N° 667
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 11 juillet 2012 Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2012 Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 12 juillet 2012 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques (1),
Président
M. Ladislas PONIATOWSKI,
Rapporteur
M. Jean DESESSARD,
Sénateurs.
Tome 1 : Rapport.
(1) Cette commission d'enquête est composée de : M. Ladislas Poniatowski , président ; M. Jean Desessard, rapporteur ; M. Alain Fauconnier, Jean-Claude Merceron, Jean-Claude Requier, Mmes Laurence Rossignol, Mireille Schurch, M. Jean-Pierre Vial, vice-présidents ; MM. René Beaumont, Jacques Berthou, Ronan Dantec, François Grosdidier, Benoît Huré, Philippe Kaltenbach, Ronan Kerdraon, Jean-Claude Lenoir, Claude Léonard, Hervé Marseille, Jean-Jacques Mirassou, Jean-Marc Pastor, Xavier Pintat, Mme Esther Sittler. |
INTRODUCTION
Créée le 8 février dernier à l'initiative du groupe écologiste, la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques s'est réunie pour la première fois le 27 février pour désigner son bureau, constitué sur des bases pluralistes conformément à l'article 6 bis du Règlement du Sénat 1 ( * ) , qui prévoit le partage entre majorité et opposition des fonctions de président et de rapporteur 2 ( * ) .
En raison de son mode même de constitution, il a été admis comme une évidence par tous les membres de la commission qu'il convenait d'adopter une démarche favorisant l'apparition d'un consensus aussi large que possible sur le constat, même si, au niveau des objectifs, et plus encore des propositions, des divergences, parfois profondes, pourraient se faire jour.
C'est dans cet esprit d'ouverture que le rapporteur de votre commission d'enquête a travaillé, sans aller, dès lors qu'il s'agit d'un document rédigé ès qualités, au bout de convictions personnelles que reflète plus naturellement l'opinion émise en annexe au présent rapport au nom du groupe écologiste. De son côté, le président a avant tout veillé au bon déroulement des débats et à la possibilité pour chaque sensibilité de s'exprimer et d'être entendue.
À l'origine de la création de votre commission d'enquête, il y a, ainsi que l'indique l'exposé des motifs de la proposition de résolution n° 330 (2011/2012) présentée par M. Jean-Vincent Placé et ses collègues membres du groupe écologiste, le rapport de la Cour des comptes en date du 31 janvier 2012 intitulé Les coûts de la filière électronucléaire , qui, selon l'exposé des motif de ladite proposition de résolution, « présente un travail inédit et particulièrement éclairant sur un certain nombre des coûts autrefois cachés de cette filière même si, comme le note la Cour elle-même, demeurent de nombreuses incertitudes, par exemple sur le démantèlement des centrales, le traitement des déchets ou l'assurance en cas d'accident . »
Soucieuse d'accomplir la mission qui lui était confiée, votre commission s'est donné comme tout premier objectif de s'approprier, au niveau politique, le travail de la Cour des comptes . Elle s'est efforcée, d'une part, d'assimiler des éléments d'analyse, souvent complexes tant sur le plan technique que financier, et, d'autre part, d'identifier les points devant faire l'objet d'un débat sur le plan politique, sans pour autant chercher à y apporter des réponses définitives, ce qui, sur de nombreux sujets fondamentaux, aurait excédé son mandat.
Votre rapporteur n'ignore pas que les travaux de votre commission d'enquête s'inscrivent dans un continuum d'initiatives parlementaires sur les questions énergétiques . Le débat a déjà été amorcé à la fois au sein des instances de veille et de dialogue permanent que constituent, pour l'assimilation des aspects techniques du sujet, l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou le groupe d'études de l'énergie, mais aussi, tout récemment, dans un cadre plus large, avec l'adoption par le Sénat, le 9 février 2012, d'une résolution relative à la filière industrielle nucléaire française N° 67 (2011/2012).
Certes le contexte international - avec notamment l'arrêt des centrales nucléaires japonaises suite à l'accident de Fukushima et la fin programmée de la production nucléaire en Allemagne - et les équilibres politiques ont évolué depuis lors, mais la recherche sinon d'un consensus, a priori hors d'atteinte, du moins d'un dialogue ouvert et de bonne foi sur les grandes options énergétiques , reste plus que jamais nécessaire.
