Audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme
(4 avril 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - La suite de notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme.
Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Faraco, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Benoît Faraco prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Faraco, le rapporteur de notre commission, M. Jean Desessard, vous a adressé les questions qu'il souhaitait vous poser de manière à vous permettre d'entrer directement dans le vif du sujet ; il va les rappeler afin qu'elles figurent dans l'enregistrement de l'audition. Je vous demanderai, bien sûr, d'y répondre, en tenant cependant compte du fait qu'il nous faut garder un peu de temps pour les questions complémentaires tant de M. le rapporteur que de l'ensemble des membres de la commission.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Faraco, je vous ai adressé six questions.
Première question : de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France et quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxième question : la France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes et/ou investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs, EPR et réacteurs de quatrième génération ?
Troisième question : quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrième question : pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer et à combien chiffrez-vous - si vous êtes en mesure de le faire - cet investissement ?
Cinquième question : le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Sixième question : quelles actions convient-il prioritairement de mener selon vous, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Benoît Faraco.
M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme . - Je me propose de respecter l'ordre du questionnaire, même s'il m'aurait semblé intéressant - je le dis en préalable - d'inverser cet ordre. La position de la Fondation consiste en effet à considérer qu'avant de parler des éléments de production d'énergie, et notamment d'électricité, il est légitime de s'interroger sur nos besoins. Cette analyse conduirait à commencer par la sixième question, mais je vais jouer le jeu et donc répondre d'abord à la première.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Faites comme vous voulez !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Si vous estimez nécessaire pour votre démonstration d'inverser l'ordre, n'hésitez en effet pas à le faire.
M. Benoît Faraco . - Je vais profiter de cette possibilité pour dire que nous estimons - c'est notre point de départ - qu'en France, s'agissant des consommations d'électricité, les questions relatives à l'offre et à la demande sont analysées un peu trop séparément : en général, on suit une logique, que traduit notamment la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui amène à « décorréler » la réflexion sur l'offre de la réflexion sur la demande.
Pour la Fondation, qui se place dans la perspective de la lutte contre le changement climatique tout en prenant en compte la dimension sociale des enjeux tarifaires de l'énergie, en particulier de l'électricité, il est au contraire intéressant de commencer par une réflexion sur la demande et sur nos besoins.
J'entrerai par la suite dans le détail pour justifier les différents éléments de notre réflexion. Je souligne d'emblée que la philosophie qui est derrière celle-ci se fonde d'abord sur des raisons tenant aux contraintes climatiques : même si elle est faiblement carbonée en France, l'électricité contribue aux émissions de gaz à effet de serre, du fait notamment des centrales à gaz ou à charbon qui continuent à fonctionner, émissions particulièrement importantes au moment de la pointe électrique.
Elle est en outre liée, puisque nous sommes sur la plaque européenne, au contexte européen.
D'une part, les émissions de gaz à effet de serre sont problématiques en Europe, dans la mesure où la production d'électricité en représente, grosso modo, de 30 % à 40 %.
D'autre part, il est légitime de s'interroger, s'agissant notamment des moyens de production thermique à base de charbon et de gaz, sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans un contexte où les indicateurs à notre disposition témoignent d'un accroissement des importations aussi bien de gaz que de charbon en même temps que d'un plafonnement de la production européenne de gaz, la situation étant à peu près stable pour le charbon.
La dépendance énergétique aux importations s'accroît donc dans le temps. Pour la France, on atteint des taux de plus de 95 % pour le gaz et de pratiquement 100 % pour le charbon, puisque nous n'avons plus de mines.
Ce sont ces paramètres qui nous conduisent à considérer que la priorité absolue doit être accordée à la réduction des consommations : c'est à ce niveau qu'il faut se placer pour être ensuite capables de gérer l'offre énergétique à même de répondre à nos besoins.
Nous avons coutume de dire dans la sphère écologique que la meilleure énergie, à la fois la moins chère et la moins polluante, est celle qui n'est pas consommée, adage qui me paraît fondamental pour les politiques publiques, notamment lorsque l'on s'intéresse aux impacts socio-économiques d'une énergie dont on voit le coût croître au fil du temps.
Ce préalable, sur lequel je pourrai revenir lors des questions suivantes s'il s'agit d'un aspect qui vous intéresse, est à notre sens profondément structurant pour l'ensemble des politiques publiques dans un contexte où il y a, me semble-t-il, un consensus assez fort sur les perspectives d'évolution du prix de l'énergie, et notamment de l'électricité. En France, où l'on paie l'électricité de 30 % à 50 % moins cher que chez nos voisins européens, il y a en tout cas un constat partagé.
Cela me ramène à la première question que vous m'avez adressée, qui porte sur le prix pour les consommateurs et le coût de production de l'électricité, sujet qui appelle selon nous deux grandes interrogations.
En premier lieu, la pratique actuelle des tarifs réglementés pour les consommateurs, en tout cas pour les 80 % de clients particuliers à qui est encore appliquée une forme de tarif réglementé, ne nous semble pas permettre au régulateur, et donc à l'État, de répercuter la hausse des coûts.
On a aujourd'hui le sentiment que la question des tarifs appliqués aux consommateurs d'électricité est plus un sujet de débat politique qu'un sujet de débat économique. La préférence va à la satisfaction d'une demande sociale, par ailleurs complètement légitime au regard du nombre de ménages en situation de précarité énergétique. Il y a donc une tendance à la perpétuation des tarifs réglementés qui a pour effet de décorréler le prix final du coût global.
Or on sait que ce coût va augmenter, pour les raisons que je rappelais, notamment l'épuisement ou l'appauvrissement des ressources fossiles, du fait des tensions géopolitiques, mais aussi parce que de nouveaux investissements sont nécessaires, notre parc thermique classique, qu'il soit nucléaire ou fossile, étant en fin de vie.
Je rappelle à cet égard que, selon le rapport de RTE, entre 30 % et 50 % de nos centrales à charbon fonctionnent actuellement sous un régime dérogatoire par rapport aux normes relatives à la pollution atmosphérique fixées par l'Union européenne, régime que l'on a choisi de leur accorder tant pour des motifs économiques, d'investissement, qu'en raison de la présence physique des unités de production concernées sur notre territoire.
Le coût réel de production va donc sans doute augmenter trop vite pour que le politique et le régulateur puissent répercuter la hausse sur le grand public, voire sur les entreprises.
En second lieu, un autre facteur joue dans le sens de la « décorrélation » entre les coûts de production et les prix aux consommateurs, à savoir la prise en compte des externalités environnementales dans les coûts.
C'est problématique dans la mesure où la pratique des tarifs réglementés revient à fixer à l'avance des prix dans lesquels EDF ne peut pas répercuter certaines de ces externalités environnementales, notamment le coût de la tonne de CO 2 . Il s'agit en effet d'un coût variable, fixé dans le temps sur le marché européen en fonction des volumes disponibles, des quantités allouées et des perspectives de régulation climatique internationale.
