II. LES DROITS DES PERSONNES DÉTENUES
En préambule des dispositions relatives aux droits et devoirs des personnes détenues, le législateur a souhaité rappeler (art. 22) que l'administration pénitentiaire devait garantir à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci « ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes ». Ces restrictions doivent tenir compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. Ces principes doivent s'interpréter à la lumière des articles suivants qui en fixent la portée pour les différents droits reconnus aux personnes détenues.
Or, contrairement à l'intention du législateur, ils sont parfois invoqués en complément des dispositions plus précises pour en justifier une lecture restrictive.
A. UNE INTERPRÉTATION EXCESSIVEMENT RESTRICTIVE DE CERTAINS DROITS
1. L'information des personnes détenues sur leurs droits : de réels progrès
Les personnes détenues doivent être pleinement informées de leurs droits afin de pouvoir les exercer au cours de leur incarcération. La loi pénitentiaire a prévu à cette fin deux séries de dispositions.
Les premières sont mises en oeuvre au moment de l'admission dans l'établissement pénitentiaire (art. 23). La personne détenue doit alors être informée oralement « dans une langue compréhensible pour elle » 16 ( * ) ainsi que par la remise d'un livret d'accueil des dispositions relatives à son régime de détention, de ses droits et obligations et des recours et requêtes qu'elle peut former. Le texte prévoit également que les règles spécifiques à l'établissement sont également portées à sa connaissance (et lui restent accessibles au cours de la détention).
Ces modalités d'information ont été mises en place dans le cadre de la labellisation du processus d'accueil engagé, par étape, par l'administration pénitentiaire depuis mars 2007 afin d'appliquer les règles pénitentiaires européennes dont une nouvelle version avait été adoptée par le Conseil de l'Europe le 11 janvier 2006. D'une part, l'information orale est assurée au cours d'entretiens lors de la période d'accueil (de trois semaines au maximum). Elle porte naturellement sur les droits et obligations des personnes détenues et sur le fonctionnement des différents services de l'établissement mais aussi, par exemple, sur l'existence d'aides aux personnes dont les ressources sont insuffisantes.
D'autre part, trois types de documents doivent être remis lors de l'accueil au sein de l'établissement : un guide d'accueil explicitant l'organisation et le fonctionnement de l'établissement, un programme d'accueil (comportant notamment la présentation des entretiens prévus, les conditions d'accès aux relations avec l'extérieur, aux soins et aux autres droits), un extrait du règlement intérieur portant sur les droits et les devoirs des personnes détenues. A cette documentation, s'ajoute, pour les personnes écrouées en maison d'arrêt, la remise d'un guide intitulé « je suis en détention » (actualisé à la fin de l'année 2011). Ce guide est traduit dans plusieurs langues. Dans certaines prisons, s'il ne semble pas faire l'objet d'une distribution systématique, il est néanmoins disponible en plusieurs exemplaires dans les bibliothèques.
Selon les données communiquées à vos co-rapporteurs par l'administration pénitentiaire, 116 établissements sont aujourd'hui labellisés, 34 le seront d'ici la fin de l'été 2012 et 5 supplémentaires au cours du second semestre. Quant aux structures non concernées par la labellisation (soit, selon l'administration pénitentiaire, parce que leur fermeture a été actée, soit « que les questions structurelles ne permettent pas de se mettre en conformité avec les exigences du référentiel au regard de l'importance des coûts qui seraient générés »), elles sont néanmoins tenues de répondre aux exigences de la loi pénitentiaire avec la remise de documents d'accueil et la réalisation d'entretiens.
Au cours de leurs visites, vos rapporteurs ont observé que ces prescriptions étaient largement respectées. Ils ont noté que l'obligation d'une information « compréhensible » par les personnes détenues s'était traduite dans plusieurs établissements par la traduction des documents écrits 17 ( * ) et rarement, comme pouvaient le laisser suggérer les termes de la loi pénitentiaire, par le recours à un interprète pour une information orale. Des raisons d'économie et de commodité expliquent assez naturellement ce choix, toutefois discutable pour les personnes illettrées. Aux yeux de vos rapporteurs, l'essentiel est que l'administration pénitentiaire s'assure effectivement que la personne détenue connaît l'étendue de ses droits .
