B. L'ÉPINEUSE QUESTION DE LA RÉMUNÉRATION DES ÉLUS LOCAUX
La question de la rémunération, quel que soit le régime juridique de cette dernière, constitue un élément incontournable de toute réflexion sur le statut des élus locaux.
La détermination d'un niveau de rémunération suffisant est un élément nécessaire pour assurer une indemnisation du temps consacré au service de la collectivité. Cette indemnisation doit être juste : sans excès, mais sans que l'exercice du mandat ne se traduise par une dégradation de la sécurité matérielle de ceux qui l'exercent.
Cette question est épineuse à plusieurs égards.
Tout d'abord, parce que la question de l'indemnisation des élus locaux a un effet sur les finances publiques, et notamment sur les finances publiques locales. Or, il apparaît que la dégradation des comptes publics est un argument souvent avancé pour repousser à des lendemains meilleurs la question du statut « financier » des élus locaux. C'est également un argument repris par les élus eux-mêmes pour renoncer à leurs indemnités lorsque le budget de la collectivité est mal en point.
Ensuite, parce que nos concitoyens sont toujours sensibles aux questions liées à la rémunération des élus et plus largement au financement de la vie politique. La crainte d'une réaction négative de l'opinion publique constitue donc un frein à l'action des pouvoirs publics en ce domaine.
Enfin, la détermination d'une juste rémunération au regard des tâches à effectuer dans l'exercice du mandat s'avère complexe, comme en témoignent les interrogations soulevées au sein de votre délégation. Quels curseurs retenir pour définir cette rémunération ? Quels montants correspondent à une juste rémunération ? Comment articuler la détermination de la rémunération liée à un mandat dans la problématique plus large du cumul des mandats ? La course au cumul n'est-elle pas que le résultat de la médiocrité du niveau des indemnités ?
Dans ce contexte difficile, les pouvoirs publics ont choisi d'avancer de façon pragmatique en pérennisant un principe de gratuité qui demeure consubstantiel à l'exercice du mandat et en faisant émerger des solutions destinées à permettre à un nombre plus grand d'élus de bénéficier d'une indemnisation.
1. Des règles claires pour déterminer la rémunération des élus locaux
L'action du législateur en matière de régime indemnitaire se caractérise d'abord par sa volonté de déterminer des règles claires en matière d'indemnisation des élus .
Cette clarification se traduit par l'élaboration de règles applicables à chaque niveau de collectivités territoriales, mettant ainsi fin à l'hétérogénéité des pratiques constatées avant 1992.
Pour atteindre cet objectif, le législateur a retenu trois critères destinés à déterminer le montant du régime indemnitaire auquel peuvent prétendre les élus locaux. Il a ensuite étendu à l'ensemble des élus la règle de plafonnement du régime indemnitaire qui s'appliquait déjà aux parlementaires exerçant des fonctions de maire.
a) Un régime indemnitaire fondé sur trois critères
Le législateur a retenu trois critères aussi objectifs et transparents que possible pour déterminer les droits à indemnités des élus locaux.
Ces critères simples font aujourd'hui l'objet d'un consensus.
Le premier critère vise à déterminer les élus susceptibles de bénéficier d'un régime indemnitaire au titre de leur mandat ou de leurs fonctions .
Cette détermination est rendue nécessaire par l'affirmation du principe de gratuité des mandats qui induit l'adoption d'une mesure législative expresse pour attribuer une indemnité à un élu.
Le périmètre des élus pouvant prétendre à une indemnisation est donc délimité par la loi. Sont concernés les maires et leurs adjoints, les conseillers généraux et les conseillers régionaux, les présidents et vice-présidents d'EPCI à fiscalité propre, mais également les conseillers municipaux des communes de plus de 100 000 habitants.
Le deuxième critère permet de distinguer les niveaux d'indemnité perçus par les élus locaux . Cette distinction repose sur les critères démographiques.
