III. EXAMEN DU RAPPORT

Mardi 5 février 2013, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire examine le rapport d'information du groupe de travail sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire.

M. Michel Teston , président . - Je voudrais excuser le président Vall, grippé et dans l'impossibilité d'être avec nous aujourd'hui. Nous examinerons d'abord le rapport d'information du groupe de travail sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire, mis en place au mois de mai dernier sur ce sujet crucial tant pour nos concitoyens que pour les élus locaux.

Le groupe de travail a procédé à de nombreuses auditions et à plusieurs déplacements. La commission a également entendu sur ce sujet, les ministres Marisol Touraine et Cécile Duflot. Monsieur le président, Jean-Luc Fichet, et Monsieur le rapporteur, Hervé Maurey, nous sommes impatients de connaitre les conclusions de vos travaux.

M. Jean-Luc Fichet , président du groupe de travail sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire. - Seize sénateurs ont participé aux travaux de notre groupe qui a mené une quarantaine d'auditions. Je suis heureux de la qualité du travail accompli et des conclusions présentées en harmonie avec Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey , rapporteur . - Outre les auditions que nous avons réalisées, nous avons recueilli une cinquantaine de contributions via l'« espace participatif » mis en place sur le site internet du Sénat et nous avons adressé des questionnaires aux médecins de nos départements respectifs. Le rapport, intitulé « Déserts médicaux : agir vraiment », a été adopté à l'unanimité au sein du groupe de travail.

Des inégalités dans la répartition territoriale de l'offre de soins existent, qui tendent à s'accroître. Paradoxalement, le nombre des professions de santé est globalement suffisant, puisque la France compte près de 200 000 médecins et, avec une densité moyenne de 330 médecins pour 100 000 habitants, se classe au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. Le problème vient des inégalités de répartition, avec des densités qui varient, d'un département à l'autre, de un à deux pour les médecins généralistes libéraux, de un à huit pour les spécialistes, ou de un à neuf pour les infirmiers libéraux. Ces inégalités sont encore plus criantes à un niveau infra-départemental : même des départements bien dotés en professions de santé, comme les Alpes-Maritimes, comptent des déserts médicaux.

En outre, l'accès aux soins est souvent difficile pour nos concitoyens. Selon la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé, 95 % de la population métropolitaine se trouve à moins de 15 minutes de trajet des soins de proximité fournis par les médecins généralistes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes libéraux. Mais qu'en est-il pour les 5 % restants, soit plus de trois millions d'habitants ? Surtout, plus que la distance, c'est le temps d'attente pour obtenir une consultation qu'il faut considérer : 4 jours en moyenne pour consulter un généraliste, mais de 3 à 4 mois pour un ophtalmologue, et parfois jusqu'à 18 mois selon une enquête de l'UFC Que Choisir . Ainsi, 58 % des Français auraient déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté d'obtenir un rendez-vous.

Enfin, les perspectives sont inquiétantes. L'impact décalé dans le temps du resserrement du numerus clausus jusque dans les années quatre-vingt-dix se traduira par une diminution de près de 10 % du nombre des médecins entre 2010 et 2020, alors que la demande de soins augmente, notamment en raison du vieillissement de la population. Diminution du nombre des médecins, mais aussi réduction du temps d'exercice médical : d'une part, les jeunes générations de médecins ne sont plus disposées à travailler 60 ou 70 heures par semaine - d'où leur préférence pour l'exercice salarié -, d'autre part, la charge des tâches administratives s'alourdit. De plus, selon une enquête réalisée pour le conseil national de l'Ordre des médecins, 63 % des étudiants en médecine n'envisagent pas d'exercer en zone rurale.

Les mesures mises en place par les gouvernements successifs pour remédier à l'existence de déserts médicaux, qu'elles soient d'ordre structurel ou incitatif, n'ont pas eu les effets escomptés.

La planification régionale de l'offre de soins a été élaborée sous la responsabilité des agences régionales de la santé (ARS) créées par la loi « hôpital, patients, santé et territoires », dite HPST, du 21 juillet 2009. Mais dans les schémas régionaux de l'offre de soins (SROS) seul le volet hospitalier demeure opposable, le volet ambulatoire ne l'est plus depuis la « loi Fourcade » de 2011.

