Mme Élisabeth Laurin, Directeur d'Asie et d'Océanie, ministère des Affaires étrangères
L'Asie-Pacifique constitue, avec plus de 17 500 km de large, un espace unique, aujourd'hui moteur de la croissance mondiale. Ses États riverains représentent près d'un tiers du PIB mondial - plus de 70 000 milliards de dollars (source FMI). Elle concentrera près de la moitié de la croissance mondiale (3,3 % en moyenne en 2013) pour les cinq prochaines années selon les estimations du FMI. Elle est également le premier espace de transit au monde en flux de marchandises (70 % du trafic mondial), situation qui explique l'importance donnée au respect de la liberté de navigation et aux questions maritimes. Elle regroupe 3,43 milliards d'habitants sur ses rives, 60 % de la population mondiale, qui vivent dans 36 pays. Elle représente, enfin, 52 % de la surface de la terre et la présence des cinq membres du Conseil de sécurité.
Au sein de cet espace, le Pacifique Sud occupe une place particulière et comporte des enjeux spécifiques pour la France. Avec 550 000 Français installés dans trois collectivités territoriales (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna), une zone économique exclusive (ZEE) de 7,6 millions de kilomètres carrés (deux tiers de la ZEE française), la présence des forces armées de la Nouvelle-Calédonie et celles de la Polynésie française et un réseau diplomatique de cinq ambassades dans la région, la France y est un acteur majeur et y conduit une politique visant à répondre aux enjeux et défis régionaux propres à cet espace.
Présente physiquement, politiquement et militairement dans le Pacifique Sud, la France y est aussi un acteur économique, à double titre.
Elle est tout d'abord un État qui assure aux citoyens vivant dans ses collectivités d'outre-mer du Pacifique un niveau de vie et de services comparables à celui de tout citoyen français. Ces collectivités sont également des acteurs économiques importants de la région, nouant des liens étroits avec nos partenaires australien et néo-zélandais notamment. Elles se tournent également vers la Corée du Sud ou le Japon pour les exportations de nickel et de ressources halieutiques. Ces questions seront d'ailleurs évoquées lors de la table ronde 4.
Elle est aussi un partenaire économique pour les États de la région à l'importance grandissante. À titre d'exemple, l'Australie, douzième économie mondiale et membre du G20 : les exportations françaises vers ce pays ont plus que doublé en dix ans, pour atteindre 3,7 milliards d'euros en 2011. Ce pays représente, en 2011, le troisième excédent commercial de la France, un excédent supérieur à ceux du Brésil et de l'Inde. La France en Australie, ce sont près de 400 implantations françaises employant 70 000 salariés, près de 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Un succès de notre diplomatie économique. C'est également une communauté française de plus en plus nombreuse comme en témoignent les chiffres des Français présents en Australie ou en Nouvelle-Zélande (respectivement près de 70 000 et 6 000).
Dans le Pacifique sud, la politique de la France entend répondre à trois enjeux principaux :
Le premier enjeu pour la France, mais à dimension régionale, est lié à l'évolution politique et institutionnelle des collectivités françaises du Pacifique : 25 ans après les accords de Matignon, la consultation prévue en Nouvelle-Calédonie entre 2014 et 2018 par l'accord de Nouméa sera une échéance majeure pour ses habitants mais également pour les États voisins. Il s'agit, pour la France, d'accompagner ce processus au bénéfice de tous.
Le deuxième enjeu d'importance, c'est celui de la stabilité régionale. Le Pacifique Sud est marqué par la fragilité croissante de certains petits États insulaires souvent classés parmi les Pays les moins avancés (PMA) du monde. Ces États sont particulièrement sensibles aux contraintes extérieures : au développement des trafics, d'êtres humains mais aussi de drogues ou d'armes, aux catastrophes naturelles, de plus en plus destructrices, au changement climatique aussi qui fragilise les équilibres naturels et humains. La France, avec ses partenaires australien et néo-zélandais notamment, entend répondre à ce défi. Elle le fait au travers de sa politique de coopération, bilatérale ou multilatérale. Elle le fait aussi par ses moyens militaires, en déployant ses forces armées prépositionnées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française en réponse aux demandes d'assistance qui lui sont faites par les États insulaires voisins. Elle y répond enfin par la politique d'intégration régionale de ses territoires afin qu'ils soient en mesure, seuls ou avec elle, de participer aux efforts de tous.
Un troisième enjeu, c'est aussi celui de l'accès aux ressources et de leur utilisation. Car le Pacifique Sud est un espace unique dont les ressources immenses, qu'elles soient halieutiques, de matières primaires ou de biodiversité, suscitent un intérêt renouvelé dans une région, l'Asie-Pacifique, où les besoins des populations, alimentaires ou énergétiques, explosent. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de voir des acteurs publics ou privés manifester un intérêt croissant pour le contrôle et l'exploitation de ces ressources.