Le législateur précise que le montant des rémunérations pouvant être perçues sera différencié en fonction des strates démographiques, au sein de chaque niveau de collectivités territoriales. Il existe ainsi neuf strates différentes au niveau communal, cinq pour les conseils généraux et quatre pour les conseils régionaux. Ce principe s'applique également aux EPCI à fiscalité propre. Le législateur a régulièrement réduit le nombre de strates composant le barème : il y avait treize strates au niveau communal avant la loi de 1992, puis dix et aujourd'hui neuf. Cette réduction s'est traduite par une revalorisation du montant indemnitaire versé aux élus des communes les moins peuplées.
Indemnités de fonction brutes mensuelles des
maires
|
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Au 30 mars 1992
(L. 123-5-1
|
Au 1 er juillet 2010
(L. 2123-23
|
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Population
|
Taux maximal (% IB 1015) |
Indemnité
|
Taux maximal (% IB 1015) |
Indemnité
|
||
Francs |
(Euros) |
Euros |
(Francs) |
|||
Moins de 500 |
12 |
2 436 |
371 |
17 |
646,25 |
4 239 |
De 500 à 999 |
17 |
3 452 |
526 |
31 |
1 178,46 |
7 730 |
De 1 000 à 3 499 |
31 |
6 294 |
960 |
43 |
1 634,63 |
10 722 |
De 3 500 à 9 999 |
43 |
8 730 |
1 331 |
55 |
2 090,81 |
13 715 |
De 10 000 à 19 999 |
55 |
11 167 |
1 702 |
65 |
2 470,95 |
16 208 |
De 20 000 à 49 999 |
65 |
13 197 |
2 012 |
90 |
3 421,32 |
22 442 |
De 50 000 à 99 999 |
75 |
15 227 |
2 321 |
110 |
4 181,62 |
27 430 |
100 000 et plus
|
145 |
5 512,13 |
36 157 |
|||
De 100 000 à 200 000 |
90 |
18 273 |
2 786 |
|||
Plus de 200 000 |
95 |
19 288 |
2 940 |
|||
Paris, Marseille, Lyon |
115 |
23 348 |
3 559 |
Le troisième critère retenu par le législateur permet de déterminer le montant des indemnités . Ces dernières sont calculées « par référence au montant du traitement correspondant à l'indice terminal de l'échelle indiciaire de la fonction publique » (indice 1015).
Une telle solution permet de fixer le montant de l'indemnité selon des modalités compréhensibles par tous les acteurs. Le montant des rémunérations est ainsi revalorisé à chaque majoration de la valeur du point de la fonction publique, sans qu'il soit nécessaire de modifier la législation existante. Le Code général des collectivités territoriales fixe le pourcentage de l'indice 1015 susceptible d'être alloué à chaque élu local.
Ces dispositions permettent de déterminer le montant mensuel brut des indemnités de fonction de chaque catégorie d'élus locaux. Ces barèmes proposent des indemnités maximales qui doivent faire l'objet d'un vote de la part du conseil municipal, du conseil général ou du conseil régional.
Le choix de cette solution préserve la hiérarchie des indemnités versées aux différentes catégories d'élus , tout en permettant une revalorisation annuelle ou infra-annuelle qui tient compte des effets de l'inflation.
Certaines situations particulières ouvrent droit à des majorations du régime indemnitaire. Le tableau ci-dessous en présente une liste récapitulative.