Or il s'agit là d'une composante essentielle pour la Fondation, qui plaide à la fois pour le développement d'une fiscalité écologique et pour l'instauration d'un « signal-prix » aux consommateurs, car le fait que l'opérateur historique, qui contrôle une grosse partie du marché, ne soit pas en capacité de traduire un tel coût environnemental dans le prix final aux consommateurs a pour effet d'atténuer l'efficacité de la réglementation européenne sur les quotas d'émissions.
En résumé, les tarifs de l'électricité ne nous semblent pas refléter fidèlement son coût réel.
S'agissant de la seconde partie de la première question, à savoir ce que devrait être, à nos yeux, l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, je m'autoriserai à vous demander une précision. Souhaitez-vous plutôt une perspective ?...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous évoquiez à l'instant les coûts économiques réels ; en poursuivant votre raisonnement, vous devriez « rattraper » cette question.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pensez-vous, par exemple, que le prix de l'électricité va augmenter ?
M. Benoît Faraco . - Pour nous, il est évident que le prix de l'électricité va augmenter, et cela pour deux raisons principales que je rappelle : d'une part, l'épuisement des ressources finies, notamment le pétrole et le gaz, qui constituent une composante importante du coût de cette énergie ; d'autre part, le vieillissement du parc de production et donc les investissements nécessaires, que ce soit pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ou pour le recours aux énergies renouvelables, qui entraînent, par rapport à des sources plus conventionnelles, des surcoûts que l'on connaît aujourd'hui, notamment pour l'éolien offshore et le solaire photovoltaïque.
À l'échelle européenne, un troisième paramètre, à l'introduction duquel nous sommes totalement favorables, devrait tendre à faire augmenter le prix de l'énergie : les régulations environnementales.
Si l'Europe souhaite atteindre le fameux objectif de la limitation à 2 degrés du réchauffement qu'elle s'est fixé à Copenhague, elle devra s'attaquer à ce secteur important de la production d'émissions de gaz à effet de serre qu'est la production d'électricité et donc faire payer la tonne de CO 2 nettement plus cher.
Aujourd'hui, le prix de la tonne de CO 2 est environ de 8 euros sur le marché européen des quotas. Les économistes, notamment ceux qui travaillent pour la Commission européenne et pour le laboratoire de Patrick Criqui, à Grenoble, estiment que nous devrions nous situer sur une trajectoire nous amenant aux alentours de 100 euros par tonne de CO 2 à l'horizon 2020 pour être « dans les clous » et atteindre les objectifs, fixés à Kyoto puis réaffirmés à Copenhague, devant nous conduire au nouvel accord mondial sur le climat qui devrait être ratifié en 2015.
L'adoption d'une telle trajectoire aurait une incidence forte sur le prix de l'électricité à l'échelle européenne et, comme il y a clairement une volonté européenne d'harmoniser le marché de l'électricité et de l'ouvrir complètement, il n'y a pas de raison pour qu'il n'y ait pas de répercussions en France.
Même si, encore une fois, le kilowattheure français est nettement moins carboné que le kilowattheure européen, il y aura en effet un alignement et une évolution à la hausse du fait de l'ouverture du marché européen à la concurrence. Pour donner un ordre de grandeur - dans les exercices prospectifs, il n'est pas possible d'être plus précis -, je dirai que l'on s'attend à ce que l'alignement du prix français de l'électricité sur les prix européens conduise à un rattrapage, c'est-à-dire à une hausse, de l'ordre de 30 % à 50 % à l'horizon 2020-2030.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pouvez-vous redire ces chiffres ?
M. Benoît Faraco . - En ce qui nous concerne, nous tablons sur une hausse de 30 % des tarifs à l'horizon 2020 par simple rattrapage des prix de nos voisins européens.
Peut-être aurais-je dû le préciser, je parle ici principalement des tarifs pour les ménages. Je reviendrai tout à l'heure à la dimension « entreprises ». La décorrélation entre le coût de l'électricité pour les entreprises, notamment dans les activités électro-intensives, et pour les ménages est certes forte, mais c'est une situation que l'on retrouve dans l'ensemble des pays européens et qui implique d'autres arguments, notamment économiques.
Pour compléter ma réponse à la question de savoir ce que devrait être l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, j'ajouterai qu'il y a, pour la Fondation, deux éléments importants.
En premier lieu, l'impact d'une hausse, tant social qu'économique, c'est-à-dire non seulement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, constitue une préoccupation qui doit être prise en considération. Nous risquons en effet d'être en situation de vulnérabilité à ce stade.
Or environ 3 millions de ménages, soit à peu près 8 millions de personnes, vivent d'ores et déjà en situation de précarité énergétique - ce qui signifie, grosso modo , car les définitions sont en cours d'élaboration, qu'ils dépensent plus de 10 % de leurs revenus annuels pour couvrir leurs besoins de chauffage et d'eau chaude - et que 300 000 personnes déclarent avoir froid chaque hiver dans leur logement simplement parce que, pour éviter d'avoir à payer une facture trop élevée, elles préfèrent couper le chauffage !
La préoccupation sociale est une question centrale pour nous, puisque nous estimons que la fourniture d'électricité fait partie des services de base indispensables aux ménages, au même titre que l'alimentation et que l'énergie associée à la mobilité.
En second lieu, l'évolution à la hausse des tarifs de l'électricité par un mécanisme d'élasticité-prix permettrait de réduire la consommation, et donc l'ensemble des externalités environnementales associées à la production, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre ou d'émissions de particules fines, voire, bien entendu, des quantités de déchets nucléaires qu'il sera nécessaire de stocker puisqu'une hausse des prix entraînera, a priori , une réduction de la consommation.
D'un point de vue strictement écologique, l'évolution des tarifs à la hausse est une voie qui nous intéresse, étant précisé que nous préférerions que cette évolution soit pilotée et contrôlée, plutôt que subie, comme c'est aujourd'hui le cas pour le pétrole.
S'agissant du pétrole, le manque d'anticipation des gouvernements précédents nous a mis dans une impasse, puisque nous sommes confrontés à sa rareté dans un contexte où il est très difficile de nous émanciper de cette ressource par le biais de solutions alternatives.
Au vu des conséquences non seulement sociales mais aussi économiques pour les secteurs fragiles ou particulièrement vulnérables face aux hausses des prix de l'énergie - pour le pétrole, je pense en particulier aux transports routiers -, nous devons donc nous interroger sur la manière dont peut être sereinement envisagée une transition énergétique.
Il n'est pas forcément mauvais que les prix évoluent à la hausse, sous réserve que l'on soit capable de gérer les impacts sociaux et économiques. À cette fin, nous envisageons un accompagnement des acteurs dans la réduction de leur consommation plutôt que des subventions à la consommation, comme c'est un peu trop la tendance aujourd'hui en France. Autrement dit, nous préférons accompagner les acteurs d'un secteur dans l'innovation technologique, en vue de la réduction de leur consommation en même temps que de l'amélioration de leur compétitivité, au lieu de les aider à payer la facture, ce qui n'est pas de nature à leur permettre de changer de « logiciel économique » et les place finalement en sursis en termes de vulnérabilité face au renchérissement de l'énergie.
J'en viens à la deuxième question, relative à l'avenir du parc électronucléaire et à l'investissement dans le développement de nouvelles centrales.
