2. L'État et les collectivités d'outre-mer : quelles compétences en matière de relations internationales ?
M. François Bockel, Chef du Service de la coopération régionale et des relations extérieures, Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
Nous devons comprendre, dans cette thématique n° 2, dans quelle mesure, dans le Pacifique, les compétences internationales des collectivités françaises leur permettent de contribuer à l'action internationale de la France en Océanie au travers de leurs propres politiques régionales.
En Nouvelle-Calédonie cette imbrication de l'action de la collectivité dans la politique extérieure de la France dans cette région nous semble évidente ! J'en veux pour preuve, de façon très symbolique, la collaboration entre le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et l'État qui a permis le lancement extrêmement rapide d'une opération humanitaire à Fijdi il a y trois semaines à la suite du passage du cyclone Evan. Ce n'est qu'un exemple, mais il symbolise très bien cette communauté d'action.
Je voudrais pour commencer vous donner un bref aperçu des compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie.
Conformément à l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998, la coopération régionale et les relations extérieures relèvent du principe de la souveraineté partagée. Cette notion, très forte, assoit l'ensemble du dispositif législatif reconnaissant à la Nouvelle-Calédonie toute une série de compétences institutionnelles internationales qui sont déclinées de façon opérationnelle dans la loi organique du 19 mars 1999. C'est au Président du gouvernement que revient l'exercice de cette compétence. Il peut évidemment se faire représenter dans l'exercice de ces vastes attributions.
La Nouvelle-Calédonie ne dispose pas de la personnalité juridique internationale au contraire des Îles Cook et de Niue qui, bien que non-souverains, peuvent prendre librement des engagements internationaux, le cas échéant divergeant des positions de leur État de tutelle, la Nouvelle-Zélande.
Mais il n'en demeure pas moins que le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dispose d'un très large panel de compétences en matière internationale.
Il peut ainsi négocier et signer, sous le contrôle de l'État, tout engagement international régional intervenant dans le domaine des compétences de la Nouvelle-Calédonie. Il peut aussi, mais cette fois dans le domaine des compétences de l'État, être habilité par celui-ci à agir, en son nom, sous son contrôle, en négociant et en signant des accords internationaux régionaux.
Le président du gouvernement représente en outre la Nouvelle-Calédonie auprès des organisations internationales dont elle est membre.
C'est aussi dans ce cadre institutionnel qu'il est prévu que la Nouvelle-Calédonie pourra disposer de représentations auprès des États et territoires du Pacifique.
À la seule lecture de ces importantes attributions du président du gouvernement, nous percevons le caractère éminemment partenarial qui nous lie à l'État. Ce dispositif nous oblige à la communication permanente, à la réflexion commune et parfois même à la codécision. Ce statut facilite donc incontestablement l'imbrication en Nouvelle-Calédonie de l'action internationale de l'État et de la collectivité.
Mais quelle est la caractérisation opérationnelle de ces compétences statutaires ? Comment très concrètement se traduisent ces compétences sur le terrain et dans quelle mesure notre action entre-t-elle dans un partenariat étroit avec l'État qui justifierait l'inclusion de cette dimension dans la vision de la France de sa politique dans le Pacifique au 21 ème siècle ?
En matière de coopération bilatérale tout d'abord, nous conduisons depuis plusieurs années une démarche de diversification de notre champ de coopération au développement, donc à destination des États les plus pauvres de la zone. Nous menons ainsi de nombreuses actions de coopération au Vanuatu, à Fidji et à Tonga. Nous souhaitons à présent nous tourner vers d'autres partenaires comme les Îles Cook ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée avec lesquels nous partageons d'importants domaines d'intérêt commun.
Nous conduisons par ailleurs des actions de coopération dite « d'égal à égal » avec nos grands voisins, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il s'agit là davantage de coopérations administratives, universitaires, économiques ou encore infrastructurelles et industrielles. À titre d'exemple, nous échangeons, périodiquement, avec nos partenaires australiens, dans le domaine de la desserte aérienne et nous souhaitons accroître nos échanges dans le domaine de l'harmonisation des normes industrielles.
