4. Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la dynamique des territoires à la DATAR, et Hélène Jacquet Monsarrat, chargée de mission
28 juin 2012
Développement rural (par Caroline Larmagnac )
• Le développement rural peut-il
être axé sur le développement d'une base
résidentielle, ou faut-il privilégier la base productive
?
Une précision liminaire : il faut bien distinguer « la base résidentielle » qui comprend l'ensemble des revenus de transferts, par opposition à la base productive, de « l'économie présentielle », notion plus large qui recouvre l'économie générée par la présence de résidents permanents et temporaires sur un territoire.
Dans tous les territoires, les revenus dits productifs et les revenus dits résidentiels se cumulent, dans des proportions différentes. La base résidentielle est souvent considérée comme un peu fragile, car dépendante des évolutions des politiques publiques relatives aux revenus de transfert (retraites, minima sociaux) sur lesquelles il est difficile d'avoir de la visibilité à long terme. Cependant, ces revenus de transfert jouent un rôle d'amortisseur en cas de crise, comme on le constate depuis 2008. Ainsi, les territoires qui ont le plus souffert de la crise sont des territoires productifs, particulièrement ceux dont l'économie est monoproductive, situation qui se rencontre notamment dans le cadre Nord-Est de la France.
L'économie présentielle est très intéressante pour les territoires, puisque 100 habitants présents créent en moyenne 20 emplois, ce ratio tendant même à augmenter. Mais des efforts sont à conduire pour développer ce potentiel d'emplois. Par ailleurs, l'emploi présentiel est souvent précaire.
A noter qu'une certaine concurrence est possible entre les activités productives et les usages résidentiels, notamment en ce qui concerne l'utilisation de la ressource foncière. La coexistence des deux types d'activités est aussi parfois à l'origine de conflits, pas toujours simples à gérer dans les territoires ruraux, avec un degré décroissant d'acceptabilité par les populations résidentes et touristiques des externalités négatives des activités productives (bruit, risques, trafic de poids lourds, etc...).
Pour dire un mot du tourisme, la DATAR vient de faire réaliser une étude, dont la publication est à venir, sur le tourisme rural ; elle montre que les attentes ne portent pas sur des équipements touristiques dédiés, mais sur un territoire rural « vivant », c'est-à-dire avec des commerces, des transports, des services, etc.
• Quels sont les atouts spécifiques des
territoires ruraux en matière d'attractivité
économique ?
L'espace, l'économie « verte » ainsi que les savoir-faire et les traditions, la qualité et la disponibilité de la main d'oeuvre, la qualité de vie avec diverses aménités, enfin, des temps de déplacement plus courts. Les entreprises créées dans les territoires ruraux ont un meilleur taux de survie que les autres. Peut-être rencontrent-elles moins de concurrence pour bénéficier des aides.
• Quels sont les principaux freins à
l'implantation d'entreprises ?
En premier lieu, l'affaiblissement du lien « entreprise-territoire » dans un contexte de mondialisation.
[ Gérard Bailly - C'est aussi que ces entreprises sont moins familiales.]
[ Renée Nicoux - Quid des coopératives ouvrières ?]
Les coopératives ouvrières, qui ont rencontré de vrais succès, demeurent d'un recours relativement marginal.
En second lieu, les freins sont d'ordre professionnel, avec des problèmes liés aux infrastructures de transport, ou à la formation de la main d'oeuvre. Constituent également des freins : un maillage insuffisant de sous-traitants et fournisseurs potentiels, un débit numérique insuffisant, un niveau de service à la population insuffisant, potentiellement dissuasif pour certaines catégories de salariés (ex. des attentes en matière d'équipements culturels), un faible potentiel d'emploi pour le conjoint et un manque de perspectives d'évolution professionnelle.
• Comment définir et orienter une
stratégie industrielle qui préserve, sinon renforce,
l'activité dans les territoires ruraux ?
Il faut jouer sur les paramètres précédents...
Dans l'industrie, il faut distinguer les entreprises mondialement mobiles, des autres entreprises. Pour les premières, il convient de « massifier » les sites, de mettre en place des « centres européens » pour telle ou telle activité tout en prenant garde d'y conserver la recherche et le développement.
• Les dispositifs publics (ZRR, PER, PAT, FISAC
etc.) de soutien à l'activité sont-ils cohérents et
efficaces ? Les moyens pilotés par la DATAR sont-ils
suffisants ?
Il s'agit de dispositifs essentiellement sectoriels. Il faut y ajouter les dispositifs régionaux, avec lesquels ils sont parfois redondants. Au total, on aboutit à une certaine illisibilité pour les bénéficiaires. Le gouvernement actuel a annoncé une réflexion sur les dispositifs d'aide et les zonages, à mener dans le cadre du nouvel acte de la décentralisation.