À ce sujet, je ferai une remarque préalable qui ramène à ce que je disais en introduction : s'il est intéressant de se poser la question de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, il ne faut pas le faire uniquement d'un strict point de vue économique.
Tant du fait de notre préférence pour les investissements en faveur de l'efficacité énergétique et pour la réduction des consommations en amont que compte tenu des risques associés à la production d'électricité nucléaire comme aux autres modes de production électrique, nous estimons en effet qu'il faut s'émanciper du simple débat sur le tarif à court terme de l'électricité et avoir une vision un peu plus générale.
Comme l'écrit Nicholas Stern dans son rapport, il vaut mieux investir aujourd'hui dans la prévention, notamment face au changement climatique, plutôt que de payer demain les conséquences de risques qui seront devenus réalité.
Cette philosophie conduit à se positionner au regard non pas seulement du prix à court terme, mais aussi et surtout de l'ensemble des coûts à moyen et à long terme, y compris les coûts potentiels de gestion des risques. Qu'il s'agisse du risque climatique pour l'électricité d'origine fossile, du risque de prolifération ou encore des interrogations que l'on peut avoir sur le traitement des déchets, il est important de compléter l'analyse strictement économique par une réflexion sur l'ensemble des enjeux, notamment des enjeux environnementaux, qui ne peuvent pas tous être « monétisés » : il n'est pas évident de déterminer le coût réel d'un accident nucléaire dont on peut mesurer les impacts...
M. Jean Desessard, rapporteur . - En somme, vous voulez dire que vous ne vous posez pas la deuxième question.
M. Benoît Faraco . - Je peux y répondre...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si vous nous dites que vous ne voulez pas y réfléchir pour les raisons que vous venez d'exposer, vous n'êtes pas obligé d'y répondre.
M. Benoît Faraco . - Pour être franc, je veux répondre - c'est l'intérêt de notre participation à cette commission d'enquête -, mais en insistant avant tout sur le fait que l'on ne peut pas se satisfaire d'un raisonnement strictement économique pour aborder ces questions dont les impacts environnementaux sont extrêmement lourds.
Pour la Fondation, le débat sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes est à la fois politique et économique ; c'est un débat sur la gestion du risque, qui appartient - notamment - aux Français, lesquels doivent pouvoir être informés de l'ensemble des avantages et des inconvénients de la filière nucléaire afin d'être capables de se former un avis et en mesure de se prononcer.
C'est un premier élément de réponse.
Deuxième élément de réponse, si l'on examine cette question d'un point de vue strictement économique - ce n'est donc pas ce que je vous invite à faire ! - et si notre objectif est de conserver le prix du kilowattheure le moins cher et donc un tarif de l'électricité relativement bas, il est évident que la prolongation de la durée de vie des centrales est sans doute l'une des meilleures options, et cela même si, malgré les avancées dues au rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, il y a manifestement aujourd'hui une petite sous-estimation des coûts de cette filière.
Le troisième élément qui nous semble central dans ce débat est le respect dû à l'analyse et à la parole de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette analyse doit être décorrélée, là encore, du raisonnement strictement économique que le politique a un peu trop tendance à faire.
Se laisser le choix de demander à l'Autorité de sûreté nucléaire, dont on reconnaît la légitimité, de dire que la durée de vie de telle ou telle centrale peut ou ne peut pas être prolongée, ou peut l'être à condition que des investissements de tel ou tel montant soient réalisés, paraît être la meilleure réponse possible au problème posé. Il appartiendra ensuite aux opérateurs d'opter entre les différents moyens de production qui s'offrent à eux, en tenant compte, bien entendu, des contraintes environnementales, notamment de la contrainte climatique.
La position de la Fondation est donc à peu près celle-ci : ne pas entrer dans le débat sous le seul angle du coût ; s'assurer que l'Autorité de sûreté nucléaire peut se prononcer en toute indépendance s'agissant d'un sujet dont on sait à quel point il est sensible politiquement et dans l'opinion publique ; laisser aussi des arbitrages économiques en internalisant les externalités environnementales.
À la question relative à l'investissement dans de nouvelles générations de réacteurs, EPR et de quatrième génération, nous sommes tentés de répondre de la façon suivante : continuer la recherche, pourquoi pas ? mais il faut absolument éviter tout malentendu et surtout ne pas dire que ce type de centrales nucléaires pourra répondre aux interrogations et aux besoins énergétiques des Français à proche échéance.
Pour l'EPR, on constate que des retards sont pris sur les deux chantiers, en Finlande comme en France, et, si le projet ASTRID commence à avancer, il n'y a pas encore de réacteur de quatrième génération opérationnel. Nous ne nous situons donc pas là à des horizons de temps à la mesure des enjeux sociaux et climatiques qui sont les nôtres. Il nous faut faire évoluer à la baisse nos consommations d'énergie et nos émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, c'est-à-dire commencer tout de suite, pour que des avancées significatives puissent avoir été accomplies d'ici à 2020. Or ces solutions technologiques ne seront pas opérationnelles dans ce délai.
La quatrième question porte sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables productrices d'électricité.
Je traiterai l'hydroélectricité à part, puisque cette filière est relativement aboutie ; elle peut, en améliorant son efficacité énergétique, notamment par le remplacement des turbines, produire un peu plus qu'elle ne produit aujourd'hui, mais nous considérons qu'elle n'a pas besoin de mécanismes de soutien, ce qui la sort du champ de la question.
Je vais, cette fois encore, faire une observation préalable.
Dans les principales filières électrogènes que l'on envisage de développer en France, à savoir l'éolien, onshore et offshore , et le solaire photovoltaïque, les coûts de production sont bien plus élevés que pour les moyens conventionnels de production thermique. Je souligne cependant qu'avec un CO 2 à 60 ou 70 euros la tonne, la production d'électricité à base d'éoliennes deviendrait compétitive par rapport au charbon, ce qui signifie que, si l'on prend en compte les enjeux climatiques, les coûts commencent à se rapprocher.
Les énergies renouvelables sont donc aujourd'hui des énergies un peu plus chères en termes de production, mais leurs prix suivent une tendance fortement orientée à la baisse, contrairement aux énergies fossiles et au nucléaire, dont les tendances de prix sont plutôt orientées à la hausse, pour les énergies fossiles, en raison de l'épuisement des ressources, et, pour le nucléaire, en raison, notamment, des investissements dans la sécurité en réaction à l'accident de Fukushima.
C'est ce constat qui fonde notre philosophie globale et justifie à nos yeux une bonne partie des investissements dans les énergies renouvelables.
Pour ce qui est des mécanismes de soutien à ces énergies, je me propose de passer en revue les différentes filières.
L'éolien onshore présente des coûts relativement comparables à ceux des filières conventionnelles ou qui commencent à se rapprocher de ceux-ci. On peut donc imaginer qu'à l'horizon 2020 cette filière n'aura plus besoin d'être soutenue.
Le recours à des mécanismes de soutien, notamment le tarif d'achat, paraît donc avoir produit ses effets pour l'éolien terrestre, à propos duquel nous ne sommes d'ailleurs presque plus dans un débat économique mais plutôt dans un débat de société portant sur l'acceptabilité de l'installation de nouvelles éoliennes en France.
