B. LA PROPOSITION DE LA COUR DE LIER LA PRISE EN CHARGE DES COTISATIONS À L'IMPLANTATION TERRITORIALE DES MÉDECINS : UNE RÉPONSE SANS DOUTE TROP PARTIELLE À LA PROBLÉMATIQUE DES DÉSERTS MÉDICAUX

Alors que la contribution financière de l'assurance maladie atteint des montants importants sans pour autant pouvoir être véritablement « pilotée » par la puissance publique, la Cour reprend une proposition qu'elle a déjà formulée dans son rapport 2011 sur les lois de financement de la sécurité sociale : reconsidérer les modalités de prise en charge des cotisations sociales de l'ensemble des médecins , généralistes comme spécialistes, installés ou sortant de formation, en les modulant en fonction de leur implantation territoriale .

Cette proposition a le mérite de poser la question essentielle de l' inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire . Elle n'y apporte cependant qu' une réponse partielle, qui pourrait même se révéler contreproductive en termes d'accès aux soins si elle conduisait à rendre le secteur 1 moins attractif dans des zones où il est déjà sous-représenté.

En effet, une telle mesure prise isolément n'aurait d'effet que sur les médecins de secteur 1, sans affecter ceux qui ne pratiquent pas les tarifs opposables.

En outre, à enveloppe constante, une modulation impliquerait de diminuer la prise en charge pour les praticiens de secteur 1 en zone dense ou surdense, là où apparaît souvent un déficit de praticiens pratiquant les tarifs opposables. D'ailleurs, les mesures prises, lors des récentes négociations conventionnelles avec les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes et les orthophonistes, au bénéfice des professionnels de santé exerçant dans les zones très sous-dotées et sous-dotées, ont pris la forme d'une participation supplémentaire de l'assurance maladie à compter de 2012, au titre des cotisations d'allocations familiales. Cet effort financier est venu compléter la prise en charge existante, sans remise en cause de celle-ci pour les professionnels installés dans les zones denses ou surdenses.

L'inégale répartition des médecins sur le territoire constitue un sujet plus global. Elle concerne l'ensemble des spécialités mais de manière variée 5 ( * ) :

- au niveau régional, la Picardie connaît la densité de médecins la plus faible (239 pour 100 000 habitants) et Provence-Alpes-Côte d'Azur la plus élevée (370). An niveau départemental, la densitéì varie de 101,2 médecins généralistes pour 100 000 habitants dans l'Eure aÌ 226,9 aÌ Paris. Pour les médecins spécialistes, elle est de 501,3 médecins spécialistes pour 100 000 habitants à Paris et de 64,3 en Haute-Loire ;

- les disparités infrarégionales et infradépartementales peuvent être très importantes et le niveau du bassin de vie est plus pertinent pour appréhender la question de l'accès aux soins. De ce point de vue, il y a 4 médecins généralistes libéraux pour 5 000 habitants en moyenne, mais 0,48 dans le bassin de vie le moins doté et 29,9 dans celui le mieux fourni, soit des écarts allant de 1 à 62 . L'écart varie de 1 à 346 pour les spécialistes libéraux. Un bassin de vie sur deux présente la particularitéì de ne pas accueillir de médecin spécialiste sur son territoire ;

- l'attractivité des centres urbains et des centres hospitaliers universitaires influe directement sur la densité médicale : il y a 2,1 pédiatres pour 100 000 habitants dans l'Indre mais 16,3 dans le département voisin d'Indre-et-Loire, 2,6 en Mayenne et 8,9 en Maine-et-Loire ; pour les ophtalmologistes, l'écart va de 3,1 en Haute-Marne à 13,2 dans les Alpes-Maritimes et 25,4 à Paris.

Face à cette situation, une politique combinant plusieurs approches est nécessaire, autour de trois orientations principales.

- Accompagner l'évolution des modes d'exercice pour favoriser l'installation dans les zones vers lesquelles les praticiens vont moins volontiers

Le nombre total de médecins a fortement crû en France depuis quarante ans pour compter environ 216 000 actifs en 2011. Leur densité est passée de 306 pour 100 000 habitants en 1990 à 335 en 2009. Le pays se situe ainsi dans la moyenne des pays voisins comparables (3,3 pour 1 000 habitants contre 3,4 en Italie, 3,5 en Espagne ou 3,6 en Allemagne) mais au-dessus des Etats-Unis (2,4), du Royaume-Uni (2,7) ou de la Belgique (2,9) 6 ( * ) .

