M. Bernard Grasset, Maire de Rochefort, ville organisatrice du festival « Rochefort Pacifique »
Vous avez bien voulu me faire l'honneur de participer à ces entretiens au titre de cette coopération culturelle qui unit, le temps d'un festival du cinéma du Pacifique sud, qui au départ simple rencontre amicale autour de films et de vidéos réalisés ici ou là-bas, a été suffisamment pris au sérieux par nos gouvernements respectifs pour être élevé au rang de festival. Depuis 2007, se tient, à Rochefort, le Festival de Cinéma Rochefort Pacifique, un événement unique en France. Cette manifestation est aujourd'hui reconnue par le milieu culturel, scientifique et politique au plan national tout comme dans le Pacifique sud.
Les projections sont suivies de débats en présence du réalisateur. Ni jury ni compétition mais plutôt un lieu d'expression et d'échanges. En programmant conjointement les films déjà primés de réalisateurs référents et ceux de jeunes talents, il offre un tremplin de qualité aux cinéastes émergents.
Le Festival de Rochefort a entrepris depuis plusieurs années une politique de « délocalisation », consistant à présenter des films avec débats dans différents lieux emblématiques du département, de la région et parfois au niveau national. Ces actions ont permis de sensibiliser un public qui n'avait pas accès, jusque-là, à la connaissance de l'espace océanien.
En 2012, avec l'aide du Fonds Pacifique, en s'investissant avec le service de coopération et d'action culturelle de l'ambassade de France à Suva, le festival a décidé de se délocaliser dans le Pacifique, participant ainsi au soutien de la filière audiovisuelle et à la promotion de la diversité culturelle en présentant des oeuvres francophones dans un monde exclusivement anglo-saxon.
C'est ainsi que deux responsables Fidjiens de l'audiovisuel et réalisateurs ont été invités au festival de Rochefort afin de présenter leurs oeuvres, mais aussi de rencontrer les professionnels de l'image et les directeurs de festivals de cinéma dans les villes de la Région Poitou-Charentes (La Rochelle, Angoulême).
Le festival « délocalisé » à Suva du 15 au 20 avril 2013, offrira une programmation de films réalisés par des auteurs francophones, tournés en Océanie. La manifestation sera soutenue par l'Université du Pacifique Sud et les services de l'ambassade de France à Suva.
Des réalisateurs des festivals de cinéma de Polynésie (FIFO) et de Nouvelle-Calédonie (Poindimié, festival Anûû-rû Aboro) seront invités à Suva afin de présenter leurs films.
L'action proposée pour 2013 consistera à faire réaliser un documentaire sur le festival de cinéma de Suva du 15 au 20 avril 2013, par une équipe de tournage composée d'un jeune réalisateur métropolitain et d'un jeune cinéaste calédonien.
Le montage du film s'effectuera dans les locaux de l'Université nationale de Fidji par l'équipe de tournage qui sera en résidence de stage de perfectionnement de montage, encadrée par des enseignants fidjiens. Le film entièrement terminé sera présenté en première au festival de Rochefort du 8 au 12 mai 2013. Cette opération fidjienne, calédonienne et française aboutira ainsi à une réalisation cinématographique commune qui pourra être projetée dans les festivals culturels de la zone pacifique, illustrant ainsi la vitalité et la pertinence de la francophonie dans cette région.
À l'occasion de ce festival, on rencontre des amis, on y voit de beaux films, on réfléchit. On y évoque les grands problèmes qui touchent le Pacifique Sud, en toute liberté. De cette coopération naît l'échange, et nous connaissons l'importance symbolique ou matérielle entre les habitants des îles du Pacifique. Cinéastes, vidéastes et chercheurs des deux côtés du monde se retrouvent dans cette ville qui entretient avec le Pacifique de très lointaines relations basées non sous le signe de la conquête, mais de la recherche et de la découverte. De nombreux officiers, marins, chirurgiens de marine, savants, l'on sillonné dès le milieu du XVIII ème siècle et y ont éparpillé leurs os. Une partie du second équipage de l'expédition de La Pérouse, débarquant imprudemment aux Samoa y a été massacrée, dans cette jolie baie aujourd'hui dénommée baie du massacre. Plus tard, des Rochefortais ont participé à l'édification de la ville d'Akoroa, au sud de Christchurch. Nous entretenons des relations quasi familiales avec cette ville, au sommet de laquelle se trouve le petit cimetière des Rochefortais, tout au bout de la rue Dauphine.
C'est donc, au-delà des relations d'État, un réseau d'amitiés, d'échanges qui fait la solidité de cette relation privilégiée, tant avec les sculpteurs et les graveurs kanaks qu'avec les artistes papous et aborigènes. Le musée Hèbre de Saint Clément entretient des relations étroites avec l'Agence de Développement de la Culture kanak. Il y a quelques mois, j'ai signé avec Marie Claude Tjibaou la deuxième convention culturelle qui nous permet d'accueillir en résidence des artistes venant de Nouvelle Calédonie, qui, de son côté reçoit des artistes de notre région. Nous n'en sommes pas restés là, il y a quelques mois nous avons accueilli un artiste aborigène de renommée mondiale, Dennis Nonna, qui vient de la région de Torres.
Les collections de notre musée sont parmi les plus importantes de France. Nos artistes travaillent et trouvent leur inspiration dans les îles, sculpteurs et graveurs du Pacifique oeuvrent dans nos ateliers.