De façon générale, les mécanismes de soutien nous semblent être totalement justifiés et appropriés en matière de politique énergétique : que ce soit pour le nucléaire ou pour les énergies renouvelables, une amorce par un financement public est souvent nécessaire pour développer des technologies dans lesquelles les opérateurs économiques ne trouveraient pas sinon de rentabilité.
Pour l'éolien offshore , il y a principalement deux mécanismes de soutien, à savoir un mécanisme d'appel d'offres couplé à un mécanisme de tarif d'achat.
Les volumes financiers correspondants devraient, certes, être significatifs - je fais un petit « détour » par la quatrième question -, mais compte tenu des enjeux et du potentiel important de cette filière, notamment en termes de leadership industriel pour la France, ces mécanismes nous semblent tout à fait justifiés. Des consortiums se sont montés pour répondre à l'appel d'offres éolien et, en contrepartie du tarif d'achat, il y a des bénéfices sociaux et économiques, notamment en termes d'emploi, d'innovation et de recherche.
Pour le solaire photovoltaïque, la logique est semblable, s'agissant en tout cas de l'intérêt du tarif d'achat, mais il y a peut-être plus d'interrogations.
D'abord, dans l'élan du Grenelle de l'environnement, un certain nombre de projets, parfois un peu farfelus, avaient été développés en vue de profiter d'une sorte d'effet d'aubaine, ce qui avait conduit à une croissance du coût de l'électricité pour les consommateurs et à un emballement du mécanisme, qui avait dû être freiné.
Ensuite, les retombées économiques pour la France qui permettraient de légitimer pleinement le tarif d'achat nous semblent, pour l'instant, un peu moindres que pour l'éolien au regard de perspectives à la baisse du solaire photovoltaïque mais aussi d'autres enjeux.
Je pense notamment aux émissions de gaz à effet de serre. Si le bilan du solaire photovoltaïque n'est qu'un tout petit peu plus élevé que celui de l'éolien, ce bilan se dégrade très fortement dès lors que les panneaux sont produits dans une zone où l'électricité est fortement carbonée. Bref, si on utilise des panneaux solaires produits en Chine pour faire de l'électricité en France, le gain en termes de CO 2 sera pratiquement nul.
Par conséquent, la justification du tarif d'achat par des motivations environnementales n'a plus lieu d'être.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez des chiffres ?
M. Benoît Faraco . - Oui, et je vous ai apporté un certain nombre de documents pour étayer mes propos.
M. Jean Desessard, rapporteur . - On nous a dit que le temps de retour énergétique, la période pendant laquelle il faut tenir compte de l'impact énergétique des panneaux, était de quatre ans, et qu'on pouvait utiliser ces panneaux pendant vingt ans. Cela signifie qu'il y a seize ans de bonus.
M. Benoît Faraco . - Vous avez complètement raison concernant le temps de retour énergétique, mais mon exposé visait les émissions de gaz à effet de serre.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avez-vous des chiffres sur ce point ?
M. Benoît Faraco . - Oui, nous en avons : en plus des documents que je vous ai apportés, je vous ferai parvenir une étude que nous avons réalisée sur le solaire photovoltaïque.
Grosso modo, un panneau solaire fabriqué en Europe représente 47 à 55 grammes de CO 2 par kilowattheure produit. Dans le mix électrique français, on est autour de 100 à 110 grammes de CO 2 par kilowattheure - des débats existent, mais on est bien dans cet ordre de grandeur. Le niveau d'émission s'élève, en Allemagne, à 450 grammes de CO 2 par kilowattheure - ce pays utilise beaucoup de charbon - et, en Chine, de 800 à 900 grammes de CO 2 par kilowattheure.
Si on produit un panneau solaire en Chine, les émissions seront de 80 à 90 grammes par panneau, qu'il faut comparer aux 100 à 110 grammes français. Avec des panneaux chinois, le gain sera donc de 20 grammes de CO 2 par kilowattheure, tandis que, avec des panneaux produits en France ou en Europe, voire aux États-Unis, le gain sera plutôt de l'ordre de 50 à 70 grammes de CO 2 par panneau.
Cela nous amène à formuler une recommandation : prendre en compte le critère des émissions de gaz à effet de serre dans l'attribution de tarifs d'achat pour encourager la production de panneaux en Europe et en France, s'assurer de la vertu environnementale du dispositif et, dans une moindre mesure, inciter les pays producteurs, et notamment la Chine, à investir dans des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leur mix électrique, ce qui aurait des conséquences bénéfiques pour l'ensemble du système climatique.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous calculez le coût en termes d'émissions de CO 2 de l'électricité nécessaire pour fabriquer les panneaux ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il en faut beaucoup !
M. Benoît Faraco . - Il existe aujourd'hui deux principales technologies sur le marché du solaire photovoltaïque.
La première, qui représente environ 85 % du marché, est l'utilisation du silicium. Celle-ci présente un énorme avantage : le silicium étant le deuxième élément le plus abondant sur la croûte terrestre, il n'y a aucun problème de ressources. En revanche, le procédé - il s'agit de faire fondre du sable pour dépasser la qualité du verre industriel - consomme énormément d'énergie. C'est pour cette raison que l'on impute aux panneaux solaires des émissions de gaz à effet de serre assez élevées.
La seconde est la technologie à couche mince. Son inconvénient est que les métaux utilisés - le cadmium, par exemple - sont dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes lorsqu'ils sont dispersés dans l'environnement. Cependant, d'un point de vue industriel, leur installation sur les panneaux ne nécessite pratiquement pas de consommation d'énergie. En termes de quantité d'énergie utilisée, il y a un rapport de un à quatre entre les deux technologies.
Dans les pays où l'électricité est fortement carbonée, les panneaux sont largement émetteurs de gaz à effet de serre. À titre d'illustration, nous avons effectué un petit calcul : en Suède, où l'électricité hydraulique représente près de 90 % de l'électricité produite, passer au photovoltaïque entraînerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, ce qui irait à l'encontre des objectifs de la politique environnementale.
Cela ne veut pas dire, et cela m'amène à notre deuxième remarque sur la question des tarifs d'achat du solaire photovoltaïque, qu'il faut faire une croix sur cette une énergie qui a, selon nous, un potentiel important en France. Aujourd'hui, l'approche retenue par le Gouvernement, à la suite notamment du rapport Charpin-Trink de l'an dernier, consiste à plafonner par les volumes la quantité de panneaux solaires installés. L'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement était de 5,4 gigawatts de puissance installée d'ici à 2020 ; pour des raisons économiques - par crainte d'un emballement -, on a décidé de faire ce qu'il fallait pour l'atteindre mais de ne pas le dépasser.
Nous nous interrogeons quant à la rationalité économique de cette logique. En effet, il nous semblerait plus opportun de fixer un volume financier maximal attribué au développement de cette énergie, et de laisser les acteurs de la filière nous fournir les panneaux les plus performants, en prenant évidemment en compte un certain nombre de paramètres environnementaux, afin de s'assurer qu'aucun produit toxique n'est dispersé dans l'environnement et qu'il y a bien un gain en termes de CO 2 .
Mme Laurence Rossignol . - Je n'ai pas compris votre raisonnement.