La permanence des soins n'apporte de réponse aux besoins des patients qu'aux heures de fermeture des cabinets médicaux et ne résout pas la question de la désertification.

Le soutien au développement des maisons et pôles de santé est une autre réponse : il existe déjà environ 400 structures de ce genre et 1 000 projets seraient en cours. Toutefois, leurs coûts de fonctionnement sont plus élevés que ceux d'un cabinet médical traditionnel, et le mode de rémunération à l'acte est inadapté à un exercice pluriprofessionnel coordonné. Ces structures contribuent à accélérer le processus de concentration géographique des professionnels de santé. Enfin, certaines maisons de santé ne disposent pas de médecin !

La dernière réponse structurelle consiste en une régulation des installations. Le dispositif le plus ancien concerne les pharmacies. Le mécanisme a été appliqué aux infirmiers en 2008 et pérennisé en 2011. Il a été étendu en 2012 aux masseurs-kinésithérapeutes, aux sages-femmes, aux chirurgiens-dentistes et aux orthophonistes. Le principe est celui de la liberté d'installation, mais si la zone est déjà sur-dotée, le nouveau venu ne peut bénéficier du régime de conventionnement. Grâce à cette mesure, depuis 2008, le nombre d'installations d'infirmiers en zones sous-dotées a augmenté.

Il existe un ensemble de dispositifs incitatifs financés par l'État, l'assurance maladie, ou les collectivités territoriales. La Cour des comptes a souligné leur absence de lisibilité. Elle n'est pas parvenue à en évaluer les coûts globaux, même si certaines mesures sont très onéreuses : de l'ordre de 50 000 euros en exonérations fiscales et sociales à la charge de l'État pour chaque installation en zone de revitalisation urbaine ou rurale. De même, aux termes de l'avenant n° 20 à la convention médicale de 2005, l'assurance maladie garantit une majoration de 20 % des honoraires des médecins s'installant dans les zones sous-dotées. Selon la Cour des comptes, cette mesure, qui a coûté 20 millions d'euros, pour 773 bénéficiaires en 2010, ne s'est traduite que par un apport net de l'ordre de 50 médecins dans les zones déficitaires depuis 2007. Elle a surtout produit un effet d'aubaine.

La loi HPST a créé un contrat d'engagement de service public (CESP). Il s'agit d'une allocation de 1 200 euros par mois offerte aux étudiants en médecine en échange de leur engagement d'exercer dans des zones sous-dotées. Seuls 350 CESP ont été signés : non seulement le dispositif est insuffisamment connu mais les étudiants en médecine sont de plus en plus issus d'un milieu aisé ; et tous hésitent à s'engager avant même d'avoir choisi une spécialité et une région d'installation.

Enfin, depuis la loi de 2005, les collectivités territoriales sont autorisées à attribuer des aides aux maisons médicales, ou à octroyer des bourses d'étude aux étudiants qui s'engagent à exercer dans une zone déficitaire. Mais ces systèmes sont opaques. J'ai écrit aux vingt-six ARS pour leur demander des éléments d'évaluation ; dans leur très grande majorité, elles n'ont pas été en mesure de me communiquer de chiffres.

Ces résultats peu encourageants nous incitent à faire montre de volonté et de courage pour agir, sans tabou ni a priori . Il est nécessaire d'intervenir sur tous les registres.

Le premier registre concerne les études de médecine : celles-ci forment des praticiens hospitaliers plus que des médecins. Il faut engager une réflexion approfondie sur la sélection initiale, brutale, fondée sur les disciplines scientifiques et qui favorise les étudiants des milieux urbains et aisés, car le passage par une « prépa » privée est devenu indispensable. Et les jeunes citadins ont peu d'appétence pour s'installer en milieu rural ! Diversifions les matières enseignées, avec des cours de gestion, de communication, de psychologie, d'éthique, d'économie de la santé.

