3. La position des États parties
Les propositions britanniques, explicitement soutenues par la Suisse, ont été combattues par plusieurs États membres, parmi lesquels l'Autriche, l'Allemagne, Andorre, la Finlande, la Pologne, la Roumanie, la Croatie, Chypre, la Slovénie et le Danemark.
La France a quant à elle apporté un « soutien modéré » aux propositions britanniques, en raison notamment de la nécessité de diminuer le nombre d'affaires dont la Cour est saisie : elle a en particulier soutenu les propositions tendant à rappeler le principe de subsidiarité, à inscrire dans la Convention l'existence de la marge d'appréciation dont disposent les États dans l'application de la Convention et à envisager la création d'une procédure d'avis consultatifs visant à éclairer les juridictions suprêmes sur la Convention à l'occasion d'un litige.
En tout état de cause, le précédent Gouvernement considérait indispensable de repenser le principe du droit au recours individuel au regard du nombre d'habitants aujourd'hui concernés (plus de 800 millions de personnes) et de la disparité entre États membres du Conseil de l'Europe en matière de respect et de garantie des droits.
Comme l'ont observé les représentants du ministère des affaires étrangères rencontrés par vos rapporteurs, on peut en effet légitimement s'interroger sur la véritable portée d'un recours individuel qui aboutit dans 90% des cas, lorsque l'affaire est traitée par un juge unique, à un simple courrier du greffe de la Cour indiquant au requérant, suivant une motivation stéréotypée, que sa requête ne peut être admise. La même question se pose tout aussi légitimement lorsque le jugement d'une affaire intervient plusieurs années après l'introduction de la requête.
4. Une issue en demi-teinte
La déclaration finalement adoptée par les États membres à l'issue de la conférence de Brighton s'est avérée largement en retrait par rapport aux propositions initialement avancées par le Gouvernement britannique :
- la proposition de consécration de la notion de « marge d'appréciation » dans le texte même de la Convention a été écartée, au profit d'une simple référence dans le préambule . De fait, compte tenu de la jurisprudence constante et ancienne de la Cour sur cette notion (voir supra ), une telle modification n'aura probablement qu'une portée normative très limitée ;
- la proposition tendant à étendre très largement le champ des requêtes irrecevables, afin de privilégier les décisions des seuls cours suprêmes nationales, sauf violation manifeste de la Convention, n'a pas prospéré. La déclaration de Brighton y substitue une simple référence à la pratique actuelle de la Cour, qui considère une requête « comme manifestement irrecevable [...], entre autres, [si cette] requête soulève un grief qui a été dûment examiné par un tribunal interne appliquant les droits garantis par la Convention à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour, y compris, le cas échéant, sur la marge d'appréciation, à moins que la Cour estime que la requête soulève une question sérieuse relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention » [le projet de déclaration retenait les termes d' « erreur manifeste » dans l'interprétation ou l'application des droits reconnus par la Convention et de « question grave » relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention] ;
- en revanche, les propositions tendant, d'une part, à réduire de six à quatre mois le délai d'introduction des requêtes, et, d'autre part, à permettre à la Cour de déclarer une requête irrecevable, sur le fondement de l'absence de préjudice important , lorsque l'« affaire [...] n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne », ont été retenues. D'après les interlocuteurs rencontrés par la délégation de votre commission à Strasbourg, ces deux modifications seraient susceptibles de diminuer le nombre de requêtes irrecevables dont la Cour est saisie ;
- le principe de la création d'une procédure d'avis consultatif a été accepté . L'adoption d'une telle procédure serait soumise à la libre appréciation de chaque État et les avis rendus n'auraient aucun caractère contraignant pour les autres États parties ;
- la déclaration finale de Brighton réaffirme par ailleurs à plusieurs reprises et de façon ferme la responsabilité incombant à chaque État membre dans l'application de la Convention . Cette responsabilité implique que chaque État prenne « des mesures effectives pour prévenir les violations » de la Convention (création d'institutions nationales indépendantes de protection des droits de l'homme, développement de recours nationaux spécifiques, etc.). La déclaration invite par ailleurs les institutions du Conseil de l'Europe à fournir aux États une assistance technique , notamment à travers l'échange de « bonnes pratiques » ;
- elle réitère par ailleurs la responsabilité incombant au comité des ministres dans la surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour, sans toutefois reprendre l'idée d'introduire des sanctions contre les États qui ne donnent pas suite aux arrêts de la Cour ;
- l'introduction d'une forme d'action de groupe, enfin, est laissée à l'appréciation du comité des ministres.
La proposition tendant à réfléchir à l'opportunité de permettre à la Cour, à l'avenir, de sélectionner discrétionnairement les affaires sur lesquelles elle se prononce n'a quant à elle pas été reprise.
La déclaration finale de Brighton prend acte de l'objectif que s'est fixé la Cour, grâce aux nombreuses réformes déjà mises en oeuvre, de traiter d'ici à 2015 les requêtes manifestement irrecevables en suspens, et, sous réserve qu'elle puisse disposer « des ressources appropriées », lui assigne l'objectif de prendre la décision de communiquer ou non une affaire dans un délai d'un an , puis de rendre une décision ou un arrêt sur toute affaire communiquée dans un délai de deux ans après sa communication.