M. Benoît Faraco . - Aujourd'hui, le Gouvernement semble vouloir s'en tenir à l'objectif de 5,4 gigawatts installés fixé dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'éviter l'emballement économique. Par ailleurs, il existe des objectifs européens de développement des énergies renouvelables, sur lesquels je reviendrai.
Telle est la logique qui semble prévaloir aujourd'hui.
Nous sommes favorables à une autre logique, consistant à fixer le montant que l'État est prêt à investir ou la charge que le consommateur est prêt à supporter pour développer les panneaux solaires, puis à demander aux acteurs économiques de nous proposer les panneaux les moins chers et les plus performants. Plus il y en aura, mieux ce sera ! Si les industriels peuvent arriver à 10 gigawatts installés avec les deux milliards d'euros prévus, qu'ils le fassent ! Nous sommes favorables à un pilotage économique de la filière plutôt qu'à la fixation d'un plafond quantitatif qu'il ne faut surtout pas dépasser.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce n'est pas ce qui s'est passé. Nous avons fixé une quantité et une date d'échéance, avec des tarifs tellement rentables - vous avez parlé à juste titre d'effet d'aubaine - que tout le monde s'est rué dessus. De ce fait, le nombre de projets déposés en un an et demi à peine représentait la totalité des tarifs d'achat que la France est capable de garantir sur dix ans. Voilà le problème ! Cela a entraîné un effet de stop and go malheureux, puisque les acteurs - nous avons bien compris ce que nous ont dit ceux que nous avons auditionnés - ont besoin de visibilité à plus long terme.
Cependant, indépendamment du système retenu - je suis assez sensible aux avantages de celui que vous proposez -, l'erreur a plutôt été de ne pas fixer des quotas annuels. Il aurait fallu, dès le début, fixer la capacité économique annuelle du pays, peut-être en intégrant votre suggestion, qui me paraît bonne.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Peut-être auriez-vous dû apporter une précision à l'attention de Mme Rossignol, monsieur Faraco. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il fallait construire davantage de panneaux solaires en France. Cela me semble contradictoire avec la logique que vous proposez, puisque celle-ci pourrait conduire à fabriquer des panneaux en Chine dans la mesure où cela coûte aujourd'hui moins cher. Telle était l'interrogation de Mme Rossignol. ( Mme Laurence Rossignol acquiesce. )
M. Benoît Faraco . - Je n'ai sans doute pas été assez précis. Les deux paramètres sont importants.
Pour ne pas tomber dans une discussion un peu stérile sur la question de la protection aux frontières pour motifs environnementaux, dont on sait qu'elle fait fortement débat au sein tant de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, que de l'Union européenne, nous proposons de mettre en place un double système : d'une part, un plafonnement par les prix et la capacité financière de la France afin d'inciter les acteurs à optimiser leurs méthodes de production ; d'autre part, une contrainte environnementale conduisant à privilégier les panneaux les plus performants de ce point de vue, soit en interdisant les panneaux entraînant des émissions de plus de 80 ou 90 grammes de CO 2 , soit en établissant un cahier des charges technique permettant de sélectionner les panneaux les plus respectueux de l'environnement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous reviendrons sur la question des panneaux chinois, mais allez d'abord au bout de votre démonstration, sans quoi vous ne pourrez pas répondre aux six questions que nous vous avons adressées.
M. Benoît Faraco . - J'en viens donc à la quatrième question, à laquelle je répondrai plus rapidement.
On peut poser le problème de deux manières. Tout d'abord, on peut l'appréhender du point de vue de l'offre énergétique, en restant dans une perspective d'augmentation de la consommation d'électricité, et alors nous ferons face à une vraie difficulté.
En matière d'énergies renouvelables, l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement est une proportion de 23 % dans la consommation d'énergie finale en 2020, ce qui est légèrement plus ambitieux que l'objectif de 20 % adopté par l'Union européenne. Au niveau européen, il existe un autre objectif, qui ne nous semble pertinent ni sur le plan économique ni sur le plan écologique, en matière d'agrocarburants. Je laisse toutefois cette question de côté, puisque votre commission d'enquête ne traite que de l'électricité.
Concernant l'objectif européen d'augmentation de la part des énergies renouvelables, il y a, je le répète, deux manières d'aborder le problème.
Soit on part du principe que la consommation d'énergie va continuer à augmenter en France, et alors il faut augmenter la production d'énergies renouvelables au prorata de la quantité d'énergie consommée : puisqu'il s'agit d'une fraction, il faut augmenter le numérateur si le dénominateur augmente.
Soit on considère que, pour atteindre l'objectif européen, on peut diminuer la consommation d'énergie : les investissements à consentir en matière d'énergies renouvelables sont dès lors moins importants. Ces énergies représentent déjà 12 à 13 %, ou peut-être même 14 % de la production d'électricité ; si nous réduisons notre consommation, nous aurons besoin de moins de nouvelles éoliennes et de nouveaux panneaux solaires pour atteindre nos objectifs, et nous pourrons même être plus ambitieux. Ce point nous semble fondamental, mais il a été un peu oublié par l'administration dans ses scénarios, notamment dans ceux qui ont servi de support à la politique pluriannuelle d'investissement.
La fondation Nicolas Hulot - il ne s'agit pas de faire notre publicité, mais nous pourrons vous communiquer ces éléments - a lancé hier une campagne intitulée « L'énergie, c'est mon choix », qui permet aux citoyens de se projeter en 2030 grâce à des scénarios énergétiques intégrant plusieurs indicateurs et notamment la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité. Nos modélisations, qui s'appuient sur un travail effectué avec le cabinet d'étude Carbone 4, montrent que, sans réduction de la consommation d'énergie, il sera difficile non seulement d'atteindre les objectifs européens à l'horizon 2020, mais aussi de faire croître la part des énergies renouvelables au-dessus de 30 % d'ici à 2030.
Si nous ne changeons pas nos habitudes, si notre consommation d'énergie continue à augmenter, nous ne pourrons pas atteindre des objectifs suffisamment ambitieux exprimés en pourcentage.
Notre conclusion est donc que, si nous voulons atteindre les objectifs du Grenelle de l'environnement, la première des priorités est de réduire notre consommation d'énergie. Cela nous permettra, d'une part, d'éviter des investissements dans de nouvelles infrastructures de production, et, d'autre part, de limiter l'impact économique sur les ménages et les entreprises des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Si vous le souhaitez, je peux vous donner un exemple, en comparant les conséquences de deux scénarios pour un ménage.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il faut vous arranger pour achever votre propos à seize heures quarante-cinq, afin qu'il nous reste un quart d'heure pour les questions complémentaires.
M. Benoît Faraco . - Dans ce cas, je passe tout de suite à la cinquième question : « Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ? »
C'est sans doute le cas, jusqu'à un certain point. Selon nous, l'objectif de 100 % d'électricité à partir d'énergies renouvelables est un mythe, il ne nous semble pas possible de l'atteindre d'ici à 2030 ni même d'ici à 2050, non parce que ce ne serait pas souhaitable politiquement, mais pour des raisons techniques et technologiques.