Moins de la moitié des étudiants accomplissent effectivement, en cours de deuxième cycle, le stage d'initiation à la médecine générale qui est pourtant obligatoire. Je propose que ce stage conditionne la validation du deuxième cycle des études médicales. Encore faut-il prévoir des aides au logement, un accompagnement, un accueil approprié des stagiaires.

Enfin il est nécessaire de régionaliser les épreuves classantes, en adaptant le nombre de postes ouverts aux besoins de chaque région. Aujourd'hui, la liste est nationale. Et des étudiants préfèrent redoubler plutôt que de devenir généraliste. Un décret de 2011 a cependant limité les possibilités de redoublement. L'instauration d'une quatrième année, professionnalisante, dans le cadre du troisième cycle de médecine générale, comme l'a suggéré l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), est également intéressante, surtout si elle se déroule dans des territoires sous-dotés.

Un autre registre dans la lutte contre les déserts médicaux consiste à raisonner à l'échelle de territoires. Notre collègue Pierre Camani nous a présenté l'expérience exemplaire du Lot-et-Garonne qui a mis en place une commission de la démographie médicale associant l'ARS, le conseil départemental de l'Ordre des médecins et l'assurance maladie. Le territoire du département a été réparti en quinze « aires de santé », dans le cadre desquelles la commission valide les projets de pôles ou maisons de santé, en fonction des besoins.

Favorisons les délégations de tâches des médecins vers d'autres professions de santé, comme les infirmières ou les pharmaciens. Les médecins généralistes auront ainsi un peu plus de temps d'activité médicale, ils pourront prendre en charge certains des actes aujourd'hui réalisés par les spécialistes.

Encourageons l'exercice regroupé pluriprofessionnel, dans le cadre de maisons de santé. De nouveaux modes de rémunération forfaitaire sont indispensables, comme des « forfaits structure » pour couvrir les frais induits. Revoyons aussi le mode de rémunération à l'acte : ainsi, pour les pathologies lourdes, un mandat de santé publique, avec rémunération forfaitaire, serait plus pertinent.

Améliorons le statut du médecin retraité actif : ceux qui poursuivent leur activité cotisent à la retraite sans en retirer un quelconque bénéfice. Dans les zones sous-dotées, une exonération de cotisations serait bienvenue.

Encourageons également le recours à la médecine salariée, à l'image du centre de santé de La Ferté-Bernard, que son maire nous a décrit, ou à la télémédecine, qui nécessite une couverture en haut débit adaptée et l'établissement d'une cotation tarifaire spécifique aux actes de télémédecine.

Troisième registre : il apparaît nécessaire de procéder à un audit approfondi de l'ensemble des mesures d'incitation. Inutile de financer des maisons de santé qui ne comptent pas de médecins ! Les agences régionales de santé doivent constituer, comme le propose le ministère de la santé, le point d'entrée unique des aides financières. Un référent en leur sein sera le garant de la coordination des aides et d'une bonne information à l'attention des étudiants, souvent ignorants les dispositifs en vigueur.

Enfin, la régulation. Les mesures progressivement mises en place depuis 2008 ont eu des résultats probants. Nous nous sommes rendus à Berlin pour étudier le fonctionnement du système allemand, où la régulation a été introduite en 1992. Je propose d'étendre aux médecins le conventionnement sélectif en fonction des zones d'installation, tel qu'il s'applique déjà aux principales autres professions de santé. Le conventionnement serait réservé aux zones sous-dotées définies par les ARS, sauf reprise d'un cabinet en cas de départ à la retraite ; les dispositifs incitatifs seraient recentrés sur les zones sous-dotées.

Doit-on aller au-delà ? Instaurer une obligation de service des médecins en début de carrière dans les zones sous-dotées ? Subordonner à une autorisation des ARS l'installation dans les zones surdenses, comme le proposait Jean-Marc Ayrault, en 2011, dans une proposition de loi ? Nous avons conclu qu'il fallait d'abord prendre des mesures fortes concernant les spécialistes. Dans certains départements dépourvus de CHU, on n'en trouve plus. A Châteauroux, il n'y a plus de cardiologue et l'hôpital surpaie des vacations ponctuelles de spécialistes ou recrute des médecins étrangers qui ne maîtrisent pas toujours notre langue ou dont le diplôme n'est pas reconnu - on les laisse tout de même exercer, car on a besoin d'eux... Je préconise d'instaurer pour les médecins spécialistes une obligation d'exercer pendant une période de deux ans dans les hôpitaux de chef-lieu, si une pénurie a été constatée par l'ARS.

