III. LA TTF À LA FRANÇAISE : PRÉFIGURATION D'UN MODÈLE POSSIBLE ET D'UN COMPROMIS A MINIMA ?
A. TROIS TAXES EN UNE
La TTF française se décline en trois taxes : une sur les achats d'actions, une autre sur le trading et une troisième sur les CDS.
1. La taxe sur les achats d'actions françaises
La première taxe française sur les transactions financières s'applique uniquement aux achats d'actions. On remarque que son champ d'application est plus réduit que celui de la proposition européenne et même plus réduit que l'ancien impôt de bourse. Ce choix s'explique par le désir d'amorcer un mécanisme et de le tester. D'autre part, dans la mesure où seule la France, au moment de la création de cette taxe, montrait l'exemple, il ne fallait pas infliger un désavantage compétitif trop insupportable aux marchés financiers français. Selon ses auteurs, il serait toujours temps d'élargir l'assiette si nos partenaires européens se ralliaient à la TTF.
La taxe s'applique donc à toute acquisition à titre onéreux d'un titre de capital remplissant les trois conditions cumulatives suivantes :
- l'acquisition donne lieu à un transfert de propriété, ce qui signifie qu'il en résulte une inscription au compte-titres de l'acquéreur ; on remarque que seul l'achat est taxé, à la différence de la TTF proposée par la Commission qui taxe l'achat et la vente au même moment ;
- l'action faisant l'objet de la transaction est admise aux négociations sur un marché réglementé français, européen ou étranger reconnu ;
- l'action est émise par une entreprise dont le siège social est en France et dont la capitalisation dépasse un milliard d'euros (150 sociétés sont concernées).
Alors que la proposition européenne de 2011 prévoit une taxation fondée sur le critère de résidence en Europe d'une des parties à la transaction, la taxe française se détourne au contraire de ce principe et opte pour un principe de territorialité limitée lié à la résidence du siège social. Toute autre option aurait délocalisé les transactions sur les titres français.
Il est clair que la première conséquence est une augmentation du coût des transactions portant sur les actions des sociétés françaises et une diminution de la liquidité de leurs titres. L'autre conséquence est moins certaine, car elle est plus difficile à mettre en oeuvre : la délocalisation des sièges sociaux.
Les obligations et les placements collectifs (leur échange seulement) ont été exonérés. De même, ont été exonérées les émissions d'actions sur le marché financier, les opérations réalisées par une chambre de compensation ou un dépositaire central, les activités de tenue de marché, les acquisitions intra-groupes (entre société mère et filiales) et les cessions temporaires de titres.
La taxe sur les transactions financières est émise sur la valeur d'acquisition du titre. Son taux était de 0,1 % lors de la création de la taxe, et il est désormais de 0,2 %, soit le double de la proposition européenne.
Tandis que l'ancien impôt de bourse rapportait 250 millions d'euros en 2007, année de sa suppression, le rendement envisagé de cette nouvelle taxe est de 1,1 milliard d'euros en année pleine.
Toute taxe diminue l'activité sur laquelle elle repose et on estime que la perte d'assiette résultant de la création de cette taxe équivaudra à 10 % des transactions, soit 120 milliards d'euros. Cette perte ne manquera pas d'affaiblir davantage la place de Paris, en perte de vitesse déjà depuis quinze ans.
Le recouvrement de la taxe acquittée par l'acheteur est assuré par l'établissement français ou étranger au profit du fisc français. C'est une différence importante avec l'ancien impôt de bourse qui n'était dû que si les opérations de bourse étaient exécutées grâce à l'intermédiaire d'un prestataire de services d'investissement établi en France.
Avec cette nouvelle taxe, les intermédiaires financiers de la place de Paris ne sont pas autant désavantagés puisque la taxe est due même si l'opération est réalisée par un professionnel établi à l'étranger. Il n'y a pas non plus de distinction selon la nationalité de l'acquéreur, dès lors que le critère de nationalité s'applique à l'émetteur de l'action (principe de l'émission - action émise par une société ayant son siège social en France).
2. La taxe sur le trading à haute fréquence
La seconde taxe sur les transactions financières créée en 2012 porte sur le trading à haute fréquence. Sa vocation est dissuasive.
Les établissements financiers effectuent sur les plateformes de négociation de très nombreuses transactions portant sur des volumes considérables mais avec une faible marge. Ils utilisent pour cela des algorithmes mathématiques et des ordinateurs très puissants leur permettant de tirer profit d'infimes écarts entre ordres d'achat et de vente sur les marchés : la modification, automatisée par voie informatique, d'ordres successifs portant sur un même titre intervient dans des délais inférieurs à une seconde. Cette technique multiplie le volume des transactions dans un but exclusivement spéculatif, ce qui peut contribuer à déstabiliser les marchés financiers eux-mêmes et, par voie de conséquence, l'économie réelle.
En taxant cette activité spéculative, il est facile de la rendre non rentable, et donc de la faire cesser. Dès lors que le trading à haute fréquence ne tire de profits que de la démultiplication d'infimes marges, une faible taxation suffit à annuler toute marge bénéficiaire, et donc à priver d'intérêt ces opérations. La négociation automatisée sur les marchés financiers est ainsi directement atteinte par l'augmentation des coûts de transaction provoquée par la nouvelle taxe.