La deuxième série de dispositions vise la mise en place d'un dispositif de consultations juridiques gratuites au sein des établissements (art. 24). Ces dispositifs, au nombre de 150 actuellement, correspondent aux points d'accès au droit mis en place par les conseils départementaux de l'accès au droit assurés, soit par des agents d'accès au droit, soit par un professionnel du droit (avocat, huissier, notaire). Ainsi, au centre pénitentiaire du Havre, une convention signée en 2005 avec le conseil départemental d'accès au droit de la Seine-Maritime permet l'organisation d'une permanence gratuite du barreau afin de conseiller les personnes détenues confrontées à des interrogations relatives aux droits sociaux, économiques, familiaux, patrimoniaux ou successoraux à l'exclusion du droit disciplinaire pénitentiaire ou des affaires pénales en cours. Cette permanence, dont l'organisation administrative relève du SPIP, est tenue tous les quinze jours par les avocats du barreau du Havre. En 2011, 19 des 24 permanences programmées ont été assurées et 153 personnes détenues ont pu en bénéficier. Certains établissements ne sont cependant pas en mesure de mettre à disposition un point d'accès au droit. Tel est le cas du centre de détention de Casabianda.
2. Le respect de la liberté de conscience et l'exercice du droit de culte : des réponses inadaptées aux besoins de la population pénale
L'article 26 de la loi pénitentiaire consacre le respect de la liberté de conscience et de religion des personnes détenues ainsi que la possibilité d'exercer le culte de leur choix.
Afin de répondre à cette exigence, l'administration pénitentiaire agrée des aumôniers qui interviennent en établissements pénitentiaires dans les conditions prévues par la loi de séparation des églises et de l'Etat du 9 décembre 1905 18 ( * ) . Les aumôniers interviennent à la demande de la population pénale : lorsque l'administration pénitentiaire constate un besoin, elle en avise l'aumônerie nationale afin que celle-ci propose un candidat à l'agrément. Selon les données communiquées à vos co-rapporteurs par l'administration pénitentiaire, au 1 er janvier 2012, 1 249 intervenants cultuels (394 aumôniers rémunérés, 689 aumôniers bénévoles, 163 auxiliaires d'aumônerie) se répartissaient selon les confessions de la manière suivante : 655 catholiques, 70 israélites, 151 musulmans, 24 orthodoxes, 317 protestants et 32 divers.
Vos co-rapporteurs ont pu constater lors de leurs visites l'insuffisance du nombre d'aumôniers musulmans au regard des besoins de la population pénale. Des établissements, comme la maison centrale d'Arles, en sont dépourvus. Bien que les informations disponibles sur ce sujet soient partielles, il apparaît que cette situation fait le jeu, dans certains établissements, d'activistes prosélytes .
Sous réserve de ces débordements, les personnes détenues de toutes confessions même lorsqu'elles ne bénéficient pas de l'intervention d'un aumônier agréé doivent pouvoir pratiquer leur religion et respecter ses préceptes le cas échéant par le suivi des rites alimentaires. En dehors de situations extrêmes -où la nourriture, servie aux personnes détenues ne tient pas compte des prescriptions religieuses ou inversement, est exclusivement préparée, par exemple selon le rituel halal- l'administration pénitentiaire s'efforce dans les établissements visités par vos co-rapporteurs de satisfaire la variété des besoins des personnes détenues dans ce domaine.
3. L'utilisation encore marginale du droit de domiciliation (art. 30)
La loi pénitentiaire a ouvert à la personne détenue la faculté de se faire domicilier auprès de l'établissement pénitentiaire dans un triple objectif : l'exercice des droits civiques lorsque ces personnes ne disposent pas d'un domicile personnel, la possibilité de bénéficier de l'aide sociale légale en l'absence d'un domicile de secours (ce qui est le cas d'un grand nombre de détenus), la facilitation des démarches administratives.
En mai 2012, l'administration pénitentiaire dénombrait seulement 275 domiciliations 19 ( * ) .
La possibilité donnée aux détenus d'un même établissement de voter dans la circonscription électorale où est implantée la prison n'est pas sans soulever des difficultés -certes encore virtuelles. Le droit de domiciliation ne doit naturellement pas avoir pour effet de déséquilibrer les résultats des élections locales en particulier dans les petites communes.
Ces objections ne valent pas néanmoins pour les élections nationales. Or la participation de la population pénale aux élections présidentielle et législative -même si vos co-rapporteurs n'ont pas eu connaissance des chiffres pour les dernières élections présidentielles et législatives- demeure très limitée. A titre indicatif, sur 62 500 personnes détenues en 2007, 2 370 procurations avaient été établies au premier tour et 2 697 au second tour.
La mise en place de bureaux de vote dans les établissements permettrait sans doute de favoriser cette participation. Les dispositions du code électoral devraient donc être adaptées afin de tenir compte des spécificités des prisons ( recommandation n° 3 ). A ce stade, il apparaît nécessaire de mieux informer les personnes détenues sur la possibilité de voter par procuration et de faciliter leurs démarches dans ce sens.
