conclusion
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci à tous de ces témoignages et de ces précieuses réflexions. M. le président du Sénat étant retenu dans l'Ariège en raison des difficiles conditions météorologiques, j'invite M. le ministre des collectivités locales à conclure nos débats.
M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales . - L'intercommunalité est une coproduction des gouvernements successifs et je salue tous les ministres présents aujourd'hui, et d'abord M. Hoeffel, avec lequel j'ai si étroitement travaillé. Tous les responsables qui se sont exprimés cet après-midi ont l'intercommunalité chevillée au corps. Ils en parlent avec une passion intacte. C'est effectivement un sujet d'importance.
La loi Joxe a été un texte majeur. J'étais sénateur quand la réforme des collectivités territoriales a été votée et j'ai la grande chance de contribuer maintenant à sa mise en application - c'est du bonheur partagé. La loi ATR s'inscrit en effet dans un continuum, comme la réforme des collectivités de 2010. Depuis plus de quarante ans, un mouvement lent et progressif nous a conduits à cette « République décentralisée » à présent proclamée dans notre loi fondamentale. La décentralisation n'est plus de gauche ou de droite, elle est patrimoine commun, contribuant à la vitalité de nos institutions républicaines. On ne revient pas sur de telles lois.
Avec la loi ATR, on a commencé à parler du couple commune-EPCI. Tout n'est pas identique partout. Organiser une intercommunalité autour d'une grande ville, même avec de nombreux membres, ne pose guère de problème ; créer une entité intercommunale en milieu rural avec 50 communes peut être très compliqué ! C'est pourquoi divers statuts ont été imaginés, métropole, pôles métropolitains, communautés d'agglomération, communautés de communes... On ne complexifie pas en donnant la possibilité d'adapter les réponses au terrain. Le département du Bas-Rhin a confié à la ville de Strasbourg la gestion de l'action sociale, dans laquelle pourtant il n'a pas un rôle secondaire. Le but était de simplifier les démarches des citoyens. Département et ville n'ont pas toujours la même couleur politique : chaque année, il faut rediscuter des budgets alloués mais, généralement, on tombe d'accord, car il y va de l'efficacité du service rendu à la population. Dans une communauté de communes de 8 000 habitants, bien sûr, les réponses ne sont pas les mêmes.
Oui, il faut du temps pour réformer : comité Balladur, groupe de travail du Sénat, groupe de travail de l'Assemblée nationale, examen par chacune des deux assemblées, l'élaboration de la dernière loi de réforme des collectivités territoriales a pris du temps. Mais elle ouvre la possibilité d'approches diverses. La loi ATR avait réorganisé le territoire, par la décentralisation, ainsi que par la déconcentration. Demain, il faudra redéfinir le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités. Le budget de l'Etat hors collectivités locales représente 280 milliards d'euros, les budgets des collectivités, 230 milliards : le volet le plus important reste à l'Etat, même si nous vivons dans une République décentralisée. Il faudra rechercher le meilleur équilibre dans la répartition des pouvoirs et approfondir le statut de l'élu.
Sur les territoires fragiles, l'intercommunalité a eu prise très tôt : car les élus ont vite compris l'intérêt de se réunir. Dans les villes, les territoires aisés, on voyait moins l'utilité de s'engager dans cette affaire-là. Et la loi ATR n'imposait pas. En Allemagne, les regroupements communaux ont été menés de façon assez autoritaire, en Italie aussi. En France, certains, comme Terra Nova, recommandent cela. Nous avons néanmoins choisi le dialogue. La mise en place a donc été plus compliquée, il y a des imperfections à corriger, des communes isolées (1 900), des syndicats qui subsistent (15 000).
On nous avait prédit que la réforme des collectivités territoriales ne fonctionnerait pas. Or, dans deux-tiers des départements, le schéma est adopté, souvent avec un consensus large - du reste, les débats ont plus souvent opposé des élus de même tendance que des adversaires politiques. Le but a été d'éviter que des communes demeurent en dehors, parce qu'elles ont des moyens suffisants ; de promouvoir la continuité territoriale ; de faire coïncider bassins de vie et intercommunalités, ce qui est parfois compliqué, reconnaissons-le.
