II. AUDITION DE MME CÉCILE DUFLOT, MINISTRE DE L'ÉGALITÉ DES TERRITOIRES ET DU LOGEMENT
Mercredi 23 janvier 2013, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire procède à l'audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Raymond Vall , président . - Nous vous avons entendue déjà deux fois sur le thème de l'aménagement du territoire, Madame la ministre. Aujourd'hui, nous souhaitons vous entendre sur un sujet plus précis, celui de la présence médicale sur notre territoire. Ce sujet de préoccupation majeur des élus a donné lieu à la création d'un groupe de travail, dont Jean Luc Fichet est le président et Hervé Maurey le rapporteur, qui devrait rendre ses conclusions début février.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement . - La présence médicale est un aspect majeur de l'égalité entre les territoires et donc du mandat qui m'a été confié par le président de la République et le Premier ministre.
L'accès aux soins n'est plus seulement une question de distance mais aussi de disponibilité, tant les délais d'attente d'un rendez-vous sont parfois longs, aussi bien dans nos campagnes que dans nos quartiers urbains défavorisés. Nous travaillons à inverser cette situation en étroite relation avec Marisol Touraine, dont le pacte territoire-santé récemment annoncé apporte des réponses ambitieuses. J'ai, pour ma part, identifié trois leviers d'action complémentaires des mesures engagées par ma collègue.
Le premier de ces leviers est l'amélioration, dans les territoires, de l'offre de soins de premiers recours - médecins généralistes, kinésithérapeutes, dentistes, infirmiers - ainsi que de premier secours, dans laquelle les hôpitaux de proximité ont un rôle déterminant à jouer. Réduire le temps d'accès à ces derniers est une question vitale et le président de la République a pris l'engagement qu'en 2015, nul ne se trouverait à plus de 30 minutes d'un service d'urgence.
Mais la mobilité ne doit pas être une contrainte. Pourquoi les patients devraient-ils être les seuls à se déplacer ? Je salue à cet égard l'initiative de Michel Vergnier, héros de la réouverture du service de radiothérapie de Guéret, victime des ayatollahs du chiffre mais pour lequel un compromis a pu été trouvé : ce sont désormais des spécialistes de Limoges qui se déplacent plusieurs fois par semaine.
La télémédecine peut aussi constituer un puissant facteur de rapprochement des services de santé et des patients de différents territoires, comme l'illustre le système de consultations à distance de l'hôpital de Beauvais. Le développement de ces technologies ne se fera qu'en renforçant le rôle et la présence de la médecine de proximité, ainsi que par l'intégration de ces besoins dans le plan très haut débit du gouvernement et dans les schémas territoriaux d'aménagement numérique.
Le second levier d'action est le renforcement et le rééquilibrage de la densité médicale sur le territoire. Entre les différents bassins de vie, la densité de médecins généralistes peut varier de 1 à 5. Les inégalités sont tout d'abord criantes entre les régions - la présence médicale étant la plus faible dans le Centre et en Picardie et la plus forte en PACA ou en région parisienne. Mais ces écarts ne doivent pas masquer les disparités qui existent à l'intérieur des régions, par exemple entre l'ouest et l'est de l'Ile de France. Des dynamiques inquiétantes sont également à l'oeuvre dans certaines régions, en apparence épargnées telles que le Limousin, de nombreux médecins libéraux étant proches de la retraite. Sans un engagement des pouvoirs publics, des territoires entiers risquent ainsi de se retrouver sans médecin au moment où le vieillissement de la population ne fait qu'accroître les besoins.
Notre action consiste tout d'abord à inscrire l'accès aux services médicaux dans une politique globale d'accès aux services au publics car la corrélation est très forte entre la présence de services de proximité - commerces, équipements, services publics - et le maintien d'une offre de soins de qualité. L'action que je mène pour renforcer l'accessibilité des services au public, notamment à travers la mutualisation, devrait ainsi améliorer, à la fois, la qualité de vie des habitants et celle des professionnels de santé présents sur le territoire.