Nous sommes assez en phase avec les conclusions du rapport sur les énergies renouvelables du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, selon lequel, si l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables n'est pas atteignable, les travaux de prospective et l'état de la recherche scientifique sur les sources de production d'électricité et les réseaux intelligents nous permettent cependant d'espérer atteindre, à l'horizon 2050, une proportion de 80 à 90 % d'énergies renouvelables, en associant des énergies variables et intermittentes à la production hydraulique. On pourrait ainsi arriver à des taux de pénétration très importants mais à des horizons de temps éloignés et donc de manière assez peu corrélée aux préoccupations du jour.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous abordez un problème important : les énergies renouvelables sont souvent décriées au motif qu'il faudrait les compenser par le thermique. Ainsi, ce que l'on gagne en recourant aux énergies propres, on le perdrait en utilisant le thermique. Or vous nous dites que, grâce à des systèmes intelligents - je suppose qu'ils le seront -, la compensation thermique ne sera pas nécessaire : on arrivera à un petit écart de 20 % par rapport à l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables, écart qui sera facilement comblé par la production hydraulique.
Pourriez-vous nous décrire ces systèmes intelligents, sachant que nous ne sommes pas habitués à une telle complexité technologique ?
M. Benoît Faraco . - Compte tenu du temps qui m'est imparti, il me sera difficile d'entrer dans le détail.
D'après nos échanges avec les différents opérateurs de distribution, notamment RTE et ERDF, un certain nombre de paramètres nous permettront d'améliorer le système de prévision météorologique indispensable pour l'éolien et le solaire. En effet, il est essentiel de connaître quarante-huit à soixante-douze heures à l'avance les conditions potentielles d'ensoleillement et de vent, afin d'obtenir une vision assez fine de la production et d'être ainsi en mesure d'installer des unités de production de manière suffisamment dispersée sur le territoire pour que la production soit relativement constante.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le premier paramètre, c'est donc une meilleure prévision.
M. Benoît Faraco . - C'est bien cela.
En outre, le développement de réseaux intelligents nous permettra de passer d'un réseau relativement centralisé, en toile d'araignée - un point central, l'unité de production, diffuse l'énergie vers les différents lieux de consommation -, à un maillage plus fin, avec des réseaux capables d'échanger le courant dans les deux sens, de manière plus adaptée et plus rapide, voire de s'auto-réparer en cas de problème de tension posé par les énergies renouvelables - par exemple, si toutes les éoliennes fonctionnent en même temps. La continuité de l'approvisionnement sera ainsi garantie.
Dès aujourd'hui, grâce à ces réseaux en évolution, il est possible de transporter du nord au sud de l'Allemagne une bonne partie de la production des éoliennes, puisque l'on observe une décorrélation entre les lieux de production et les lieux de consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Le deuxième paramètre, c'est donc une production plus décentralisée.
M. Benoît Faraco . - En effet.
On peut comprendre cette décentralisation de deux manières.
La première, un peu autarcique, consiste à produire sur un territoire l'électricité qui y est consommée ; cette approche ne nous semble pas la plus pertinente d'un point de vue économique, puisqu'elle impliquerait la création d'un grand nombre de réseaux locaux et que cela ne constitue pas la meilleure manière de garantir la sécurité d'approvisionnement des territoires.
La seconde est de construire un super-réseau intelligent au niveau européen ; cela passe par des investissements dans de nouvelles lignes, notamment à moyenne et haute tension - pas forcément à très haute tension -, même si l'on peut étudier ce qui se passe du côté de Desertec.
Une troisième amélioration pourrait être obtenue par un ensemble d'investissements dans des appareils techniques tant pour la transformation que le pilotage global des réseaux.
Je pense que nous pourrions ainsi atteindre un taux de pénétration des énergies renouvelables dans les réseaux compris entre 30 et 50 %. Par exemple, au Danemark, à certains moments, plus de 50 % de la production d'électricité est d'origine renouvelable.
L'état de la recherche, notamment le fameux rapport du GIEC, qui a le mérite d'avoir fait une revue assez exhaustive de la littérature sur le sujet, laisse envisager des taux élevés de pénétration des énergies renouvelables.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Dans combien de temps ? On ne peut pas parler de taux de pénétration de 30 à 50 % sur le réseau sans préciser le temps nécessaire pour y parvenir. Le Danemark a atteint de tels taux, mais c'est la conséquence d'une évolution entamée il y a trente ans ; tous les réseaux danois ont été équipés dès cette époque pour accueillir l'éolien. Vous dites que cela ne posera pas de problèmes de faire de même en France, mais à quelle échéance ?
M. Benoît Faraco . - Nos analyses prennent comme base l'horizon 2030, mais les résultats dépendront évidemment de certains paramètres, notamment économiques, comme la capacité d'investissement dans les réseaux. Les spécialistes affirment que nous disposons de marges de manoeuvre - nous pouvons aller plus vite sans mettre à mal la résilience de nos réseaux -, mais il va de soi que, pour atteindre des taux de pénétration de 30 à 50 % d'ici à 2020 ou 2030, il faudra réaliser des investissements assez importants dans les réseaux.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous laisse répondre à la dernière question, qui concerne également le domaine que vous venez d'aborder. Notre rapporteur s'est concentré sur la question des énergies renouvelables.
M. Benoît Faraco . - Si vous le permettez, je ferai d'abord un petit retour en arrière sur la question des tarifs d'achat. En effet, j'ai omis d'évoquer un point qui nous semble essentiel : l'information et la transparence vis-à-vis du public concernant les mécanismes de financement.
Il nous paraît absolument fondamental, pour apaiser le débat sur les tarifs d'achat, d'informer le grand public, notamment sur l'utilisation de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, via par exemple l'obligation pour les différents fournisseurs d'électricité de préciser le pourcentage du montant de la facture consacré à l'énergie solaire, à l'éolien ou à la cogénération de gaz.
Aujourd'hui, d'après ce que nous disent les sympathisants de la communauté de la fondation Nicolas Hulot, l'opacité des tarifs suscite de grandes interrogations. Concernant le coût des énergies renouvelables ou le rôle de la péréquation tarifaire, voire des soutiens à la cogénération de gaz, les ressentis sont assez déconnectés des réalités. C'est pourquoi, je le répète, il nous semble vraiment essentiel, si on veut améliorer l'acceptabilité sociale de ces mécanismes, d'informer en toute transparence celui qui paie, c'est-à-dire le consommateur, sur l'utilisation de la CSPE, sur la part de sa facture annuelle qui sert au développement de l'éolien et du solaire, ou à la solidarité, à la péréquation tarifaire avec les départements, régions et collectivités d'outre-mer.
Après cette parenthèse, j'en viens à la sixième question, qui porte sur les actions qu'il convient de mener prioritairement afin de réduire la consommation d'électricité en France.
Le constat qui justifie que nos recommandations soient principalement centrées sur les ménages, c'est que la consommation d'électricité dans le secteur industriel est à peu près constante depuis une trentaine d'années, notamment à cause de la désindustrialisation de la France. En effet, de nombreuses activités électro-intensives, comme la scierie, ont été délocalisées, ailleurs en Europe, à la périphérie de l'Europe ou dans les pays émergents. Dans le même temps, des gains ont été réalisés en matière d'efficacité énergétique.