Majoration d'indemnité de fonction Les conseils municipaux ont la possibilité de majorer les indemnités de fonction des maires, adjoints et conseillers municipaux, pour tenir compte de certaines situations particulières occasionnant un surcroît de travail. Ces majorations sont facultatives et se cumulent entre elles. Elles s'appliquent sur les taux fixés par le conseil municipal. Elles concernent : 1) - les communes chefs-lieux de département majoration fixée à 25 % - les communes chefs-lieux d'arrondissement majoration fixée à 20 % - les communes chefs-lieux de canton majoration fixée à 15 % 2) les communes sinistrées 3) les villes classées : stations hydrominérales, climatiques, balnéaires, touristiques ou rurales, ainsi que les villes classées stations de sports d'hiver ou d'alpinisme. Les majorations sont égales à 50 % pour les communes dont la population totale est inférieure à 5 000 habitants, et 25 % pour celles dont la population totale est supérieure à 5 000 habitants. 4) les communes dont la population totale depuis le dernier recensement a augmenté à la suite de la mise en route de travaux publics d'intérêt national. Les majorations sont égales à 50 % pour les communes dont la population totale est inférieure à 5 000 habitants, et 25 % pour celles dont la population totale est supérieure à 5 000 habitants. 5) les communes ayant été, au cours de l'un au moins des trois exercices précédents, attributaires de la dotation de solidarité urbaine. Pour ces communes, les indemnités de fonction peuvent être votées dans la limite de la strate démographique supérieure. |
Déterminés par la loi de 1992, ces critères n'ont pas fait l'objet de modifications majeures depuis. Il convient toutefois de souligner des évolutions de deux natures.
Premièrement, les barèmes applicables pour calculer le montant des indemnités allouées aux maires ont été revalorisés en 2000 . Il en a été de même pour les adjoints au maire en 2002.
Deuxièmement , les catégories d'élus bénéficiaires ont été élargies par le législateur. C'est notamment le cas pour les représentants des communes au sein des organes délibérants des EPCI . Une nouvelle extension pourrait prochainement entrer en vigueur, puisque l'article 13 du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale prévoit l'attribution d'un régime indemnitaire aux délégués communautaires des communautés de communes. Cette disposition vise à harmoniser les dispositifs applicables à l'ensemble des EPCI et notamment aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération.
b) Un régime indemnitaire plafonné
Dès 1982, le rapport Debarge avait posé le principe d'un plafonnement des indemnités pouvant être perçues par les élus locaux , en proposant que leur montant soit limité à 1,5 fois le montant de l'indemnité parlementaire (soit 8 230,87 euros au 1 er juillet 2010).
Ce plafonnement figure dans le Code général des collectivités territoriales. Les articles L. 2123-20 (élus municipaux), L. 3123-18 (conseillers généraux), L. 4135-18 (conseillers régionaux) et L. 5211-12 (membres des organes délibérants des EPCI) disposent ainsi qu'un élu local ne peut percevoir un montant total de rémunération et d'indemnité de fonction supérieur à 1,5 fois le montant de l'indemnité parlementaire telle qu'elle est définie à l'article 1 er de l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement.
L'existence de ce plafonnement fait l'objet d'un consensus . Quelques voix discordantes s'élèvent néanmoins, comme celle du député René Dosière, pour demander un abaissement de ce plafond à une fois l'indemnité parlementaire de base, soit 5 514,68 euros mensuels.
D'autres observateurs, dont l'un de vos rapporteurs (J.-C. Peyronnet), considèrent qu'il ne faut pas écarter l'hypothèse selon laquelle la relative faiblesse des indemnités versées aux élus locaux, notamment dans les strates démographiques les plus faibles, les incitent à cumuler les mandats ou les fonctions pour bénéficier d'un régime indemnitaire plus en rapport avec les charges qu'ils assument.
Il convient également de souligner que le cumul maire-membre d'un organe délibérant d'un EPCI est quasiment obligatoire, même si des exceptions notables peuvent être relevées. Les nouvelles modalités de désignation des conseillers communautaires prévues par la réforme territoriale (ordre de présentation des candidats sur la liste) ne feront d'ailleurs que renforcer ce phénomène.
Si la question du plafonnement des indemnités ne fait pas véritablement l'objet d'un débat, il est une question plus technique qui fait l'objet d'interrogations régulières de la part des élus locaux : celle relative au périmètre des indemnités prises en compte pour le calcul de ce plafond.
La législation en vigueur est très claire sur le sujet. Toutes les indemnités et rémunérations perçues à l'occasion de l'exercice direct ou indirect des mandats entrent dans la définition du plafond fixé par le législateur . Bien qu'il n'existe pas de nomenclature officielle recensant la totalité des indemnisations susceptibles d'être perçues, cette règle englobe notamment les mandats électoraux, la présence au sein d'un conseil d'administration d'un établissement public local, du centre national de la fonction publique territoriale, la participation au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une société d'économie mixte locale ou la présidence d'une telle société.