Telle a été l'ambition première de votre commission qui rassemblait en son sein des sénateurs dont la plupart avaient une expertise réelle de la matière. Mais, au fur et à mesure du déroulement de l'enquête, il est apparu que, même les membres de votre commission ayant le plus d'expérience n'ont cessé d'apprendre, tant l'objet de la mission, apparemment simple - le coût réel de l'électricité que payent les Français -, comporte de ramifications.
La nécessité d'une approche « système » au-delà de la feuille de route initiale
En effet, si la filière nucléaire est bien au coeur du sujet en raison de sa part prépondérante de près de 78 % dans la production nationale d'électricité, elle n'en épuise pas toute la substance, loin de là. D'abord, parce qu'il faut s'intéresser à toutes les autres filières en dépit d'un poids encore limité, mais aussi parce que la prise en compte de la montée en puissance des énergies renouvelables justifie que l'on aille au-delà de l'objet initial de la mission pour adopter une approche du système énergétique dans son ensemble.
Certes, votre commission d'enquête s'est attachée en priorité, conformément à la mission qui lui avait été confiée, d'analyser le rapport de la Cour des comptes. C'est ainsi qu'elle a, en premier lieu, accepté, après avoir entendu les magistrats responsables du rapport et pris connaissance des avis de nombreuses personnalités, de reprendre , pour la filière électronucléaire, les chiffres établis par la Cour des comptes . Votre commission s'est néanmoins attachée à cerner les incertitudes définies par la haute juridiction financière, qu'il s'agisse du coût des démantèlements, de la gestion des déchets, de l'assurance en cas d'accident grave, de la méthode économique de calcul des investissements, de la fiabilité des taux d'actualisation pour les provisions ou de la prise en compte des coûts de recherche publics et privés.
Parce que le transport et la distribution d'énergie représentent pour le consommateur une charge du même ordre que celle de la production, elle a aussi examiné une liste des points plus spécifiques mentionnés dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution précitée au niveau de « ... la répartition du coût réel de l'électricité. Entre autres investigations, cette commission pourra s'intéresser aux bilans d'EDF et d'ERDF, aux différents crédits d'impôt et niches fiscales relatifs à l'électricité, au tarif de rachat des productions décentralisées (notamment à partir d'énergies renouvelables), à la concurrence entre opérateurs publics et privés, aux coûts externalisés (comme la recherche), aux coûts d'acheminement de l'électricité, aux clauses des concessions des collectivités territoriales à ERDF, etc. »
Toutefois votre commission n'a pas souhaité se limiter à ces aspects très techniques de cette « feuille de route » initiale, car elle s'est vite rendue compte qu'au travers du « coût réel de l'électricité », c'était toute la politique énergétique qui était en jeu, et même plus encore, dès lors qu'à certains égards, nos modes de consommation d'électricité conditionnent largement notre mode de vie.
Dès lors que l'objectif d'équilibrage de l'offre et de la demande d'électricité ne passe pas nécessairement par une augmentation de la production mais peut, de façon tout aussi légitime, être atteint par un ajustement à la baisse de la consommation, la problématique de la présente commission d'enquête change de dimension. Autrement dit, à partir du moment où le coût de l'électricité pertinent n'est plus uniquement un coût de production mais également un coût de non-consommation, il y a là un facteur de complexité car la comptabilisation des coûts évités n'est pas facile à réaliser de façon parfaitement objective.
Indépendamment de cette difficulté d'ordre conceptuel - dont on verra très concrètement les conséquences quand il s'agira d'assurer la rémunération des agents économiques qui interviennent pour diminuer les consommations -, votre rapporteur s'est aussi heurté à d'autres obstacles pratiques dans l'accomplissement de sa mission. En effet, il est vite apparu qu'il était difficile à votre commission de chercher à reproduire mutatis mutandis la démarche de calcul de coûts adoptée par la Cour des comptes pour toutes les filières de production d'électricité .