Pour mieux identifier les difficultés, j'ai également demandé à la DATAR de lancer en 2013, en relation avec le ministère de la santé, une étude permettant d'identifier les zones où la densité médicale est fragile. Ses résultats seront présentés à l'ensemble des acteurs de terrain afin de définir les réponses les plus adaptées. Une attention particulière sera portée par exemple aux zones de montagne soumises à de fortes contraintes.
Troisième levier, enfin : l'adaptation des pratiques médicales des généralistes aux besoins et au suivi des patients. Depuis 2011, la DATAR mène un programme de soutien à la création de maisons de santé pluridisciplinaires. Fin 2012, 189 projets ont été financés et ce nombre pourrait atteindre 250 en 2013. Je sais qu'en qualité d'élus locaux, vous êtes aussi nombreux à avoir initié la création de telles maisons. Relais d'une politique coordonnée de présence médicale, ces structures sont aussi garantes d'une plus grande proximité et d'une meilleure fluidité entre les différentes professions. Les médecins sont eux-mêmes favorables à la création de ces lieux de regroupement qui rompent avec une pratique isolée de la médecine au profit de collaborations multiples au service des patients. Le pacte annoncé par Marisol Touraine valorise ces pratiques en prévoyant une rémunération forfaitaire des équipes de soins en contrepartie de services répondant à des objectifs de politique publique ou de la prise d'engagements relatifs aux patients.
Renforcement de l'offre de soins de proximité, développement d'une politique intégrée de services à la population, renouveau des modalités d'exercice d'une médecine de proximité au service des patients, tels sont les trois axes de mon action, qui complète celle de Marisol Touraine, avec pour ambition un égal accès à la santé sur les territoires et le droit pour chacun de se soigner.
M. Jean-Luc Fichet . - La problématique de l'offre de soins relève au moins autant de la commission en charge de l'aménagement du territoire que de celle des affaires sociales qui nous a pourtant reproché de nous y intéresser. C'est ce constat qui nous a conduits à créer le groupe de travail qui a procédé à plus de cinquante auditions depuis le mois de juin.
Madame la ministre, vous évoquez la télémédecine mais n'oublions pas que, bien souvent, le milieu rural - qui représente les deux tiers des communes - n'aura accès au très haut débit que dans plusieurs années. Les dernières connections sont prévues pour 2030, alors que les élus attendent des réponses dès aujourd'hui ! Vous en avez rappelé plusieurs, telles que les maisons de santé et les pôles de santé, le maintien des hôpitaux de proximité, qui vont dans le bon sens, au même titre que le pacte territoire-santé. Ce dernier n'est pas lui même sans rappeler le « bouclier rural » qui devait garantir à la population la présence de différents services.
La présidente des centres de santé auditionnée dans le cadre du groupe de travail nous indiquait que, même dans le secteur de Nanterre-Rueil-Malmaison-Suresnes, il existait des disparités importantes d'offres de soins, sauf pour les pharmaciens soumis à des règles d'installation contraignantes. Les mesures incitatives atteignant très vite leurs limites, ne pensez-vous pas que l'on pourrait davantage s'inspirer, pour les médecins, de ce type de règles contraignantes, qui existent aussi pour les infirmiers ou les kinésithérapeutes ? Il faut en effet aller plus loin que les douze engagements annoncés par la ministre de la santé. Pourrait-on en outre savoir comment vous travaillez ensemble et quels financements pourraient être mis en place pour mener des actions efficaces et rapides ?
M. Hervé Maurey . - François Hollande a rappelé dimanche dernier qu'il était attaché à l'égalité des territoires ; preuve en est la création du ministère dont vous avez la charge. Or, en matière médicale, les inégalités sont criantes : dix-huit mois pour consulter un spécialiste dans certains territoires au lieu de quelques jours à Paris ! Certaines des propositions du gouvernement sont intéressantes mais elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pourquoi Marisol Touraine refuse-t-elle a priori toute mesure de contrainte au motif -assez extraordinaire - que ce ne serait pas juste pour les médecins ? Pour vous, Madame la ministre de l'égalité des territoires, que faut-il préférer : être « juste » avec les médecins ou bien assurer plus d'égalité dans l'accès aux soins ?