C'est donc bien l'ensemble des indemnités susceptibles d'être perçues par les élus locaux qui doit être pris en compte dans le calcul de ce plafond.
2. Les voies d'une amélioration du régime indemnitaire des élus locaux
A partir de 1992, le législateur a défini les catégories d'élus susceptibles de bénéficier d'un régime indemnitaire, ainsi que les montants alloués.
Sa réflexion s'est appuyée sur une analyse de l'existant, notamment sur les indemnités versées aux maires et conseillers municipaux, ainsi que celles perçues par les conseillers généraux.
La solution dégagée s'est avérée satisfaisante. Des règles claires et transparentes ont été définies, et le bénéfice de la protection matérielle a été étendu à de nombreuses catégories d'élus locaux.
Pour autant, des améliorations sont encore possibles, aussi bien dans le cadre défini par la législation actuelle que par la recherche de solutions innovantes (comme ce « statut d'agent civique territorial » proposé par le rapport Mauroy en 2000).
a) Clarifier la nature juridique de l'indemnité
Ainsi que le rappelle régulièrement le Gouvernement, en réponse aux questions écrites posées par les parlementaires, l'indemnité de fonction a pour objet de compenser les éventuelles pertes de rémunération dont les élus peuvent faire l'objet du fait de leur mandat ou, selon une autre formule utilisée, de compenser forfaitairement les sujétions résultant du mandat électif.
La circulaire du 15 avril 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux rappelle que l'indemnité de fonction allouée aux élus locaux ne présente ni le caractère d'un salaire, ni d'un traitement, ni d'une rémunération quelconque.
Ce caractère juridique exorbitant du droit commun a longtemps justifié que sa soumission à l'impôt sur le revenu se fasse selon des règles particulières (imposition à la source) et sur la base d'un barème fixé par la loi de finances.
Depuis 1992, ces indemnités peuvent être également soumises à cotisations prélevées par les Urssaf pour l'affiliation au régime général de l'assurance maladie ou de l'assurance vieillesse.
Le versement d'une indemnité n'est pas incompatible avec la perception d'allocations chômage, d'allocations versées dans le cadre de conventions de préretraite progressive ou dans celui des conventions d'allocations spéciales du fonds national de l'emploi.
Notre collègue Jacqueline Gourault avait néanmoins, à l'occasion de la table ronde organisée par votre délégation le 1 er juin 2010, attiré l'attention sur la nécessité de protéger un élément spécifique du régime indemnitaire : la fraction représentative des frais d'emploi.
Cette fraction représentative des frais d'emploi est versée à tous les élus locaux qui bénéficient d'une indemnisation ; elle est égale à l'indemnité d'un maire d'une commune de moins de 500 habitants (soit 646,25 euros mensuels).
Cette fraction n'est pas imposable, elle n'est pas intégrée dans le revenu fiscal de référence, elle constitue une indemnisation forfaitaire des frais susceptibles d'être engagés par l'élu pour l'exercice de son mandat.
Vos rapporteurs et votre délégation soutiennent la proposition émise par notre collègue Jacqueline Gourault. Cette clarification permettra aux élus de connaître précisément les revenus qu'ils doivent prendre en compte pour toute demande d'octroi d'une prestation ou d'une allocation soumise à conditions de ressources.
Proposition n° 7 : Exclure la fraction représentative des frais d'emploi des revenus pris en compte pour le versement d'une prestation ou d'une allocation sous conditions de ressources |
Cette proposition, tout comme celle relative au statut juridique de l'indemnité, renvoie à des problèmes concrets rencontrés par les élus locaux en cas de cumul d'indemnités avec des allocations ou des prestations versées à l'élu à titre personnel. Plusieurs questions écrites posées par nos collègues sur la situation des élus locaux rencontrant des difficultés pour continuer à percevoir l'allocation adulte handicapé (AAH), allocation subsidiaire versée sous conditions de ressources, constituent un exemple concret des difficultés soulevées par le manque de transparence du statut de la fraction représentative de frais d'emploi. Mais la perception du RSA, ou la prise en compte de cette partie de l'indemnisation dans un jugement de divorce sont autant de dossiers pour lesquels cette clarification s'avérera utile.
