalents français des think tanks britannique ( Institute for Fiscal Studies ) et américain ( Mathematica Policy Research ) qui ont pour mission d'évaluer concrètement les politiques publiques. Dans ces mêmes pays existent, au sein des parlements, des instances qui visent à évaluer ex-ante et ex-post l'ensemble des propositions gouvernementales. Pour une gouvernance transparente, des experts formés de manière pointue sont également nécessaires. Les centres d'évaluation cités sont composés majoritairement d'universitaires nommés pour cinq ans, placés sous la responsabilité d'experts, y compris de la société civile. En France, la Cour des comptes est seule à agir, à la demande notamment de l'exécutif. De nouveaux lieux de rencontre doivent émerger afin de faciliter le consensus et le rôle innovateur de l'Etat. Je crois que la méthode mise en oeuvre par le COR, fondée sur la décentralisation et l'indépendance, a contribué à atteindre l'objectif de la réforme des retraites.

Dominique ROUSSET

Votre collègue François Bourguignon fait état d'une accumulation des savoir-faire et de la nécessité de savoir si les objectifs ont bien été servis.

Yann ALGAN

Les institutions telles que l'Inspection des finances ou l'Inspection des affaires sociales interviennent uniquement ex-post et avec des moyens limités pour l'évaluation des politiques publiques. De plus, la recherche y est très peu valorisée. A titre d'exemple, la création des pôles de compétitivité a souffert du manque d'écoute des recommandations de nos voisins européens. Ceux-ci nous ont appris que la clef de l'efficacité de ces pôles résidait dans le fait de cibler les financements. Au final, les quelque soixante-dix pôles de compétitivité créés en France ne favorisent guère l'innovation. Ce constat débouche aujourd'hui sur une préconisation de réduction du nombre de pôles. Or cette préconisation figurait déjà dans le rapport de Philippe Martin et Thierry Mayer diffusé il y a quelques années. Une meilleure valorisation de la recherche, on le voit, peut se révéler utile. Un lieu dédié favoriserait l'expression et la prise en considération concrète de la parole des experts.

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