4. L'interprétation restrictive du droit à l'image (art. 49)
Avant l'entrée en vigueur de la loi pénitentiaire, le principe de l'anonymat (tant physique que patronymique) s'appliquait de manière absolue pour les reportages en milieu pénitentiaire 20 ( * ) . Le législateur a autorisé l'identification des personnes détenues par l'image ou la voix à la condition, d'une part, que les intéressés donnent leur accord et, d'autre part, que l'administration pénitentiaire ne s'y oppose pas au regard de la sauvegarde de l'ordre public, de la prévention des infractions, de la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers et, enfin, de l'objectif de réinsertion. S'agissant des prévenus, la diffusion ou l'utilisation de leur image ou de leur voix doit être autorisée par l'autorité judiciaire.
D'une manière générale, vos co-rapporteurs ont pu constater l'extrême réticence de l'administration pénitentiaire à ouvrir les portes de la prison aux journalistes encore plus lorsqu'ils sont munis de caméras. Cette opacité entretient des préjugés parfois injustifiés sur la situation des prisons et la méconnaissance sur les progrès qui peuvent y être accomplis. Elle ne favorise pas, en outre, la prise de conscience au sein de l'opinion des enjeux posés par les questions pénitentiaires pourtant essentielles dans une démocratie.
En second lieu, lorsque des reportages sont autorisés, le visage des personnes détenues est quasi systématiquement flouté malgré l'accord donné par les intéressés. Cette pratique n'est pas toujours justifiée par les motifs de restriction légaux.
L'administration pénitentiaire invoque parfois, sans autre précision, l'intérêt de la personne détenue fut-ce contre l'expression même de sa volonté. Une telle argumentation paraît renvoyer la personne détenue à un état de minorité alors même que la capacité à mener une vie responsable a été placée au coeur du sens de la peine par la loi de 2009.
Vos co-rapporteurs recommandent l'application pleine et entière de cette disposition.
5. L'accès aux publications effectivement assuré malgré certaines exceptions (art. 43)
La loi pénitentiaire a garanti la liberté d'accès en détention aux publications écrites et audiovisuelles sous réserve de celles « contenant des menaces graves contre la sécurité des personnes et des établissements ou des propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l'encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ».
Selon l'administration pénitentiaire, si la mise à disposition de publications présentant l'institution de manière très péjorative 21 ( * ) a pu soulever certaines interrogations, aucune retenue n'a néanmoins été décidée dès lors que la sécurité des personnes et des établissements n'était pas en jeu. Interrogés par vos co-rapporteurs à l'occasion de leurs déplacements, les chefs d'établissement ont confirmé qu'ils n'avaient pas pratiqué de censure.
Certaines pratiques incompatibles avec la loi pénitentiaire persistent cependant : M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a cité l'interdiction par un chef d'établissement, indépendamment de toute considération de sécurité, d'une revue licencieuse à laquelle s'était abonnée une personne détenue.
* 16 Les sénateurs et députés avaient successivement souhaité que cette information soit formulée dans une langue « familière » à la personne détenue. Ils s'étaient heurté à l'obstacle de l'article 40 de la Constitution que seul un amendement gouvernemental déposé à l'initiative de Mme Michèle Alliot-Marie, alors Garde des sceaux, a pu surmonter.
* 17 Dans plusieurs établissements, vos co- rapporteurs ont noté cet effort d'accessibilité : au centre pénitentiaire d'Avignon Le Pontet, le guide d'accueil et un extrait du règlement intérieur sont en cours de traduction tandis que le programme d'accueil est traduit en Anglais et en Espagnol ; au centre de détention de Casabianda, le livret d'accueil, remis à jour à la suite de la labellisation de la phase d'accueil, est d'ores et déjà traduit en Anglais tandis qu'une version en Espagnol est en cours de préparation.
* 18 Aux termes du 2 e alinéa de l'article 2 de cette loi « pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».
* 19 Dans plusieurs des établissements visités par vos co-rapporteurs, notamment au centre pénitentiaire d'Avignon-Le Pontet, aucune personne n'avait exercé ce droit.
* 20 Cette règle se fondait sur une circulaire du 17 janvier 1997 sur les modalités pratiques de délivrance des autorisations de reportage et celle du 23 juillet 2007 relative à l'autorisation de reportage dans les établissements pénitentiaires.
* 21 A titre d'exemple, dans l'Envolée, n° 31 de septembre 2011 : « les matons y rivalisent de zèle pour pourrir le quotidien des prisonniers entre application psychorigide du règlement, crises d'autorité, humiliations, brimades et parloirs fantômes... ».