IV. ÉCHANGES AVEC LES SÉNATEURS ET AVEC LA SALLE
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
Voilà un exposé tonique !
La parole est à Mme Morin-Desailly...
Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice de la Seine-Maritime
Je regrette que l'heure tardive ne nous permette pas d'engager un débat qui aurait bien mérité d'être approfondi, fort de toutes les remarques, les suggestions et les pistes de réflexion qui ont été lancées. Une table ronde telle que celle-ci mériterait presque une journée entière, tant il est vrai qu'on a beaucoup de choses à dire !
Le cadre législatif est celui que l'on connaît et a bien été rappelé ; malgré tout, un certain nombre de positions demeurent tranchées. Je crois qu'il nous faut travailler - tout en respectant le cadre juridique, qui a le mérite d'organiser la prévention - sur la fiscalité européenne qui a été évoquée par le troisième orateur. Il n'existe pas, selon moi, d'autres solutions concernant le phénomène de déterritorialisation au niveau européen.
Il nous faut également travailler sur la structure des coûts des contenus. Un excellent article de l'économiste de la culture, Françoise Benhamou, dans la revue de l'Observatoire des politiques culturelles, pointait du doigt l'évolution de la structuration des coûts d'une oeuvre, en fonction des acteurs sortants et des acteurs entrants. Cela devrait nous faire réfléchir à la manière dont les coûts permettent la rémunération des artistes et définissent ce que doit payer l'usager, et qui doit également financer la création et la fabrication de l'oeuvre.
Cet article est un bon exemple de ce que sont les acteurs sortants - les imprimeurs. Les acteurs entrants, ce sont les équipementiers, les agrégateurs de fichiers, etc. Comment travaille-t-on cet aspect là ? C'est une piste qui mériterait d'être engagée. Peut-être l'un ou l'autre des orateurs aura-t-il quelques idées à émettre sur ce sujet...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
Mme Morin-Desailly est l'animatrice du groupe « médias et nouvelles technologies » ; elle aborde régulièrement ces sujets. Elle s'est fortement impliquée, comme M. Assouline, ici présent ainsi que moi même, dans les fameux débats DADVSI, Hadopi, etc.
Une question extrêmement précise : j'ai expliqué ma réticence profonde à propos d'Hadopi du fait des cavaliers qui sabotent les droits d'auteur des photographes. C'est un vrai scandale dans une loi sur la protection des droits d'auteur ! Madame la présidente, je m'étonne que vous ayez donné le label « PUR » à Fotolia, qui met en ligne des photos réputées libres de droits alors qu'elles ont des auteurs ! Je trouve cela contradictoire avec votre point de vue !
Mme Marie-Françoise Marais, présidente de l'Hadopi
Je me suis bornée à appliquer la loi telle qu'elle a été faite ! La labellisation est pratiquement de droit lorsqu'il n'y a pas d'opposition sur une oeuvre déterminée, visant un auteur déterminé...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
C'est intéressant !
Mme Marie-Françoise Marais, présidente de l'Hadopi
Les photographes nous ont simplement saisis sur le plan politique. La seule chose que j'ai pu faire, car je suis très sensible à ce qu'ils ont pu nous dire, c'est de les diriger vers notre laboratoire « techniques et réseaux », pour étudier les solutions qui pourraient être apportées à leurs problèmes. Je pense que les laboratoires travaillent encore sur ce sujet avec les photographes.
En tant qu'autorité administrative indépendante, il m'est difficile d'aller à l'encontre des indications qui nous ont été données. Je ne peux recevoir une opposition que si elle vise une oeuvre bien particulière. Je suis ennuyée mais c'est une question que nous allons approfondir avec les photographes. Nos portes sont largement ouvertes et j'encourage les uns et les autres à rejoindre nos laboratoires, à poser les véritables questions et à essayer de voir comment faire évoluer ce problème des photographes.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
J'entends bien que vous renvoyez au législateur mais il est curieux qu'une institution censée défendre les droits d'auteur déclare libre de droits tout ce qui n'est pas défendu intuitu personae .
Mme Marie-Françoise Marais, présidente de l'Hadopi
Nous ne déclarons pas libres de droit tout ce qui est intuitu personae mais le label est quelque chose d'automatique. Nous n'avons pas, nous, autorité indépendante, à trancher le problème de la titularité des droits. Je pense d'ailleurs que cela a été fait pour permettre de se mettre autour d'une table. J'espère que nous arriverons à dégager des solutions. Il n'en demeure pas moins que des contacts ont été pris avec les photographes ; les laboratoires sont à leur disposition pour essayer de voir comment ils peuvent occuper le terrain. Je pense qu'ils y arriveront. Ce n'est pas à moi de trouver la solution mais une véritable réflexion peut être conduite.
