III.- LA RECHERCHE ET LA FORMATION
Le caractère à la fois hybride - résultant de son statut de « science fondamentale centrée sur l'application » selon la définition de Jay Keasling - et interdisciplinaire de la BS suppose une adaptation des politiques de recherche et de formation dans ce domaine. D'autres technologies émergentes, comme les nanotechnologies ou les biotechnologies 211 ( * ) , sont soumises à des exigences d'un niveau comparable.
Mais, dans le cas de la BS, présentée comme une « technologie de rupture » et une « révolution industrielle », ces exigences impliquent que les acteurs publics et privés mettent en oeuvre une stratégie de développement ambitieuse et rigoureuse. Car il s'agit non seulement de développer la BS, mais aussi de s'assurer que les disciplines sur lesquelles elle s'appuie ont atteint le niveau d'excellence correspondant à sa complexité, ce qui suppose des investissements conséquents et de long terme à la fois pour la recherche et la formation.
A.- LES SYSTÈMES DE RECHERCHE ET DE FORMATION À L'ÉPREUVE DES EXIGENCES DE LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE
Ces exigences reposent sur la nécessité admise, de façon unanime, de procéder à une profonde réorientation des systèmes de recherche et de formation par la mise en place de synergies entre l'industrie et la recherche, d'une part, et l'application de l'interdisciplinarité dans les systèmes de recherche et de formation, d'autre part.
Les Etats y ont été d'autant plus encouragés que le concours iGEM ( International Genetically Engineered Machine Competition - Compétition internationale de machines génétiquement modifiées) a joué un rôle de catalyseur dans ces stratégies.
1.- UNE NÉCESSITÉ UNANIMEMENT ADMISE : LA PROFONDE RÉORIENTATION DES SYSTÈMES DE RECHERCHE ET DE FORMATION
a) La mise en place de synergies entre l'industrie et la recherche
Cette démarche revêt une ampleur variable selon qu'il s'agit des États-Unis (dont la prépondérance est incontestable) ou du reste du monde - Europe et Asie. Les États-Unis ont davantage mis l'accent sur la recherche appliquée que sur la recherche fondamentale, à la différence de l'Europe. Pour sa part, l'Asie est en train de développer un modèle de partenariat recherche-industrie tout à fait efficace.
1° La prépondérance incontestable des États-Unis
Cette prépondérance repose sur un contexte institutionnel favorable à la très forte synergie entre les différents acteurs.
Comme le montrent plusieurs exemples, les chercheurs américains relient naturellement recherche fondamentale et recherche appliquée avec, notamment, la création et le développement plus facile de start up issues de la recherche. L'exemple le plus connu est celui de Craig Venter, fondateur, en 2006, du J. Craig Venter Institute, qui emploie 400 salariés, dont un Prix Nobel de médecine, Hamilton Smith.
D'autres chercheurs renommés qui, à la différence de Craig Venter, ont un statut académique, ont créé également leurs entreprises. C'est le cas de Jay Keasling qui, tout en étant professeur à l'Université de Berkeley et directeur de la Division des Biosciences physiques du Lawrence Berkeley National Laboratory, un institut de recherche dépendant du Département de l'Energie (DOE), a fondé la société Amyris Biotechnologies. Jay Keasling a également participé avec Georges Church, professeur à la Harvard Medical School de Boston, et Chris Somerville, professeur à l'Université de Berkeley et directeur de l'Energy Biosciences Institute, à la création de LS9. Fondée en 2007, cette société s'est spécialisée dans la fabrication de nouveaux biocarburants.
Lors de l'audition publique du 4 mai 2011 sur les enjeux de la biologie de synthèse, Jonathan Burbaum, directeur de programme des projets de recherches avancées du Département de l'Energie, a déclaré que ce dernier avait engagé le programme PETRO, dédié à l'ingénierie de végétaux visant à remplacer le pétrole. Le programme a bénéficié d'une première tranche de crédits s'élevant à 130 millions de dollars (soit près de 100 millions d'euros).