En effet, s'agissant d'une filière intégrée comme celle de l'électricité d'origine nucléaire, le petit nombre d'acteurs et leur caractère étatique facilitent l'établissement d'un coût complet. Certes, on rencontre des difficultés théoriques, notamment pour l'évaluation de coûts futurs aujourd'hui mal déterminés ou intervenant sur des durées tellement longues que la prise en compte du temps devient source d'arbitraire mais il est relativement simple de se procurer les données de base.
En revanche, en ce qui concerne les filières des énergies renouvelables, la multiplicité des acteurs, leur statut de sociétés commerciales , d'une part, le degré de maturité différent des technologies tout comme les inconnues relatives à leurs perspectives d'évolution , d'autre part, rendent les données plus difficiles à établir matériellement - les chiffres relèvent du secret des affaires - et même conceptuellement : ce n'est qu'après coup qu'on saura établir des coûts complets sur la base d'une durée d'exploitation assez longue des équipements et prenant en compte des dépenses comme celles de recherche qu'on ne peut pas encore rapporter à une production électrique suffisamment importante pour être significative. Au surplus, il faut tenir compte des interactions avec les coûts de réseaux, étant donné le caractère intermittent - ou d'aucuns diraient simplement variable - des flux d'électricité renouvelable.
Cette approche « système », tendant à ne plus séparer nécessairement production et consommation d'électricité, a amené votre commission d'enquête à se référer, dans la perspective politique qui était la sienne, à ce que l'on a appelé la « troisième révolution industrielle » à la suite de l'économiste américain Jeremy Rifkin : « L'invention de la technologie informatique des réseaux de seconde génération a changé l'équation économique, en faisant basculer le rapport de forces des anciennes énergies centralisées - combustible fossile et uranium - aux nouvelles énergies renouvelables distribuées. » La technologie d'Internet tendrait ainsi à transformer le réseau électrique en réseau info-énergétique interactif permettant à des millions de personnes de produire leurs propres énergies renouvelables. Pour cet auteur, ce processus rappelle celui par lequel « les gros ordinateurs centraux ont cédé la place des petites machines dispersées géographiquement, les ordinateurs de bureau et portable, ...reliés entre eux au sein de réseaux pleinement intégrés et flexibles à l'extrême .. ». C'est ce qu'il appelle l'ère nouvelle de « l'énergie distribuée » dans laquelle l'énergie ne circule pas à sens unique. Pour lui, on assiste à une floraison d'initiatives - que l'on qualifierait volontiers de période des « cent fleurs énergétiques » -, dans lesquelles des acteurs les plus divers au niveau local , régions, PME, coopératives et même particuliers, sont de plus ouverts à l'idée de produire leur propre électricité renouvelable sur des micro-réseaux .
Si l'on prend cette évolution comme une tendance lourde de nature sociologique, ainsi que votre rapporteur est tenté de le faire, il y a là comme une donnée de départ à laquelle il convient de s'adapter . Les choix de société devraient même, selon votre rapporteur, constituer une composante de base du coût de l'électricité, d'autant que ses investigations tendent à montrer que le coût d'aujourd'hui devrait intégrer les investissements nécessaires pour faire face aux besoins de demain : le « coût réel », pour avoir un sens opérationnel, pourrait inclure le « coût virtuel », c'est-à-dire prendre en compte ce que coûterait la production d'électricité avec les technologies actuelles, qu'elles correspondent à des filières nucléaires ou fondées sur les énergies renouvelables, y compris les dépenses de transport et de distribution.
Investir pour gérer le « papy boom » de nos centrales nucléaires et l'adaptation des réseaux
D'où la place donnée par votre commission d'enquête aux dépenses d'investissement - quelle qu'en soit la nature - dont l'augmentation massive, par suite du vieillissement de notre parc de centrales nucléaires et des besoins d'adaptation du réseau avec la montée en charge des énergies renouvelables, va peser sur les coûts.
C'est bien ce qui justifie une augmentation des prix unitaires que les gouvernements ont eu jusqu'ici naturellement tendance à différer pour ne pas affecter la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages . Sur ce dernier aspect, votre commission a été amenée à inclure dans le périmètre du sujet au titre de l'imputation des coûts de l'électricité aux différents agents économiques, la précarité énergétique et la question de la réforme des tarifs sociaux, sachant que ce qu'il importe de maitriser, c'est la dépense plus que le prix lui-même.