Pour autant, le débat - lancinant en France - sur le « juste » niveau du numerus clausus doit être dépassé car il serait plus utile non pas de prendre en compte le nombre de médecins mais le nombre d'heures de travail médical effectif . En effet, les choses ont beaucoup changé en ce qui concerne les modes d'exercice : la durée de travail a, légitimement, tendance à diminuer à partir d'un niveau élevé ; le temps partiel se développe ; les charges administratives sont plus lourdes... Tout ceci contribue au souhait largement partagé d'exercice en groupe .

Comme l'ensemble de la population, les médecins, notamment les jeunes qui décident de s'installer en libéral, choisissent le lieu d'exercice selon un certain nombre de critères personnels (proximité de la famille, conditions de vie, accès aux services publics comme les écoles...) et professionnels (patientèle potentielle, présence de collègues, par exemple pour diminuer le nombre de gardes et astreintes...). Par ailleurs, l'exercice individuel est moins prisé par les femmes, alors qu'elles représentent, depuis 2007, les deux tiers des internes de médecine générale.

Les politiques publiques doivent prendre en compte ces évolutions de manière plus volontaire et proposer un cadre cohérent aux médecins pour qu'ils s'installent dans des zones déficitaires .

Elles pourraient éventuellement inclure, à l'instar de ce qu'ont accepté les infirmières, les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes dans leurs accords avec l'Uncam, un conventionnement sélectif, c'est-à-dire l'impossibilité de conventionner un praticien souhaitant s'installer dans certaines zones très denses ; cette mesure pourrait d'ailleurs revêtir plusieurs formes : installation autorisée uniquement pour remplacer le départ d'un professionnel, conventionnement uniquement en secteur 1 etc.

- Encourager une meilleure répartition des compétences entre professionnels de santé

Face à la diminution du temps médical effectif et à l'évolution de la société, la place des différents professionnels de santé doit être revue. Divers rapports et études ont prôné cette réforme depuis de nombreuses années mais, malgré quelques ouvertures législatives, le bilan reste décevant , notamment en raison des réticences des milieux professionnels concernés.

Pourtant, les infirmières et les autres auxiliaires médicaux doivent se voir accorder plus de compétences, dans un cadre sanitaire sécurisé. Des conférences de consensus entre sociétés savantes, professionnels et Haute Autorité de santé pourraient être organisées afin d'aboutir à des modifications consensuelles dans la prise en charge des patients ; parallèlement, la valorisation financière doit être adaptée.

Par exemple, de nombreux pays étrangers disposent d'une proportion plus élevée d'infirmières qu'en France : 8,2 pour 1 000 habitants contre 9,7 au Royaume-Uni, 10,8 aux Etats-Unis, 11 en Allemagne et 14,8 en Belgique.

- Lutter contre les dépassements d'honoraires

La question de l'accès aux soins inclut à la fois des aspects territoriaux et financiers, qui sont intrinsèquement liés. Une étude publiée dans les comptes nationaux de santé 2010 7 ( * ) montre clairement que plus la densité médicale est importante, plus la probabilité de s'installer en secteur 2 est forte et plus les médecins pratiquent des dépassements élevés .

Cette conclusion est corroborée par l'analyse du reste à charge par ménage 8 ( * ) : il est inférieur à la moyenne nationale en Haute-Loire, Mayenne, dans le Lot, la Creuse ou le Cher et supérieur dans les Hauts-de-Seine, le Rhône et les Bouches-du-Rhône, Paris restant atypique puisque le reste à charge y est encore supérieur de 40 % aux derniers départements cités...

Pour autant, la Cnam a actualisé ses travaux sur cette question et, selon les dernières données pour 2012, il existe « des anomalies dans des départements ruraux » : le faible nombre de spécialistes installés, qui le sont de plus en plus souvent en secteur 2, aboutit à un niveau parfois élevé du dépassement pratiqué.

Trop longtemps retardée, la réponse à la question des dépassements d'honoraires est donc complexe : au coût pour le patient correspond, là aussi, un revenu pour le praticien. En outre, la fixation d'un plafond uniforme et national ne pourra qu'attirer les tarifs pratiqués vers la limite haute. C'est pourquoi il est nécessaire de procéder à des négociations et de prendre en compte les différences entre les spécialités et entre les territoires.


* 5 Source : Conseil national de l'ordre des médecins.

* 6 Source : OCDE.

* 7 « Choix du secteur de conventionnement et déterminants des dépassements d'honoraires des médecins », Vanessa Bellamy et Anne-Laure Samson.

* 8 « Les clefs de l'accès aux soins, inégalités sociales et territoriales », Emmanuel Vigneron et Sandrine Haas, mars 2012, publié par la Fehap.

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