M. Pierre Gérard, co-fondateur et directeur des ventes de Jamendo
J'ai dit tout à l'heure qu'il était très difficile de définir le terme « libre ». On dit quelquefois que Jamendo est le Fotolia de la musique. « Libre de droits » ne veut pas dire « sans droits ». C'est un problème de vocabulaire. Il est très difficile, en français, d'exprimer ces droits-là. Cela signifie que les droits vont êtres vendus une première fois et seront libres des droits de reproduction. Il n'y aura pas ensuite de rémunération complémentaire.
Normalement les ayants droit de Fotolia sont clairement définis, comme ils le sont sur Jamendo. Cela ne relève pas du domaine public, de l'appropriation ou de la violation de droits. Je ne veux pas parler au nom de Fotolia mais je sais que cette définition est très compliquée à établir.
M. Jean-Paul Bazin, président de la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM)
Je voudrais juste revenir sur les propos de M. Pierre Gérard concernant la SPRE. Il se trouve que je suis musicien, compositeur, adhérant à la SPEDIDAM, à l'ADAMI, à la SACEM et cogérant de la SPRE.
Le problème vient du fait qu'il faut que vous apportiez la preuve que les artistes que vous représentez n'ont pas fait apport de leurs droits à une de ces sociétés. Quand on adhère à la SPEDIDAM par exemple, on fait apport de tous ses droits. Une société civile constituée d'artistes, avec un service juridique puissant, est en effet plus à même de bien défendre vos droits que si vous êtes seul face à l'utilisateur.
J'en veux pour exemple que, dans le cadre de la loi 1985, le législateur a oublié d'indiquer que le droit exclusif est incessible. De ce fait, lors des enregistrements, l'artiste-musicien est forcé de céder ses droits parce qu'il s'exerce un chantage au travail. S'il ne les cède pas, il ne travaille pas !
Il faut donc prendre garde à cette forme de mythe de la liberté : pour être libre et pouvoir exercer cette liberté, il faut établir des rapports de force et avoir les moyens de le faire. Je ne pense pas qu'un artiste seul, face à des utilisateurs, des producteurs ou des éditeurs, puisse exercer cette liberté. C'est une utopie !
Mme Mélanie Dulong de Rosnay, responsable juridique de Creative Commons France
Il est très facile de démontrer que les artistes de Jamendo ne sont pas dans les sociétés de gestion collective puisqu'ils utilisent une licence Creative Commons ; à part la SACEM, depuis une semaine, les statuts des sociétés de gestion collective n'autorisent pas leurs auteurs à utiliser une licence libre pour certaines de leurs oeuvres.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que les sociétés de gestion collective sont en bien meilleure position pour percevoir une rémunération. C'est votre métier. J'espère donc que l'on pourra développer ces collaborations et faire en sorte que les exclusivités présentes dans la majorité des statuts des sociétés ne conduisent pas à exclure de facto les artistes et les auteurs d'une possibilité de rémunération !
M. Pierre Gérard, co-fondateur et directeur des ventes de Jamendo
Je ne remets pas en cause la capacité et les qualités de la SPRE mais je précise que tous les utilisateurs qui sont diffusés dans des lieux publics signent un papier et reconnaissent n'avoir jamais donné mandat à aucune société de collecte. C'est une question de choix et de liberté. On peut très bien vouloir adhérer à la SPRE, par l'ADAMI ou à d'autres organismes mais certains peuvent ne pas le vouloir. Je ne porte pas de jugement de valeur - au contraire car j'estime que vous avez fait un très bon travail et ce depuis très longtemps.
M. Alban Cerisier, secrétaire général des Editions Gallimard
S'agissant du livre et de la nouvelle répartition de la chaîne de valeur, l'esprit des négociations entre auteurs et éditeurs qui ont lieu aujourd'hui vise bien, à travers les clauses de rendez vous, à réexaminer les conditions économiques de la répartition de cette valeur dans le cadre strict du contrat d'édition. Il y a donc plusieurs façons de traiter ce sujet en respectant le cadre libéral du contrat.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
Nous allons lever la séance. Je vous remercie de votre assiduité. Je souhaitais que chaque mouvance puisse s'exprimer.