B. DES INVESTISSEMENTS PUBLICS SIGNIFICATIFS ET NON COORDONNÉS

1. La multiplication des investissements dans les équipements symphoniques

Votre rapporteur spécial s'interroge également sur la multiplication des investissements symphoniques depuis 2005-2006 . La mission d'inspection conjointe IGF-IGAC, qui a pointé un phénomène de « sédimentation » des investissements publics en la matière, a en effet souligné que plusieurs de ses interlocuteurs s'accordaient clairement à mettre en doute l'opportunité et la cohérence de la conduite cumulative de :

- la modernisation de la Salle Pleyel , destinée à lui redonner des conditions optimales pour la musique symphonique, réalisée entre 2003 et 2006 ;

- la rénovation de l'auditorium de Radio France , visant à l'adapter aux meilleurs standards acoustiques internationaux ;

- la construction de la Philharmonie de Paris.

En ce qui concerne la Salle Pleyel , la décision de sa rénovation est antérieure à la construction de la Philharmonie de Paris, et les travaux ont été mis en oeuvre par son propriétaire d'alors, IDSH. Dans un deuxième temps, l'Etat a pris à bail, puis racheté la Salle Pleyel, en en faisant une filiale de la Cité de la Musique, celle-ci en devenant propriétaire le 30 juin 2009 73 ( * ) . Interrogé par votre rapporteur spécial, Jean-Luc Choplin, directeur général du théâtre du Châtelet, a dressé un constat sévère de ce chantier, au vu de la reconversion prévue de la Salle Pleyel ( cf . infra ) : « quant au sort de Pleyel, il est abracadabrant et a suscité un gâchis d'argent public ».

S'agissant de la rénovation de l'auditorium de Radio France , elle a été décidée en 2005, avant l'arbitrage sur la Philharmonie de Paris. Cette opération est en cours, dans le cadre du chantier plus large de rénovation de la maison de la radio.

Le futur auditorium de Radio France

L'auditorium rénové pourra accueillir 1 450 spectateurs , et constituera le lieu de résidence des quatre formations musicales de Radio France. Construit sur le principe d'une double boîte et doté d'une scène modulaire, il repose sur un système de boîte à ressort. La salle est conçue principalement pour les concerts symphoniques et disposera d'un orgue. Les exigences acoustiques retenues répondent aux standards internationaux.

Le coût global à valeur juin 2008 de l'auditorium est de 45,6 millions d'euros . Une projection de ce coût en valeur fin de chantier (soit fin 2013) donne un coût actualisé prévisionnel de l'ordre de 51 millions d'euros . Le projet est financé par la redevance audiovisuelle et les capacités d'autofinancement de l'entreprise.

La construction de l'auditorium a débuté en novembre 2011 par un travail de déconstruction. Les travaux de construction s'étaleront ensuite sur 18 mois, soit une durée totale de chantier de 24 mois à partir de novembre 2011 . La mise en service de l'auditorium pourra commencer à partir de novembre 2013. Elle ne pourra toutefois pas se faire dès le début à plein régime. La mise au point de son acoustique nécessitera en effets six mois supplémentaires. Ce n'est donc qu'à partir de la rentrée musicale 2014 que pourra se concrétiser une programmation musicale qui caractérisera l'auditorium de Radio France .

Source : commission des finances, d'après les informations de Radio France.

Interrogés par votre rapporteur spécial, les représentants de Radio France ne constatent aucun doublon entre la Philharmonie de Paris et leur auditorium : « la Philharmonie de Paris et le futur auditorium de Radio France sont complémentaires en termes de jauge et donc en production. (...) De manière générale, les projets de construction de l'auditorium de Radio France et de la Philharmonie de Paris ont toujours été envisagés en parfaite concertation entre les différents acteurs . Les liens entre Laurent Bayle et les présidents de Radio France ont toujours été très étroits, notamment s'agissant de la programmation musicale dans la capitale ».

Pour sa part, la mission d'inspection IGF-IGAC porte un jugement plus nuancé sur la justification de chacun de ces trois chantiers . Ainsi, elle estime que « le cas de Radio France doit être distingué, car il s'agit d'une entreprise publique autonome ayant décidé de conduire un chantier de rénovation globale sur le site de la Maison de la Radio ».

De même, elle considère que « la rénovation de Pleyel et la construction de la Philharmonie de Paris se défendent dans une logique d'offre. C'est cette logique qui a largement prévalu dans les rapports préparatoires sur la construction du grand auditorium. Seul le rapport Belaval-Auberger considérait qu'il convenait de choisir entre l'une ou l'autre option » .

Il demeure certaines coïncidences parlantes : en 2006, la décision de construire la Philharmonie de Paris était prise alors que la Salle Pleyel rouvrait ses portes. En 2009, cette derniière était rachetée par l'Etat, alors que les travaux d'excavation de la Philharmonie de Paris débutaient...

