II. UN PROJET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE QUI FAIT BOUGER LES LIGNES

La Commission européenne a publié en deux étapes ses propositions en matière de financement du budget de l'Union. Le 29 juin 2011, en même temps que ses propositions pour le volet « dépenses » du cadre financier pluriannuel 2014-2020, elle présentait une proposition de décision « ressources propres » 19 ( * ) et une proposition de règlement sur les mesures d'exécution de la décision « ressources propres » 20 ( * ) . Le 9 novembre 2011, elle rectifiait, pour les préciser, ces deux textes.

A. UNE RÉFORME COMPLÈTE DU SYSTÈME

La Commission européenne juge que le temps est venu « d'envisager autrement le financement de l'Union ». C'est une réforme d'ampleur qu'elle propose, et non un simple ajustement. Il s'agit d'inverser plusieurs tendances longues, à savoir la complexification, la multiplication des corrections et la hausse continue de la ressource RNB dans le budget total.

Trois principaux arguments sont avancés.

1) La création de nouvelles ressources propres en remplacement partiel de la ressource RNB rendrait aux Etats membres une marge de manoeuvre accrue pour la gestion de leurs ressources nationales limitées en ces temps de discipline budgétaire extrême.

2) Ces nouvelles ressources soutiendraient la réalisation de grands objectifs politiques européens. Elles seraient une part de la réponse européenne aux grands défis de notre époque.

3) La mobilité de certaines assiettes fiscales rend illusoire la création de certaines taxes à un niveau national, alors même qu'elles sont nécessaires pour influencer le comportement des acteurs économiques. Il convient dès lors de les créer au niveau de l'Union.

En conséquence, la proposition de décision « ressources propres », complétée par une proposition de règlement portant mesures d'exécution, prévoit plusieurs modifications audacieuses, mais nécessaires.

1. Régénérer la ressource TVA pour en faire une vraie ressource propre

La Commission propose la suppression de la ressource dite TVA en vigueur. Cette proposition répond d'abord à un objectif de simplification. Cette ressource est complexe à calculer, même si la décision « ressources propres » de 2007 l'avait déjà simplifié. Elle nécessite d'accomplir de nombreuses formalités administratives pour parvenir à une assiette harmonisée de TVA purement théorique. Surtout, son produit n'a cessé de diminuer depuis 25 ans et elle s'apparente de plus en plus à la ressource RNB comme on l'a déjà vu. C'est une ressource propre artificielle qui n'a pas de lien direct avec le produit de la TVA. Toujours pour des raisons de simplicité, sa suppression se ferait en une fois au 31 décembre 2013.

Sa suppression présente aussi l'avantage de rendre caduque la correction britannique telle qu'elle est calculée aujourd'hui, puisque celle-ci se fonde sur la part du Royaume-Uni dans l'assiette TVA totale.

La Commission européenne propose d'y substituer une nouvelle ressource propre TVA .

A la différence de la ressource TVA actuelle, il ne s'agirait pas d'une contribution des Etats membres ayant pour base de calcul l'assiette TVA. La proposition de la Commission ne consiste pas non plus à créer une TVA européenne additionnelle sur les TVA nationales.

Il s'agirait d'un prélèvement à un pourcentage fixe sur une partie des recettes de TVA perçue par les Etats membres. En vertu de la proposition de décision, ce taux ne pourrait excéder 2 %. La proposition de règlement d'exécution fixerait quant à elle ce taux à 1 %.

Ce taux de 1 % ne s'appliquerait qu'aux recettes tirées de la TVA sur les seuls biens et les services soumis au taux normal de TVA dans les vingt-sept Etats membres. Les recettes tirées de produits soumis à des taux réduits de TVA, ne serait-ce que dans un seul Etat membre sur vingt-sept, seraient exclus de l'assiette.

Selon les estimations de la Commission européenne, les recettes avec un taux de 1 % seraient comprises entre 20,9 milliards d'euros et 50,4 milliards d'euros (données de 2009). Ces estimations dépendent du degré d'harmonisation des règles applicables dans l'UE en matière de TVA, autrement dit du nombre de biens et services soumis au taux normal de TVA dans les vingt-sept Etats membres. La première estimation suppose l'absence de toute harmonisation supplémentaire des assiettes TVA et du champ d'application du taux normal. La seconde estimation s'appuie sur l'hypothèse d'une harmonisation complète, toutes les transactions étant soumises au taux normal.

Pour 2020, la Commission européenne en attend un produit de 29 milliards d'euros, soit 18 % du total des ressources propres, faisant le pari de progrès modérés de l'harmonisation. Il n'est pas irréaliste compte tenu de la situation budgétaire qui pousse les Etats à augmenter les taux de TVA.

Votre rapporteur est favorable à cette nouvelle ressource TVA qui recrée un lien direct avec la TVA réellement perçue par les Etats. La TVA est la première taxe à avoir été l'objet d'une harmonisation européenne dans le cadre de la construction du marché intérieur. Il y a donc une véritable légitimité à s'appuyer sur la TVA pour financer l'Union. Par ailleurs, cette nouvelle ressource propre établirait un lien étroit entre les politiques de l'Union en matière de TVA et les politiques budgétaires de l'Union. Les recettes augmenteraient quand les États membres décideraient d'élargir les assiettes de leurs TVA nationales et de restreindre le champ d'application des taux zéro ou réduits, ou quand de nouvelles règles européennes en matière de TVA imposeraient de telles dispositions. A cet égard, le récent Livre vert sur l'avenir de la TVA de décembre 2010 annonce une nouvelle phase d'harmonisation. La création de cette ressource propre aura un effet cliquet qui rendra plus difficile le passage d'un bien ou service du taux normal à un taux réduit.

