DEUXIÈME PARTIE - CRÉER LES CONDITIONS D'UNE VÉRITABLE SÉCURITÉ

Par les répercussions qu'il a pour les femmes qui en sont victimes, le traumatisme lié au scandale des prothèses PIP sera très long à s'estomper. Les séquelles - physiques et psychologiques - seront malheureusement difficiles à surmonter.

Au-delà de l'utilisation frauduleuse d'un gel interdit pour un usage humain, cette douloureuse affaire revêt un caractère exemplaire. Car aux Etats-Unis, ce n'est pas l'utilisation de ce gel qui a suscité la réaction négative des autorités sanitaires. C'est l'organisation même du processus de fabrication en vigueur dans l'entreprise qui fut à l'origine du refus d'homologation. Les constatations de l'inspection sur site des autorités sanitaires australiennes, en 2003, sont tout aussi accablantes. Les suites qui y furent données sont révélatrices des graves lacunes du système de régulation des dispositifs médicaux : tout repose sur la confiance mise dans l'évaluation accomplie par les organismes notifiés .

Aujourd'hui, il convient évidemment d'éviter la répétition de fraudes comme celle de PIP.

Mais il est tout aussi fondamental de faire en sorte que les drames sanitaires puissent être évités, y compris et surtout lorsqu'ils ne sont pas le résultat d'une fraude.

En matière de santé, chacun d'entre nous attend la perfection et refuse le droit à l'erreur, à l'absence de résultat. Il est important de prendre conscience que nul système d'autorisation, nul mécanisme de régulation ne permettra d'y parvenir.

A l'inverse, il n'est plus possible de se satisfaire d'une situation dans laquelle des matériels de plus en plus complexes, et dont l'impact sur la survie des patients est de plus en plus décisif, présentent des risques mal détectés.

Des défauts propres à la France doivent aussi être corrigés. Si aucun système n'est parfait - les défaillances rencontrées par certains dispositifs médicaux américains le soulignent amplement -, il n'est pas acceptable que la France accuse un retard dans la détection des défaillances par rapport à certains pays soumis aux mêmes règles ou à une réglementation équivalente .

De nombreux dysfonctionnements des procédures censées garantir la sécurité des dispositifs médicaux implantables et des insuffisances du cadre législatif et réglementaire relatif aux interventions à visée esthétique ont été portés à la connaissance de la mission d'information. Par leur ampleur, ils ne peuvent appeler une réponse unique de sa part ; un principe évident, malheureusement trop souvent oublié, doit néanmoins prévaloir : la protection de la santé publique.

Les autorités publiques chargées de la régulation de ces secteurs d'activité et de la préservation de la santé des citoyens doivent être en mesure d'évaluer les innovations et les techniques nouvelles qui apparaissent en continu, que ce soit dans le domaine médical ou dans celui de l'esthétique pour éviter que celles présentant un danger pour la santé des patients ou des consommateurs puissent leur être proposées. Elles doivent également faire preuve d'une plus grande réactivité afin de mettre en oeuvre dans les plus brefs délais les mesures conservatoires qui s'imposent lorsque des doutes crédibles sur la fiabilité d'un dispositif médical apparaissent.

Dès lors, la mission recommande d'agir dans deux directions , qui recoupent le champ de ses investigations :

- renforcer strictement les contrôles effectués sur les dispositifs médicaux implantables dès leur mise sur le marché et durant toute leur durée d'utilisation, afin de restaurer la confiance que les scandales sanitaires qui se sont succédé ces dernières années ont commencé à éroder ;

- reconnaître que le développement rapide qu'ont connu les interventions à visée esthétique , aussi bien par le nombre de personnes concernées que les techniques proposées, constitue une problématique majeure en matière de santé publique . Dans ce contexte, l'absence d'encadrement réglementaire devrait inévitablement aggraver la situation dans un futur proche.

Les propositions que fait la mission d'information pour corriger les carences qu'elle a identifiées ne requièrent pas toutes de profondes réformes législatives. Au contraire, la solution se situe parfois dans l'application correcte, dans son esprit et dans sa lettre, de la législation existante. Le droit ne peut toutefois pas régler l'ensemble des problèmes soulevés. Une action de pédagogie visant à faire évoluer les consciences et à responsabiliser tous les acteurs - professionnels, patients, consommateurs, régulateurs - devrait permettre de corriger des comportements parfois dangereux ou inacceptables.

