B. DES RESSOURCES PROPRES NOUVELLES POUR UN BUDGET EUROPÉEN RENFORCÉ AU SERVICE DE LA CROISSANCE
« L'Europe n'est pas vue aujourd'hui par les États membres comme une opportunité mais comme une dépense », comme l'a fait observer à votre rapporteur M. Hervé Jouanjean, directeur général du Budget de la Commission.
Cette vision déformée du budget européen est la conséquence de la part prédominante de la contribution RNB des Etats dans le financement de l'Union. Les Etats membres raisonnent en termes de « juste retour » et de dépense budgétaire. En France, le traitement budgétaire en loi de finances de notre contribution RNB illustre cette dérive qui empêche de percevoir le budget européen comme un outil complémentaire et plus efficace pour le financement de certaines politiques.
1. Se fixer un objectif ambitieux de ressources propres
Pour sortir de cette logique, la première condition est d'augmenter sensiblement la part des ressources propres authentiques. La Commission européenne propose de porter la part des ressources propres (ressources propres traditionnelles, ressource TVA et TTF) à près de 60 % des besoins de financement.
Cet objectif doit être une priorité politique majeure. Il est atteignable dès 2020 sur la base des propositions de la Commission européenne ou par d'autres voies, notamment celle tracée par votre rapporteur. Si la ressource TTF était écartée, ce rejet ne devrait pas conduire à repousser à 2027 l'objectif de 60 %. D'autres solutions devraient être mises sur la table immédiatement. C'est le sens des propositions de votre rapporteur.
En se basant sur les propositions de la Commission européenne pour 2020, sur les 138 milliards d'euros (prix 2011) de crédits de paiement, 40 % de contribution RNB équivaudraient à 55,2 milliards d'euros. La France contribuant aujourd'hui à hauteur de 16 % environ au budget communautaire, notre contribution RNB équivaudrait à 8,8 milliards d'euros (prix 2011) à rapprocher du prélèvement sur recette pour 2012 évalué en loi de finances initiale à 18,878 milliards d'euros.
On mesure dans le contexte budgétaire et financier actuel la marge de manoeuvre dont bénéficieraient les budgets nationaux des Etats membres pour réduire leur endettement.
A plus long terme, un objectif de 75 % des ressources propres pourrait être affiché. Cet objectif est théoriquement atteignable dès 2020 sur la base des propositions de la Commission européenne complétées par celles de votre rapporteur. Mais un renversement des équilibres aussi rapide et massif n'est pas impératif, ni forcément souhaitable.
Une contribution RNB réduite à 25 % effacerait quasi-complètement les réflexes de calcul du « juste retour ». Elle permettrait de concevoir les politiques européennes en fonction de leur valeur ajoutée intrinsèque et de les détacher des strictes contingences nationales.
2. Faire de l'Europe le moteur de la croissance
Comme le soulignait notre collègue François Marc dans son rapport d'information n° 738 (2010-2011) sur le cadre financier 2014-2020, fait au nom de la commission des affaires européennes, il n'est pas impossible d'imaginer « dégeler » les moyens financiers à disposition de l'UE en créant enfin de nouvelles ressources propres.
La question du niveau du budget de l'Union - seulement 1 % du RNB à ce jour - souffre d'une mauvaise présentation. La réaction immédiate des États membres consiste, au nom d'un faux souci de cohérence, à réclamer de l'Union des efforts de restriction budgétaire équivalents à ceux des États membres. Ce raisonnement ne tient pas si l'on veut bien être de bonne foi et se souvenir que si les Etats sont confrontés à d'importantes dettes souveraines, l'Europe n'est pas endettée.
a) Briser le tabou du 1% du RNB
Votre rapporteur est conscient que l'air du temps ne va pas dans le sens d'une augmentation sensible du budget communautaire. Les premières discussions sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 ont déjà permis à de nombreux Etats membres d'afficher leur scepticisme, voire leur hostilité, face aux propositions de la Commission européenne.
Pour la période 2007-2013, le cadre financier pluriannuel a plafonné les crédits d'engagement à 864,3 milliards d'euros, soit 1,048 % du RNB de l'UE, et les crédits de paiement à 820,78 milliards d'euros, soit 1 % du RNB. Compte tenu des ajustements techniques survenus depuis, le cadre financier pour la période en cours s'établit désormais comme suit, en prix constants 2004 :
Cadre financier pluriannuel 2007-2013
Source : Commission européenne - COM (2010) 160 final
La Commission européenne propose pour la période 2014-2020 de stabiliser les crédits d'engagement à 1,05 % et les crédits de paiement à 1 % du RNB (en prix constants 2011). Le montant de crédits d'engagement proposé pour les sept ans du cadre financier pluriannuel est de 1 025 milliards d'euros, soit un montant équivalent au résultat de la multiplication par sept des crédits d'engagements prévus pour 2013 (145,65 milliards en prix 2011).
