2. Et en France ?
a) Des progrès notables
La France, qui n'a adhéré à la Convention européenne des droits de l'homme qu'en mai 1974 et reconnu le droit au recours individuel qu'en novembre 1981, n'a pas toujours été exemplaire dans le respect de ses obligations.
Depuis lors, sur 848 arrêts la mettant en cause, elle a été condamnée 627 fois par la Cour européenne des droits de l'homme, dont 281 fois pour durée excessive de la procédure et 251 fois pour violation du droit à un procès équitable. Par comparaison, l'Allemagne, sur la même période, a été condamnée 159 fois, et le Royaume-Uni 279 fois.
Elle a également souvent tardé à mettre son droit en conformité avec la jurisprudence de la Cour. Votre commission se rappelle notamment que notre pays a attendu d'être condamné par la Cour européenne des droits de l'homme sur la question de la garde à vue 24 ( * ) , alors même que des décisions rendues quelques années plus tôt à l'égard de la Turquie 25 ( * ) rendaient une telle condamnation prévisible.
Des progrès indéniables ont toutefois été accomplis au cours des années récentes pour mieux exécuter les arrêts de la Cour. Une circulaire du Premier ministre en date du 23 avril 2010 a notamment clarifié les modalités internes de suivi et de compte-rendu de l'exécution des arrêts rendus à l'encontre de la France.
b) Un renforcement du dialogue des juges
Des progrès importants ont également été réalisés en matière de dialogue entre juridictions suprêmes et d'appropriation par les juges français de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Le Conseil d'État et la Cour de cassation se sont ainsi tous deux dotés d'un bureau du droit européen chargé d'effectuer une veille sur la jurisprudence de la Cour et d'en rendre compte régulièrement. Tout nouveau magistrat affecté dans l'une de ces deux juridictions est invité à effectuer un stage de plusieurs jours à la Cour européenne des droits de l'homme : comme l'a indiqué M. Patrick Titiun, chef de cabinet du président de la Cour, quatre sessions sont désormais organisées chaque année pour accueillir des magistrats français et leur faire découvrir la Cour. Le colloque qui réunit chaque année les présidents des cours suprêmes est également l'occasion de favoriser les échanges.
De fait, aujourd'hui, près de 25% des décisions rendues par le Conseil d'État font application de la Convention européenne des droits de l'homme : le juge français est bien devenu le premier juge de l'application de la Convention en France, conformément au principe de subsidiarité .
Vos rapporteurs ont par ailleurs souhaité connaître la position de MM. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, et Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, sur l'opportunité de permettre aux deux juridictions qu'ils président de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif : alors que le premier s'y est déclaré favorable, le second s'est dit plutôt réservé sur cette possibilité - rappelant que la Cour européenne des droits de l'homme se prononçait en principe in concreto , au vu des circonstances de l'espèce, et que dans ce contexte, il apparaissait difficile de soumettre une demande d'avis à la Cour sans l'inviter à prendre position sur le cas d'espèce.
Pour leur part, vos rapporteurs estiment que la France ne devrait pas se priver a priori , dans la mesure où nos juridictions suprêmes pourraient l'utiliser lorsque cela leur paraît nécessaire, de la possibilité de recourir à cette procédure d'avis consultatif : ils souhaitent par conséquent que la France adhère au protocole facultatif que le comité des ministres a été invité par la conférence de Brighton à rédiger d'ici fin 2013.
Au-delà de ce renforcement du dialogue entre nos juridictions et la Cour de Strasbourg, vos rapporteurs estiment nécessaire de poursuivre les efforts engagés pour mieux diffuser une culture de la Convention européenne des droits de l'homme dans notre pays. En particulier, il leur paraît indispensable de donner à l'enseignement des libertés publiques une place plus importante dans les cursus universitaires.
c) La nécessité d'une implication plus forte du Parlement
Au-delà de ces efforts, vos rapporteurs ont conscience qu'un meilleur respect de la Convention européenne des droits de l'homme par notre pays passe nécessairement par une implication plus forte du Parlement. Plusieurs condamnations récentes - concernant la garde à vue 26 ( * ) ou le droit d'asile 27 ( * ) par exemple - ont en effet trouvé leur source dans des lois qui ne respectaient pas les prescriptions édictées dans la Convention.
Pour ces raisons, vos rapporteurs souhaitent que, désormais, les études d'impact annexées aux projets de loi tout comme les rapports législatifs des commissions consacrent systématiquement une partie à la conformité du projet ou de la proposition de loi examinée avec les stipulations de la Convention et la jurisprudence de la Cour .
* 24 Arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010.
* 25 Notamment arrêts Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 et Dayanan c. Turquie du 13 octobre 2009.
* 26 Arrêt Brusco c. France précité.
* 27 Arrêt I.M. c. France, 2 février 2012.