Quant à la DARPA (Defense Advanced Research du Département de la Défense), elle a financé, à hauteur de 30 millions de dollars (soit environ 23 millions d'euros), un programme de BS appelé « Living Foundries » destiné à standardiser des briques : gènes et régulation de l'ADN, notamment. Grâce à leur confiance dans les perspectives d'application de la BS, les entreprises ou fondations privées ont conclu d'importants partenariats avec les chercheurs. A ce titre, la Fondation Bill et Melinda Gates a versé une subvention d'un montant de 43 millions de dollars (soit environ 33 millions d'euros) au laboratoire de Jay Keasling, en vue de soutenir les recherches sur l'artémisinine, un médicament destiné à lutter contre le paludisme.
Les grandes compagnies pétrolières comptent parmi les partenaires les plus importants. Ainsi BP et Exxon ont-ils respectivement conclu des partenariats à hauteur de 500 millions de dollars (soit environ 384 millions d'euros) avec l'Energy Biosciences Institute 212 ( * ) et de 600 millions de dollars (environ 461 millions d'euros) avec l'Institut de Craig Venter. Ces partenariats s'inscrivent dans le cadre de recherches sur la production de nouveaux biocarburants.
Une autre illustration récente de ces partenariats entre les centres de recherche et l'industrie est la création, au mois d'avril 2011, du Synthetic Biology Institute (SBI) par l'Université de Berkeley et Agilent Technologies, numéro 1 de l'industrialisation des instruments de mesure. SBI est destiné à appliquer des recherches de pointe en biologie des systèmes, visant à établir des processus, produits et technologies répondant à la demande de l'industrie.
Cette organisation et cette proximité entre recherche publique et applications industrielles expliquent l'importance des financements et sont à l'origine du rôle prépondérant joué par la recherche américaine, par rapport à l'Europe, où les financements sont, comme on le verra, nettement moins élevés. La prépondérance des États-Unis se manifeste aussi dans le domaine des publications. Comme le montre l'étude de Françoise Roure 213 ( * ), présidente de la section « Technologies et Société » du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies, les États-Unis représentent 68 % du total des publications, contre 17 % pour l'Union européenne (Allemagne, 8 % , Royaume-Uni, France et Espagne, 2 % chacun).
La domination américaine n'est toutefois pas totale. En effet, comme le relève un rapport de l'European Academy Science Advisory Council 214 ( * ) , l'Europe est en avance sur les États-Unis dans le domaine de la biochimie, qui joue un rôle-clé d'interface dans le développement de la BS. Mais on pourrait y ajouter également la biologie des systèmes. De plus, la biologie de synthèse, tout comme la biologie des systèmes, est confrontée à la complexité : or la formation des ingénieurs, en France, est fortement orientée vers la gestion des systèmes complexes, ce qui nous donne un avantage compétitif dont il faudrait davantage tirer parti. Faute de disposer d'un vivier important de spécialistes dans cette discipline, les États-Unis font partie d'un programme européen de recherches appelé BasysBio. Associant Argonne, le premier laboratoire national de recherche en science et ingénierie des États-Unis, l'Université de Chicago qui est l'un des gestionnaires d'Argonne, l'INRA, et plusieurs autres institutions, BasysBio vise à développer des techniques de biologie des systèmes. Celles-ci permettront d'étudier la régulation globale de la transcription des gènes dans le modèle bactérien Bacilus subtilis. Basysbio permet aux Américains d'accéder librement à une base répertoriant toutes les demandes contenant les souches réduites.
Les États-Unis sont également partie prenante du projet Basyntec, qui a débuté en octobre 2010. Il s'agit d'une recherche en biologie de synthèse rassemblant huit institutions de recherche, dont l'INRA et Argonne. Cette recherche a pour but, d'une part, le design de souches pour la biotechnologie et, d'autre part, le test de ces souches en vue de la production de vitamines et d'enzymes 215 ( * ) . Dans les programmes BasysBio et Basyntec, les Américains sont des partenaires à part entière de l'Europe, sans toutefois bénéficier des subventions de la Commission européenne.
Le volontarisme affiché par le gouvernement américain pour valoriser les recherches en BS est très fort. En effet, le Président Obama a annoncé le 16 septembre 2011 que son administration développerait le projet national de bio-économie ( National Bioeconomy Blueprint ). Ce projet est destiné à exploiter les innovations de la recherche en biologie, pour relever les défis nationaux dans les domaines de la santé, l'alimentation, l'énergie et l'environnement.
Mais le recours des États-Unis à l'expertise scientifique européenne et française montre que l'Europe dispose d'atouts forts, pour peu que les gouvernements de l'UE s'engagent dans une stratégie de développement des sciences du vivant et des biotechnologies.