2. L'avenir incertain de la Salle Pleyel

Au chapitre de la reconfiguration de l'offre symphonique en Île-de-France, la question de l'avenir de la Salle Pleyel mérite un examen plus approfondi.

a) La Salle Pleyel : d'une location à la propriété de la Cité de la musique

La Salle Pleyel, auditorium construit en 1927, sis rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le 8 ème arrondissement de Paris, a été la propriété du Crédit Lyonnais de 1935 à 1998. A la suite des difficultés financières rencontrées par cette banque, le bâtiment s'est trouvé mis en vente par le Consortium de réalisation (CDR), et a été cédé à un investisseur privé , Hubert Martigny, au prix de 10 millions d'euros hors taxes (valeur de 1998, correspondant à un prix de 20 à 25 millions d'euros en valeur actualisée). En effet, l'Etat, à cette époque, n'avait pas souhaité se porter acquéreur 74 ( * ) .

En 2004, il a cependant été convenu avec le nouveau propriétaire que, sous la condition que celui-ci effectue à sa charge tous les travaux de remise en état et aux normes requis par la salle et ses dépendances, pour un montant minimal alors estimé à 23 millions d'euros hors taxes, l'Etat prendrait l'immeuble à bail pour une période de 50 ans, au terme de laquelle il deviendrait propriétaire pour un euro symbolique 75 ( * ) .

Les travaux ainsi prévus, dont une importante rénovation architecturale et acoustique de la salle, ont été menés à bien, entre 2004 et 2006 , par la société IDSH présidée par M. Martigny. Leur montant total s'est élevé à 27 millions d'euros hors taxes. Par ailleurs, des travaux de rénovation des bureaux attenants ont été réalisés, pour un montant de 11 millions d'euros hors taxes.

Conformément à l'accord précité de 2004 entre le propriétaire et l'Etat, la Salle Pleyel a donc été prise à bail, en 2006, par la Cité de la musique , dont une filiale a été créée afin d'assurer l'exploitation de l'auditorium. Ce bail, conclu comme prévu pour une période de 50 ans à l'issue desquels l'Etat entrerait en propriété de l'immeuble pour un euro symbolique, fixait un loyer annuel de 1,5 million d'euros (hors taxes et charges). Les bureaux attenants ont été loués par le propriétaire au secteur privé.

Par ailleurs, le bail conclu entre la Cité de la musique et le propriétaire de la Salle Pleyel comprenait une clause d'achat anticipé du bien , qui pouvait être levée à tout moment par le locataire. L'Etat a exercé ce droit et a racheté la Salle Pleyel pour 61 millions d'euros en 2009 76 ( * ) , après que 12 millions d'euros de loyers cumulés ont été acquittés, soit 72 millions d'euros au total.

Entretemps, la décision de lancer le projet de la Philharmonie a été actée, en partie justifiée par la situation de l'Orchestre de Paris . La question s'est alors posée de savoir ce qu'il adviendrait de la Salle Pleyel, désormais gérée dans le même cadre que la salle de la Cité de la musique et la future grande salle philharmonique. De fait, c'est encore aujourd'hui l'une des questions centrales à régler . Comme l'a écrit le ministre du budget à la Cour des comptes, en réponse à son relevé d'observations définitives sur la Philharmonie de Paris, « l'avenir de la Salle Pleyel est intimement lié au calendrier de construction ainsi qu'au projet de la future Philharmonie de Paris, encore à l'étude dans sa composante culturelle. Cet avenir devra en outre être pensé dans le cadre d'un arbitrage global sur le financement de la salle Pleyel : la rentabilisation de son exploitation ou le désengagement du site devront être recherchés en priorité. (...) Les conditions d'exploitation de la Salle Pleyel seront redéfinies, en cohérence avec l'activité de la Philharmonie . »

Les tutelles sont conscientes des enjeux budgétaires associés à la reconversion de la Salle Pleyel , comme en témoignent les extraits d'une note du secrétaire général et du directeur général de la création artistique au directeur de cabinet du Ministre de la culture et de la communication, préparatoire à une réunion interministérielle du 21 janvier 2010, faisant suite à la remise des conclusions de la mission d'inspection IGF-IGAC : « les inspecteurs estiment que la Philharmonie ne peut être construite qu'au prix d'un changement d'affectation de la Salle Pleyel pour garantir un bon niveau de fréquentation du nouvel auditorium dont la Salle Pleyel pourrait cannibaliser le public si elle restait en activité, mais aussi pour permettre le report de la subvention actuelle de Pleyel vers la philharmonie . Le rapport préconise que la reconversion de la Salle Pleyel soit financièrement et juridiquement balisée dès 2010 et donne des orientations quant à cette reconversion. Sur le fond l'approche n'est pas contestable (...) Il convient par ailleurs de rappeler que la Salle Pleyel est aujourd'hui le lieu d'accueil de l'Orchestre de Paris dont la place des conditions de fonctionnement devrait, en toute hypothèse, être ménagés jusqu'en 2013 ».

Toutefois, votre rapporteur spécial relève que des incertitudes pèsent toujours sur l'issue de cette reconversion.

b) Une reconversion hasardeuse ?