Consciente des attentes à son égard et des responsabilités qui sont les siennes, la France entend répondre à ces enjeux. Elle mène dans le Pacifique une politique globale qui rassemble en un tout cohérent les actions menées en direction des communautés françaises du Pacifique, celles en direction des États tiers ou en faveur des organisations régionales.
Cette politique se traduit par un effort financier particulier de la France vers le Pacifique, qu'il soit par des transferts financiers majeurs en faveur de ses collectivités (2,5 milliards d'euros par an) auxquels s'ajoutent les contributions de la France aux organisations régionales (CPS, PROE), l'aide fournie par l'Agence française de développement, la part française au Fonds européen de développement utilisé pour le Pacifique (19 % de 500 millions d'euros sur cinq ans), le « Fonds Pacifique » de coopération régionale et la coopération bilatérale.
Au-delà de l'aide aux États et territoires insulaires du Pacifique, la France entretient des relations privilégiées avec les principaux pays de la région, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les exercices militaires conjoints « Croix du Sud » et le dispositif FRANZ (France-Australie-Nouvelle-Zélande) de gestion post-catastrophe, mis en oeuvre une nouvelle fois fin décembre 2012 en faveur de Fidji, suite au passage du cyclone Evan, en sont deux exemples concrets.
La France, comme ses trois collectivités, entend contribuer aux efforts de coopération menés au sein des grandes organisations régionales, notamment en faveur du développement économique et de la protection contre le changement climatique, en concertation étroite avec ses partenaires. En cela, elle poursuit la politique qu'elle a lancée dès après la seconde guerre mondiale avec le choix de Nouméa comme siège de la Communauté du Pacifique (CPS), première organisation régionale de coopération technique, scientifique et de formation créée par la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Elle est également membre du Programme Régional Océanien pour l'Environnement (PROE), organisation chef de file pour les questions touchant à la préservation de l'environnement dans le Pacifique, et participe aux organisations régionales de gestion des pêches.
Au-delà des actions de l'État, la France appuie celles de ses collectivités du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. Elle poursuit une politique active qui vise à favoriser leur intégration régionale et à appuyer les politiques qu'elles mènent dans le cadre des compétences qui leur ont été conférées. La participation croissante des collectivités françaises du Pacifique dans les organisations régionales (CPS, PROE, FIP, organisations régionales des pêches), avec les ressources dont elles disposent, sont un exemple de cette dynamique.
Cette politique rencontre le soutien unanime des États et territoires du Pacifique. Le statut de « membre associé » accordé en 2006 à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française par le Forum des Îles du Pacifique et l'accession de Wallis et Futuna au statut de « membre observateur » soulignent son succès et sa légitimité. Elle doit être poursuivie. C'est le sens de l'initiative portée par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie auprès du Forum pour obtenir le statut de « membre plein ».
Les accords commerciaux avec la Corée du Sud, le Japon ou la Chine, les flux de marchandises qui en découlent soulignent que cette intégration n'est pas seulement politique. Elle devient aussi économique, au bénéfice de tous et en premier lieu, des habitants de ces territoires.
C'est dans une perspective d'intégration politique, économique, scientifique et culturelle que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a également décidé, en plein accord avec les autorités françaises, de déployer des « délégués pour la Nouvelle-Calédonie » au sein des ambassades de France dans le Pacifique Sud. C'est une nouvelle étape et un autre signal fort de l'intégration régionale qui se poursuit. Le premier délégué a intégré en 2012 l'ambassade de France en Nouvelle-Zélande. Il devrait être suivi par d'autres à Canberra, Port-Moresby, Suva, Port-Vila... Cette initiative devrait également être étendue à l'ensemble des territoires d'outre-mer français, sur les trois océans, le Pacifique, l'Océan indien et l'Atlantique, et constituer ainsi une nouvelle dimension de la politique étrangère de la France.
La France se veut enfin le relais naturel des aspirations des Pays et territoires d'Outre-mer (PTOM) et des pays Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP) au sein de l'Union européenne. Tel est le cas encore aujourd'hui dans le cadre de la révision de la décision d'association des PTOM à l'Union européenne ou dans celui des négociations d'accords de partenariat économiques avec les pays ACP.
Les structures et les moyens du dispositif français dans le Pacifique, la continuité de la politique conduite par la France dans cette partie du monde, lui permettent ainsi de maintenir une présence et une influence significatives. La mise en oeuvre de nos politiques bilatérales et multilatérales en Océanie reflète l'engagement politique réaffirmé des autorités françaises dans cette vaste région.