B. LE PHÉNOMÈNE DE CAPTATION DES RECETTES FISCALES ISSUES DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE CONCERNE TOUS LES ETATS DE CONSOMMATION

1. En Europe : le cas de l'Italie est illustratif de la nécessité pour les grands Etats de consommation de préserver et accroître leurs recettes fiscales

Pour 2011, les informations données par le pôle « NTIC » du bureau d'Ubifrance pour l'Italie font état de quelque 9 millions d'internautes achetant en ligne dont 5,4 millions d'habitués, soit 19 % des utilisateurs d'internet. 3 % des achats se font par téléphone mobile et 10 % des utilisateurs se disent prêt à acheter avec leur téléphone : c'est la demande la plus forte en Europe. Le marché du e-commerce atteindrait 8 milliards d'euros en 2011 avec une croissance forte de + 23 %. Le secteur qui progresse le plus est le textile avec + 41 %. Les marchés en ligne italiens et espagnols sont tous les deux en forte croissance et l'Italie se situe au quatrième rang des marchés online en Europe.

Le marché italien est très concentré - les vingt premiers sites traitent 70 % du chiffre d'affaires du secteur - et s'est structuré depuis 2009 grâce à l'arrivée d'acteurs étrangers (notamment Amazon), mais connaît deux facteurs de rigidité : les coûts importants du transport et de la logistique d'une part, du marketing et de la communication d'autre part 31 ( * ) .

L'Italie présente donc sur ce secteur un taux de croissance similaire à celui rencontré en France, dont le marché a cru de 22 % entre 2010 et 2011 pour atteindre 37,7 milliards d'euros 32 ( * ) , mais aussi une particularité puisque les deux tiers des ventes concernent des services , et seulement un tiers des produits.

Il faut aussi noter que le l'Italie est, derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, le quatrième marché de biens culturels , notamment dans le secteur de la vidéo.

Dépenses de consommation de produits vidéo

( en millions d'euros )

Source : Enders Analysis « Let's go connected » (8 mai 2012)

Ces considérations montrent que l'Italie est exposée aux mêmes problématiques fiscales en matière de TVA sur les services électronique et d'impôt sur les sociétés que celles décrites précédemment pour la France :

- principe du non versement de la TVA au pays de consommation avant 2015, en réalité 2019 au terme de la période de transition ;

- érosion de l'assiette d'imposition sur les sociétés du fait de l'établissement hors d'Italie du principal acteur du e-commerce : Amazon.

Bien que la prise de conscience n'en soit qu'à ses prémices au niveau gouvernemental, et que la diffusion dans la presse de ce sujet soit loin d'avoir atteint la couverture médiatique constatée au Royaume-Uni et en France, certains parlementaires italiens se sont montrés convaincus de l'intérêt de développer une stratégie commune au niveau européen 33 ( * ) . Une telle démarche pour être efficace, devra trouver son prolongement dans la sensibilisation des gouvernements et des Parlements de tous les grands Etats de consommation 34 ( * ) .

2. Aux Etats-Unis : le problème du recouvrement de la « sales tax » par chacun des Etats fédérés

Aux Etats-Unis, la société Amazon est en conflit avec plusieurs Etats fédérés concernant le non recouvrement de la sales tax et son absence de reversement aux administrations fiscales compétentes. Il s'agit d'une taxe sur la vente appliquée dans la plupart des Etats américains et au Canada. Cet impôt indirect, qui n'est pas fédéral, est prélevé au point d'achat et reversé à l'Etat par le commerçant. Il s'agit d'un droit acquitté uniquement par le consommateur final. Or, l'application d'une telle taxe sur les ventes à distance pose, à l'échelle américaine, le problème de son recouvrement.