M. Rémy Pointereau . - Avec la Picardie, la région Centre est effectivement celle où la densité de médecins est la plus faible, certains départements comme le Cher comptant moins d'un médecin pour mille habitants. L'accès aux soins doit être une priorité car il en va de la survie de nos territoires ainsi que de la vie et de la mort des populations. La proposition du président de la République sur les trente minutes me semble être, pour ces raisons, une évidence.
Madame la ministre, êtes-vous en phase avec votre collègue Marisol Touraine ? L'ARS souhaite fermer le centre d'urgence de Saint-Amand, ce qui obligerait les habitants du sud du département à se rendre à l'hôpital de Bourges situé à plus d'une heure de transport. Nous avons obtenu un moratoire d'un an, mais, concrètement, quelle est votre autorité sur l'ARS pour maintenir ce centre ? Comment ne plus laisser libre cours à ces fameux ayatollahs du chiffre ?
Mme Évelyne Didier . - Cela me fait plaisir de vous l'entendre dire.
M. Rémy Pointereau . - Cela vous surprend ? Vous ne m'avez jamais entendu dire que la culture du chiffre devait primer sur la santé.
Mme Évelyne Didier . - Vous personnellement peut-être pas mais...
M. Rémy Pointereau . - Enfin, Madame la ministre, vous évoquez la télémédecine alors que, par exemple, l'essentiel de mon département est encore bien loin du très haut débit. La priorité me semble donc devoir être donnée aux soins.
M. Jean-Jacques Filleul . - Nous sommes tous attachés à la continuité républicaine mais force est de constater que l'héritage est lourd, en particulier dans la région Centre. Nous avons dû nous battre pendant des années contre les ayatollahs qui sévissaient encore il y a peu pour éviter la fermeture de la maternité et du plateau technique de l'hôpital d'Amboise. De quels moyens dispose-t-on dans une région comme la nôtre où, à côté de zones rurales, les zones périurbaines rencontrent elles aussi des problèmes spécifiques ? La densité de la circulation ne permet pas de se rendre aux urgences en trente minutes et les médecins font défaut le soir après 20 heures comme le week-end. Pour y remédier, j'avais proposé la création de relais de proximité d'urgence jugés, hélas, insuffisamment intéressants par les médecins libéraux. Je crois pourtant à ces structures légères - un médecin et une infirmière - ouvertes le samedi et le dimanche. Sinon, que feront nos concitoyens ? Ils continueront d'encombrer les urgences de l'hôpital avec des bobos, entraînant ainsi des dysfonctionnements dans les services. Comment allez-vous travailler, avec nous et avec le corps médical - extrêmement conservateur - dans une région aussi diverse ?
Mme Évelyne Didier . - Je voudrais tout d'abord présenter mes excuses à mon collègue pour l'avoir interrompu.
M. Rémy Pointereau . - Faute avouée est à moitié pardonnée.
Mme Évelyne Didier . - La difficulté est que nous devons assurer un égal accès aux urgences tout en prenant en compte la disparité des territoires, ce qui appelle des réponses nécessairement différenciées.
Je partage la vision de Marisol Touraine qui considère que le problème de la présence médicale concerne non seulement les hôpitaux et les médecins mais aussi les pharmacies et les professions paramédicales. Une question demeure toutefois : comment votre action va-t-elle s'articuler concrètement avec celle du ministère de la santé ?
Mme Cécile Duflot, ministre . - Traditionnellement, dans notre pays, chaque administration fonctionne en silo, suivant uniquement sa logique propre. C'est ainsi que le critère, en apparence objectif, du chiffre a abouti à meurtrir certains territoires perdant au même moment leur maternité, leur centre des impôts et un régiment militaire. Il faut que désormais, les questions de santé soient prises en compte dans le cadre d'une véritable politique publique globale d'égalité entre les territoires.