Mais il ne s'agit pas là d'une simple coopération culturelle entre des artistes supportés par des collectivités. C'est une tentative de compréhension de l'âme de l'autre, un regard commun porté sur ce temps du passage des mythes et des religions à l'art, de ce qui est sacré, de ce qui est interdit à ce qui devient visible. Ces oeuvres, ces « choses » et je reprends le terme employé par Marie Claude Tjibaou, choses, parce que, volées, achetées à vil prix, déportées, elles ont perdu leur caractère sacré. Maintenues au sommet des cases, exposées au soleil et à la pluie, elles auraient depuis longtemps disparu.
Permettez-moi de citer Marie Claude Tjibaou à propos de l'exposition « De jade et de nacre » qui fit revenir en Nouvelle Calédonie des oeuvres (des choses disait-elle) qui revenaient après parfois 200 ans d'absence : « Même si elles ont pu être achetées, elles appartiennent au pays. Malgré tout, c'est bien qu'elles soient dans les musées où elles sont dispersées : nous existons un peu à travers elles dans le reste du monde ». En montrant aux Néo-calédoniens, de quelque origine géographique soient-ils, ce qui continuait d'être à eux et qui parlait dans nos musées, nous faisions preuve de la plus intelligente des formes de coopération culturelle.
C'est là une forme exigeante de coopération, tout à la fois riche et semée d'embûches, délicate parce qu'elle est aux confins du mythe et de l'art. Je voudrais citer deux exemples, celui de l'art africain, imité, abîmé, copié par des artisans chinois et vendu sur nos marchés, art africain, qui, après des années de saccages ne fut reconnu qu'à partir des années trente, celui de l'art aborigène, pourtant beaucoup plus fragile, beaucoup plus lointain. Cet art du rêve et du mythe fondateur, qui ne vivait souvent que dans l'instant fut porté sur des supports plus solides, par le biais de l'acrylique, grâce à des amateurs et des galeristes éclairés qui préserveront cet art, aussi bien de sa disparition que de sa mercantilisation à outrance, qu'ils aient ou non des idées d'un profit supérieur. Ainsi, sans la cassure qui a emporté trop souvent les extraordinaires réalisations africaines de l'ouest, les peuples passent sans trop de casse, du mythe à l'expression artistique. Et c'est pour nous, le plus grand succès d'une coopération culturelle réussie.
La coopération culturelle, parce qu'elle nous fait reconnaître l'autre comme notre égal, peut être aussi le premier vecteur d'une coopération plus générale. J'en veux pour exemple, le début d'une coopération décentralisée entre le pays rochefortais et le site de Kilwa Kilwani sur la côte sud de la Tanzanie.
Après avoir subi un échec dans sa candidature au patrimoine mondial de l'humanité, le Pays rochefortais, soucieux de conserver l'originalité d'un arsenal maritime inséré dans un estuaire fluvial parmi les mieux conservés, a souhaité s'engager dans une démarche de classement au titre des grands sites. Des nombreuses contraintes environnementales il a voulu tirer profit : la démarche n'est pas toujours aisée de convaincre les acteurs économiques d'une zone humide. Elle est basée sur le consensus des partenaires, aller ensemble, peut-être lentement, mais ensemble, et ne négliger aucun effet secondaire du problème. Cette méthode a été jugée intéressante par les animateurs du réseau des grands sites et par les services de coopération culturelle du Quai d'Orsay : il y a, à Kilwa Kilwani, un site inscrit au patrimoine de l'humanite, en l'occurrence les ruines bien conservées d'un sultanat arabe du XI ème siècle dont le commerce maritime allait jusqu'en Chine. Il se compose d'une mosquée, de palais et de magasins, et de forts arabes, omanais et portugais. Les habitants de l'île et de la petite région n'en tirent aucun avantage. Il n'y a que des structures touristiques rudimentaires. Sous les auspices de la communauté européenne et du ministère des affaires étrangères, nous y avons conduit une première mission de coopération culturelle, formation des guides, petite restauration, chambres d'hôtes, centre d'interprétariat, aménagement des conditions de transport maritime. Ces besoins ont été pris en compte, mais bien vite nous avons parlé cadastre, organisation urbaine, ramassage des déchets ménagers, protection des oiseaux, exploitation des marais salants. Nous avons organisé à Dar es Salam la première exposition consacrée à ce site. Nous avons reçu une délégation du district. Nous avons élaboré les premiers sujets concrets que nous traiterons en septembre.
Cette façon de procéder est aisément transposable. Une coopération culturelle débouchant sur d'autres formes, nécessite un encadrement solide, le contrôle des institutions européennes et françaises, un financement partiel, voire total de leur part, la collectivité locale apportant, par ses élus et ses techniciens, le savoir faire à partager. Mais le Pacifique est loin, les voyages coûtent cher et il ne faut pas se tromper de cible. L'aide des ambassades est primordiale, ainsi que l'assistance des collectivités françaises de la région.
L'abandon des essais nucléaires, l'apaisement durable qui règne dans nos territoires font désormais de la France un interlocuteur acceptable, voire recherché. Nos forces militaires participent aux actions humanitaires de la région ; une coopération culturelle, débouchant sur d'autres formes de collaboration, ne peut qu'être bien perçue.
La France apparaît comme un élément recherché de stabilité dans un monde du Sud Pacifique, inquiet de l'expansionnisme chinois, de l'instabilité de la Nouvelle-Guinée, de la proximité du plus grand État musulman sur la planète et de la montée inexorable des eaux. Les traditionnelles réticences anglo-saxonnes à l'encontre d'une ancienne puissance coloniale et de surcroît catholique, passent au second plan.
D'où la nécessité d'une bonne et intelligente coopération.
Je vous remercie.