En ce qui concerne les médecins généralistes, il est important que les étudiants prennent conscience qu'une telle régulation est susceptible d'être mise en place dans l'avenir et que les règles du jeu peuvent changer. Certes cette mesure créerait une inéquité entre générations, mais à s'en tenir à cet argument, toute réforme serait impossible en France !

M. Gérard Cornu . - Ce rapport excellent aborde l'ensemble des problématiques ; espérons qu'il servira de point de départ à de nouvelles mesures !

La qualité des soins, c'est aussi la rapidité : des délais d'attente de plusieurs mois sont intolérables.

Vous avez évoqué le dispositif existant : n'oublions pas l'obligation de consulter un généraliste avant de consulter un spécialiste. Elle fait enrager les généralistes comme les patients, et coûte à la Sécurité sociale.

La régulation ? Elle fonctionne certes pour les généralistes, mais, pour les spécialistes, le non-conventionnement ne serait sans doute pas un obstacle, tandis qu'il aurait des effets pervers pour les patients, en réservant aux riches l'accès aux soins. J'étais opticien et audioprothésiste, je connais le sujet.

Le point le plus important me semble la délégation d'actes à d'autres professions. La régulation concerne les pharmaciens, les kinésithérapeutes, les dentistes, non les opticiens pour lesquels on observe un bon maillage de territoire. Ces professions pourraient accomplir 70 % des actes courants d'ophtalmologie et orienter les personnes vers le médecin si nécessaire. N'est-ce pas préférable à un délai d'attente de plusieurs mois ? Il en va de même pour les pharmaciens ou les infirmiers. Si le sujet est tabou, c'est que les médecins savent se protéger...

Le projet de loi sur les droits des consommateurs rapporté par Alain Fauconnier et adopté par le Sénat permettait notamment aux opticiens de prolonger la durée d'une ordonnance de trois à cinq ans. Mais nous avons reçu une volée de bois vert de la part des ophtalmologues : ils ne manquent pourtant pas de consultations, puisqu'il faut six mois pour obtenir un rendez-vous ! Le texte n'a jamais été adopté par l'Assemblée nationale. Il nous faudra beaucoup de volontarisme car le milieu médical aime se protéger mais il aime moins déléguer. Or le politique a son mot à dire !

Mme Évelyne Didier . - Lors des auditions menées par le groupe de travail, il est apparu que la présence médicale était une question de répartition, non de pénurie, sauf pour quelques spécialités.

Pour de multiples raisons, 70 % des médecins souhaitent devenir salariés, pour exercer un travail normal et non une semaine de 60 heures, sans compter les gardes. Ils veulent aussi travailler en équipe.

J'ai rencontré le président du Conseil de l'ordre en Meurthe-et-Moselle : un contrat de remplacement avec SOS Médecins a réglé la question des gardes de nuit. La collaboration entre le SDIS et le Samu est excellente. Cette organisation n'a entraîné aucune difficulté. Mon interlocuteur soulignait également que des médecins habitent en ville et vont travailler à la campagne. Quant aux stages, la faculté de médecine de Nancy veille à ce qu'ils soient effectués, auprès de médecins libéraux du milieu rural ou péri-urbain. En la matière la volonté des doyens de faculté est déterminante. Selon mon interlocuteur encore, l'unicité du diplôme est un obstacle à la polyvalence ; il n'est pas possible dans le système actuel d'acquérir diverses compétences. Enfin le paiement à l'acte n'intégrerait pas le coût des nouvelles technologies.

Parlons aussi des réseaux de soins et du rôle de l'hôpital de proximité dans l'accueil des malades. C'est une autre dimension importante de la présence médicale.