S'agissant de la prise de mesures coercitives, vous ne serez pas étonnés que ma position soit celle du gouvernement car, quand bien même je pourrais avoir une autre opinion, il ne serait pas aujourd'hui utile d'en faire état. Il nous faudra pousser l'analyse plus loin et réfléchir en termes d'écosystème médical territorial car on sait par exemple que l'absence du médecin peut avoir des conséquences sur le maintien d'une pharmacie.
Laissons aux mesures prises par Marisol Touraine le temps de produire leurs effets tandis que, comme j'ai eu l'occasion de le dire il y a quelques semaines devant la Haute assemblée, nous travaillons parallèlement à une loi sur l'égalité des territoires dont un des objectifs sera d'inscrire la question de la présence médicale et celle des services publics dans une logique globale allant au-delà du cloisonnement vertical. C'est d'autant plus nécessaire que l'installation d'un médecin peut, à son tour, être favorisée par la présence des autres services publics, dont l'école, et de commerces.
Autre sujet lié, le très haut débit : si toute la télémédecine ne fait pas appel à cette technologie, la nécessité pour certains territoires d'avoir recours à la télémédecine devra être prise en compte dans la définition des secteurs à équiper prioritairement de ce type de réseaux.
Comme le Président de la République, je plaide vigoureusement pour des politiques transversales de réparation des territoires meurtris et pour des politiques de dynamisation qui ne soient plus simplement conçues de façon cloisonnée, service public par service public, entreprise par entreprise ou même niveau de territoire par niveau de territoire. Nous pourrions ainsi envisager une contractualisation territoriale pour l'ensemble des services au public dont les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer avec l'association des départements de France (ADF). Cela se traduirait par une plus grande proximité des équipes d'intervention qui ne seraient pas localisées dans la même ville que le centre d'urgence. Dans la même logique que celle qui préside à l'identification des territoires fragiles par la DATAR, notre réflexion doit faire preuve d'anticipation. Les évolutions de la démographie médicale pourraient en effet affecter durement des territoires qui ne semblent actuellement pas menacés.
Plus concrètement, nous poursuivrons le financement des maisons de services publics et des maisons de santé dans le cadre des contrats de projets Etat-région (CPER) ; 20 millions d'euros y seront consacrés en 2013 dans le cadre d'un programme piloté par la DATAR. Des financements européens seront également mobilisés au profit des maisons de santé.
Il nous faut par ailleurs mutualiser les bonnes expériences. C'est dans cette perspective que j'ai évoqué l'idée d'un commissariat général à l'égalité des territoires chargé de diffuser les initiatives prises avec succès dans certains territoires, accompagnées de leurs « boites à outils ». Ce serait une façon de réinventer le rôle de l'État.
Monsieur Filleul, selon les types de territoires, des réponses particulières doivent effectivement être apportées. Le travail en commun de plusieurs professionnels de santé est extrêmement utile, en particulier dans les zones médicalement désertées. En outre, un effort doit être fait pour mieux anticiper les gardes de façon à les rendre moins pesantes pour le médecin concerné.
Faisons le pari que cette méthode de maillage territorial et de vision transversale des services publics, qui n'a encore jamais été mise en oeuvre, produira les effets escomptés. Il sera toujours temps d'évaluer son impact d'ici à deux ans et d'en changer si les choses ne s'améliorent pas.
M. Hervé Maurey . - On se donne deux ans ?
Mme Cécile Duflot, ministre . - J'estime, à titre personnel, que l'inversion de la logique actuelle, traditionnelle, ainsi que le maillage des services publics peuvent apporter des réponses peut-être plus rapidement qu'attendu dans la mesure où elles n'ont encore jamais été mises en oeuvre.