Un impératif à court terme est de « mettre sur la table » la question de la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires. La matière est certes technique mais aussi politique, dès lors qu'il faut prendre en compte le risque nucléaire. Elle doit donc être appréhendée par le Parlement sur la base d'investigations beaucoup plus approfondies que celles auxquelles a pu procéder votre commission dans le bref laps de temps qui lui était imparti. C'est ce à quoi nous invite, à juste titre dans son allocution de présentation du rapport précité de la Cour des comptes, son Premier président M. Didier Migaud : « Dans ce domaine de la production d'énergie électrique, où le cycle d'investissement est long, particulièrement pour le nucléaire, ne pas décider revient à prendre une décision qui engage l'avenir. Il apparaît souhaitable que les choix d'investissements futurs ne soient pas effectués de façon implicite mais qu'une stratégie énergétique soit formulée et adoptée de manière explicite, publique et transparente . »
Ouvrir un débat au fond sur la durée d'exploitation des centrales nucléaires dans le cadre de la présente commission d'enquête aurait sans doute fait apparaître des clivages prématurés en une matière sur laquelle on est loin de disposer de toutes les informations techniques souhaitables. Tout au plus, votre commission a-t-elle eu tendance à considérer que, eu égard à la confiance que l'on pouvait accorder à l'Autorité de sûreté nucléaire, cette prolongation, certes contestable pour certains, avait pour avantage de laisser le temps du débat à un moment où des technologies majeures étaient encore en gestation et où il était difficile de savoir sur lesquelles il fallait miser.
Quant à l'augmentation des coûts « réseaux » , que ce soit au niveau du transport ou de la distribution, pour tenir compte des besoins de maintenance, des déséquilibres régionaux parfois préoccupants et des nouveaux moyens de production notamment renouvelables, elle est inévitable en France comme dans les autres pays européens . C'est à ce niveau que l'on voit que la détermination du montant et de la nature des investissements - et donc les coûts - ne dépend pas seulement de considérations techniques, mais d'options politiques sur la place que l'on souhaite donner aux énergies renouvelables et la vitesse avec laquelle on souhaite évoluer vers des réseaux plus décentralisés.
Votre rapporteur a été naturellement séduit par la perspective de réseaux dits « intelligents » . Les idées de réseaux partagés, de flux bidirectionnels et de « consom'acteurs » lui paraissent aller dans le sens de l'Histoire en offrant aux agents les moyens de gérer leur consommation énergétique . Des débats ont eu lieu à ce sujet au sein de la commission mais plus sur les modalités et, éventuellement, le calendrier que sur les finalités elles-mêmes, qui semblent nous orienter vers des réseaux électriques effectivement décentralisés dans lesquels l'énergie ne circulera plus seulement « top down » mais éventuellement « bottom up ».
Le coût réel des filières actuelles : une enquête délicate à mener
En ce qui concerne la compétitivité relative des différentes filières de production qui est avec la sécurité un critère de choix de l'investissement, la conviction de votre rapporteur, partagée par de nombreux membres de la commission, est d'abord que l'on assiste à une certaine convergence du coût de production des différentes filières du fait d'un double mouvement : d'une part, l'augmentation du coût de l'électricité nucléaire, même si l'on peut débattre de l'ampleur de la baisse à espérer entre les têtes de séries - aux coûts manifestement non maîtrisés qu'il s'agisse de l'EPR finlandais ou de celui de Flamanville - et celui des centrales suivantes, d'autre part, la diminution plus ou moins rapide de celui des énergies renouvelables.
Sur cette question des coûts relatifs des filières, votre commission s'est efforcée de se faire une opinion en utilisant les moyens traditionnellement à la disposition des commissions d'enquête et des missions d'information
Elle a d'abord adopté une démarche systématique d'écoute des principaux acteurs du secteur , qui l'a conduite à organiser de nombreuses auditions tant en formation plénière avec tout le cérémonial des commissions d'enquête (au nombre de 37, qui pour la plupart d'entre elles ont fait l'objet d'un enregistrement vidéo) 3 ( * ) que dans un cadre informel à l'initiative du rapporteur - mais ouvertes à tous les membres de la commission -, sans compter les contacts directs à l'occasion des déplacement sur place.