Proposition n° 8 : Préciser la définition juridique de l'indemnité |
b) Adopter des dispositions spécifiques pour les maires
Il semble indispensable à vos rapporteurs de concentrer leurs propositions de revalorisation du régime indemnitaire au bénéfice des maires.
C'est, à leurs yeux, le mandat local qui entraîne le plus de contraintes et donc qui nécessite la plus grande disponibilité. Nos concitoyens en sont conscients et des crises de vocations ont pu être constatées lors des dernières élections municipales, notamment en 2001 et 2008.
La disponibilité des maires, exigée tant par la charge de travail que par leurs administrés, suppose un niveau d'indemnisation qui permette de compenser les éventuelles pertes de revenus liées à une modification du contrat de travail du maire (temps partiel, suspension du contrat de travail), sauf à réduire l'origine sociologique des maires et à entraîner une surreprésentation des retraités (que les statistiques du ministère de l'intérieur ne font pas apparaître actuellement).
Vos rapporteurs font trois propositions en ce sens.
Tout d'abord, améliorer l'indemnisation des maires des communes de moins de 3 500 habitants.
Depuis 2002, la loi prévoit l'attribution automatique des indemnités maximales prévues par la loi pour les maires des communes de moins de 1 000 habitants, sauf décision contraire du conseil municipal. Il s'agit là de couper court à tout débat sur le montant des indemnités du maire et d'éviter que sous la pression de la population, des autres membres du conseil municipal, des contraintes budgétaires locales, le maire renonce à ses indemnités et exécute son mandat sans indemnisation.
La première mesure consisterait à étendre le bénéfice de cette mesure à tous les maires des communes de moins de 3 500 habitants 14 ( * ) .
Proposition n° 9 : Relever automatiquement le seuil démographique à partir duquel, sauf opposition du conseil municipal, un maire bénéficie de l'indemnité de fonction fixée au taux maximal par la loi (passer de 1 000 habitants à 3 500 habitants) |
Ensuite vos rapporteurs proposent une mesure spécifique pour les maires qui cessent leur activité professionnelle, ou qui la réduisent afin d'exercer leur mandat.
Il s'agit de créer une dérogation dans l'agencement mis en place par le législateur depuis 1992, dont l'harmonisation des situations a été la ligne de conduite principale puisque l'objectif est bien d'établir un régime spécifique pour les maires à temps plein.
Ce régime spécifique prévoirait, à législation constante sur le cumul des mandats, que les maires qui suspendent leur activité professionnelle pour exercer leur mandat, ou qui réduisent leur temps de travail, bénéficient d'une majoration exceptionnelle de leurs indemnités.
En délégation, Rémy Pointereau a émis des réserves au sujet de cette proposition, considérant qu'elle allait représenter un coût important pour les communes, sans pour autant garantir une amélioration conséquente de la condition matérielle des maires concernés. C'est la raison pour laquelle il a proposé de cibler cette mesure sur certaines catégories de communes.
On observera cependant que, même avec une telle majoration, les conseils municipaux conserveraient le dernier mot sur l'indemnité totale allouée aux maires, puisqu'ils fixeraient toujours le montant de l'indemnité proprement dite, à partir de laquelle serait calculée ladite majoration. Cette mesure se veut donc avant tout un signal, un encouragement à l'intention des salariés dont la vocation -si précieuse pour la démocratie locale- peut être contrariée par le constat que les sacrifices qu'implique l'exercice d'un mandat de maire au regard de la vie professionnelle sont pour eux bien plus lourds que pour d'autres citoyens.