M. Alain Le Vern . - Les mesures proposées par le libéral Hervé Maurey sont très autoritaires !

Certaines dispositions existent déjà. Ainsi, en Haute-Normandie, nous nous appuyons sur un partenariat entre les agences régionales de santé (ARS), le doyen de la faculté et les collectivités territoriales, en l'occurrence la région, qui est pilote. Elle accorde des bourses aux étudiants stagiaires dans les zones déficitaires. Seuls 10 % des étudiants indiquent souhaiter devenir généralistes. Le doyen est favorable à des mesures coercitives d'affectation, comme il en existe dans les grandes écoles et dans d'autres professions.

Il faut s'appuyer sur les hôpitaux locaux - et pas seulement les CHU - qui doivent être le lieu de l'accès aux soins, notamment pour les urgences. On compte moins de 30 lieux d'accès. Ceux-ci pourraient être développés en milieu rural, tout comme la télémédecine.

Concernant les maisons pluridisciplinaires de santé, disséminées sur le territoire, il revient aux ARS d'en assurer le pilotage, leur reconnaissance préludant à un contrat avec la région. Plus simplement, les collectivités peuvent aussi financer des locaux afin de ne pas décourager l'initiative de certains médecins désireux de s'organiser librement pour assurer un service d'urgence. L'aide à l'installation est alors légitime, et même souhaitable, notamment dans les zones interstitielles suburbaines qui risquent, sinon, de devenir déficitaires dans une dizaine d'années, les médecins les ayant quittées au profit d'autres structures.

Mme Laurence Rossignol . - Je salue la qualité du rapport et son audace. Il met en lumière la contradiction d'un système fondé à la fois sur la liberté d'installation, le paiement à l'acte, le libre choix du médecin, et sur un financement socialisé. Cela a bien fonctionné tant que nous en avions les moyens. Ce n'est plus le cas. Il est étonnant que ceux qui pourfendent les conservatismes dans la société soient ici autant compréhensifs.

Le médecin référent ? J'avais interrogé la ministre, mais sa réponse m'a laissée sur ma faim. Ce mécanisme fut instauré quand la Sécurité sociale luttait contre le nomadisme médical et la surconsommation de soins. Mais, alors qu'il a fallu quinze ans pour le mettre en place, les problématiques ont changé. L'instauration d'un filet de soins pourrait être une des propositions de ce rapport, car la pénurie de généralistes dissuade les assurés de consulter. Il faut adapter le système, ainsi que les sanctions, à la démographie médicale du territoire. Le phénomène n'est pas marginal, comme le pense notre ministre : peu de médecins acceptent de devenir médecins référents.

M. Benoît Huré . - Les rapports sur ce sujet ont été nombreux et inégaux. Le diagnostic est désormais bien établi. L'instauration d'un médecin référent avait pour objectif de limiter autant que possible le nomadisme médical mais aussi - le nomade n'étant pas nécessairement le mieux soigné - les catastrophes médicales. Gardons cela à l'esprit...

Les auditions nous ont confirmé ce que nous entendons dans nos circonscriptions : les praticiens médicaux sont, comme les enseignants et de nombreuses autres professions, de plus en plus submergés par les tâches administratives, qui occupent désormais jusqu'à 35 % de leur temps de travail !

Le problème est moins celui de la pénurie que celui de la répartition des médecins, car en nombre de praticiens rapporté à la population, les comparaisons internationales sont plutôt flatteuses pour notre pays.

La plupart des étudiants appréhendent l'exercice libéral de la médecine. Mais lorsqu'ils sont accueillis et suivent des stages intéressants, des vocations naissent. En outre, une part croissante de nos jeunes médecins aspire à exercer dans le cadre pluridisciplinaire des pôles de santé.

M. Jean-Jacques Filleul . - Le rapport est d'une grande qualité, mais ne fait guère mention des gardes médicales. Ce problème très compliqué est généralement traité par les médecins entre eux. Les maires ont rarement voix au chapitre. Dès 19 heures 30 ou 20 heures, il n'y a plus de présence médicale, hormis les numéros d'urgence 15 ou 17. Du coup, les urgences des cliniques ou des CHU sont encombrées, parfois pour de la bobologie. Le rapport examine-t-il ce problème ?