2° Le reste du monde : Europe, Chine
Ø L'Allemagne
L'Allemagne a davantage axé ses efforts sur la biologie des systèmes que sur la BS, même si les chercheurs allemands marquent pour celle-ci un intérêt croissant. Dans le domaine de la BS, l'étude récente de Pei, Gaisser et Schmidt 216 ( * ) souligne que, jusqu'à 2010, la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft - société allemande pour la recherche) a financé des projets ne portant pas le label de biologie de synthèse, mais qui y sont potentiellement liés.
Ainsi la DFG a-t-elle versé une subvention de 32,5 millions d'euros pour les années 2007 à 2011 au cluster d'excellence de l'Université de Fribourg, le Centre for Biological Signaling Studies (BIOSS). Environ un cinquième des activités de BIOSS a des liens avec la BS. Le seul projet que la DFG ait officiellement financé dans le domaine de la BS concerne des recherches sur l'extension du code génétique.
De même, au niveau des Länder , très actifs dans le soutien à la recherche et à l'innovation (leur budget est largement supérieur, parfois d'un facteur 10, à celui de nos régions, même les plus dynamiques comme l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACA ou Aquitaine), le Land de Hesse a financé à hauteur de 21 millions d'euros un cluster de recherche en microbiologie synthétique « SYNMIKRO », associant l'Université de Marburg et l'Institut Max Planck. L'étude précitée note que, jusqu'à présent, le ministère fédéral de l'Enseignement et de la recherche n'a pas financé de projets ayant un lien direct avec la BS, malgré un intérêt déclaré pour ce champ émergent.
Le congrès sur le processus stratégique « Biotechnologie 2020 », qui s'est tenu le 8 juillet 2011, à Berlin, pourrait donner une impulsion plus forte au développement de la recherche en BS. Ce congrès, qui a réuni des représentants du gouvernement, des instituts de recherche et de l'industrie, a examiné les conditions dans lesquelles l'enveloppe de 200 millions d'euros envisagée par le gouvernement fédéral permettra aux sciences biologiques et aux sciences de l'ingénierie de concourir au développement du processus stratégique « Biotechnologie 2020 ».
Dans ce processus, la BS pourrait jouer un rôle identifié, si l'on tient compte des déclarations de nombreux participants qui y ont vu un élément important de la biotechnologie de l'avenir. C'est ainsi que Petra Schwille, professeure de biophysique à l'Institut technique de Dresde, a déclaré qu'il s'agissait, selon une nouvelle approche, de comprendre la cellule à la manière des ingénieurs, c'est-à-dire un système construit à partir de modules pouvant de nouveau se combiner. D'autres représentants de l'industrie et du monde académique ont évoqué la possibilité d'utiliser des cellules synthétiques ou des microbes en vue de fabriquer de nouvelles substances ou développer de nouvelles thérapies.
Pour autant, les représentants du ministère de la Recherche rencontrés à Berlin ont déclaré qu'il n'était pas question, à ce stade, de lancer des appels d'offres sous le label de la BS, le ministère se retranchant derrière l'avis des scientifiques qui considèrent qu'il s'agit d'un domaine évolutif, recelant de multiples applications. C'est pourquoi la BS est financée dans le cadre de la biologie des systèmes et de la stratégie pour le développement de la bioéconomie. Sous l'impulsion du ministère de la Recherche, l'Allemagne s'est dotée depuis 2001 d'une stratégie pour développer la biologie des systèmes. Ainsi, le programme Hepatosys, qui s'intéresse au fonctionnement des cellules du foie, a-t-il été financé entre 2004 et 2010 à hauteur de 36 millions d'euros.
En 2007, le ministère a mis en place un programme d'envergure doté de 54 millions d'euros sur cinq ans, appelé FORSYS ( Research Units for Systems Biology ). Ce programme a permis de construire l'expertise et le savoir-faire en biologie des systèmes et de poser les bases d'un enseignement nouveau fondé sur l'interdisciplinarité. Il s'est initialement appuyé sur quatre centres :
- le FRYSIS ( The Freiburg Initiative for System Biology ), localisé à l'Université de Fribourg, comprend 17 groupes de recherche (plus de 60 chercheurs), qui travaillent sur la modélisation et l'analyse des systèmes dans le processus de signalisation durant la croissance et la différenciation d'organismes modèles (cyanobactéries, arabidopsis 217 ( * ) , poisson zèbre ...). FRYSIS a été doté d'un budget de 8,5 millions d'euros pour les années 2007 à 2009 et de 4,5 millions d'euros pour les deux années suivantes.
