E. UNE CRISE DE LÉGITIMITÉ DES INSTITUTIONS

Dominique ROUSSET

Mélanie Gratacos, vous avez remis un rapport sur la crise de légitimité des institutions. Pouvez-vous nous présenter vos travaux ?

Mélanie GRATACOS

Une étude consacrée à la crise de la démocratie, que l'on peut qualifier de crise de la décision politique, a servi de point de départ à ce rapport. Nous avons entrepris de réfléchir à la façon dont notre système démocratique était outillé aujourd'hui pour relever les enjeux de long terme. Par enjeux de long terme, j'entends les objets qui ont déjà une existence à l'heure actuelle, mais dont la totalité des effets induits n'est pas encore perceptible. L'action politique nous a semblé embarrassée par les sujets de long terme, pour plusieurs raisons. Un décideur peut avoir des difficultés à expliquer et justifier des décisions prises en fonction d'un enjeu futur abstrait alors que cette décision peut avoir des conséquences immédiates perçues de manière négative. Nous avons identifié un besoin de pédagogie des enjeux. Le processus de décision politique présente également un problème de temporalité qui ne permet pas de dégager un temps nécessaire à cette pédagogie et à l'appropriation des sujets. Nous vivons par ailleurs dans l'ère de la communication politique qui a pris le pas sur la stratégie politique. Nous pouvons penser que certains responsables de l'Etat sont tentés de reporter des décisions politiques coûteuses électoralement.

Nous avons lancé plusieurs pistes. La première consiste à redonner du sens à la décision. La question du « pourquoi ? » est généralement négligée et, avec elle, la réflexion prospective. Il pourrait être intéressant de systématiser, dans la phase d'élaboration de la loi, une période incontournable consacrée à la définition de ces éléments, intégrée dans l'exposé des motifs ou une déclaration d'intentions. Cette phase de diagnostic semble indispensable. Les évaluations ex-post sont-elles suffisamment traitées et analysées avant que de nouvelles lois soient votées ? Une loi doit-elle s'accompagner d'objectifs concrets ?

L'autre piste de réflexion concerne le CESE. Cet organe, puisqu'il n'est pas soumis à la procédure législative et qu'il représente la société civile, pourrait porter les exigences du temps long. Le CESE pourrait animer le débat citoyen sur les enjeux de long terme dans la mesure où la prospective doit reposer sur une construction collective. L'ensemble des citoyens doit pouvoir s'approprier ces enjeux.

Jean-Paul BAILLY

L'enjeu de la prospective et de la décision publique constitue un sujet ancien. Dès 1998, le CESE a diffusé un rapport intitulé « Prospective, débat et décision publique » . Celui-ci partait du constat d'une crise de la décision publique et d'une carence du débat public. Nous avons tenu à affirmer l'importance du débat au niveau même du titre du rapport car la prospective et le débat public sont associés tout au long du processus de décision. Le rapport évoquait également l'idée que le CESE devienne ce lieu de débat avec la société civile. Ma conviction est qu'au-delà de la création d'un commissariat aux prérogatives nouvelles, il faut s'appuyer sur les ressources des différents acteurs existants, afin de construire une intelligence collective.

Dominique ROUSSET

Comment les prérogatives du CESE ainsi que celles du commissariat à la prospective et à la stratégie seront-elles articulées ?

Yannick MOREAU

Depuis 1945 coexistent le Conseil économique et social, devenu en 2008 Conseil économique, social et environnemental, et une institution dédiée à la réflexion sur le moyen et le long termes. Rien ne conduit, selon moi, à remettre en question cette coexistence. Le CESE est la troisième assemblée selon la Constitution. Celle-ci ne fait aucune référence à un commissariat, qui est un organisme placé sous l'autorité du Premier ministre. Je ne vois donc aucun motif d'inquiétude quant au sort du CESE.

De plus, le CESE et le nouveau commissariat n'assurent pas les mêmes fonctions. Le CESE représente la société civile, le commissariat accompagne le gouvernement. Il ne jouit pas de la même liberté et ne suit pas les mêmes procédures. Je plaide pour une pluralité des formes d'évaluation en France. Dans le processus d'évaluation mis en oeuvre par le gouvernement, le commissariat à la stratégie et à la prospective constituera l'un des acteurs possibles. Les sujets se situent certes sur le même plan, mais pas les rôles dévolus à ces deux organismes. La volonté de coopération est exprimée dans le rapport, elle relève de la logique des institutions.

Dominique ROUSSET

Vous insistez sur le fonctionnement en réseau de l'ensemble des organismes d'étude, mais réclamez quelques simplifications.

Yannick MOREAU

En effet, le succès de la démarche du COR a donné lieu à une surenchère de structures équivalentes, qu'il serait bon de simplifier. Cependant, ce processus doit suivre une logique progressive. Certains ajustements nécessiteront plus de temps que d'autres, mais nous recommandons de conserver les structures efficaces en favorisant leur adaptation.

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