M. Jérôme Fabre, Directeur du développement ERAMET-Nickel
Je voudrais remercier les organisateurs de ce colloque car il est rare que nous soyons invités à témoigner de nos activités, qui se déploient dans un secteur largement dominé par les anglo-saxons. Nous sommes donc particulièrement heureux de pouvoir présenter ici nos activités et d'évoquer la Nouvelle-Calédonie, qui est un territoire auquel nous sommes extrêmement attachés.
J'évoquerai d'abord les enjeux géostratégiques, que certains décrivent en évoquant la « guerre » pour l'accès aux ressources. Nous préférons parler de concurrence ou de course pour l'accès à ces ressources. L'industrialisation et l'urbanisation des pays émergents ainsi que les exigences de plus en plus accrues des sociétés développées en matière d'efficacité énergétique et de sécurité alimentaire, notamment, soutiennent une très forte demande de nickel. Tous les pays industriels qui disposent d'une offre susceptible d'y répondre s'organisent pour sécuriser leurs approvisionnements en nickel et la stratégie mise en place par la Chine, singulièrement, montre que ce pays investit partout où il le peut. Le Pacifique occupe une place toute particulière dans ce paysage concurrentiel pour l'accès aux ressources car la Nouvelle-Calédonie représente 20 % à 25 % des ressources nickélifères en minerais oxydés. L'Australie dispose de ressources importantes également. D'autres pays, comme la Papouasie Nouvelle-Guinée ou les îles Salomon, possèdent du nickel. L'Indonésie et la Nouvelle-Calédonie détiennent à elles deux 95 % des ressources riches.
Sur le plan des enjeux économiques, il faut souligner l'importance, pour l'industrie du nickel, de l'étape de transformation métallurgique. L'activité d'exportation de minerais en Chine, par exemple, ne génère que 15 % de retombées économiques locales. Nous disposons à Doniambo, en Nouvelle-Calédonie, d'une usine de transformation. Elle met en oeuvre des procédés complexes qui emploient un personnel important. C'est la raison pour laquelle 55 % du chiffre d'affaires réalisé restent en Nouvelle-Calédonie : sur 820 millions d'euros de chiffre d'affaires, 450 millions d'euros contribuent directement à l'économie locale et nous employons 2 200 salariés en Nouvelle-Calédonie. Outre l'emploi local et la sous-traitance, les retombées locales se matérialisent au travers des impôts et des dividendes versés localement.
Ces activités sont aujourd'hui confrontées à des risques du fait de l'appétit d'opérateurs chinois, peut-être indiens ou sud-coréens demain. Nous nous trouvons en effet dans une situation d'équilibre fragile et si la Nouvelle-Calédonie fait figure d'eldorado du nickel, il s'agit aussi d'une économie insulaire qui présente des coûts énergétiques et salariaux très élevés, auxquels s'ajoutent des problèmes de productivité. Les industriels chinois, qui n'ont pas accès à des ressources comparables, doivent s'approvisionner dans d'autres parties du monde où l'activité n'est pas soumise aux mêmes contraintes. C'est pourquoi j'appelle à la vigilance l'État et les autorités locales sur ce point.
Ces retombées économiques sont évidemment très importantes du point de vue du lien entre l'activité minière et métallurgique et le territoire. Il faut créer de la valeur ajoutée et diminuer au maximum notre empreinte environnementale. Il y a là un enjeu d'acceptabilité sociale. C'est la raison pour laquelle la technologie et l'innovation occupent une place particulière dans nos activités en ceci qu'elles constituent un enjeu de pérennité de notre industrie. Ces exigences vont croissant et mettent en exergue un enjeu de transition technologique vers de nouveaux procédés dits « hydro-métallurgiques ». La plupart de nos usines fonctionnent en portant à son point de fusion (1 650 degrés) le minerai de nickel, au travers de procédés très intensifs en énergies fossiles. La transition vers l'hydro-métallurgie impliquera de remplacer ces procédés traditionnels par des procédés chimiques.
Ceux-ci nous permettront de consommer moins d'énergie et de diviser par cinq ou six les émissions de CO 2 de notre industrie, extrêmement intensive de ce point de vue. Eramet a l'ambition de réussir cette transition vers l'hydro-métallurgie en Indonésie et demain en Nouvelle-Calédonie, où nous avons déjà un partenariat avec un acteur de l'hydro-métallurgie.