M. Pierre Camani . - La présence médicale est un enjeu d'aménagement du territoire, qui ne se décrète pas mais qui s'organise. Ainsi dans le Lot-et-Garonne, un dispositif concerté a été mis en place sous l'égide du conseil général, qui associe les services de l'État, l'ARS et les acteurs de santé, dont l'ordre des médecins. La commission dite de la démographie médicale définit, au sein du territoire, différentes aires de santé et ne finance que les projets de maisons de santé élaborés par les professionnels concernés. Nous offrons ainsi un cadre cohérent dans lequel les acteurs publics sont invités à participer à des initiatives concertées plutôt qu'à financer des projets concurrents.
Envisagez-vous de faire des propositions sur ces sujets dans le texte sur l'égalité des territoires ?
M. Philippe Esnol . - Je ne suis pas du tout favorable à une sévérité accrue à l'égard des médecins. Nous devons assumer un héritage très lourd car, alors même que la situation était prévisible depuis de nombreuses années, peu a été fait au cours de la décennie écoulée. S'en prendre aux généralistes qui souffrent et dont le malaise est palpable depuis longtemps n'est pas une bonne solution.
Pour les pharmaciens, malgré la réglementation un problème de garde demeure. Même dans un secteur urbanisé, les personnes âgées sont souvent incapables de se rendre à la pharmacie de garde. Dans une zone très démographiquement dense comme le nord des Yvelines, il faut parfois plus d'une heure pour se rendre à l'hôpital, comme ceux de Poissy ou de Pontoise pourtant situés à quelques kilomètres. Les passionnés du chiffre nous ont fermé une maternité et l'ARS refuse aujourd'hui la construction d'une clinique de soins de suite pourtant financée par le secteur privé et installée dans une commune qui compte quatre Ehpad. Madame la ministre, des inégalités existent aussi en zone urbaine, auxquelles viennent, dans notre cas, s'ajouter une très forte concentration de demandeurs d'hébergements d'urgence et d'asile politique puisque nous accueillons un centre du 115 et un centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). Une même commune ne peut pas accueillir toute la misère du monde !
M. Charles Revet . - L'existence de trois services d'urgence est souvent une source de perte de temps et donc d'efficacité. Envisagez-vous d'agir en faveur d'un regroupement de ces services ?
Ne pourrait-on pas accorder une plus grande place à la médecine libérale dans la formation des médecins, car l'expérience montre que certains peuvent y prendre goût ? Quant aux maisons de santé, si elles permettent de répondre au souhait des jeunes médecins de travailler en groupe, reste à savoir qui les finance. L'enveloppe de 20 millions d'euros que vous annoncez sera-t-elle destinée à ces structures et, le cas échéant, selon quels critères ?
M. Philippe Darniche . - Votre vision globale de l'égalité des territoires est intéressante mais les mesures proposées me semblent insuffisantes. Alors qu'avec sa croissance démographique et sa situation économique la Vendée pourrait être une terre propice à l'installation des médecins, tel n'est pourtant plus le cas, essentiellement du fait des choix des jeunes médecins à l'issue de leurs études. Comment influencer ces choix ? La solution proposée, il y a quelques années, d'une contractualisation en cours d'étude n'a pas donné les résultats escomptés. Je n'ai pas de solution miracle mais peut-être pourrait-on revaloriser les gardes ce qui éviterait de surcroît que la « bobologie » soit prise en charge par les urgences des hôpitaux. Comment amener les spécialistes à ne pas s'installer seulement en ville ? Là aussi des mesures incitatives plus importantes que celles que vous prévoyez seront nécessaires.
M. Michel Teston . - Autrefois la majorité des médecins était opposée au statut de salarié. Aujourd'hui c'est l'inverse. Mais tous ne peuvent pas être rattachés à une structure hospitalière, faute de postes. Quelles pistes envisagez-vous ?
