2.- LES POSITIONS DES ÉTATS ET DE L'UNION EUROPÉENNE
a) Les positions des États
Ces positions sont, dans l'esprit des Etats tout au moins, inspirées de celles des commissions d'éthique. Aux États-Unis, comme en Europe, les Etats ne souhaitent pas élaborer de nouvelles réglementations, d'autant qu'ils soulignent l'importance stratégique de la BS dans ses applications potentielles.
1° Les États-Unis
La Commission présidentielle américaine de bioéthique souligne que, au cours de la seule année 2009, le gouvernement fédéral a pris plusieurs mesures qu'elle avait préconisées :
- prise de position du NIH en vue de réviser ses lignes directrices sur la recherche utilisant des molécules d'ADN recombinant, pour tenir compte des problèmes potentiels posés par la BS,
- développement par le gouvernement fédéral d'un cadre destiné à la vérification par les fournisseurs de doubles brins d'ADN synthétiques,
- élaboration par le service d'inspection de la santé animale et végétale des Centers for Disease Control and Prevention (CDC - Centre de contrôle et de prévention des maladies) d'une circulaire prévoyant l'application des dispositifs concernant les agents pathogènes aux personnes qui créent et utilisent des produits issus de la synthèse générique,
- engagement du National Security Advisory Board for Biosafety and Biosecurity (NSABB) d'informer et de former toutes les personnes pratiquant la BS à la culture de la responsabilité tout en les incitant à développer la coopération internationale dans ce domaine.
A la suite de la publication, en décembre 2010, du rapport de la Commission présidentielle américaine de bioéthique, une instance placée auprès du Président Obama, - Emerging Technologies Interagency Policy Coordination Committee (ETIPC) : Commission de coordination des politiques interagences pour les technologies émergentes - a engagé la mise en oeuvre des recommandations de la Commission présidentielle américaine de bioéthique. Cette commission est co-présidée par John P. Holden, assistant du Président pour la Science et la technologie, directeur de l'Office de la politique pour la science et la technologie ; Cass R. Sunstein, administrateur de l'OIRA (Office of Information and Regulatory affairs) et de l'OMB (Office of Management and Budget), et Islam Siddiqui, négociateur en chef pour l'Agriculture à l'US Trade Representative.
Ainsi, au mois de mars dernier, a-t-elle publié un mémorandum destiné aux dirigeants de départements et des agences, dans lequel elle expose les principes directeurs devant régir le développement et la mise en oeuvre du contrôle des technologies émergentes, comme les nanotechnologies, la BS et le génie génétique. L'ETIPC souligne que l'innovation en ces domaines requiert non seulement la coordination et le développement de la recherche, mais également un contrôle approprié et équilibré.
En complément, elle précise que « la régulation et le contrôle devraient éviter d'empêcher l'innovation de façon injustifiée, de stigmatiser les nouvelles technologies ou de créer des barrières douanières ». Il s'agit donc d'un principe d'action, avec régulation, et non d'un principe d'empêchement. A noter que le principe de précaution inscrit dans la Constitution française en 2005 est qualifié, lui aussi, de principe d'action, même si les jurisprudences établies depuis ont pu contredire ou infléchir cette orientation.
Afin de pouvoir poursuivre ces objectifs, l'ETIPC pose les principes suivants :
- Rigueur scientifique : la réglementation et le contrôle des technologies émergentes devront être fondés sur les meilleures preuves scientifiques disponibles. L'information adéquate devra être recherchée et développée et les nouvelles connaissances devront être prises en considération lorsqu'elles seront disponibles,
- Participation du public : elle est importante pour la promotion de la responsabilité dans la prise de décision, l'amélioration des décisions, l'établissement d'une confiance accrue et la garantie que tous les acteurs de la BS (chercheurs, techniciens, organismes de régulation, consommateurs actuels ou à venir, etc.) ont bien accès à l'information la plus large,
- Bénéfices et coûts : la réglementation et le contrôle des technologies émergentes exercés au niveau fédéral devront prendre en considération leurs coûts et bénéfices respectifs,
- Flexibilité : dans la mesure du possible, la réglementation et le contrôle du Gouvernement fédéral devront être suffisamment flexibles pour apporter de nouvelles preuves, des connaissances complémentaires et prendre en compte la nature évolutive de l'information concernant les technologies émergentes et leurs applications,
- Évaluation et gestion des risques : elles devront être séparées. Le Gouvernement fédéral devra s'efforcer de parvenir à un niveau approprié de cohérence dans l'évaluation et la gestion des risques par les différentes agences. Les mesures prises par les agences en charge de la gestion des risques devront être appropriées et proportionnées au niveau du risque identifié, ce qui suppose une bonne coordination entre les agences fédérales,
- Coopération internationale : le Gouvernement fédéral devra notamment participer au développement de normes internationales compatibles avec le droit américain.
