18. Guy Gilbert, professeur émérite des universités
Mercredi 10 octobre 2012
1. Pour le calcul des DGF aux intercommunalités et aux communes, l'homogénéisation du niveau et de la qualité des services accessibles en ville et à la campagne ne justifierait plus, d'après certains observateurs, l'écart observé par habitant entre communes urbaines et communes rurales, au détriment de ces dernières. Qu'en pensez-vous ?
A l'origine, la DGF visait à compenser la perte de ressources fiscales résultant de la suppression ou du transfert d'impositions locales à l'Etat. Sa répartition entre collectivités consacre aujourd'hui à la fois son caractère forfaitaire et péréquateur. Cette péréquation s'appuie à la fois sur des critères de ressources (potentiel fiscal ou financier) par habitant et des critères de « charges » représentatives des « coûts » (non observés) de fourniture de services collectifs de proximité.
La répartition de la DGF ne fait donc intervenir directement ni le niveau ni la qualité des services collectifs offerts, c'est à dire la dépense publique locale, et c'est logique. Dans une perspective de péréquation, et indépendamment de l'insuffisance de potentiel fiscal, seules les charges liées à la situation (supposée incontournable) d'une collectivité doivent donner droit à péréquation. La circonstance que les niveaux de services collectifs locaux se rapprocheraient entre le monde rural et le monde urbain ne suffit pas à modifier la clé de répartition des transferts péréquateurs, sauf à affirmer que ce niveau de services collectifs en monde rural résulte d'un « besoin » incontournable.
Reste la question de l'évolution respective des coûts de fourniture des services en zone rurale et dans le monde urbain. Les données empiriques manquent car les coûts ne sont ni observables (sauf comptabilité adéquate) ni assimilables aux dépenses. Force est donc de recourir à des méthodes statistiques indirectes. Les travaux que nous avons menés avec Alain Guengant dans le cadre de l'évaluation de la péréquation ne faisaient apparaître aucun changement significatif entre les années 1994 et 2000 dans le niveau des « charges » entre les communes de petite taille démographique et les communes de grande taille. A ma connaissance, ils n'ont pas été reproduits depuis.
Si tant est que les résultats de ces travaux soient confirmés sur une période plus récente, je ne vois donc pas de raison scientifique soit de minorer l'importance des charges dans les critères de répartition des enveloppes entre dotation de base et dotation de péréquation d'une part, et d'autre part au sein de la dotation de péréquation entre DSU, et DSR (la répartition de cette dernière fait usage des critères de charges suivants : population, classement en ZRR (pour la fraction bourgs-centres), longueur de la voirie, nombre d'élèves et superficie pour la fraction péréquation).
Les conséquences de la réforme fiscale locale de 2009 et le gel des concours de l'Etat ne modifie pas fondamentalement la question mais le contexte. D'une part, le bloc communal a su retrouver dans l'ensemble après réforme l'essentiel de ses ressources fiscales antérieures ; au sein de cet ensemble, les territoires les moins intégrés en termes communautaires ont été relativement favorisés. D'autre part, de nouveaux dispositifs de péréquation sont apparus, plus ouvertement horizontaux qui viennent s'ajouter aux dispositifs antérieurs, qui perdurent.
La question a rebondi récemment concernant le FPIC, et notamment la question de la stratification démographique du potentiel fiscal (PFIA). Le rapport du gouvernement (septembre 2012, notamment pp. 23-24 et 32-34) et les travaux du CFL apporte des informations utiles sur ce point. Contrairement à la présentation qui en est faite usuellement, tant du côté des prélèvements que des reversements, le FPIC intègre bien les critères de ressources et de charges ; du côté des prélèvements, le PFIA (critère unique) est pondéré par une échelle démographique logarithmique, donc représentative de « charges ») et du côté des reversements on retrouve le même PFIA et un indice synthétique de ressources et de charges.
Il est clair que ce dispositif est globalement plutôt favorable aux collectivités de grande taille démographique.