On a dénoncé une volonté de centralisation parce que l'élaboration des schémas était confiée aux préfets, comme s'il ne fallait pas une base de travail. Certains ont pris les préfets à rebrousse-poil ; de leur côté, des représentants de l'Etat sont allés trop loin ; mais, lors du débat sur le schéma, on est revenu à un équilibre. Aujourd'hui, dans les deux-tiers des départements, là où le schéma est adopté, le nombre d'EPCI diminue de 20%, le nombre de syndicats a baissé d'autant : on passe de 15 000 à 12 000 - et de 1 828 à 1477 intercommunalités. Lorsque tous les départements seront dotés d'un schéma, la baisse sera d'environ 30% : ce sera une amélioration, porteuse de cohérence. La première métropole, Nice-Côte-d'Azur, vient d'être créée, 13 communes nouvelles et, au moins, huit pôles métropolitains sont prévus.
La réforme est-elle achevée ? Bien sûr que non. Tous les départements n'ont pas encore leur schéma, les remarques faites doivent être prises en compte, des ajustements législatifs sont encore nécessaires. La proposition de loi Sueur n'a pu prospérer en raison d'autres dispositions qui y figuraient, mais la proposition de loi Pélissard pourrait être adoptée la semaine prochaine...
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous allons essayer de trouver une solution.
M. Philippe Richert, ministre . - Le groupe Pélissard, le groupe Sueur et le gouvernement discutent pour qu'un texte puisse être voté par les deux assemblées. La mutualisation des services impose de faciliter les regroupements. Dans mon canton, à côté de la communauté de communes couvrant l'ensemble du territoire, il y avait aussi des syndicats, d'eau par exemple. Il est temps de simplifier !
Je me suis toujours battu pour l'autonomie fiscale et financière des collectivités. Les choses, pourtant, ne sont pas si simples. Les droits de mutation, ressource des départements, rapportaient jusqu'en 2008 entre 7 et 8 milliards d'euros. Or, avec la crise, le produit a chuté à 5,3 milliards en 2009. S'il est remonté à 7 milliards en 2010, tous les départements n'en ont pas également profité. En outre, les ressources fiscales n'augmentent pas forcément là où les dépenses sociales progressent le plus... Il faudra remettre à plat le sujet. Vous êtes contents lorsque les recettes fiscales augmentent, vous réclamez l'aide de l'Etat lorsqu'elles reculent : vous voulez l'autonomie, mais avec une garantie d'augmentation ! Le financement par dotation, comme pour le RSA, méritera lui aussi un débat. Les départements ont une compétence liée, ils interviennent presque comme des services extérieurs de l'Etat qui définit et rembourse les prestations.
La péréquation verticale par la DGF représente 3 milliards d'euros par an. La nouvelle péréquation horizontale, c'est-à-dire entre collectivités, a posé quelques problèmes. Il y avait déjà une péréquation en Ile-de-France avec le FSRIF. La définition des communes et intercommunalités riches et de celles qui sont pauvres n'était pas simple. Nous devrons affiner les choses au cours des années à venir, notamment en concertation avec le Comité des finances locales.
La France a longtemps attendu pour aller vers la décentralisation. A présent, nous y sommes et nous recherchons l'efficacité, sans la complexité. La loi ATR a fait date, nous obligeant à réfléchir. La réforme des collectivités territoriales n'est qu'un volet de plus. Cependant, j'y insiste, nous ne pourrons faire abstraction de la crise économique dans nos réflexions.
A titre personnel, je crois que le rôle de la région, dans le couple région-département, et de l'intercommunalité dans le couple intercommunalité-commune va s'accroître, comme celui des intercommunalités par rapport aux communes. Il faudra chaque année remettre l'ouvrage sur le métier - sans rupture, espérons-le, et en nous donnant du temps. Pierre Mauroy disait en janvier 2010 qu'il faut « poursuivre jusqu'à son terme ce mouvement de regroupement des communes ». Il ajoutait : « il faudra peut-être du temps, raison de plus pour en avoir la volonté ». La loi ATR a beaucoup apporté : tirons-en le meilleur afin d'améliorer l'efficacité au service de la démocratie, en faisant le meilleur usage de l'argent public. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci, monsieur le Ministre, d'avoir bien voulu conclure ce colloque. Je remercie aussi tous les intervenants pour la qualité de leurs réflexions. Il a régné tout au long des interventions et des débats un état d'esprit profondément intercommunal, une passion pour les collectivités territoriales, dont je me réjouis. (Applaudissements).