L'une des questions majeures soulevées par ces orientations est de savoir si elles permettront réellement d'améliorer l'évaluation et la gestion des risques potentiels dans le domaine de la BS. Ainsi, dans son exposé devant la Commission présidentielle américaine de bioéthique, Michael Rodemeyer s'est-il référé aux difficultés auxquelles l'EPA (l'Agence pour la protection de l'environnement) est confrontée, du fait des dispositions restrictives du Toxic Substances Control Act . Cette loi devrait inclure, dans son champ d'application, les organismes synthétiques - comme les algues - utilisés dans l'environnement en vue de produire le pétrole ou la biomasse. En effet, le Congrès a bien prévu que l'EPA contrôlerait ou empêcherait la mise sur le marché de nouveaux produits chimiques, qui présenteraient des risques pour la santé ou l'environnement. Mais le Congrès a aussi demandé à l'EPA de prouver que les nouveaux produits chimiques visés présentent bien un risque déraisonnable, ce qui se conçoit dans le cadre de risques potentiels. Michael Rodemeyer estime que l'EPA est limitée dans sa capacité à rassembler l'information et à procéder à une évaluation circonstanciée des risques des nouveaux organismes synthétiques qui seront disséminés intentionnellement dans l'environnement.
En matière de bio-sûreté, des scientifiques 157 ( * ) se sont également interrogés sur la pertinence de la circulaire établie par le Gouvernement fédéral concernant la vérification des commandes de séquences d'agents pathogènes et de toxines. A leurs yeux, un problème majeur réside dans le fait que, se fondant de plus en plus sur des listes établies de menaces microbiennes, on peut être confronté à une classification arbitraire des microbes à partir des similitudes de séquences. Ces scientifiques soulignent, en effet, la diversité génétique des micro-organismes découverts dans la nature, aussi bien que celle des micro-organismes conçus en laboratoire, ce qui rend les frontières des classifications de plus en plus floues. C'est pourquoi ils estiment que le fait de citer des agents pathogènes dans des listes donne à tort l'illusion d'avoir défini, de façon fiable, le spectre des menaces potentielles.
2° La France
Le rapport de la Stratégie nationale de la recherche et de l'innovation sur la BS, remis en mars 2011 à la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, récapitule les grandes lignes du cadre applicable à la BS en matière de sûreté et de sécurité.
Ainsi les produits de la BS sont-ils déjà soumis aux réglementations existantes selon le domaine d'application concerné - par exemple l'autorisation de mise sur le marché des médicaments. Les produits finaux et intermédiaires de la BS seront également soumis aux investigations éco-toxicologiques selon le règlement européen REACH.
En second lieu, le rapport de la SNRI relève que la sécurité et la sûreté relatives au génie génétique ont été les seules méthodes moléculaires de mise en oeuvre de la BS à avoir été débattues. Or, selon le rapport, ces méthodes ont vu le jour à la suite du moratoire dit d'Asilomar 158 ( * ) , qui a été levé il y a plus de 30 ans.
Les auteurs du rapport indiquent que l'un des dangers potentiels de la BS réside dans la possibilité de synthétiser des fragments d'ADN dotés de pouvoirs pathogènes (virus par exemple). Le danger n'est en fait pas spécifique de la BS, mais résulte de l'augmentation de la capacité à synthétiser l'ADN.