I. DE L'IMPLANTABLE À L'IMPLANTÉ : RENFORCER LE CONTRÔLE DES DISPOSITIFS MÉDICAUX À TOUTES LES ÉTAPES

Contrairement au médicament, dont la mise en vente est conditionnée à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour laquelle la réalisation d'importants essais cliniques est obligatoire, le dispositif médical implantable peut être vendu et utilisé même en l'absence de tests in vivo . Qui plus est, son suivi après l'implantation, sur une période longue, reste lacunaire. En l'absence de registres ou d'outils comparables recensant l'ensemble des dispositifs implantés d'un même type, il n'est pas possible d'identifier rapidement des anomalies ou des taux de dysfonctionnement supérieurs à la moyenne. En cela, la sécurité sanitaire des porteurs d'implants n'est pas correctement assurée.

Certaines mesures correctives relèvent du socle commun communautaire . A cet égard, il apparaît urgent de modifier les règles qui définissent la procédure conduisant à la certification et à la commercialisation d'un dispositif médical implantable. Il faut renforcer les contrôles et s'assurer que les organismes notifiés, sur lesquels repose le système du marquage CE, proposent des prestations d'une qualité équivalente et soient supervisés uniformément, quel que soit leur pays d'origine .

Il convient également d'agir au plan national car d'autres pays tirent d'ores et déjà davantage parti des mécanismes existants. L'exemple des registres montre que la surveillance des implants commercialisés, dite post market , peut être réalisée de manière plus efficace. Il faut recueillir plus de données et mieux partager celles déjà en la possession des autorités sanitaires et des fabricants. Il est également nécessaire de rappeler l'importance de la matériovigilance à tous les professionnels de santé et de s'interroger sur les moyens de rendre cette obligation plus compatible avec leur activité quotidienne.

A. CLARIFIER LES CONDITIONS DE MISE SUR LE MARCHÉ DES DISPOSITIFS MÉDICAUX

1. Préciser le rôle des organismes notifiés

La Commission européenne 64 ( * ) recense soixante-dix-sept organismes notifiés dans l'UE et les Etats partenaires. Il est du ressort des autorités compétentes de chaque Etat de désigner à ce titre les organismes qui en font la demande, sur la base de critères minimaux fixés par l'annexe XI de la directive de 1993. Toutefois, celles-ci n'appliquent malheureusement pas le même niveau d'exigence ou de sévérité dans ce domaine ou lors des contrôles qu'elles effectuent ensuite. Un niveau homogène d'application des exigences réglementaires à l'échelle européenne et la définition de règles plus précises concernant l'encadrement des organismes notifiés sont donc indispensables.

a) Revoir les conditions de désignation des organismes notifiés

Il ne s'agit pas d'une problématique nouvelle née des récents scandales sanitaires. Au contraire, elle a été identifiée peu de temps après l'entrée en vigueur de la directive de 1993, conduisant notamment à la création du Groupe opérationnel des organismes notifiés, ou N-Bog, organisme de concertation regroupant la Commission européenne et les autorités sanitaires nationales, en juillet 2000. Celui-ci a, dans chacune des résolutions adoptées après ses sommets annuels (à Vienne en 2006 ou encore à Bonn en 2007), souligné le caractère hétérogène et inégal des procédures suivies par les autorités de chaque Etat concernant les organismes notifiés, malgré la réalisation d'un manuel des autorités notifiantes.

Ces dernières années, des réflexions ont été menées sur le sujet afin d'améliorer la législation. La Commission européenne avait ainsi imaginé la mise en oeuvre d'un système centralisé de désignation finale et de contrôle et de surveillance des organismes notifiés . Cet organisme centralisé de surveillance des organismes notifiés aurait été créé sous la forme d'un département spécifique au sein de l'Agence européenne du médicament (EMA) ou du Centre commun de recherche rattaché directement à la Commission européenne ( Joint Research Centre - JRC).

C'est la logique même de la régulation des organismes notifiés par les autorités sanitaires nationales, de leur enregistrement à leur fonctionnement quotidien, qu'il est nécessaire de modifier. Celle-ci ne doit plus être ponctuelle, ni se concentrer uniquement sur le contrôle sur pièces. Il faut inventer de nouvelles méthodes de contrôle globales, qui prennent pleinement en compte toutes les dimensions des travaux des organismes notifiés et qui font de la sécurité sanitaire la première des priorités.