Proposition de la Commission européenne
pour
le cadre financier pluriannuel 2014-2020
Source : Commission européenne - COM(2011) 500 final
Mais la Commission européenne propose, en dehors du cadre financier pluriannuel, des enveloppes budgétaires complémentaires qui, ajoutées au cadre financier pluriannuel, portent en fait les crédits d'engagement à 1,11 % du RNB .
Cette débudgétisation n'est pas une complète nouveauté. L'Union y a déjà recours pour certaines dépenses imprévisibles ou extrêmement variables. Le Fonds européen de développement (FED), qui finance l'aide au développement en faveur des pays en développement partenaires de l'UE, a toujours été financé en dehors du budget de l'UE pour prendre en compte, dans la clé de contribution au FED, les relations historiques particulières que certains États membres entretiennent toujours avec diverses régions du monde. Le Fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE) a été mis en place dans le but de faire face aux grandes catastrophes naturelles (inondations, incendies de forêts, tremblements de terre, tempêtes et sécheresse) et d'exprimer la solidarité de l'UE à l'égard des régions sinistrées. Il a été créé en réponse aux graves inondations qui ont touché l'Europe centrale durant l'été 2002. Quant à l'instrument de flexibilité, il s'agit du mécanisme permettant, sur proposition de la Commission et avec l'accord des deux branches de l'autorité budgétaire, de dépasser les plafonds du cadre financier pluriannuel afin de faire face à un besoin non prévu.
Mais cette pratique prendrait une ampleur nouvelle dans le nouveau cadre financier, notamment avec le financement du projet ITER (réacteur thermonucléaire expérimental) et GMES (Programme européen de surveillance spatiale de la Terre), dont les coûts ont dérivé, et l'inscription d'une ligne non renseignée pour la contribution de l'UE au Fonds mondial de lutte contre le changement climatique. Cette ligne pour mémoire porterait donc les crédits d'engagement au-delà de 1,11 % du RNB.
Le Fonds mondial de lutte contre le changement climatique, dont la création a été actée lors de la conférence de Cancun sur le réchauffement climatique en décembre 2010, doit atteindre près de 76 milliards d'euros par an d'ici 2020. L'Union européenne a déclaré qu'elle contribuerait à hauteur d'un tiers du montant total, mais elle a demandé que deux tiers de ce montant proviennent du secteur privé et de sources de financement « innovantes », telles que le marché du carbone et les banques multilatérales de développement. Les estimations restent délicates, mais les engagements sur le budget de l'Union pourraient donc s'élever à plusieurs milliards d'euros.
Dans ce contexte, les orientations de votre rapporteur peuvent sembler éloignées des souhaits des Etats, puisque les propositions déjà prudentes de la Commission européenne sont critiquées par les Etats membres. Ils les jugent insoutenables pour leurs budgets nationaux, d'autant plus que la Commission européenne raisonne en prix constant et non en prix courant.
Comment sortir de cette impasse ?
Il est incontestable que les propositions de la Commission européenne placent les Etats dans une situation budgétaire inconfortable. Mais il en est ainsi parce que les Etats n'envisagent pas réellement de transférer des dépenses nationales vers le niveau européen. Ils ne perçoivent l'Union que comme un niveau supplémentaire de dépenses.
Pour échapper à cette quadrature du cercle, il faut concevoir la hausse du budget de l'Union comme la stricte conséquence d'un transfert de dépenses des budgets nationaux vers l'Union. La dépense publique globale doit demeurer constante. Il faut être sans ambiguïté sur ce point. A cette condition, les États membres pourraient retrouver des marges de manoeuvre comme on l'a vu avec la hausse des ressources propres de l'Union qui leur offrirait la possibilité de réduire plus facilement leurs dettes souveraines.
b) Objectif 2 %
Votre rapporteur estime que l'Union doit se fixer comme objectif politique de porter son budget de 1,11 % du RNB 32 ( * ) à 2 % du RNB à horizon 2020 en inscrivant très fermement le principe selon lequel cette hausse doit se réaliser à dépense publique constante au sein de l'Union . Il faut d'ailleurs rappeler que le budget de l'Union a décru tendanciellement depuis 20 ans. Sur la période 1993-1999, le plafond des crédits de paiement s'est établi en moyenne à 1,18 % du RNB contre 1 % dans le projet de la Commission européenne pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020.