- ViroQuant : localisé à Heidelberg (Bade-Wurtemberg), ce programme est centré sur les interactions entre virus et cellule avec l'objectif de trouver de nouvelles molécules-cibles pour des médicaments antiviraux.
- Magdeburg Center for Systems Biology (MaCS) : localisé à Magdebourg (Saxe-Anhalt), ce centre s'intéresse à la biologie des systèmes appliquée à l'immunologie.
- GoFORSYS : localisé à Potsdam (Brandebourg), il s'agit d'une alliance entre l'Université de Potsdam, le Max Planck Institute for Molecular Plant Physiology et le Max Planck Institute for Colloid and Interface Research. Le programme s'est spécialisé dans la biologie des systèmes des plantes, en particulier les réseaux de régulation de leur métabolisme.
Quant aux Länder , ils ont également financé d'importantes initiatives, comme la construction, à l'Université de Heidelberg, à hauteur de 27 millions d'euros, du Centre for Quantitative Analysis of Molecular and Cellular Biosystems (BioQuant), la réalisation d'un nouveau bâtiment sur le campus de l'Université de Fribourg avec le centre BIOSS ( Centre for Biological Signaling Studies ), précédemment évoqué, qui établit une passerelle entre biologie des systèmes et BS. L'Université a investi 14 millions d'euros et le Land de Bade-Wurtemberg a prévu une somme équivalente.
Enfin, le Sénat de Berlin prévoit la construction d'un centre de recherche à Berlin, le Berlin Institute of Medical Systems Biology , avec un investissement à hauteur de 30 millions d'euros.
L'Allemagne s'attache à démontrer la faisabilité de l'approche fondée sur la biologie des systèmes pour les applications médicales. A ce titre, différents programmes sont financés par le ministère de la Recherche :
- le projet « foie virtuel » ( Virtual Liver ) : il bénéficie d'une dotation de 43 millions d'euros pour les cinq prochaines années, jusqu'en 2015,
- le programme MedSys ( Medical Systems Biology ), dans lequel seront investis 40 millions d'euros pour la période 2009-2011,
- le programme GerontoSys ( Systems Biology of Aging ) pour l'application de la biologie des systèmes aux enjeux du vieillissement et des maladies neuro-dégénératives, dont la dotation s'établit à 10 millions d'euros pour les années 2010 à 2014.
Les programmes MedSys et GerontoSys ont pour objectif d'intégrer des partenaires industriels (pharmacie et secteur agro-alimentaire).
Au total, pour les années 2004 à 2015, 328 millions d'euros seront ainsi consacrés aux différents programmes de la biologie des systèmes. S'y ajoutent les crédits que le gouvernement fédéral prévoit d'engager dans le cadre de la stratégie nationale de recherche sur la bioéconomie d'ici à 2030. A ce titre, 2,4 milliards d'euros seront investis pour les six prochaines années, par quatre ministères (Enseignement et recherche, Agriculture, Environnement, Coopération économique et développement), à hauteur de 1,4 milliard d'euros, le reste étant pourvu par des organismes de recherche (Max Planck, Fraunhofer, Leibnitz et Helmholtz).
Cette stratégie a notamment pour objectif de produire de l'énergie à partir de la biomasse et de progresser dans l'utilisation industrielle des matières premières renouvelables, afin de renforcer la compétitivité de l'industrie allemande et de s'assurer une position de leader parmi les pays développés.
En effet, dans le cadre de cette stratégie, toutes les recherches sont dirigées vers une plus grande utilisation des ressources biologiques, comme les plantes, les animaux et les micro-organismes, par des méthodes très diversifiées comprenant aussi les recherches sur les OGM. Parmi les premières actions programmatiques, une collaboration avec la France est prévue dans le domaine de la génomique des plantes. Comme l'ont indiqué les représentants du ministère fédéral de l'Enseignement et de la recherche, les projets de recherche dans le domaine de la BS seront inclus dans cette stratégie.