La première étape consiste en un renforcement des critères d'agrément des organismes notifiés . Dans les conclusions de leur rapport commun de février 2012 65 ( * ) sur l'affaire PIP, l'Afssaps et la direction générale de la santé (DGS) proposent que les critères minimaux qui doivent actuellement être remplis soient remplacés par des « critères maximaux », c'est-à-dire une obligation de disposer de moyens, humains comme matériels, pour effectuer un nombre prédéterminé d'audits chaque année. Il est également suggéré que la notification d'un organisme soit le résultat d'une évaluation menée, conjointement ou séparément, par les régulateurs d'au moins deux Etats. Enfin, les critères d'habilitation devraient être modulés en fonction du type de dispositif médical à certifier.

Il est tout à fait souhaitable que ces propositions de bon sens soient suivies d'effet et que la France les défende à Bruxelles. Il faut toutefois aller plus loin, en s'assurant notamment de la compétence du personnel et en encadrant le recours à la sous-traitance. Les capacités d'expertise interne de ces structures doivent être évaluées et les liens d'intérêts rendus publics.

b) S'assurer des moyens mis en oeuvre pour effectuer les contrôles

Comment les organismes notifiés travaillent-ils ? Selon quels critères évaluent-ils les produits qui leur sont présentés ? Quels sont les moyens qu'ils mettent en oeuvre ? Autant de questions pour lesquelles il est difficile d'obtenir une réponse claire.

Il est donc nécessaire d'agir, au niveau européen, pour obtenir la mise au point d'un cahier des charges commun à tous les organismes notifiés définissant clairement la procédure aboutissant à la délivrance du marquage CE. Cette méthodologie homogène fait aujourd'hui défaut. En conséquence, le niveau d'exigence peut varier selon les organismes et les pays d'origine. Certains fabricants se livrent à du « forum shopping » . Cette pratique consiste, pour ceux-ci, à faire examiner leurs produits par un organisme notifié moins regardant après avoir subi un premier refus de certification.

Proposition n° 1 :
Mettre au point un cahier des charges commun à tous les organismes notifiés

Des mesures visant à garantir, au sein des organismes notifiés, un niveau de compétence et des capacités d'expertise suffisants, permettraient donc de corriger les pratiques anticoncurrentielles qui se développent actuellement au bénéfice des structures les plus laxistes et au détriment des citoyens.

Si l'on en croit les témoignages recueillis par la mission, les fabricants ne sont pas opposés à des actions dans ce sens. Auditionné par la mission d'information, M. Eric Le Roy, directeur général du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem), organisation professionnelle représentant l'industrie du dispositif médical, a ainsi estimé « qu'une meilleure harmonisation éliminerait les moins-disant » . Déplorant le trop grand nombre d'organismes notifiés, il n'en a pas moins souligné l'importance, pour les industriels, d'avoir des interlocuteurs sérieux. Il a également reconnu leur attachement à un marquage CE fiable et incontestable.

Il est donc unanimement reconnu qu'un effort important en matière de transparence du processus de certification des dispositifs médicaux doit être réalisé de la part de tous les acteurs concernés et, en premier lieu, des organismes notifiés. Toutefois, c'est l'insuffisance des règles en vigueur qui contribue largement à la situation actuelle. Il appartient donc au législateur européen, mais aussi aux différents organes de concertation mis en place sur le sujet, comme le N-Bog ou Team-NB, l'association des organismes notifiés européens, de s'emparer du sujet, de faire avancer les bonnes pratiques et d'inciter tous les acteurs à les adopter.

En conséquence, les pouvoirs des organismes notifiés en matière de contrôle et d'inspection doivent être mieux exercés et, dans certains cas, renforcés. Il en va ainsi de la réalisation de visites inopinées au fabricant , déjà prévues par la directive 93/42/CEE mais très peu effectuées en pratique. Pourtant, dans le cadre d'une fraude de grande ampleur comme l'affaire PIP, l'effet de surprise est le seul moyen de découvrir la tromperie et de confondre les coupables. De même, la fréquence des audits des fabricants par les organismes notifiés , qui ne fait l'objet d'aucune harmonisation européenne en dehors du contrôle réalisé, tous les cinq ans, lors de la recertification d'un dispositif médical, devrait être précisément définie.

Proposition n° 2 :
Multiplier les contrôles inopinés chez les fabricants


* 64 Dans sa base de données Nando, à la date du 10 juillet 2012.

* 65 Afssaps - DGS, Etat des lieux des contrôles opérés par les autorités sanitaires sur la société Poly Implant Prothèse, février 2012.

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