Dans le domaine de la bio-sûreté, le rapport indique que la Délégation générale pour l'armement (DGA) a réalisé une base de données des acteurs de la BS : elle a formulé des recommandations sur le cadre dans lequel les expériences effectuées à l'aide de l'ADN recombinant pourraient se dérouler et a identifié les options sécuritaires. Quant au Secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale (SGDSN), il propose de maintenir une veille sur les enjeux de défense et de sécurité liés au domaine de la BS et d'organiser une réunion ministérielle annuelle de concertation. Les recommandations de l'étude approfondie de la DGA concernant les options bio-sécuritaires en BS visent principalement à sécuriser les activités de synthèse d'ADN à façon, en préconisant la création d'une cellule étatique d'aide à la décision concernant un client ou une commande « à risque », la mise en place d'une synergie forte entre sociétés de synthèse d'ADN et autorités chargées des risques au niveau international, ainsi que le suivi des appareils de synthèse d'ADN. L'objectif est de surmonter et de maîtriser les problèmes potentiels à un échelon international.
De son côté, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) doit mettre en place une veille scientifique prospective sur la BS.
On peut constater le caractère très nuancé des observations du rapport de la SNRI, établi par un groupe d'experts interdisciplinaires, intégrant les sciences humaines et sociales (SHS), selon lesquelles la BS ne comporte pas de danger qui lui soit spécifique.
En revanche, il est regrettable que le rapport de la DGA n'ait pas été rendu public. Cette absence de transparence et de communication est d'ailleurs à l'image du déficit de coordination et d'information réciproque entre les services en charge de la biosécurité. Ainsi, le responsable pour le CEA du programme interministériel des risques NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique) nous a-t-il déclaré qu'il lui avait fallu quatre années pour développer des échanges avec le Service de la santé des armées (SSA). Ce manque de coordination favorise aussi l'existence des redondances constatées entre certaines actions entreprises par le CEA, le SSA et la DGA dans le cadre du programme NRBC.
La non-publication du rapport de la DGA a un autre impact négatif, puisqu'elle prive d'informations pertinentes les chercheurs qui peuvent être à l'origine des risques par manque de formation ou de sensibilisation.
De façon plus générale, on relève un déficit dans le partage de la culture du risque et il n'est pas surprenant de constater que, parmi les scientifiques rencontrés en audition, nombre d'entre eux ignoraient l'existence des recherches - de haut niveau - menées dans le domaine NRBC.
Pour nuancer ce propos, Daniel Gillet, responsable pour le CEA du programme NRBC, nous a indiqué que le CEA diffusait ses méthodes de prévention de risques NRBC auprès des laboratoires publics et privés avec lesquels il avait des partenariats.
3° L'Allemagne
La position du Gouvernement fédéral sur les risques potentiels liés à la BS est exposée dans une réponse à une question de députés du groupe SPD, publiée le 22 mars 2011. Le Gouvernement fédéral indique tout d'abord qu'il n'a soutenu aucun projet de recherche concernant la BS dans les domaines de la sécurité et de la sûreté. En second lieu, il déclare être en accord avec la position commune adoptée par les Académies des technologies, des sciences et la DFG (Deutsche Forschungsgesellschaft, société allemande pour la recherche). Les Académies estiment qu'il n'est pas nécessaire de prévoir une nouvelle législation, considérant que les risques en matière de sécurité et de sûreté présentés par la BS étaient analogues à ceux suscités par les biotechnologies. Dans le domaine des biotechnologies en général, les risques sont évalués par les dispositions des lois sur le génie génétique, le commerce extérieur et le contrôle des armes de guerre.
Seules les entreprises se conformant à ces lois peuvent avoir un accès aux acides nucléiques.
En outre, comme les Académies, le Gouvernement fédéral estime qu'un contrôle scientifique continu concernant les bénéfices et les risques de la BS est nécessaire, pour accompagner, de façon pleinement responsable, les développements rapides de ce nouveau domaine.
On constate donc que la position du Gouvernement allemand est assez proche de celle présentée dans le rapport de la Stratégie nationale de la recherche et de l'innovation en France et de celle de la Commission présidentielle américaine de bioéthique des États-Unis.
* 157 Mildred Cho et David Relman, «Synthetic "Life", Ethics, National Security, and Public Discourse», Science, juillet 2010.
* 158 En 1975, une réunion rassemblant des spécialistes du génie génétique s'était tenue à Asilomar en Californie. Cette conférence avait examiné les expériences réalisées grâce à la technologie de l'ADN et avait précisé la nature des risques liés à ces nouvelles expériences ainsi que les précautions qui devaient être prises.