La taxe sur le trading à haute fréquence ne concerne que les opérations portant sur des actions. Son champ est toutefois plus large que la taxe sur les achats d'actions, puisqu'il n'y a pas de limitation selon la nationalité du siège social de l'émetteur de l'action ou sa capitalisation boursière. En application du principe de territorialité limitée, seules les entreprises établies en France et pratiquant le trading à haute fréquence y sont assujetties : par rapport à la taxe sur les achats d'actions, qui concerne également les transactions réalisées à l'étranger, il ne s'agit pas de taxer l'échange d'un titre d'une société française mais l'activité réalisée en France par une société qui pratique des opérations spéculatives sur ces titres.
Comme pour la taxe sur les achats d'actions, les opérations réalisées, même avec des traitements automatisés et des algorithmes informatiques, dans le cadre d'une activité de tenue de marché sont exonérées, dès lors qu'elles contribuent au bon fonctionnement du marché en assurant sa liquidité.
La taxe est exigible dès le franchissement d'un seuil correspondant à un pourcentage d'ordres d'achat d'actions annulés ou modifiés au cours d'une journée de bourse. Ce seuil est défini par décret, en fonction de la taille de bilan des opérateurs concernés, avec un plancher fixé à 66,67 % des ordres passés.
Le taux de la taxe est fixé à 0,01 %. L'assiette de la taxe est constituée par le montant des ordres d'achat annulés ou modifiés au cours d'une journée de bourse, pour la part excédant le seuil de déclenchement de la taxe. Le montant de la taxe due devra être versé par l'établissement financier concerné au Trésor avant le 10 du mois suivant son application, concomitamment à la transmission à l'administration fiscale d'une déclaration récapitulant l'ensemble des ordres d'achat concernés.
S'agissant d'une taxe dissuasive, son rendement estimé est nul. En tout état de cause, très peu d'établissements pratiquent ce type d'opérations sur la place de Paris.
Il est à noter que la proposition de directive européenne se fixe aussi pour objectif de lutter contre le trading à haute fréquence, mais qu'elle ne crée pas de dispositif spécifique à son encontre : la taxation générale des transactions financières à 0,1 % qu'elle prévoit suffira à décourager cette activité spéculative.
3. La taxe sur les CDS souverains nus
La troisième taxe sur les transactions financières créée en France en 2012 porte sur les contrats d'échange sur défaut d'un État ( credit default swap ).
Il s'agit de produits dérivés qui spéculent sur la faillite possible d'un État. On considère que ce type de produit a contribué à l'amplification de la crise des dettes souveraines des États de la zone euro en 2011. L'objectif de la taxe est de limiter, voire de supprimer la spéculation sur les titres d'État.
On rappellera que les contrats dérivés sont une catégorie particulière d'instruments financiers dont la valeur fluctue en fonction de l'évolution du taux ou du prix d'un actif ou d'un indice sous-jacent (matières premières, valeurs mobilières, crédits, taux d'intérêt ou de change, indices boursiers, etc...). L'évolution du contrat dérivé dépend de l'évolution du sous-jacent entre la conclusion du contrat et son dénouement : la valeur du contrat est dérivée de celle du sous-jacent, d'où son nom.
Comme il n'est pas nécessaire de détenir un actif pour acquérir un contrat dérivé fondé sur cet actif sous-jacent, la spéculation est plus facile.
La taxe française ne concerne que les CDS alors que la proposition européenne concerne tous les contrats dérivés. Afin de ne pas déstabiliser les marchés financiers français, la taxe décidée au seul niveau national ne saurait avoir une assiette aussi large. C'est pourquoi elle est concentrée sur une seule catégorie de contrats dérivés, les contrats d'échange sur défaut d'un État. Il s'agit d'instruments dérivés servant au transfert du risque de crédit, afin de protéger le détenteur d'une obligation d'État du risque de défaut de paiement de cet État.
En soi, cet instrument de mutualisation des risques n'est pas condamnable, mais il n'est en revanche pas acceptable de pouvoir spéculer sur le risque de défaut d'un État sans pour autant détenir des titres de la dette de cet État. C'est pourquoi la taxe n'est due que si l'acheteur d'un tel contrat d'échange ne détient pas lui-même une position longue sur la dette de l'État concerné ou s'il n'a pas contracté des engagements dont la valeur est corrélée à la dette de cet État.
On part donc du principe qu'on ne doit pas détenir un CDS - qui est une sorte d'assurance - sans détenir le bien assuré, c'est-à-dire des dettes de l'État en question alors qu'on prétend se prémunir contre le risque de faillite de cet État. Cela revient en effet à prendre une assurance contre un risque que l'on ne court pas, voire souhaiter que ce risque se matérialise, donc simplement spéculer. Dans ce cas, la taxe française est due. Le détenteur, pour échapper à cette taxe, devra apporter la preuve qu'il détient directement ou indirectement de la dette de l'État concerné.
En application du principe de territorialité limitée, seules les entreprises établies en France, ainsi que les particuliers fiscalement domiciliés en France, sont assujetties à la taxe. Comme pour la taxe sur les achats d'actions ou la taxe sur le trading à haute fréquence, les opérations réalisées dans le cadre d'une activité de tenue de marché sont exonérées, dès lors qu'elles contribuent au bon fonctionnement du marché en assurant sa liquidité.
Le taux de la taxe est fixé à 0,01 %. L'assiette de la taxe est constituée par le montant dit « notionnel » du contrat (il s'agit du montant nominal ou facial utilisé pour calculer les paiements liés au contrat). La taxe est due par l'acheteur du contrat, à la date de souscription de ce contrat.
S'agissant d'une taxe dissuasive, son rendement estimé est nul. De toute manière, elle aura eu peu d'impact réel puisque dès sa création ou presque, le règlement européen interdisant la vente à découvert est entré en vigueur.