Si un consensus semble aujourd'hui exister sur le fait que la Salle Pleyel ne doit plus organiser à l'avenir de concerts classiques, afin de ne pas concurrencer la Philharmonie , le contenu de sa future programmation ainsi que les modalités juridiques de sa « transformation » ne sont pas encore certains.

Sur le premier point, la Salle Pleyel devrait être spécialisée, à l'avenir, dans la programmation de jazz, de variété et de musiques amplifiées , ce qui n'est pas encore très précis...

Sur le second point, d'après les informations recueillies auprès du cabinet de la Ministre de la culture, des représentants de la Ville de Paris et du président de la Philharmonie de Paris, il semblerait que l'on s'oriente vers une délégation de service public (DSP). Le choix de ce support juridique permet à l'Etat de sélectionner l'exploitant et le dote d'une capacité de contrôle sur l'exécution de la délégation.

Selon le rapport IGF-IGAC, « la conduite des négociations relève de la compétence de la Cité de la musique, qui devra agir en propriétaire responsabilisé, et de ses tutelles, qui devront être garantes à la fois de la cohérence de l'offre musicale parisienne et de la sauvegarde des intérêts de l'Etat ».

En contrepartie de la DSP, serait réclamé le versement d'une redevance de l'ordre de 800 000 euros . De plus, le loyer des bureaux rapporterait de l'ordre de 1,7 million d'euros par an. D'après le président de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle, ces revenus devraient permettre de « neutraliser » totalement le coût de la Salle Pleyel pour l'Etat, et de profiter du transfert de cette subvention annuelle, de l'ordre de 4,5 millions d'euros, de Pleyel vers la Philharmonie de Paris.

Si les professionnels du secteur ont pu pointer le caractère atypique de la Salle Pleyel et ses contraintes , la renommée et le positionnement haut de gamme de la marque Pleyel sont, à l'inverse, des atouts reconnus . Auditionné par votre rapporteur spécial, le président de la Philharmonie de Paris a fait état de contacts préliminaires avec plusieurs prestataires potentiellement intéressés par l'exploitation de la Salle Pleyel, qui espèrent pouvoir tirer parti du contexte de restructuration du modèle économique de la production musicale commerciale 77 ( * ) . Son positionnement deviendrait ainsi à la fois événementiel et musical .

En ce qui concerne le calendrier de la procédure, les tutelles souhaitent lancer la DSP le plus rapidement possible . Elles espèrent que la compétition sera lancée d'ici la fin de l'année. D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, l'association de préfiguration de la Philharmonie de Paris a effectué dans cette perspective une demande préalable de conseil juridique, afin de faire face à la complexité du dossier.

Afin de garantir la fin d'exploitation de la Salle Pleyel dans de bonnes conditions, la DSP devrait sans doute prévoir que le délégataire ne prendrait possession de la Salle Pleyel qu'après le transfert de l'Orchestre de Paris à la Philharmonie, voire qu'il ne puisse exploiter la salle qu'au 1 er janvier 2015, pour garder une marge de sécurité en cas de retard supplémentaire dans les travaux .

Toutefois, la reconversion choisie pour la Salle Pleyel ne garantit pas qu'elle trouvera un modèle économique pérenne en proposant une offre complémentaire de la Philharmonie de Paris. En effet, comme l'a relevé l'inspection IGF-IGAC, « le changement possible de vocation de la Salle Pleyel en direction des musiques actuelles ouvre la possibilité d'une concurrence avec le reste du secteur privé , notamment le Zénith, l'Olympia, le Palais des sports, le Palais des congrès et le Palais omnisports de Bercy. Compte tenu de la jauge de Pleyel (près de 2 000 places), la concurrence la plus directe s'exercerait en direction de l'Olympia ».


* 73 Il convient de noter que, après que la décision de créer la Philharmonie a été prise, la Ville de Paris a souhaité, en gage de sa collaboration avec l'Etat sur ce projet emblématique et pour préfigurer ce que serait la gestion partagée de cette grande salle symphonique, s'engager comme partenaire de la Salle Pleyel à travers une entrée au capital et des soutiens en fonctionnement annuels.

* 74 En conséquence, l'Orchestre de Paris, alors dépourvu d'un lieu de résidence et de salle de concert, s'était vu contraint de s'installer au Théâtre Mogador. Ce dernier offrait des conditions de travail inadaptées et une acoustique déplorable.

* 75 Les locaux de bureaux attenants n'étaient pas visés par cet accord.

* 76 Sur cette décision et ses modalités qui ont pu susciter des critiques, la direction du budget estime que le rachat de la Salle Pleyel s'est effectué dans des conditions conformes aux intérêts patrimoniaux de l'Etat.

* 77 Comme le souligne la mission d'inspection IGF-IGAC, « la nécessité de redéfinir leurs sources de revenu conduit en effet certaines entreprises du secteur à prendre le contrôle de lieux de spectacle, dans une approche intégrée de la chaîne de valeur. La valorisation de la Salle Pleyel serait alors portée par la rareté foncière ».

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