Les simulations faites sur les conséquences de la suppression éventuelle du coefficient logarithmique ou son aménagement montrent à la fois le bien-fondé de cette pondération et la sensibilité des répartitions à ses caractéristiques. Pour éviter tout marchandage entre groupes d'intérêts, il serait souhaitable que ces simulations s'appuient sur des travaux statistiques solides, régulièrement renouvelés selon une méthodologie scientifique cohérente.
2. Les communes sont-elles moins enclines à favoriser l'installation d'entreprises depuis la mise en place de la contribution économique territoriale (celle-ci tendant à délier le rendement de la taxe de la politique d'accueil communale des entreprises) ?
On manque évidemment de recul sur ce point et notamment d'études empiriques solides. L'argument avancé, -incitation à l'attraction via le retour fiscal-est classique mais il me semble partiel.
i) En général, la réforme fiscale de 2009-10 n'a pas eu pour effet de réduire le pouvoir fiscal de fixation des taux par les communes (et les communautés) de petite taille démographique. La raison principale en est le transfert de la TH précédemment perçue par les départements vers le bloc communal. Pour cette catégorie de collectivités l'effet du transfert de TH l'a emporté et de beaucoup sur l'effet de suppression du pouvoir de taux sur la TP (voir figure ci après).
ii) Même dans le nouveau contexte fiscal (qui limite les effets taux de la fiscalité sur les entreprises à la CFE) il reste des effets-base. Attirer des entreprises (et surtout de l'emploi désormais, plutôt que des équipements) c'est accroître la valeur ajoutée, donc la base de la CVAE.
iii) Dans certaines communes qui ne pratiquaient que des taux de TP modérés (inférieurs à l'équivalent de 3,5% de la valeur ajoutée), la CVAE représente une toujours une opportunité, et ce d'autant plus que les taux de TP antérieurs n'atteignaient pas l'équivalent de 3,5% de la valeur ajoutée. Ce sont les gagnants (silencieux) à la réforme. Certaines communes rurales, souvent membres de communautés de communes à faible intégration communautaire, sont dans ce cas.
iv) A contrario, pour les communes sur- fiscalisées en termes de taux de TP (soit en raison de l'insuffisance de bases-entreprises soit en raison d'une forte intégration communautaire). Je ne suis pas sûr que ce soit le cas général en zone rurale.
v) De toute façon, l'attraction des entreprises et de l'emploi reste et restera un enjeu vital pour les collectivités qui désirent maintenir leur population. Si les effets-base sur la CVAE (valorisée à 3,5% de la VA ainsi localisée) et sur la CFE ne suffisent pas, le poids de l'ajustement des taux résiduel portera principalement sur les résidents (TF et TH).
3. D'une façon générale, dans le champ des finances locales, quelles mesures budgétairement soutenables vous sembleraient favorables au développement des territoires ruraux ?
i) les ressources des territoires ruraux (au niveau des « blocs communaux ») ont été relativement épargnées par la réforme de la fiscalité locale.
ii) Le développement des territoires ruraux continuera de passer sans doute par la fourniture d'une gamme de services collectifs de proximité suffisante pour attirer activités économiques et résidents.
iii) Le contexte de non-croissance (sans doute durable) des dotations de l'Etat, et très probablement des coupes dans les subventions reçues des départements et régions confrontés eux-mêmes à des déséquilibres budgétaires plus graves que le bloc communal dans son ensemble, rendra plus difficile le dégagement de marges de manoeuvre budgétaires nécessaires. Il pourrait nécessiter la combinaison de :
iv) la mobilisation des ressources fiscales restantes (faire jouer à plein les effets-base de la CVAE+ effet base et taux de la CFE + TF/TH), et les effets- base et -taux sur la fiscalité des résidents
v) une plus grande sélectivité des investissements publics locaux
vi) la recherche d' « effets de gamme », et d'économies de gestion (réduction des doublons) notamment par une participation moins « défensive » aux organismes de coopération intercommunale.
vii) En revanche, les espoirs mis dans une éventuelle réorientation de la péréquation vers les territoires ruraux ne me semblent pas devoir être exagérés (cf. réponse à la question 1)