Parmi les mesures « zonées » gérées par la DATAR figurent les exonérations consenties aux entreprises créées ou reprises en ZRR, qui méritent d'être réexaminées. Aujourd'hui 13 000 communes sont classées en ZRR, ce qui est beaucoup, mais les objectifs politiques du zonage sont imprécis, et les critères de classement peu cohérents avec la nature des aides accordées. Il faut donc revoir les critères de la ZRR. En outre, il est impossible d'évaluer les effets des ZRR, dont même le coût fiscal n'est pas mesurable.
Il faut, par ailleurs, conserver la PAT 98 ( * ) qui est utile pour inciter les entreprises internationalement mobiles à se localiser dans des territoires français.
• Comment favoriser une innovation
territorialisée ?
La DATAR a mis en place les « grappes d'entreprise » et renforce le lien entre ces dernières et les pôles de compétitivité.
La DATAR a lancé, par ailleurs, une étude intitulée « innovation et territoires », qui, dans une nouvelle phase, va s'intéresser au rapport entre innovation et territoires ruraux.
Enfin, les pôles d'excellence ruraux sont en cours d'évaluation. Rappelons que l'innovation, au sein de ces pôles, peut être aussi bien technologique qu'organisationnelle et concerner, ainsi, les services.
• Qu'attendre du très haut
débit ?
Le très haut débit peut, en premier lieu, constituer une solution pour pallier les déficiences du « haut débit », lorsque ce dernier se révèle trop faible pour un usage normal d'Internet, qui s'avère vital pour les entreprises, ne serait-ce que, par exemple, pour les télédéclarations sociales.
Pour l'ensemble des apports potentiels du très haut débit, il convient de se référer à une étude de l'ARCEP qui passe en revue de nombreux usages : audiovisuel, usages simultanés, télémédecine, informatique distribuée, télétravail, nouveaux jeux en ligne, domotique et e-education, de la petite école à la formation continue...
• Existe-t-il un échelon politique ou
administratif optimal pour l'action en faveur du développement
économique ? Dans le schéma actuel, existe-t-il un
problème de rapidité pour la prise de décision ainsi que
pour leur exécution ?
Pour les services de l'Etat, le niveau régional semble le plus adapté. Le nouveau gouvernement a d'ailleurs nommé, à ce niveau de déconcentration, 22 « délégués au redressement productif ».
Concernant les services décentralisés, le niveau pertinent est sans doute celui des régions pour la stratégie et les dispositifs d'aide, et celui des EPCI à fiscalité propre pour l'immobilier d'entreprises. Cependant, parfois, des échelles spécifiques peuvent se révéler intéressantes.
Santé (par Caroline Larmagnac )
• Quelle est la dynamique actuelle de l'offre de
soin dans les territoires où la situation est jugée
critique ? Comment réorienter l'offre de santé vers la
demande formulée dans les territoires ruraux (regroupements de
praticiens dans des « maisons de santé »,
incitations à l'installation etc.) ? Que prévoient les
schémas régionaux d'organisation des soins (SROS) des agences
régionales de santé (ARS) ?
Il est difficile de qualifier les situations « critiques ». La mesure de la densité des médecins montre que la périphérie du bassin parisien est particulièrement sous-dotée en professionnels de santé.
Pour bien apprécier la situation des territoires il convient de ne pas regarder seulement la consommation de soins, mais le besoin de soins (toujours supérieur à la consommation). Ce faisant, on obtient une carte révélant des tensions dans de très nombreuses zones du territoire national.
Concernant le nombre de médecins, la hausse du numerus clausus ne déploiera ses effets qu'en 2020. Toutefois, la dynamique récente semble encourageante car en 2010, il y a eu plus d'installation de médecins que de départs dans les zones rurales. A noter que les médecins arrivants sont souvent étrangers.
Les maisons de santé connaissent également une bonne dynamique mais leur distribution sur le territoire manque encore d'homogénéité. Il faut préciser que la maison de santé n'est pas la seule réponse : la télémédecine, les coopérations entre professionnels et le salariat, parmi d'autres réponses, peuvent apporter une contribution utile. Quoi qu'il en soit, au regard de ses voisins, la France connaît une situation particulière liée à la dispersion de sa population.
Enfin, pour attirer les jeunes médecins, il faut un territoire attractif.
[R.N. - En Grande-Bretagne, il existe un système salarié qui, pour la médecine de ville, présente certains avantages.]
Certaines règles devront probablement évoluer pour parvenir à une répartition réellement satisfaisante de l'offre de soin en France...
• Anticipe-t-on une évolution de la
demande de santé dans les territoires ruraux ?
