INTRODUCTION
Partout dans le monde et plus particulièrement en France, le modèle coopératif répond à une forme d'entreprise déjà ancienne et aujourd'hui largement répandue. Le choix de l'ONU de mettre l'accent sur les coopératives reflète aussi, à un niveau plus profond, la volonté de stimuler la réflexion et les initiatives autour d'une question centrale pour le développement économique et social : celle de la gouvernance des entreprises. La crise économique historiquement sans précédent qui sévit depuis plusieurs années conduit en effet, inévitablement, à s'interroger sur les causes structurelles des difficultés actuelles. Or, au banc des accusés, figure un modèle de gouvernance de l'entreprise, celui de la corporate governance auquel, sur bien des points, s'oppose le modèle de gouvernance des sociétés coopératives.
Dans le modèle de la corporate governance , qui s'est généralisé à toutes les grandes firmes industrielles, commerciales et financières au cours des trente dernières années dans le sillage de la libération totale des mouvements de capitaux, l'objectif prioritaire de la société est la « création de valeur pour l'actionnaire ». Le détenteur du capital ne s'y inscrit plus dans une logique entrepreneuriale, où l'apport de fonds est synonyme d'un engagement fort et durable pour soutenir un projet productif, mais dans une logique financière de gestion d'un portefeuille d'actifs dont l'actionnaire cherche à maximiser le rendement. Celui-ci mise donc sur les entreprises les plus rentables et change de stratégie dès lors qu'il estime qu'un autre placement est plus rémunérateur.
Soumis à cette pression actionnariale considérable et permanente, les dirigeants des firmes reproduisent eux-mêmes une logique opportuniste et court-termiste : au lieu d'investir durablement dans des hommes et des territoires, ils les mettent en concurrence et misent sur ceux qui permettent d'extraire le plus vite possible la « valeur » attendue par les actionnaires.
On a pu mesurer, depuis trente ans, les dégâts, non pas seulement sociaux mais aussi en termes d'efficience économique (notamment en raison d'un sous-investissement productif chronique), de cette logique économique opportuniste, où l'infidélité est la règle et où se dissout le lien entre l'entreprise, les employés et les territoires. On ne peut plus ignorer, face à une crise économique sans précédent, que, dans ce capitalisme des firmes sans attache, le succès de l'entreprise n'est pas forcément synonyme de prospérité des populations et de richesse des nations.
Face à ce modèle dominant aujourd'hui très critiqué, c'est tout le sens de cette année internationale des coopératives, on redécouvre les vertus du modèle coopératif : ce dernier est en effet fondé sur des règles de gouvernance qui donnent à ceux qui sont durablement engagés dans l'entreprise le pouvoir de décider de sa stratégie ; il donne la priorité au réinvestissement du profit dans la société plutôt qu'à la rémunération du capital ; c'est en outre un modèle d'entreprise fortement territorialisée et par nature « non opéable » ; un modèle d'autant plus intéressant qu'il ne désigne pas une utopie abstraite, mais renvoie à une réalité tangible que nous n'avons jamais cessé d'avoir sous les yeux.
En effet, même au plus fort de la domination du capitalisme actionnarial, le modèle coopératif a continué à exister et à prospérer. Il l'a fait non pas aux marges de l'économie capitaliste, mais en son sein même, car l'entreprise coopérative, il faut le souligner, est une entreprise pleinement inscrite dans l'économie marchande ; une entreprise soumise, comme les autres, aux contraintes de la concurrence. Le fait que des coopératives existent et prospèrent est donc la preuve que, même si elles sont fondées sur une logique entrepreneuriale et un modèle de gouvernance aux antipodes de ceux des entreprises capitalistes classiques, elles sont néanmoins capables d'être efficientes et de sortir gagnantes de la compétition économique.
On voit ici tout l'intérêt que peut avoir ce modèle coopératif du point de vue des pouvoirs publics. Ceux-ci, cela va de soi, sont déterminés à s'engager auprès des entreprises, car l'emploi et la croissance en dépendent, mais ils ne sont plus disposés à payer en aveugle sans avoir des perspectives raisonnables de retour sur investissement pour le territoire national. Ils attendent donc une forme de fidélité des entreprises aux hommes et aux territoires. Or, cette fidélité ne peut dépendre uniquement des qualités morales individuelles des dirigeants et des actionnaires ou d'un quelconque patriotisme économique. Elle doit trouver son fondement dans quelque chose de plus substantiel, et notamment dans la constitution interne des entreprises. Les règles juridiques et les mécanismes économiques qui déterminent la constitution des coopératives sont un exemple, sans doute pas le seul, de ce que peut être une entreprise fidèle : ces règles les forcent en effet à rechercher en permanence une conciliation entre maximisation de l'efficacité économique, ancrage territorial et projet humain collectif. Au moment, où nos concitoyens sont particulièrement inquiets de la multiplication des délocalisations, les coopératives apparaissent comme garantes du maintien des emplois sur les territoires dans l'hexagone et méritent à cet égard une attention particulière.
Le fait coopératif se développe aussi dans des champs moins directement productifs, au niveau de la consommation ou, de plus en plus, dans des sphères nouvelles comme l'habitat. Il s'ancre dans une volonté de favoriser l'accès à des biens, de services, et le plus souvent à des coûts plus abordables, en intervenant sur l'opportunité que constitue l'effet de nombre, tout en valorisant la solidarité, la responsabilité individuelle et collective. Il offre une alternative à l'individualisation croissante et à l'atomisation excessive de la société.
C'est pour cela que le législateur doit s'employer, d'une part, à encourager le développement des coopératives et, d'autre part, à faire en sorte que leur gouvernance reste conforme aux grands principes du projet coopératif.