M. Ronan Dantec . - Ce rapport souligne que notre territoire ne ressemble plus à l'image que nous en avions. Les problèmes ne se concentrent pas dans ce que l'on a appelé la « diagonale du vide ». La Loire-Atlantique se porte plutôt bien, elle est dynamique, mais à plus de 40 kilomètres de Nantes, il est difficile de trouver un médecin.

Je partage l'avis de Laurence Rossignol : notre système doit être rationalisé financièrement. Il faut le faire sans porter atteinte au principe cardinal de liberté d'installation. Si nous ne parvenons pas à concilier les deux exigences, notre médecine deviendra très inégalitaire. Une fois l'équilibre trouvé, certains points resteront à préciser, par exemple, la compensation du surcoût de transport occasionné pour les médecins en zone rurale.

La question de l'installation des médecins est indissociable d'une autre, l'avenir des hôpitaux de proximité, structures susceptibles de soutenir les médecins, qui redoutent l'isolement. Il faut en outre développer les liens qui unissent ces hôpitaux aux CHU, dans une vision plus intégrée.

Je forme le voeu que la masse de propositions que contient ce rapport ne soit pas enterrée mais fasse l'objet de dispositions législatives prochaines. Il y a urgence !

M. Philippe Esnol . - Dix-huit mois d'attente pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, c'est surréaliste, et pourtant bien réel. Les médecins me répètent qu'il y a une pénurie de généralistes, à cause du resserrement du numerus clausus , et à ce qu'il faut bien appeler une crise des vocations pour la médecine générale. D'ici à dix ans, disent les généralistes, même en zone urbaine nous ne serons plus assez nombreux. Comment les persuadera-t-on d'aller en zone rurale si la pénurie s'étend ? Agir sur le seul numerus clausus n'aura pas d'effet à très court terme. Quelles réponses apporter et dans quels délais, voilà ce qui m'inquiète.

M. Vincent Capo-Canellas . - C'est un excellent rapport. Toutefois, il met l'accent sur les zones rurales et oublie un peu les banlieues, dans lesquelles d'autres problèmes se posent, notamment de sécurité : en Seine-Saint-Denis récemment, dans une autre commune que la mienne, un médecin a été victime d'un vol de voiture avec violence. D'autres tombent dans des guets-apens. L'accompagnement que nous offrons aux médecins dans ces situations est insuffisant, mais je conviens que les solutions à apporter à ce phénomène ne sont pas simples.

M. Rémy Pointereau . - Je renouvelle mes félicitations au rapporteur pour la qualité de son travail.

Ne pourrait-on instaurer une obligation pour les médecins d'informer les collectivités territoriales lorsqu'ils partent en retraite ou quittent leur commune d'exercice ? Dans mon chef-lieu de canton récemment, un médecin installé depuis dix ans est parti pour Vierzon, à dix kilomètres, conservant une partie de sa clientèle, avant de quitter définitivement le Cher pour la Martinique. Nous l'avons su trop tard. La situation aurait été plus facile à gérer si nous avions pu l'anticiper. Autre exemple : à Bourges, une zone franche a été créée. Tous les médecins jusqu'à 30 kilomètres alentour sont partis s'y installer, sans avertir les communes qu'ils quittaient !

Enfin, je souhaiterais que soit ajoutée au rapport la synthèse des réponses des médecins à nos questionnaires.

M. Robert Navarro . - Ce rapport est globalement bon. Un domaine a néanmoins été passé sous silence. Dans ma jeunesse, les médecins se déplaçaient pour soigner les populations à risque, les gitans par exemple. Aujourd'hui, les personnes à risque sont de plus en plus nombreuses ; or les services sociaux ne vont pas les voir, les médecins encore moins. Dans l'agglomération de Montpellier, des milliers d'habitants sont ainsi délaissés. Du coup, ce sont les urgences et le CHU qui traitent, a posteriori , les situations les plus graves. Il faut dire aux médecins : vous avez des droits, dont celui de vous battre pour réclamer de meilleures conditions d'exercice, mais aussi des devoirs, comme celui d'assistance à la personne humaine. Ce principe mériterait d'être réaffirmé au cours des études universitaires.