Le vieillissement concerne surtout les territoires ruraux qui voient en outre arriver des populations en situation précaire, dont les états de santé peuvent nécessiter de lourdes prises en charge.
• Quelles peuvent être les avancées
de la télémédecine et notamment l'impact, à terme,
du très haut débit sur l'accès aux soins des personnes
isolées ou dépendantes ?
Ces techniques sont susceptibles de conforter les hôpitaux secondaires (exemple de la prise en charge des AVC à l'hôpital de Nevers), de faciliter les liens entre les différents professionnels (spécialiste-généraliste, infirmière-médecin, etc.) et de permettre un suivi à domicile de personnes dépendantes. Elles supposent un déploiement satisfaisant du numérique, sachant que ces applications réclament une parfaite sécurité de transmission.
Services publics (par Hélène Jacquet-Monsarrat )
• Quelles sont les conséquences
territoriales des réorganisations de services publics en cours ?
Peut-on parler d'une dégradation du service public en milieu
rural ?
Il est difficile d'évaluer l'évolution de l'accès aux différents services. On constate que la présence physique des services publics de plein exercice se modifie dans les territoires. Et logiquement, la question posée vise les modalités du service rendu aux usagers dans les territoires
On notera la situation paradoxale de nombreux opérateurs privatisés depuis 2005, aussi bien dans le périmètre de l'énergie que s'agissant de La Poste. Ces opérateurs demeurent chargés de missions de service public qui sont détaillées dans des « contrats de service public » ou dans les conventions d'objectif et de gestion, tout en ayant des contraintes de performance liées au statut d'entreprise.
Dans une enquête conduite en 2009 par l'institut CSA à la demande de la Datar, on apprend que la notion de « service attendu » est plus large que celle de « service public » et recouvre des services tels que ceux rendus par La Poste, les pharmacies, le commerce alimentaire, les haltes garderies ou les distributeurs d'argent.
41 % des sondés admettent une réorganisation des services, notamment postaux, sans formuler d'avis négatifs, même s'il existe une « veille » de la majorité des habitants sur toute réorganisation des services publics.
• Les attentes des néo-ruraux sont-elles
excessives ? Quels sont les raisonnements possibles en termes de
« normes » d'accès (temps et distance pour
accéder à différents services) ? S'achemine-t-on vers
une concentration de la plupart des services dans les villes
« intermédiaires » ?
La question posée est celle de la chrono-distance. On estime qu'une moyenne légitime « acceptable » correspond à un délai de route de 10 minutes. Puis on relève un effet de rupture, « d'abandon », à partir de 20 minutes.
Les personnes interrogées soulignent des problèmes importants d'adaptation des horaires, qui sont jugées acceptables pour les pharmacies, les médecins ou les épiceries, mais dont la perception est dégradée pour La Poste, les centres de sécurité sociale, les CAF et EDF.
La présence de différents services dans les villes intermédiaires est vécue comme cruciale, le public considérant qu'ils ne seront pas remplacés en cas de fermeture.
• La mutualisation des points d'accès aux
services constitue-t-elle une solution d'avenir ? L'expérimentation
« Plus de services au public » est-elle un succès ?
L'accord national encadrant l''expérimentation « + de services au public » a été signé par l'Etat, 9 opérateurs de service public, la caisse des dépôts et consignations et l'union nationale des points d'information et de médiation multiservices. L'expérimentation, d'une durée de trois ans, se poursuit dans 22 départements. Les préfets ont signé, en juin 2012, 17 contrats de mise en oeuvre de cette expérimentation. Ces contrats proposent notamment la création ou le renforcement de relais et de maisons de services publics.
A ce stade, il ressort que les opérateurs évaluent positivement ces expérimentations. Sur les sites, les « visioguichets », qui permettent une visualisation à distance des représentants opérateurs sous forme de rendez-vous individualisés, sont un succès, là où ils ont pu être expérimentés. L'accompagnement par un agent sur le site demeure nécessaire.
De nombreux chantiers ont été ouverts, notamment ceux de la géolocalisation des espaces mutualisés, à mettre en relation avec les services de plein exercice, et de la formation des agents de ces espaces mutualisés. On peut d'ores et déjà se poser la question de la mise en place d'un « référentiel métier » correspondant à ces nouvelles fonctions. La question du financement reste délicate. On constate que les opérateurs ne participent que peu au financement des espaces mutualisés. Néanmoins, ils sont conscients d'une part de l'intérêt de la présence des espaces mutualisés, lorsque leurs sites de plein exercice s'éloignent des territoires, et d'autre part des nécessités financières liées au fonctionnement des sites.
* 98 Prime d'aménagement du territoire.