En revanche, ce qui est préoccupant, c'est la forte croissance du chauffage électrique et de l'électricité spécifique, tant dans les bâtiments résidentiels que dans les bâtiments tertiaires. Au total, la consommation d'électricité des ménages augmente de 3 % par an, d'une manière assez régulière depuis une dizaine d'années. Ni la hausse du prix de l'électricité ni la crise économique n'ont entraîné de véritable ralentissement.
Je distinguerai deux types de mesures prioritaires : des mesures structurantes et des mesures spécifiques liées à la pointe électrique, qui constitue un sujet important.
S'agissant de la pointe électrique, il y a deux sujets principaux.
Le premier est le chauffage, puisque chacun allume le sien à dix-neuf heures, en rentrant du travail, ce qui nous permet de battre chaque année un bien triste record : celui de l'appel de puissance. Nous sommes favorables à des mesures fortes d'isolation des bâtiments, voire d'interdiction du développement du chauffage électrique dans les logements mal isolés. En effet, le chauffage électrique est sans doute pertinent pour des logements performants d'un point de vue thermique, mais, compte tenu des perspectives d'évolution à la hausse du coût de l'électricité, des enjeux sociaux et de l'efficacité relativement modeste de l'électricité en termes de service rendu et de confort dans les logements mal isolés, il nous semble important que les pouvoirs publics agissent prioritairement sur ce point.
Le deuxième sujet principal est l'éclairage. Nous avons progressé grâce à l'interdiction des ampoules à incandescence, mais d'autres questions ont été laissées de côté. Depuis les tables rondes sur l'efficacité énergétique, on commence à aborder certaines d'entre elles ; je pense notamment à l'interdiction des enseignes lumineuses, même si ce n'est qu'une petite mesure.
Toutefois, il nous paraît important d'engager une réflexion plus globale sur l'éclairage, et notamment sur la question des halogènes. En effet, pour un service rendu d'éclairage quasi identique, la consommation peut être multipliée par dix par rapport à une ampoule à incandescence. Or, malheureusement, l'éclairage halogène est en constant développement, puisque, même si on en a fini avec l'halogène à 100 ou 200 watts, on installe partout, chez les ménages mais aussi parfois dans les commerces, de petites rampes de cinq ou six halogènes à 10 watts, qui utilisent dix fois plus d'électricité que les ampoules basse consommation, pour un service rendu à peu près équivalent. Il y a donc vraiment des actions à mener dans ce domaine.
J'en viens aux mesures structurelles. Nous avons besoin de travailler fortement sur les compteurs intelligents. Il nous paraît important, en termes de pédagogie et d'information du public, de rendre visibles les consommations d'électricité. Peut-être cela vous fera-t-il sourire, car cela peut sembler anecdotique, mais le fait de donner un peu de visibilité aux compteurs dans la maison, en mettant un voyant rouge ou vert, par exemple, d'utiliser des éléments de communication et de pédagogie vis-à-vis des consommateurs d'électricité, est fondamental à nos yeux.
Il nous paraît également important de renforcer les normes, notamment pour l'ensemble des appareils électroménagers, hi-fi et autres. On a parlé d'un système de bonus-malus pour les téléviseurs et les ordinateurs. Là aussi, on peut avoir l'impression que c'est anecdotique, mais nos analyses de la consommation électrique des Français montrent que c'est l'accumulation de ces nouveaux usages de l'électricité qui contribue à l'augmentation de la consommation.
Je prendrai un exemple : la consommation annuelle d'une « box » donnant accès au wifi et à la télévision - presque chacun d'entre nous en possède une aujourd'hui - représente la moitié de celle d'un réfrigérateur. Par conséquent, la multiplication de ces petits appareils - on pourrait aussi mentionner les recharges de téléphone - soulève un certain nombre d'interrogations. Or, pour l'instant, ni l'État ni l'Union européenne ne se sont vraiment intéressés aux moyens de réglementer ce secteur afin d'harmoniser les consommations.
Il en va de même du parc de téléviseurs : pour un même service rendu - regarder un match de football -, certains modèles neufs consomment dix fois plus que d'autres dont le prix est équivalent. Il y a donc, je le répète, un besoin de contrôle, voire de normes dans ce domaine.
Je vais m'arrêter là, sauf si vous me laissez l'opportunité de développer une proposition d'évolution des tarifs de l'électricité présentée par la fondation Nicolas Hulot. Cette proposition me semble particulièrement pertinente compte tenu de l'objet de votre commission d'enquête. Dois-je la développer maintenant ou vous la laisser par écrit ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Peut-être pouvez-vous simplement la commenter, car votre note est dans le dossier que vous nous avez remis.
M. Benoît Faraco . - Comme je vous le disais en introduction, deux paramètres sont importants à nos yeux : premièrement, le système des tarifs réglementés ne permet pas de refléter la prise en compte des externalités environnementales - notamment les émissions de CO 2 - dans le prix de l'électricité ; deuxièmement, nous avons perdu la dimension incitative du tarif de l'électricité. ( M. Benoît Faraco fait circuler plusieurs photocopies d'un document .) Sans pilotage du prix par la puissance publique, il sera délicat d'obtenir des réductions de la consommation.
Notre proposition repose sur un double système : d'une part, un forfait de kilowattheures à un tarif proche du tarif actuel pour les consommations correspondant à des besoins essentiels, de base - la production de chauffage et d'eau chaude ainsi qu'un petit complément pour l'éclairage et la cuisson -, et, d'autre part, un tarif multiplié par deux pour l'ensemble des consommations dites de confort, afin d'inciter à la réduction des consommations.
Nous proposons également de coupler ce système à un mécanisme social permettant aux ménages en situation de précarité énergétique de bénéficier gratuitement des 3 000 à 5 000 premiers kilowattheures, ce qui serait bien plus efficace que les mécanismes actuels de tarifs sociaux de l'électricité, qui ne sont pas calibrés pour répondre aux besoins de ces personnes.
Nous préconisons aussi un mécanisme proche de l'option « effacement des jours de pointe » qu'avait proposée EDF à une époque, et qui permettait aux ménages de limiter eux-mêmes leur consommation d'électricité aux périodes où il y avait le plus de tension sur le réseau. Concrètement, nous proposons la création d'un tarif d'ultra-pointe, qui fixerait à un niveau très élevé le prix du kilowattheure aux moments où toutes les consommations sont maximisées, notamment lors de la pointe de dix-neuf heures en hiver, pour inciter fortement les consommateurs à modérer leurs usages de l'électricité.
Des améliorations technologiques contribueront également à cette réduction de la consommation. Par exemple, les compteurs intelligents et les dispositifs d'effacement vous permettront un jour d'éteindre automatiquement votre réfrigérateur entre dix-neuf heures et dix-neuf heures trente, sans aucun impact sur la qualité des aliments. Il faut continuer à avancer dans cette voie, en complément des efforts qui peuvent être demandés aux ménages en matière tarifaire, et qui permettraient de rationaliser les comportements de consommation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je crois que notre rapporteur ne souhaite pas vous poser de questions complémentaires ; peut-être vous interrogera-t-il plus tard, à titre personnel. ( M. Jean Desessard acquiesce.)