M. Benoît Huré . - Le médecin est souvent en danger quand il se déplace dans ces zones-là.

M. Robert Navarro . - Allons ! Les gens malades ne vont pas agresser ceux qui viennent les soigner !

M. Benoît Huré . - Eux non, mais leur entourage oui !

M. Hervé Maurey , rapporteur. - Je conviens que l'obligation de passer par un généraliste pour voir un spécialiste doit être revue : elle allonge les délais, lorsque les généralistes ne refusent pas tout bonnement d'être médecin traitant.

Le déconventionnement ne serait possible que dans les zones sur-dotées. Notez que les spécialistes qui choisissent de se déconventionner, dans des zones très bien dotées comme Paris, n'ont pas toujours l'activité que l'on croit. Je connais des dentistes parisiens déconventionnés à la recherche de patientèle.

La répartition des compétences entre opticiens et ophtalmologues est un point qui figure dans le rapport.

Selon les régions, le taux de réalisation du stage en secteur ambulatoire varie de 0 % à 100 %. Tout dépend de l'attitude des facultés... Nous avons intégré au rapport les remarques que formulait Evelyne Didier sur l'importance des réseaux de soins et le rôle de l'hôpital. Celui-ci est bien sûr un acteur majeur de la santé à l'échelle d'un territoire. Aucun mur de Berlin ne le sépare des praticiens libéraux. Il est par exemple des hôpitaux qui salarient des médecins libéraux, le patient réglant sa consultation à l'ordre du Trésor public.

M. Le Vern ne résiste jamais à l'envie de me lancer une petite pique. Bien que la Haute-Normandie soit très performante en matière de santé, l'évolution démographique médicale de l'Eure est la plus mauvaise de France. Cela montre bien qu'il faut des mesures volontaristes au plan national.

Laurence Rossignol semble étonnée de l'audace dont ce rapport fait preuve. Les centristes n'auraient donc pas d'audace ? Lors de l'examen de la loi HPST, notre ancien collègue François Autain m'avait qualifié de « centriste révolutionnaire ». Cette étiquette m'a plu, je ne la renie pas !

J'indique à M. Huré que les sujets qu'il soulève sont bel et bien pris en compte dans le rapport.

M. Filleul mentionne les gardes médicales. Le manque de médecins enclenche un cercle vicieux : comment organiser plus de gardes dans les régions qui ont moins de médecins ? Nous devons y remédier en développant des synergies entre les libéraux et l'hôpital.

A Philippe Esnol j'indique que nous plaidons pour un dispositif qui associe régulation et incitation. A défaut, je ne suis pas opposé à davantage de contraintes pour les praticiens, car nous savons que la situation va s'aggraver et l'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers.

M. Capo-Canellas a raison de souligner que les déserts médicaux ne se rencontrent pas exclusivement en zone rurale. Les difficultés des zones urbaines sont abordées dans le rapport. A ce propos, je vous recommande le reportage de Public Sénat qui expose le travail réalisé dans une maison de santé de Seine-Saint-Denis avec les médecins, mais aussi les travailleurs sociaux.

Je rejoins Rémy Pointereau : informer les élus d'éventuels départs des professionnels de santé sur leur territoire serait la moindre des choses.

La remarque de Robert Navarro illustre le manque de médecins, mais aussi l'évolution des mentalités : les contraintes sont de moins en moins tolérées. Cela vaut en zone rurale comme dans les grandes villes du sud de la France.

M. Michel Teston , président. - Tous nos collègues s'accordent ainsi pour souligner la justesse du diagnostic, la pertinence de l'analyse et l'audace des propositions formulées dans ce rapport. Nous allons nous prononcer : je vous engage à montrer une belle unanimité, afin de favoriser la mise en oeuvre rapide de solutions aux problèmes de présence médicale sur notre territoire.

M. Hervé Maurey , rapporteur. - En tant que parlementaire de la majorité, Jean-Luc Fichet se trouvait dans une position plus délicate. Nous avons travaillé tous deux dans le seul but de servir l'intérêt général, sans céder à l'influence ou aux pressions des différents professionnels.

La commission, à l'unanimité, décide d'autoriser la publication du rapport d'information.

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