Ø Le Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, les recherches dans le domaine de la BS, la biologie des systèmes, la bio-ingénierie et les bio-nanotechnologies, sont financées principalement par le Biotechnological and Biological Sciences Research Council (BBSRC) et l'Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC). Le BBSRC consacre près de 21 millions d'euros par an au financement de projets ayant trait à la BS et à la recherche fondamentale. L'EPSRC et la National Science Foundation (États-Unis) ont lancé, au printemps 2009, des appels à projets relatifs à la BS et dégagé 6 millions d'euros pour cinq projets.
L'EPSRC finance également le Centre de BS et de l'Innovation, qui réunit l'Imperial College de Londres et la London School of Economics, à hauteur de 4,8 millions de livres (environ 5,3 millions d'euros) pour la période 2009-2014. L'Imperial College, l'un des centres d'excellence de la recherche en BS au Royaume-Uni, poursuit une politique de partenariat très active avec l'industrie, le professeur Richard Kitney indiquant que des projets conjoints avaient été conclus avec 11 entreprises, parmi les 40 avec lesquelles l'Imperial College est en contact.
De plus, soucieux de relier recherche fondamentale et applications commerciales, l'Imperial College crée des start up . Ainsi, cet établissement prélève-t-il 90 % des licences, 10 % revenant au fonctionnement de l'université, ce qui lui permet de s'autofinancer, ses revenus s'élevant à 300 millions de livres par an (environ 360 millions d'euros). Enfin, le Medical Research Council a engagé des crédits d'un montant de 1,8 million d'euros en 2007-2008. L'étude de Lei Pei et al . estime en conclusion que le financement de la BS est bon, ce domaine figurant au demeurant parmi les sujets que le plan stratégique de la BBSRC envisage de promouvoir pour les années 2010 à 2015.
Ø La France
L'étude de Lei Pei et al . précédemment citée 218 ( * ) observe que la BS ne fait l'objet d'aucun appel à projets spécifique, que ce soit de la part de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou du CNRS. Soit ces projets sont inclus dans les programmes blancs 219 ( * ) , comme c'est le cas, par exemple, du programme national de recherche sur les bioénergies pour les deuxième et troisième générations de biocarburants. Soit ils font partie de programmes plus globaux de biotechnologies, ce qui ne leur donne pas de visibilité propre. Dans ces deux cas, la pertinence des projets pluridisciplinaires est très généralement sous-évaluée par des comités monodisciplinaires, un phénomène qui n'est pas propre à la France, et dont la BS est naturellement victime.
Le CNRS n'a pas non plus défini de programme spécifique à la BS, celle-ci étant financée dans le cadre d'un programme pluridisciplinaire de recherche, à hauteur de 50 000 euros sur un an 220 ( * ) . A ce jour, deux projets de recherche en BS ont été financés par ce programme. L'étude précitée de Lei Pei constate que, dans ce contexte, la BS n'a pas été inscrite en tête de liste des priorités de l'ANR et du CNRS. C'est la raison pour laquelle les chercheurs français sollicitent la plus grande partie de leurs financements auprès des programmes européens.
La présence des équipes françaises dans 5 des 18 projets de biologie de synthèse regroupés dans le département NEST (science et technologie nouvelles et émergentes), du 6 e PCRD a été significative. Il en est également de même dans au moins 8 projets du 7 e PCRD, notamment dans le département KBBE (« Bioéconomie basée sur la connaissance ») qui regroupe les appels d'offre labellisés « biologie de synthèse ».
En ce qui concerne la recherche dans le secteur privé, l'audition publique du 4 mai 2011 a permis de constater qu'elle était active dans les domaines de la production de nouveaux biocarburants ou de la chimie. Mais, comme dans les autres domaines, les partenariats entre recherche publique et privée restent très faibles, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, malgré l'incitation fiscale très attractive du crédit impôt recherche dans notre pays.
Ø La Suisse
La Suisse a suivi l'exemple de l'Allemagne, comme le montre l'initiative lancée en 2007 dans le domaine de la biologie des systèmes par Systems X.ch. Il s'agit d'un consortium réunissant huit universités et trois instituts de recherche. Le gouvernement helvétique lui a accordé des crédits d'un montant de 66,7 millions d'euros pour quatre ans et une enveloppe d'un montant équivalent provenant des partenaires du consortium. A la suite du lancement de deux appels d'offres, quatorze projets ont été financés, représentant ainsi 80 % des dotations au titre des années 2008 à 2011.