Un certain nombre de visites de terrain , toutes faites en France métropolitaine sauf un déplacement à Bruxelles, sont venues concrétiser, notamment en ce qui concerne les enjeux nucléaires à long terme que sont le démantèlement des centrales et l'enfouissement des déchets radioactifs, les sujets abordés en audition. Des délégations de votre commission se sont ainsi rendues à Brennilis dans le Finistère, à Chooz et à Revin dans les Ardennes, ainsi qu'au laboratoire souterrain de recherche sur le stockage des déchets nucléaires de longue durée à Bure, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne. En outre, à l'invitation ou sur la suggestion de membres de la commission, votre rapporteur s'est déplacé, d'une part, à Chambéry pour y visiter notamment l'Institut National de l'Énergie Solaire (INES), l'agrégateur d'effacement Energy Pool et le Centre d'Ingénierie Hydraulique (CIH) d'EDF et, d'autre part, à Montdidier dans la Somme où il a pu voir comment une commune dotée d'une entreprise locale de distribution était parvenue à produire et distribuer efficacement une électricité largement décarbonée. Enfin, le rapporteur s'est rendu à Paris et en région parisienne dans deux lieux stratégiques du point de vue de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité : au siège parisien d'EPEX Spot, où s'échange l'électricité physique livrable le lendemain sur les réseaux français, allemand/autrichien et suisse, et au Centre National d'Exploitation du Système (CNES) à Saint-Denis où votre rapporteur a pu voir fonctionner la salle de contrôle des flux d'électricité sur le réseau RTE en France. À cet égard, votre rapporteur tient à remercier tous les professionnels et les élus qui l'ont accueilli.
Votre commission s'est aussi efforcée d'éclairer le Parlement en faisant la synthèse des éléments de « benchmarking » international disponibles en mobilisant le réseau des missions économiques dont la rapidité de réaction et la qualité des contributions doivent être saluées.
Enfin, sur certains sujets sensibles comme le coût du soutien aux énergies renouvelables et le dérapage du coût de l'EPR qui conditionne les choix d'investissement et donc les coûts à financer dès aujourd'hui, votre rapporteur a fait usage des prérogatives qui sont les siennes en tant que rapporteur d'une commission d'enquête .
C'est ainsi qu'en premier lieu, votre commission, soucieuse de fonder ses réflexions sur des informations aussi précises que possible, a demandé à la Cour des comptes , en application de l'article L. 132-4 du code des juridictions financières 4 ( * ) , d'actualiser les analyses et d'effectuer le suivi des recommandations qu'elle avait faites à l'occasion de son rapport annuel 2011 en ce qui concerne la contribution au service public de l'électricité (CSPE) . En dépit de la brièveté des délais qui lui étaient impartis, la deuxième chambre de la haute juridiction financière est parvenue à remettre sa « communication » suffisamment tôt pour que puisse être organisé un débat contradictoire avec les administrations concernées sur le modèle de ce qui se pratique pour les rapports que celle-ci rédige à la demande des commissions des finances sur le fondement du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances. La communication, qui figure à la suite du présent rapport, manifeste une fois de plus la disponibilité de la Cour des comptes et son attachement à la bonne information du Parlement.
En second lieu, considérant l'imprécision ou les divergences d'appréciations sur certains points financiers importants, votre rapporteur a exercé les pouvoirs d'investigation qu'il détient en application de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour effectuer des contrôles « sur pièces et sur place » et se « faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs » (article 6, II).
C'est ainsi que le lundi 11 juin dernier, votre rapporteur s'est rendu dans les locaux de la Direction générale de l'énergie et du climat à la Grande Arche de La Défense où il a pu prendre connaissance, avec l'accord de la ministre de tutelle 5 ( * ) d'alors, de notes et documents, d'une part, sur la façon dont avaient été gérées la fixation puis la révision des tarifs d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque au moment où les revirements en France mais aussi et, surtout, en Allemagne ont mis la filière en difficulté, et, d'autre part, sur l'évolution inquiétante des coûts des nouvelles centrales nucléaires.