Si cet objectif devait être atteint en 2020, cela porterait les crédits de paiement à près de 280 milliards d'euros (prix 2011).
Pourquoi dépenser au niveau européen une partie de ce que l'on dépense au niveau national ?
Tout d'abord, l'Union a vu ses compétences élargies depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Le projet de cadre financier pour 2014-2020 en tire certaines conséquences, mais la toise budgétaire imposée par les Etats empêche d'aller jusqu'au bout de la logique.
Ensuite, des dépenses nationales peuvent être redondantes ou non optimales, car insuffisamment concentrées ou utilisées pour répondre à des besoins nationaux qui négligent l'intérêt européen. La proposition de la Commission européenne de créer un mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) vise à répondre à ce besoin de prendre en compte un intérêt européen supérieur. Ce MIE serait doté de 56 milliards d'euros courants sur la période 2014-2020 pour financer les réseaux de transports, d'énergie et de télécommunications ayant une dimension transeuropéenne affirmée. Certaines politiques européennes ne peuvent plus se concevoir uniquement comme une juxtaposition de politiques nationales plus ou moins bien coordonnées et harmonisées.
Enfin, c'est donner corps à une Europe plus intégrée, plus forte et dotée d'une capacité d'entraînement significative. La récession de 2009 a laissé l'Union relativement dépourvue pour lancer des stratégies de relance, hormis quelques actions ciblées comme le programme énergétique européen pour la relance (PEER) 33 ( * ) . Avec des moyens renforcés, l'Union pourrait souscrire au futur Mécanisme européen de stabilité (MES).
D'un strict point de vue budgétaire, l'objectif de 2 % du RNB n'est pas hors de portée. La combinaison d'une hausse des ressources propres ( la nouvelle ressource TVA, la part de la TTF, les ressources propres traditionnelles auxquelles s'ajouteraient encore d'autres ressources comme des accises sur le tabac et l'alcool, et le produit des enchères de quotas de CO2 couvriraient encore dans cette hypothèse 40 % des dépenses de l'Union 34 ( * ) ) et d'un transfert de dépenses des Etats vers l'Union ne compliquerait pas l'effort de redressement budgétaire engagé par la plupart des Etats membres. Au contraire, il élargirait leurs marges de manoeuvre au niveau national pour réduire leurs dettes souveraines.
On peut imaginer, à la condition que l'Union européenne acquiert une relative autonomie fiscale en pouvant moduler le taux de ses ressources propres, qu'elle soit autorisée à emprunter pour financer des dépenses d'investissement, en particulier en période de ralentissement économique.
3. Pour une revue générale des politiques publiques à l'aune de la valeur-ajoutée européenne
L'objectif de 2 % posé, comment procéder ? Votre rapporteur croit en la nécessité d'une revue générale des politiques publiques dans les Etats et au niveau européen afin d'identifier poste par poste les actions qui pourraient être faites aussi bien ou mieux, pour un coût équivalent ou inférieur par l'Union européenne. Ce « screening » est la seule méthode qui permette d'avancer. Dans chaque domaine, des groupes composés d'experts de la Commission et du Conseil, de parlementaires des Etats membres et de parlementaires européens devraient être créés.
Cette démarche pragmatique peut être engagée très rapidement.
Ainsi, renverser le rapport RNB-ressources propres au sein du budget, réformer complètement les rabais issus de la notion critiquable du « juste retour », porter le budget de l'Union à 2 % du RNB pour donner davantage de marge de manoeuvre aux Etats qui doivent juguler leurs dettes souveraines et pour développer une politique de croissance au niveau où elle est la plus efficace, c'est-à-dire au niveau européen, apparaissent aujourd'hui comme des propositions susceptibles de faire franchir une nouvelle étape à la construction de l'Europe.
* 32 En incluant les dépenses hors cadre financier pluriannuel 2014-2020.
* 33 4 milliards d'euros.
* 34 Environ 117 milliards d'euros (30,7 pour les ressources propres traditionnelles, 29,4 milliards pour la nouvelle ressource TVA, 37 milliards au titre de la TTF, 10 milliards provenant des accises sur l'alcool et le tabac et 10 milliards du produit des enchères) sur un budget de 280 milliards en 2020 correspondant à 2 % du RNB (prix 2011).