M. Jacques Cornano . - Madame la ministre, je souhaiterais avoir l'occasion de m'entretenir avec vous, comme je l'ai fait avec Mme Touraine, pour vous sensibiliser à la problématique de la couverture sanitaire en Guadeloupe, et notamment à Marie-Galante, car cette question doit s'inscrire dans un projet global de santé soucieux d'équité territoriale et de justice sociale.
La Guadeloupe est le seul département composé de six îles : Basse-Terre, la Grande-Terre, les Saintes avec Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, la Désirade et Marie-Galante. Même les Bretons n'ont pas idée des problèmes rencontrés ! Avec la communauté de communes de Marie-Galante nous avions lancé une réflexion sur l'avenir de l'hôpital de Marie-Galante, il y a dix-neuf ans. Nous proposions le rattachement de celui-ci au CHU de Pointe-à-Pitre pour mutualiser les moyens, avec la signature d'une convention de partenariat ou la rotation d'équipes de spécialistes. Or l'inverse s'est produit. L'hélicoptère qui assure les rotations est souvent en panne. C'est pourquoi je souhaite la tenue d'une réunion de travail consacrée à l'étude de la situation d'archipel de la Guadeloupe, conformément au souhait du Président de la République.
Mme Odette Herviaux . - Je comprends les préoccupations de mon collègue. Les Bretons ont le même souci, avec Belle-Ile-en-Mer notamment.
Mme Cécile Duflot, ministre . - Comme vous l'a indiqué Marisol Touraine, à propos des centres de santé avec personnel salarié, une mission de l'IGAS et de l'IGF est en cours. Le pacte territoire-santé prévoit que deux cents praticiens de médecine générale verront leur revenu garanti pendant deux ans.
Monsieur Esnol, depuis vingt ans les inégalités entre régions se sont réduites mais les inégalités infra-régionales se sont accrues. L'installation d'une plateforme téléphonique dans une commune ne signifie pas que les lieux d'accueil y sont implantés. Il s'agit de deux entités différentes. En outre il existe en milieu urbain dense des déserts médicaux, avec parfois moins d'un médecin pour des milliers d'habitants, qui présentent les mêmes difficultés que les déserts médicaux en milieu rural.
Monsieur Revet, vous m'avez interrogée sur les numéros d'urgence. La question de l'articulation entre ces numéros pourra être évoquée avec l'association des départements de France. Sur les parcours de formation, parmi les éléments indiqués par Mme Touraine, figure l'obligation pour les médecins en formation d'effectuer un stage en médecine générale pendant leur scolarité.
L'insularité appelle une réflexion sur les services publics, notamment de santé. Il en va de même pour tous les territoires isolés ou enclavés, comme les zones de montagne. La Guadeloupe a effectivement un statut particulier, tout comme les îles du Ponant. Nous étudierons, Monsieur Cornano, la possibilité d'une rencontre prochaine.
Monsieur Darniche, il n'y a pas de corrélation entre l'accroissement du niveau de vie et celle de l'offre de soins. Beaucoup de paramètres interviennent dans le choix des localisations ; c'est pourquoi il est important de travailler sur la couverture territoriale des services publics. Concernant la féminisation, les hommes jeunes souhaitent aussi avoir une vie de famille et s'occuper de leurs enfants. La mère de famille nombreuse que je suis peut en témoigner...
Enfin les maisons de santé doivent, pour obtenir un financement, définir un projet de santé et répondre à un cahier des charges précis. Dans le cadre de notre réflexion avec Marisol Touraine, qui concernera aussi les financements en matière d'aménagement du territoire, nous veillerons à articuler les deux dimensions, en associant l'ensemble des acteurs à la définition des projets - ARS, préfets, professionnels de santé -, gage de succès dans la durée. Ces structures ne doivent pas se faire concurrence. Nous veillerons à ce que les appels à projets répondent à une vision territoriale partagée des implantations de services publics.
M. Raymond Vall , président . - Il m'a fallu six ans pour faire aboutir mon projet de maison de santé. Un vrai parcours du combattant ! Il est bien difficile pour un maire, un conseiller général voire un sénateur de s'attaquer à la question du vide médical.