En l'espèce, le débat oppose les commerçants traditionnels américains, dits « bricks and mortar » - lesquels collectent la sales tax et la reversent à l'Etat - aux e-commerçants, au premier rang desquels figurent Amazon, qui, au motif qu'ils ne sont pas établis dans l'Etat de consommation ne collectent ni ne reversent aucune taxe. Corrélativement, s'agissant d'une taxe payée par le consommateur final, deux règles entrent en conflit et ont pour effet d'annuler tout prélèvement :

- le e-commerçant n'est pas tenu de collecter la sales tax à partir de l'Etat d'établissement de son siège ;

- le e-consommateur final doit alors auto-déclarer et liquider directement auprès de l'Etat de résidence la sales tax due au titre de ses achats. En pratique, cette règle est impraticable et donc totalement inusitée.

A ce titre, les Etats concernés constatent une perte de recettes fiscales et réclament à Amazon le paiement de la sales tax . Par ailleurs, le commerce traditionnel dénonce une situation de concurrence déloyale créée par cette distorsion de charge fiscale .

La tournure prise par les poursuites engagées par les Etats a contraint Amazon à entrer dans un cycle de négociation « Etat par Etat » pour fixer les conditions dans lesquelles la sales tax serait reversée même si l'entreprise n'y est pas établie. A ce jour, une dizaine d'Etats, dont la Californie, le Nevada (à partir de 2014), le Texas et la Virginie, ont conclu ou sont en cours de négociation pour conclure un accord de collecte et de reversement avec Amazon.

Il reste, comme l'illustre la carte ci-dessous, que pour la majorité des Etats américains le commerce en ligne représente une fuite de matière fiscale .

Etat de la collecte de la sales tax aux Etats-Unis
par Amazon (janvier 2012)

L'enjeu est potentiellement considérable car cette société représente environ 20 % du commerce électronique aux Etats-Unis. Si l'on prend pour base de référence le chiffre d'affaires d'Amazon dans le e-commerce, 48,1 milliards de dollars en 2011, et un taux de sales tax compris entre 4 % et 7 % selon les Etats, on peut estimer que la perte globale de recettes s'inscrit dans une fourchette allant de 1,9 à 3,3 milliards de dollars. Rapporté à l'ensemble du commerce électronique américain, le montant de la sales tax non collectée est compris entre 9,5 et 16,5 milliards de dollars 35 ( * ) .

Enfin, plusieurs propositions de lois fédérales ont été déposées au Congrès américain tendant soit à supprimer toute collecte de sales tax par les e-commerçants, soit à l'inverse à imposer à l'échelon fédéral le droit pour tout Etat de consommation de lever lui-même cette imposition. Les partisans de la première solution considèrent qu'il s'agirait d'un nouvel impôt appliqué au commerce en ligne. Les seconds arguent au contraire de la neutralité du dispositif, cette imposition n'étant que l'extension à l'économie numérique de la taxe existante 36 ( * ) .

Cette situation montre que, au-delà de la sphère française et européenne, il apparaît que l'optimisation fiscale des grands sites Internet touche toutes les régions du monde, y compris le pays dans lequel le e-commerce est né, et justifie donc la recherche de solutions transatlantiques .


* 31 En Italie, Bartolini domine le secteur des transports, ce qui entraîne des coûts logistiques deux fois supérieurs aux prix pratiqués en France. Par ailleurs, les investissements marketing afin d'asseoir une marque sont très importants et passent sur Internet par des campagnes de publicité « display » à grande échelle et du référencement payant sur des mots-clés très concurrentiels à forts volumes de trafic. Aussi, le succès du site italien lancé par Kiabi a reposé en grande partie sur la présence de magasins physiques et pas seulement sur sa présence sur le net.

* 32 Source : Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD).

* 33 Lors du déplacement à Rome des 2 et 3 juillet derniers, ont été rencontrés MM. Vieri Ceriani, sous-secrétaire d'Etat au Ministère de l'économie et des finances en charge des questions fiscales, Mario Baldassarri, Président de la Commission des finances du Sénat, Giancarlo Giorgetti, Président de la Commission du budget à la Chambre des députés et Sandro Gozi, membre de la Commission de la politique de l'Union Européenne à la Chambre des députés.

* 34 Dans cet esprit, votre rapporteur se rendra les 1 er et 2 octobre prochains à Londres.

* 35 Estimation réalisée par la commission des finances.

* 36 « Congress split over move to close online sales tax `loophole' » (Financial Times - 26 juillet 2012).

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