17. Peio Olhagaray, directeur du développement économique de la CCI de Bayonne-Pays Basque
Jeudi 11 octobre 2012
L'ACFCI avance quatre postulats. Premier postulat, on constate une tendance majeure à la métropolisation, à la littoralisation et à l'héliotropisme, dont les effets combinés ne peuvent qu'engendrer une désertification relative de certaines zones rurales. Toutefois, on constate aussi un « désir » majeur de campagne.
En deuxième lieu, la théorie de la base économique nous laisse très perplexe ; en effet, elle définit les revenus touristiques comme étant « présentiels », ce qui est à notre sens une erreur profonde. Le tourisme est une industrie et devrait être analysée comme telle. La différence est que les biens sont exportés alors que les touristes viennent, en quelque sorte, prendre possession de ces biens. Si l'on intègre le tourisme dans la base productive, ce qui correspond à la réalité, la carte des territoires productifs, telle qu'elle apparaît dans certains documents construits à partir de cette théorie, s'en trouve profondément modifiée.
En troisième lieu, il n'ya pas d'opposition, selon nous, entre développement endogène et exogène.
En quatrième lieu, nous décelons plus de handicaps que d'attraits concernant les campagnes, qu'il s'agisse du rapport au temps ou à la distance, sauf à examiner, d'une façon générale, ces handicaps par rapport à l'urbain.
Dans 30 ou 40 ans, de nombreux actifs territoriaux tels que l'eau, le sol, la forêt et d'une façon générale les zones non habitées deviendront stratégiques. Il faut travailler à leur monétisation.
Notre typologie des campagnes est proche de la DATAR. Nous en identifions trois catégories.
D'abord, la « campagne aspirée par la ville », qui deviendra inévitablement ville elle-même. Le risque qui pèse sur ces espaces est celui de devenir soit un lieu de relégation, soit un lieu récréatif destiné aux urbains. L'enjeu y est d'assumer la dimension de périurbanité en discutant de la coexploitation des actifs que recèlent ces espaces.
Ensuite, la « campagne partagée avec la ville », qui forme un cordon autour des villes, particulièrement les villes moyennes. Le risque y est celui de l'étouffement d'un des moteurs de son développement, et le défi est la consolidation de l'écosystème territorial.
Enfin, l'ACFCI distingue la « campagne enclavée » qui recouvre 38 à 40 % du territoire national, comporte 42 % des communes et abrite 4 millions d'habitants. Ces campagnes souffrent de leur distance à la ville, mais ce sont elles qui détiennent le capital écologique de la France. La contrainte y est celle de l'usage : ses habitants se trouvent dans une logique d'exploitation, alors que les villes entendent y imposer une logique de conservation.
Notre recommandation, pour consolider l'avenir des campagnes, est d'abord d'organiser et de promouvoir la « déconnexion fonctionnelle » entre territoires d'exécution et territoires d'usage. Il faut réussir à établir des réseaux de connexion calibrés permettant d'accéder à de nouveaux marchés, de telle sorte que ces campagnes puissent développer des services et des productions pour des destinations élargies, sans dépendance excessive vis-à-vis du territoire où elles se situent. Dans la même perspective, des politiques publiques de motivation et d'incitation doivent être mises en oeuvre. Aujourd'hui, ces politiques relèvent davantage de la compensation que d'une volonté d'aller de l'avant. Ainsi, les conseils régionaux pourraient lancer des appels à initiative destinés aux territoires enclavés. Il conviendrait en outre de mettre en oeuvre des financements horizontaux, c'est-à-dire des lignes budgétaires pouvant s'appliquer indifféremment à des entreprises, de l'habitat ou des services à la population, pour un même objectif de développement.
Par ailleurs, les villes moyennes ont un rôle majeur dans le maillage du territoire. Il faut absolument les soutenir dans leur rôle de « pôle d'équilibre » structurant l'espace rural.
Enfin, nous plaidons pour une valorisation des ressources fixes non délocalisables, telles que le sol, l'eau ou la forêt. La question est celle de l'apport des campagnes à la ville, qu'il faut tenter de monétiser. Dans cette perspective, on pourrait concevoir des programmes de valorisation des biens écologiques communs conjointement financés par les villes et les campagnes par un appel à expérimentation sur la coresponsabilité dans l'entretien durable de ces biens collectifs.
[ Gérard Bailly - En effet ; du reste, dans les plans carbonés, la forêt pourrait jouer un rôle. Le taux d'aide pourrait alors être maximalisé dans le rural profond. Je déplore, par ailleurs, les excès des normes environnementales...]
Je peux aussi vous parler du bilan du FISAC, qui est très insuffisant au regard des enjeux des territoires enclavés puisque seulement 31 % de ses fonds parviennent aux zones rurales.
[ Renée Nicoux - Pour l'accessibilité des services, il ne faut pas raisonner en kilomètres, mais en temps de trajet. Il conviendrait donc de promouvoir un égal accès aux services publics dans les territoires reculés, même s'ils ne sont pas rentables.]
Les collectivités territoriales sont souvent à l'origine des « points multiservices ». Le problème est celui de la rentabilité des installations, car les loyers y sont souvent fixés à un niveau trop élevé et je vois, en toute hypothèse, la nécessité de verser aux exploitants une subvention d'équilibre ainsi que de les conforter par des baux qui ne soient pas précaires. Par ailleurs, concernant le FISAC, le délai de versement des aides, de l'ordre de deux ans, est beaucoup trop long.
[ Renée Nicoux - C'est en effet très problématique et je pense que ces fonds devraient être gérés localement.]
A l'égard du très haut débit, l'objectif d'égalité territoriale est également problématique. Aujourd'hui, tous les territoires accèdent à la téléphonie, mais beaucoup n'auront pas les moyens internes de financer le très haut débit.
Pourquoi ne pas proposer à la signature des opérateurs des contrats à très long terme (20 ou 30 ans) ? Quoiqu'il en soit, il me semble que, dans bien des cas, on pourra se contenter longtemps de l'ADSL.
J'en arrive aux zones de revitalisation rurales (ZRR), qui sont rares et dont le bilan est mitigé, car les aides qui y sont dispensées ne servent pas suffisamment aux entreprises.
L'ACFCI développe ainsi la notion de « criticité territoriale », partant du constat que la disparition d'une petite entreprise dans les campagnes emporte des conséquences beaucoup plus graves et moins réversibles que dans les villes. En conséquence, les aides doivent être concentrées sur ces entreprises pour qui tout est plus difficile avec des ressources moins aisées à obtenir, une faible attractivité pour les cadres et un accès complexifié à des marchés majeurs.
[ Gérard Bailly - Pourquoi les représentants des zones rurales ne parviennent-ils pas à faire entendre leurs spécificités et à obtenir des mesures efficaces pour soutenir leur économie ? ]
Je pense que la ruralité n'attire pas, qu'elle rebute même, ou qu'à tout le moins, elle est considérée comme exotique, c'est-à-dire qu'elle peut attirer ponctuellement, mais pas dans la durée.
[ Renée Nicoux - Ce constat est à nuancer, au moins pour les particuliers.]
La valorisation symbolique et monétaire des biens écologiques communs demeure une piste primordiale ; il me semble que les grandes entreprises devraient envisager d'accéder, sous une forme à déterminer, à des « biens » tels que les forêts pour équilibrer leur bilan-carbone, par exemple en contribuant ou en finançant leur entretien.