Au vu de certaines informations de presse faisant état d'une augmentation des coûts de l'EPR britannique, il était difficile de ne pas se poser des questions en ce qui concerne le dérapage des coûts de la technologie EPR en général et votre commission ne pouvait se contenter de simples déclarations affirmant que tout était sous contrôle.
En demandant à avoir accès à des sources internes à l'Administration, votre rapporteur n'a pas cherché à déterminer les causes techniques de l'augmentation continue des coûts, mais simplement à apprécier la façon dont la Direction générale de l'énergie et du climat suit une affaire stratégique . De ce point de vue, votre rapporteur a été plutôt rassuré sur la vigilance des services tout en constatant que les grands opérateurs EDF et AREVA ont pour le moins des progrès à accomplir en matière de transparence : selon les documents internes qu'il a pu consulter, il apparaît que l'État, qui détient à la fois les droits de la tutelle et ceux de l'actionnaire, se pose, par la voix de ses représentants, beaucoup plus de questions qu'il n'obtient , semble-t-il, de réponses . Plus généralement, votre rapporteur a volontairement limité ses investigations à l'action de l'Administration et pour l'essentiel aux seules notes de service rédigées par elle. Il a considéré que l'objet même de sa mission était trop général pour lui permettre de pousser ses investigations plus loin en allant consulter les documents émanant d'EDF ou d'AREVA, voire de leurs contractants. Au surplus, s'agissant de sociétés cotées, votre rapporteur est resté très soucieux de l'impact que pourrait avoir sur la marche de ces entreprises, la publication d'informations intempestives avec des conséquences néfastes pour les négociations commerciales ou sur les cours de bourse et donc pour les actionnaires parmi lesquels figure au premier chef l'État.
Relancer l'objectif des 3x20 du paquet énergie-climat
Compte tenu de l'ampleur et de la diversité du sujet, votre commission n'est pas parvenue à approfondir autant qu'elle l'aurait souhaité certains points de son enquête et a dû limiter son ambition à aller aussi loin que possible dans l'établissement d'un constat partagé sur le marché de l'électricité et son évolution .
Sur la base de ces éléments de contexte dont il est clair qu'ils ont un caractère européen, elle a voulu à la fois identifier les inconnues -et elles sont nombreuses - qui affectent les coûts des différentes filières ainsi que le montant et la nature des investissements sur les réseaux, et les questions de principe auxquelles des réponses différentes et mêmes parfois opposées peuvent être apportées.
Ce faisant, votre rapporteur estime qu'il prépare le terrain pour le grand débat national auquel doit donner lieu la stratégie énergétique de la France. Celle-ci ne peut que s'inscrire dans les perspectives tracées par le paquet énergie-climat de l'Union européenne adopté le 23 janvier 2008 par la Commission, dont les deux axes prioritaires sont, d'une part, mettre en place une politique européenne commune de l'énergie plus soutenable et durable, d'autre part, lutter contre le changement climatique. Ces orientations ont été déclinées en objectifs opérationnels souvent résumés dans la formule des « trois fois 20 » :
- faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 % ;
- réduire les émissions de CO 2 des pays de l'Union de 20 % ;
- accroître l'efficacité énergétique de 20 % par rapport aux projections de consommation pour 2020.
C'est cette perspective très générale qui justifie que votre rapporteur ait cherché à poser le problème de l'énergie électrique dans toutes ses dimensions. Sans doute une enquête sur le coût « réel » de l'électricité peut-elle conduire à évoquer le mix énergétique national ; mais il paraît difficile d'aller au-delà du rappel de cet objectif de 20 % d'énergies renouvelables à horizon 2020 dans le cadre du présent rapport qui, parce qu'il a d'abord pour objet de rassembler des éléments de fait, a plus vocation à poser des questions qu'à apporter des réponses.
Votre rapporteur, en revanche, a considéré que la réduction des émissions de CO 2 et donc leur prise en compte dans les coûts , de même que l'importance des questions d'efficacité énergétique faisaient partie intégrante du champ de l'enquête , dès lors que les dépenses effectuées à ces deux titres - à ce jour mal financées - impactent le coût ou la consommation d'énergie.
