2.- LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE, UNE NOUVELLE DISCIPLINE ?
La première définition considérant la BS comme une discipline à part entière s'appuie sur sa spécificité par rapport à la biologie moléculaire, à la biologie cellulaire et au génie génétique. Ainsi Jay Keasling, professeur à l'Université de Californie et inventeur de l'artémisinine synthétique, un médicament pour lutter contre le paludisme, fait-il valoir que deux caractéristiques distinguent la BS :
1) « la conception et la construction de composants essentiels (parties d'enzymes, circuits génétiques, voies métaboliques, etc.) qui peuvent être modélisés, compris et fabriqués, afin de satisfaire à des critères opérationnels particuliers »,
2) « l'assemblage de ces composants dans des systèmes intégrés plus grands, en vue de résoudre des problèmes spécifiques ».
Jay Keasling convient lui-même que cette distinction se réfère à la nature particulière des outils technologiques utilisés par les biologistes de synthèse.
Dans le même esprit, le Groupe européen d'éthique 21 ( * ) constate, sur la base des diverses descriptions des technologies employées, qu' « il est possible d'identifier les éléments caractéristiques de la biologie synthétique, qui incluent l'ingénierie des composants biologiques qui n'existent pas dans la nature et la transformation d'éléments biologiques existants. La biologie synthétique est centrée sur la conception intentionnelle de systèmes biologiques artificiels ou transformés, plutôt que sur la compréhension des organismes existant dans la nature. »
Le Groupe européen d'éthique considère qu'une définition de la BS devrait inclure :
• la conception de cellules d'organismes
minimaux (y compris de génomes minimaux),
• l'identification et l'usage des briques du
vivant (notion de boîte à outils),
• la construction de systèmes biologiques
totalement ou partiellement artificiels.
Ces précisions sont importantes, car elles mettent l'accent sur la notion d' intention. Le Groupe européen d'éthique y voit une nouveauté introduite par la BS dans la conception et l'utilisation des différents instruments technologiques de bio-ingénierie.
« La BS utilise la biotechnologie, de façon intentionnelle , pour concevoir et construire des systèmes biologiques, qui traitent de l'information, manipulent des produits chimiques, fabriquent des matériaux et des structures, produisent de l'énergie, fournissent de la nourriture et maintiennent la santé de l'homme et notre environnement. »
Tout en reconnaissant qu'en la matière les frontières peuvent être floues, le Groupe européen d'éthique soutient que « l'intention de construire un organisme avec des propriétés radicalement nouvelles peut être décrite comme un trait de la nouvelle discipline ».
Les propos tenus par Ron Weiss, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), lors de son audition par la Commission présidentielle américaine de bioéthique sont de nature à confirmer cet argument. Évoquant les applications potentielles de la BS dans le domaine du traitement des maladies infectieuses, il a ainsi souligné que c'est la programmation des cellules qui permettra aux biologistes de synthèse de parvenir à des résultats qui ne seraient pas possibles autrement.
Une définition complémentaire se réfère à la notion d'ingénierie, en indiquant que la BS est « l'ingénierie de la biologie ». C'est d'ailleurs cette définition et cette terminologie qui sont adoptées au Canada, où l'on évite d'utiliser le terme de BS, car trop polémique selon les interlocuteurs scientifiques et institutionnels que nous avons rencontrés.
Cette définition est également celle défendue par Randy Rettberg, directeur de la compétition iGEM et Ron Weiss, qui voient dans la BS l'application de la démarche de l'ingénierie à la biologie et à ses objectifs.
Pour le professeur Jim Haseloff, de l'Université de Cambridge, c'est la première fois que la démarche de l'ingénieur est appliquée en biologie. C'est pourquoi, selon lui, la construction de circuits biologiques à grande échelle est possible et constitue, ce faisant, l'une des applications les plus intéressantes de la BS.
Dans le même temps, les chercheurs de l'Imperial College précisent que « la biologie synthétique est une discipline émergente, qui exploite les récentes avancées de la biologie moléculaire et cellulaire, en vue de concevoir et de construire de nouveaux systèmes et mécanismes biologiques ».
Enfin, selon les chercheurs américains Steven Benner et Michael Sismour, chefs de file de la réécriture du code génétique, la BS suit l'exemple de la chimie. Ainsi, grâce aux modèles d'enzymes construits dans les années 50, la compréhension de chaque réaction enzymatique est aujourd'hui basée sur les modèles synthétisés par les spécialistes de la chimie bioorganique, lesquels ont reproduit les propriétés émergentes des enzymes.
Cet argument confirme les observations que m'ont formulées certains de mes interlocuteurs, selon lesquelles la BS a suivi une évolution analogue à la chimie, lorsque la chimie de synthèse est apparue comme suite logique, « naturelle », de la chimie analytique.
La définition la plus consensuelle semble être celle proposée par le consortium européen de recherche Synbiology (6 e PCRD, avec des partenariats entre la France, l'Allemagne, les États-Unis, la Grèce et le Portugal) :
« La BS est l'ingénierie de composants et systèmes biologiques qui n'existent pas dans la nature et la réingénierie d'éléments existants ; elle porte sur le design intentionnel de systèmes biologiques artificiels, plutôt que sur la compréhension de la biologie naturelle. »
On peut en conclure que, discipline nouvelle ou pas, la BS représente bien un champ nouveau de la biologie, avec une approche méthodologique mêlant l'analyse scientifique de la biologie et l'ingénierie des biotechnologies.
* 21 Groupe européen d'Ethique des sciences et des nouvelles technologies (GEE). Avis sur l'éthique de la biologie synthétique, 18 novembre 2009.