Pour ma part, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des énergies renouvelables et notamment du prix de rachat de certaines d'entre elles. Vous vous êtes « mouillé », puisque vous avez déclaré qu'il ne fallait pas hésiter à mettre en place un tarif de rachat évolutif en fonction de l'origine des panneaux photovoltaïques.
C'est alors que Laurence Rossignol est intervenue, à juste titre.
Je vous signale que, bientôt, nos panneaux seront presque exclusivement d'origine chinoise. Il n'y avait pas de panneaux français, nous utilisions des panneaux allemands ; or la plus grosse société allemande de production de panneaux photovoltaïques a été mise en liquidation judiciaire il y a deux jours ; elle a licencié neuf cents personnes, soit le tiers de ses effectifs, et annoncé qu'elle ne pouvait pas tenir face à la concurrence chinoise. Par conséquent, notre principal fournisseur non chinois est menacé de disparition, sa situation juridique étant gravissime.
Je souhaiterais donc que vous approfondissiez votre idée d'un tarif évolutif sur ces panneaux. Comment cela fonctionnera-t-il ? Quel mécanisme proposez-vous ?
M. Benoît Faraco . - Il y a deux manières de faire : soit on fixe un seuil d'émissions de gaz à effet de serre...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Seuls, sans nos voisins européens ?
M. Benoît Faraco . - On pourrait fixer ce seuil au niveau communautaire.
Vous avez cependant raison de m'interroger sur la faisabilité de notre proposition. De fait, il s'agit de remettre en cause un certain nombre de règles, notamment les règles de libre-échange sur le marché européen, mais aussi, plus généralement, dans le cadre de l'OMC. Il existe donc un vrai doute quant à la faisabilité juridique de ce type de mécanisme.
Toutefois, cela ne nous empêche pas de proposer la mise en place d'un système un peu volontariste. Une des astuces que l'on pourrait utiliser consisterait à bonifier ou à dégrader le tarif pour les panneaux ne respectant pas certaines normes. Cela aurait un effet incitatif, certes amoindri mais qui pourrait tout de même constituer un système de soutien, pour des raisons environnementales, à des filières plus propres. Un tel système nous paraît intéressant.
Le second mécanisme consisterait en l'établissement d'un cahier des charges environnemental. L'Union européenne l'a déjà fait pour les véhicules, avec les normes Euro 4 et Euro 5 ; cela n'a posé aucun problème aux compétiteurs chinois, qui se sont rapidement alignés sur ces normes sans provoquer de conflit commercial. Nous disposons donc de certaines marges de manoeuvre.
Plus généralement, ces sujets nous renvoient au débat sur la taxe d'ajustement aux frontières ou le mécanisme d'inclusion carbone, c'est-à-dire à la question de la compétitivité de l'industrie européenne. On sait que l'on ne résoudra pas tous les problèmes par des mesures françaises, voire européennes. C'est pourquoi nous plaidons également pour la mise en place, au niveau international, d'une organisation mondiale de l'environnement, qui pourrait contrebalancer fortement la dimension libre-échangiste de l'OMC quand elle ne prend pas en compte la dimension environnementale.
Il nous semble vraiment légitime, à condition qu'il ne s'agisse pas de protectionnisme pur et simple et que les motivations soient bien d'ordre environnemental, d'instaurer une véritable réglementation environnementale, d'abord au niveau communautaire puis au niveau international.
Il y a vingt-cinq ou trente ans, la France exerçait un vrai leadership technologique dans le domaine du solaire photovoltaïque. Nous avons perdu cet avantage par manque de visibilité et de stabilité. Je sais qu'il est facile de donner des leçons a posteriori , mais on voit bien que les pratiques actuelles de stop and go ralentissent certains investisseurs. On peut regretter l'effondrement des fournisseurs allemands et le développement des panneaux solaires chinois, mais il ne faut pas oublier que, derrière la question des coûts de production de ces panneaux, se pose celle du coût de la main-d'oeuvre en Chine et des conditions de travail des salariés chinois. Cette situation appelle des régulations plus globales, qui dépassent le seul sujet des panneaux solaires et des émissions de gaz à effet de serre.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous avez raison !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Hier, nous nous sommes demandé à qui a profité le crime d'enrichissement, si je puis dire.
Notre président vient d'évoquer la situation de Q-Cells. Je rappelle que, il y a un an et demi ou deux ans, la Chancelière Merkel s'était étonnée que les prix du photovoltaïque ne diminuent pas, alors que l'augmentation de la productivité entraînait une baisse du coût. Les industriels n'ont pas diminué les prix, alors que les évolutions technologiques le leur permettaient. Aujourd'hui, Q-Cells paie cash le fait de n'avoir pas pris les mesures qui auraient répondu aux voeux de Mme Merkel.
Monsieur Faraco, vous avez rappelé qu'une entreprise française avait été sauvée il y a quelque temps par un opérateur historique.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous pouvez dire qu'il s'agit de Photowatt, qui a été repris par EDF.
M. Jean-Pierre Vial . - Il y a quinze ans, cette entreprise était la troisième mondiale dans son secteur et maîtrisait une technologie. Je partage donc votre point de vue, monsieur Faraco : un accompagnement adapté nous permettrait de reconquérir cette maîtrise technologique, qui est actuellement à la portée des industriels français.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Benoît Faraco.
M. Benoît Faraco . - Je souhaite revenir sur la question des effets d'aubaine. De fait, le gros problème d'un certain nombre de mécanismes incitatifs, notamment de nature fiscale, est que l'on a du mal à optimiser l'utilisation de l'argent public, car l'État n'a pas forcément les moyens de s'assurer que les industriels ne profitent pas d'un effet d'aubaine.
À mon sens, cette difficulté appelle un pilotage extrêmement fin et régulier. Les Allemands ont réussi à baisser le tarif d'achat sans effet de stop and go ; c'est de ce côté que nous devons chercher des solutions. Il ne s'agit pas d'offrir une « aubaine verte » à certains acteurs. Le tarif d'achat - nous en sommes bien conscients - doit être envisagé de manière provisoire, temporaire et décroissante à mesure que la rentabilité s'améliore ; cette condition nous semble essentielle.
En parallèle, nous devons examiner attentivement les subventions et autres soutiens accordés à la production d'énergie conventionnelle.
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai beaucoup aimé la logique de votre démonstration. J'ai notamment apprécié la partie relative aux préoccupations sociales, avec votre proposition d'accompagnement des personnes les plus précaires : c'est une idée très originale.
Il était également important de dire, comme vous venez de le faire, que, qu'on le veuille ou non, la France a subventionné la production de panneaux chinois, c'est-à-dire une activité qui, sur le plan social, laisse quelque peu à désirer...
M. Benoît Faraco . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions de manière aussi complète et précise. Ne soyez pas surpris cependant si notre rapporteur les prolonge de questions complémentaires.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je vous interrogerai notamment sur les réseaux intelligents et les mécanismes de compensation, monsieur Faraco.
M. Benoît Faraco . - La commission d'enquête est-elle habilitée à recevoir des contributions écrites ? Peut-on verser des documents au dossier ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Tout à fait ! Nous sommes mêmes demandeurs.
Je vous remercie, monsieur Faraco.