Cet axe fondamental de notre action extérieure s'appuie sur deux types d'outils essentiels : d'une part, les consultations bilatérales entre administrations et la réunion de commissions mixtes (Australie et Vanuatu) ; et d'autre part, c'est un outil en cours de construction, notre réseau de délégués pour la Nouvelle-Calédonie auprès des États et territoires du Pacifique. Sur ce deuxième outil, il convient de préciser qu'il est sans précédent en France, il consiste en une représentation officielle d'un territoire infra-étatique auprès d'un État souverain.
En matière de coopération multilatérale ensuite, nous avons depuis quelques années pris conscience du formidable levier que constituaient les organisations internationales régionales pour notre insertion dans la zone. Nous avons donc engagé un travail de renforcement de notre implication au sein des instances multilatérales dont nous sommes membres.
Concernant d'abord la Communauté du Pacifique (la CPS) dont nous accueillons le siège à Nouméa, nous devons utiliser ce privilège et le valoriser. La CPS nous permet d'accroître efficacement notre poids dans la région Pacifique et, de ce fait, celui de la France. Pour mémoire, il s'agit d'une des six organisations intergouvernementales présentes sur le territoire français : elle emploie 600 personnes et constitue la plus importante organisation internationale d'Océanie. Il s'agit une organisation technique.
Concernant ensuite le processus de modification de notre statut au sein du Forum des Îles du Pacifique qui constitue cette fois l'organisation politique du Pacifique, en quelque sorte notre « Conseil européen » : nous n'en sommes aujourd'hui que membre associé et souhaitons accéder au statut de membre à part entière de cette organisation. Mais cette démarche est longue parce qu'elle implique que nous puissions, en accédant à ce nouveau statut, nous positionner sur des thématiques qui dépassent largement le cadre de nos compétences. Nous devrons déterminer dans les mois qui viennent, avec l'État, le modus operandi qui nous permettra au sein du Forum de représenter l'État au titre de la Nouvelle-Calédonie sur ces thématiques régaliennes et de satisfaire le souhait des membres de cette organisation que l'ensemble de ses États et territoires membres puissent participer à l'ensemble des décisions prises par l'organisation.
Dans ces deux domaines d'action extérieure (bilatérale et multilatérale), nous constatons donc que, quotidiennement, nous co-agissons avec l'État. Rien en effet ne serait aussi simple sans l'aide considérable du réseau diplomatique français dans le Pacifique. De même, sans notre excellente collaboration avec le Secrétaire permanent pour le Pacifique et le Ministère de l'outre-mer, notre action multilatérale n'aurait pas la portée qui est aujourd'hui la sienne. Il s'agit donc d'un partenariat de tous les instants qui, je le crois, définit parfaitement le rôle que peuvent jouer les collectivités françaises dans la politique extérieure de la France dans le Pacifique. La vision de long terme qu'aura la France de sa politique extérieure dans le Pacifique devra donc aussi reposer sur ce partenariat État - Collectivités, parce que ces collectivités seront, dans l'océan du 21 ème siècle, les meilleures ambassadrices des valeurs de la France et de l'Europe.
M. Hadelin de La Tour du Pin, modérateur :
Je rappelle qu'il existe depuis fin 2012 un délégué pour la Nouvelle-Calédonie au sein de l'ambassade de France en Nouvelle-Zélande, à Wellington. Il a le statut diplomatique et travaille avec l'équipe de l'ambassade en représentant la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit d'une percée conceptuelle considérable dans le système juridique et diplomatique français. Cela ne s'était jamais fait avant. Il a fallu travailler un certain temps pour trouver les textes et les moyens permettant à un tel dispositif de « tenir » dans l'ordre constitutionnel et juridique français. Cela a pu fonctionner car nous avons eu un bon candidat et parce que tout le monde s'est attelé à la tâche. Le gouvernement français et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie souhaitent qu'il y ait d'autres délégués de ce territoire, au cours des deux ou trois années qui viennent, dans les pays voisins du Pacifique, voire un peu plus loin.