La loi Hôpital-Patient-Santé-Territoire (HPST) comportait pourtant dans son intitulé le mot « territoire ». Aussi il est inconcevable que le cahier des charges n'associe pas les deux problématiques. Si un maillage du territoire était défini, par exemple par la DATAR ou le commissariat général à l'égalité des territoires, les élus locaux pourraient s'en prévaloir pour obtenir un label de l'ARS ou pour obtenir un financement.
Pour les territoires ruraux il faut mettre en oeuvre tous les leviers. Je n'ai pas voté la loi HPST. La ministre nous avait alors assuré que les hôpitaux ruraux seraient préservés : il n'en a rien été. On a sacrifié de nombreux lits de soins de suite, de rééducation et de médecine. La notion de « maillage territorial » a été vidée de son sens. La tarification à l'activité (T2A) a provoqué le départ des patients dans les CHU. Or le lien avec les familles est primordial. Comment les recevoir ? Les maisons de santé comme les hôpitaux locaux, devenus des Ehpad, ne peuvent faire face. Dans le cas que j'évoquais, la maison de santé a été construite dans l'enceinte de l'hôpital, afin de mutualiser les ressources, le médecin de garde pouvant s'appuyer sur les infirmières ou la pharmacie de l'hôpital.
Enfin il est indispensable que le raccordement au haut-débit soit une priorité, dans la mesure où les projets correspondent au maillage et respectent le cahier des charges commun aux deux ministères. Il faut y consacrer des financements spécifiques. Certes les locaux de télémédecine sont raccordés à l'ADSL. Mais est-ce suffisant si le sort d'un patient cardiaque est suspendu à l'envoi de son électrocardiogramme au CHU ? Commençons par un maillage de premier niveau, avant d'en étendre les ramifications. Il appartient à votre ministère de le définir. Réussissons la deuxième génération de maisons de santé, car il existe une volonté d'aboutir.
M. Charles Revet . - Madame la ministre pourriez-vous nous apporter des indications sur votre politique en matière d'urbanisme ?
Mme Cécile Duflot, ministre . - Je vous répondrai en présentant le calendrier législatif de mon ministère. Deux projets de loi sont en préparation. Une loi-cadre sur l'urbanisme et le logement tout d'abord. La concertation a commencé ; elle concernera les règles d'urbanisme, clarifiera l'articulation entre les différents schémas d'urbanisme et d'aménagement du territoire tandis que la question des PLU sera sans doute insérée dans le texte sur la décentralisation. Plusieurs lois seront actualisées à cette occasion : la loi de 1989 sur les rapports entre propriétaires et locataires, afin d'avancer dans le sens d'un encadrement des loyers ; la loi de 1970, dite loi Hoguet, sur les professionnels de l'immobilier, pour renforcer notamment les exigences en terme de formation et de qualification, souhait partagé par les professionnels eux-mêmes car la concurrence a abouti ces dernières années à une dégradation de la qualité des prestations ; ou encore la loi de 1965 sur les copropriétés qui a beaucoup vieilli et contient des règles de vote archaïques, sources de blocages. Je suis heureux de la collaboration entre mes services et ceux de la ministre de la justice sur ce dernier point. Ce texte très riche sera transmis au Conseil d'État au mois d'avril et devrait être examiné en Conseil des ministres au mois de juin, puis soumis au Parlement à l'été ou en automne.
Le second projet de loi concerne le très haut débit. Il aura pour objet les services publics, leur mutualisation et une nouvelle articulation territoriale. Il pourrait devenir un des titres de la loi sur la décentralisation, tant le sujet de l'égalité des territoires nourrit de fortes attentes sur tous les bancs, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, tandis que le calendrier législatif est très chargé. Les élus ruraux, mais pas seulement, sont attachés à cette réflexion. Ainsi toutes les questions d'urbanisme, d'égalité des territoires et de logement seront traitées dans leur ensemble avant la fin de l'année.