Le Département de la science des systèmes biologiques et de l'ingénierie de Bâle, l'un des centres de recherche en BS les plus actifs d'Europe, s'est vu également allouer une dotation de 66,7 millions d'euros. Ce centre a été créé pour réunir des chercheurs de diverses disciplines, sciences naturelles, ingénierie, informatique et mathématiques, la BS étant l'un des trois domaines de recherche. Le budget alloué par le centre au titre de la BS est d'environ 5,5 millions d'euros par an pour une période de quatre ans. Avec un budget annuel de 480 millions d'euros, le Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) est le principal organe de financement pour la recherche fondamentale dans toutes les disciplines, dont la BS, financée depuis 2002.
Tous les projets financés par Systems X.ch et le FNRS couvrent les différents aspects de la BS, à l'exclusion des questions sociales et éthiques. Le FNRS finance essentiellement la recherche fondamentale, et Systems X.ch la recherche fondamentale et appliquée.
Ø La Chine
Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné l'importance des moyens alloués par le gouvernement chinois à la BS, que ce soit en termes de recherche fondamentale ou de moyens de financement. En ce qui concerne la recherche, un laboratoire de BS, le Shangaï Institute for Biological Science, regroupe depuis 2008 une douzaine de chercheurs principaux et une centaine d'étudiants et de chercheurs.
La Chine a accueilli au mois d'octobre 2011 deux colloques internationaux. Du 12 au 14 octobre 2011, un symposium consacré aux technologies-clés de la BS s'est tenu à Shangaï. Il a réuni les Académies chinoises des Sciences et de l'ingénierie, ainsi que leurs homologues britanniques et américaines sur les thèmes suivants : caractérisation et conception des briques et modules, génome synthétique, construction et conception des réseaux ainsi que les aspects industriels et éthiques de la BS. De même, une conférence réunissant l'Institut Max Planck et l'Académie des Sciences chinoise s'est tenue à Shangaï sur les différentes approches de la BS : bottom up et top down . S'y ajoutent des actions de coopération entre les universités chinoises et étrangères. Ainsi, Pamela Silver, professeure à la Harvard Medical School, accueille-t-elle régulièrement un certain nombre d'étudiants chinois dans son laboratoire.
S'agissant des moyens de financement, François Képès nous a indiqué que, dans le cadre du XII e Plan, trois institutions soutiendraient la BS, dont le ministère de la Recherche à lui seul pour un milliard de dollars par an. Toutefois, faute de données exactes, cette dotation pourrait financer - outre la BS stricto sensu - d'autres domaines tels que les « omiques » ou la biologie des systèmes.
* 211 Voir, par exemple, le rapport établi pour l'OPECST par Jean-Yves Le Déaut : « La place des biotechnologies en France » (AN n° 2046, 26 janvier 2005).
* 212 L'Energy Biosciences Institute, créé en 2007, résulte d'une initiative conjointe de l'Université de Bekerley, l'Université de l'Illinois Urbana-Champaign, le Lawrence Bekerley National Laboratory et le groupe BP.
* 213 Françoise Roure, «Biologie de synthèse : une structuration rapide du paysage technologique, scientifique et institutionnel international qui requiert un investissement public à la hauteur des enjeux», Réalités industrielles, février 2010, p. 15.
* 214 EASAC, «Realising European potential in synthetic opportunities and good governance», janvier 2011.
* 215 Il s'agit, en effet, de façonner le génome de la bactérie pour répondre aux besoins des industriels.
* 216 Lei Pei, Sibylle Gaisser et Markus Schmidt, «Synthetic biology in the view of European public funding organisations», Public understanding of Sciences, 2011.
* 217 Arabidopsis est une plante de la famille des brassicacées (crucifères), à laquelle appartiennent de nombreuses espèces cultivées utilisées dans l'alimentation (chou, navet, radis, moutarde, etc.). Plusieurs de ses caractéristiques en ont fait un modèle utilisé en biologie végétale et en biologie fondamentale.
* 218 Lei Pei, Sibylle Gaisser et Markus Schmidt, «Synthetic biology in the view of European public funding organisations», Public understanding of Sciences, 2011.
* 219 Un programme blanc est ouvert à toutes les thématiques et à tous les types de travaux de recherche, des projets les plus académiques jusqu'aux recherches menées dans le cadre de partenariats avec les acteurs socio-économiques.
* 220 Cette donnée m'a été confirmée par François Képès.