2. Créer une taxe sur les transactions financières au profit du budget de l'Union

L'autre nouvelle ressource serait réellement inédite. Elle consisterait en une taxe sur les transactions financières (TTF) à compter du 1 er janvier 2018 au plus tard.

Une certaine cacophonie a entouré la présentation de cette initiative, la Commission européenne annonçant qu'une part du produit de cette recette alimenterait le budget de l'Union avant d'avoir publié la proposition de directive créant cette TTF. Les choses sont depuis rentrées dans l'ordre à l'automne.

En effet, la Commission a présenté le 28 septembre 2011 sa proposition de directive établissant un système commun de taxe sur les transactions financières qui précise le mécanisme et l'assiette de la TTF. Ce texte devra être adopté à l'unanimité du Conseil, après consultation du Parlement européen. Afin de circonscrire le risque de délocalisation des transactions financières en dehors de l'Union, l'assiette retenue est très large. Sont visées les transactions brutes avant compensation : transactions sur les marchés réglementés ou de gré à gré, contrats dérivés, actions, marché de capitaux, marché monétaire... 85 % des transactions financières seraient ainsi taxées. La taxe serait due dès lors qu'un établissement partie à la transaction est établi dans un Etat membre (principe de résidence).

Les Etats membres n'auraient plus la possibilité de maintenir ou de créer de taxes sur les transactions financières autres que la TTF (harmonisation complète). Ils garderaient néanmoins la faculté d'appliquer des taux supérieurs aux taux minimaux fixés par la directive. Le projet de la Commission européenne prévoit que les taux ne pourront pas être inférieurs à 0,01 % pour les transactions sur les contrats dérivés et à 0,1 % pour toutes les autres transactions. Ces taux minimaux ont été arrêtés à un niveau censé limiter, voire écarter, les risques de délocalisation. Les Etats seraient libres de fixer des taux plus élevés. Les recettes s'élèveraient à 57 milliards d'euros par an si la taxe était créée sur l'ensemble du territoire de l'Union. Elle prendrait effet à compter du 1 er janvier 2014.

Notre collègue Fabienne Keller a été chargée par la commission des affaires européennes du Sénat d'examiner ce texte. Sa communication le 25 janvier 2012 devant notre commission a présenté plus en détail l'architecture de cette taxe 21 ( * ) .

S'agissant de la nouvelle ressource propre, deux tiers du produit tiré de l'application des taux minimaux de la TTF iraient au budget de l'Union. Cette proportion de deux tiers est fixée dans le règlement d'exécution et non dans la décision « ressources propres ».

Il en est attendu un produit d'environ 37 milliards en 2020, soit près de 22,7 % du total des ressources propres. Ces estimations doivent être prises avec beaucoup de précaution, le rendement de la TTF dépendant de nombreuses variables.

En 2020, le financement global de l'Union se composerait donc de 18,9 % de ressources propres traditionnelles 22 ( * ) , 40,3 % de ressource RNB et 40,8 % de ressources nouvelles (18 % nouvelle ressource TVA et 22,7 % ressource TTF).

3. Une simplification radicale des rabais

La Commission propose de réformer les mécanismes de correction. Elle ne reprend pas l'idée qu'elle avait lancée en 2004 d'un mécanisme généralisé de correction qui mettrait en oeuvre les principes définis lors du sommet de Fontainebleau en juin 1984 (« Tout Etat membre supportant une charge budgétaire excessive au regard de sa prospérité relative est susceptible de bénéficier, le moment venu, d'une correction »).

Elle propose un système de montants forfaitaires destiné à remplacer tous les mécanismes de correction existants à partir du 1 er janvier 2014. Les montants forfaitaires (Allemagne : 2,5 milliards, Pays-Bas : 1,05 milliards, Royaume-Uni : 3,6 milliards contre près de 4 milliards aujourd'hui, Suède : 350 millions) viendraient en réduction brute des contributions RNB annuelles. Ils sont fondés sur des hypothèses actuelles ne tenant pas compte de l'instauration des deux nouvelles ressources propres. Ces montants sont exprimés en prix courants dans la proposition de décision « ressources propres ». Le coût de ces corrections en prix constants baisserait tendanciellement. En outre, ces Etats participeraient au prorata de leur RNB au financement de leur propre correction (article 5). On notera que, dans le système actuel, la Suède et les Pays-Bas bénéficient déjà d'un mécanisme semblable.

Disparaissent par conséquent le rabais britannique, le rabais sur le rabais ou la modulation des taux de la ressource TVA pour certains pays. De surcroît, les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles qui étaient fixés à 25 %, soit à un niveau dépassant le coût réel du recouvrement et constituant une correction déguisée, sont ramenés à 10 %.

Il faut enfin signaler ce qui ne changerait pas. C'est le cas des plafonds de ressources. Les ressources propres traditionnelles demeurent aussi inchangées, à l'exception des frais de perception, ainsi que la ressource RNB. Une interrogation demeure néanmoins sur l'avenir des taxes sur le glucose et l'isoglucose en cas de suppression des quotas sucre.


* 19 COM (2011) 510 devenu COM (2011) 739 après la rectification de novembre.

* 20 COM (2011) 511 devenu COM (2011) 740 après la rectification de novembre.

* 21 http://intranet.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120123/europ.html#toc5

* 22 Contre 14 % aujourd'hui. La réduction des frais de perception captés par les Etats de 25 à 10 % augmentera mécaniquement les ressources pour le budget de l'Union.

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