Enfin, les questions de financement sont un volet important du sujet . Celui-ci, comme cela résulte du titre même de votre commission d'enquête, n'incluait pas seulement le coût « réel » de l'électricité mais également la question de son imputation aux différents agents économiques, ce qui invitait à se demander qui en supporte - ou qui devrait en supporter - la charge. Implicitement, cela revenait à passer d'une problématique de coût à une problématique de prix de l'électricité.
*
* *
En termes simples et pour respecter le « cahier des charges » qui lui était fixé, votre commission d'enquête a développé ses analyses en répondant à deux séries de questions : d'abord, combien cela a-t-il coûté de produire de l'électricité jusqu'à aujourd'hui et combien cela pourrait-il coûter demain ? Ensuite, qui supporte effectivement la charge et qui devrait supporter la charge de ce coût ?
Cette démarche a conduit votre commission à affirmer deux convictions :
- l'ère de l'énergie électrique à relativement bon marché est révolue, par suite de besoins d'investissement massifs, tant pour le renouvellement de notre parc de production que pour l'adaptation du réseau ;
- le financement de la transition vers un nouveau modèle décentralisé privilégiant sécurité et efficacité énergétique - quelles qu'en soient les modalités - devrait passer par une politique de vérité des coûts et donc des prix qu'il n'est plus possible de différer et pour laquelle il convient de définir les mesures d'accompagnement qui en sont la condition de l'acceptabilité sociale.
* 1 L'article 6 bis du Règlement du Sénat, tel qu'il résulte de la résolution du 2 juin 2009, attribue à chaque groupe politique un droit de tirage pour la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, par année parlementaire. Ce nouveau droit, qui reprend une proposition du « Comité Balladur », a été mis en place au Sénat dans le cadre des « droits spécifiques aux groupes d'opposition [...] ainsi qu'aux groupes minoritaires » que doit désormais reconnaître le règlement de chaque assemblée, sur le fondement de l'article 51-1 de la Constitution, issu de la révision du 23 juillet 2008. En effet, bien que ce nouveau droit ne s'adresse pas spécifiquement aux groupes d'opposition ou minoritaire, ceux-ci en sont les principaux bénéficiaires. La Conférence des Présidents se limite à prendre acte de la demande, sous réserve, dans le cas d'une demande de création de commission d'enquête, du contrôle de recevabilité minimal exercé par la commission des Lois, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En ce qui concerne la composition du bureau d'un organe de contrôle créé sur ce fondement, l'article 6 bis du Règlement prévoit que « les fonctions de président et de rapporteur [...] sont partagées entre la majorité et l'opposition ».
Il a été fait la première application de ce droit de tirage, en octobre 2009, avec la création de la mission commune d'information sur le traitement des déchets, à la demande du groupe de l'Union centriste. Depuis lors, 7 autres missions communes d'information et 3 commissions d'enquête ont été créées sur ce fondement.
* 2 Celui-ci est ainsi composé :
- Président : M. Ladislas Poniatowski (UMP-R - Eure)
- Rapporteur : M. Jean Desessard (ECOLO - Paris)
- Vice-présidents : M. Alain Fauconnier (SOC - Aveyron)
M. Claude Léonard (UMP-A - Meuse) puis M. Jean-Pierre Vial (UMP-Savoie)
M. Jean-Claude Merceron (UCR - Vendée)
M. Jean-Claude Requier (RDSE - Lot)
Mme Laurence Rossignol (SOC - Oise)
Mme Mireille Schurch (CRC - Allier).
* 3 Dont les transcriptions figurent en annexe au tome II du présent rapport.
* 4 Celui-ci dispose que « La Cour des comptes procède aux enquêtes qui lui sont demandées par les commissions des finances et par les commissions d'enquête du Parlement sur la gestion des services ou organismes soumis à son contrôle ou à celui des chambres régionales ou territoriales des comptes . »
* 5 Cf. le communiqué de presse du Cabinet de la Ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie en date du 7 juin 2012 : « Nicole BRICQ, ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie a répondu à la demande de la commission d'enquête du Sénat sur le coût de l'électricité, de consulter l'ensemble des notes du Ministère relatives au coût du nouveau réacteur nucléaire EPR.