2. Quels moyens militaires et maritimes pour y répondre ?
M. Michel Aymeric, Secrétaire général de la Mer
Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, il faut effectivement partir du milieu naturel, l'immensité de ce territoire, même si l'on voit que le Pacifique constitue lui-même un milieu pluriel. Il existe le Pacifique Nord, avec des échanges majeurs qui se développent entre la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Canada et les États-Unis ; et le Pacifique Sud, immensité maritime d'où émergent des États émiettés. C'est là que la France est très présente.
La France est un État riverain du Pacifique, avec ses trois collectivités (la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna). N'oublions pas Clipperton, même si cette île est beaucoup plus éloignée, à l'Ouest du Mexique, mais où il y a de réels enjeux. Sur 11 millions de kilomètres carrés de zones économiques exclusives françaises, plus de 7 millions de km 2 se trouvent dans le Pacifique. La France du Pacifique est donc une France maritime. Si la France veut être une grande puissance maritime, il faut qu'elle soit présente, forte et active dans le Pacifique.
La difficulté : il faut dix jours de mer pour aller de Nouvelle-Calédonie en Polynésie et plus de 2 000 kilomètres séparent la Nouvelle-Calédonie de Wallis et Futuna. Les distances sont grandes et des moyens (aériens et maritimes) disposés en nombre suffisant sont indispensables si l'on veut être présent et efficace dans la région.
Les enjeux ont également été rappelés. Il existe bien sûr l'enjeu de protection des milieux et de la biodiversité du Pacifique, qui est très riche. Il faut l'exploiter lorsque cela est possible mais de façon propre. Un deuxième enjeu porte sur la protection et l'exploitation raisonnée de la ressource halieutique pour l'économie locale, pour le bien des populations mais en tenant compte des pressions qui viennent souvent du Pacifique Nord, avec des pratiques de pêche illégale. Là aussi, il faut que la France agisse, comme cela a été rappelé.
Le sénateur Lorgeoux a mis l'accent à juste titre sur les enjeux de développement économique, avec les nodules polymétalliques et les recherches sous-marines. Le monde terrestre est de plus en plus fini en matière de ressources minérales, pétrolières ou gazières, il faut se tourner vers la mer, les océans, les grands fonds et les espaces sous juridiction française dans le Pacifique sont très importants à cet égard. Les efforts faits par la France en matière de politique d'extension du plateau continental mettent également en exergue des enjeux de premier plan puisque plus de 500 000 km 2 pourraient être gagnés au travers de cette politique.
Comme le rappellera peut-être l'Amiral Vichot, la partie civile et la partie militaire de l'action de l'État en mer sont largement imbriquées, puisque les mêmes moyens sont mobilisés : ils peuvent servir le matin pour une opération civile et l'après-midi pour une opération militaire. Cette mixité des moyens, cette complémentarité des missions constituent précisément une des forces de l'organisation française.
À titre d'illustration, lorsque j'étais en Nouvelle-Calédonie, il y a deux mois, nous inaugurions le MRCC de Nouméa ( Maritime Rescue and Coordination Center , équivalent d'un CROSS en métropole).
Le jour de son inauguration, il a été appelé par son équivalent néo-zélandais du fait de la présence d'un voilier en difficulté à la limite des zones SAR ( Search & Rescue ) française et néo-zélandaise. L'opération s'est tout naturellement mise en place et a été couronnée de succès, ce qui montre que tout cela fonctionne. C'est également le cas en matière de lutte contre les activités illicites, dans des affaires de trafics de stupéfiants à destination de l'Australie, par exemple, les autorités françaises ont apporté leur concours. La France joue pleinement son rôle en matière d'action de l'État en mer dans le Pacifique.
L'une des principales difficultés porte aujourd'hui sur les moyens susceptibles d'être mobilisés, dans la situation économique et budgétaire que nous connaissons. Nous sommes en pleine préparation du Livre blanc, qui doit être publié dans les semaines qui viennent. Il tracera des perspectives pour la programmation des moyens militaires, notamment ceux de la marine nationale. En matière de moyens civils, nous nous appuyons sur la coopération des différentes administrations, même si chacune d'entre elles connaît des difficultés budgétaires. C'est pourquoi il faut :
- au minimum conserver, sur le plan quantitatif, les moyens actuels en les modernisant, c'est-à-dire en passant à la génération future ;
- eu égard à l'ampleur des territoires, il faudra sans doute aller vers des solutions satellitaires complémentaires, par exemple pour le contrôle des pêches, comme cela a été fait dans le sud de l'Océan indien ;
- jouer la coopération et la mutualisation avec les grands voisins que sont l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui disposent de moyens d'action en mer ;
- enfin développer la mutualisation entre nos différentes administrations. C'est déjà ce qui est fait en Polynésie avec deux hélicoptères de service public interministériels et le Centre maritime commun.