Pour autant, la remarque de notre collègue Rémy Pointereau met opportunément l'accent sur l'utilité qu'il pourrait y avoir à prendre en considération, sur ce point comme sur d'autres, la taille des communes. D'où la proposition suivante :
Proposition n° 10 : Accorder une majoration indemnitaire de 50 % aux maires qui cessent leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat ; éventuellement, limiter cette majoration aux maires des communes n'excédant pas un certain seuil de population |
Vos rapporteurs considèrent toutefois que, si un tel seuil était fixé, il devrait être suffisamment élevé pour tenir compte de la charge de travail d'un maire d'une commune moyenne, très difficilement compatible avec la poursuite d'une carrière professionnelle.
Cette mesure s'adresse d'ailleurs principalement aux maires des communes moyennes : en pratique, peu de maires de petites communes arrêtent leur activité professionnelle pour se consacrer à plein temps à leur mandat.
Enfin vos rapporteurs proposent qu'une réflexion s'engage pour définir les modalités de rémunération des maires au titre de leurs activités effectuées pour le compte de l'Etat. Cette rémunération viendrait en sus du régime indemnitaire et une dotation spécifique serait versée à chaque collectivité
Proposition n° 11 : Verser une rémunération complémentaire aux maires au titre de leurs activités effectuées pour le compte de l'Etat |
c) S'interroger sur la pertinence du maintien du principe de gratuité
Les propositions de vos rapporteurs s'inscrivent jusqu'à présent dans un cadre juridique inchangé qui assure la pérennité du principe de gratuité des mandats.
Il leur semble néanmoins utile de s'interroger sur la pertinence du maintien du principe de gratuité afin de déterminer si ce dernier constitue un obstacle à la définition d'un statut de l'élu plus complet.
Le principe de la gratuité des fonctions électives locales s'est imposé depuis l'origine. La démocratie locale est en effet marquée par ce principe de gratuité dont les historiens font parfois remonter l'origine jusqu'à Montaigne pour qui « la charge de maire semble d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ».
La traduction juridique de ce principe est assurée par l'article L. 2123-17 du Code général des collectivités territoriales. Bien que les dispositions de cet article ne s'imposent qu'aux maires et conseillers municipaux, ce principe de gratuité a été étendu à l'ensemble des mandats locaux. Une jurisprudence constante confirme cette interprétation, ainsi que le Conseil d'Etat l'a rappelé dans un arrêt du 27 juillet 2005.
Cette disposition juridique pose plutôt un principe philosophique qu'une interdiction pure et simple de verser une quelconque rémunération aux élus locaux. Les élus locaux peuvent, en effet, percevoir des indemnités dans les conditions prévues par la loi.
La création d'un régime indemnitaire spécifique aux élus locaux n'est donc pas incompatible avec le principe de gratuité, mais seule une mention législative expresse peut y déroger. Toute l'action du législateur a donc consisté, dans le respect du principe de gratuité, à rechercher un juste équilibre entre la nécessaire compensation du temps passé au service de la collectivité et le risque d'une professionnalisation des élus.
Depuis les lois de décentralisation, le maintien du principe de gratuité a été mis en débat lors de l'examen de chacun des grands textes ayant évoqué le statut des élus, notamment en 1992 (exercice des mandats locaux), en 1999 (statut des délégués des communes au sein des EPCI), en 2000 (limitation du cumul des mandats) et en 2002 (démocratie de proximité).
La suppression du principe de gratuité a toujours été repoussée par le législateur, et notamment par le Sénat, en raison du risque de professionnalisation des élus qui en découlerait. L'utilisation de cet argument doit être débarrassée de toute ambiguïté. La professionnalisation qui doit être évitée est celle liée à la carrière. Si le statut doit assurer une protection matérielle et sociale aux élus locaux, ces éléments constitutifs ne doivent pas se traduire par l'organisation d'une carrière élective qui pourrait entraîner des effets négatifs. Ce refus de la professionnalisation est une constante de la réflexion sur le statut de l'élu dans le rapport Debarge, comme dans le rapport Mauroy.
Pour autant, l'idée de professionnalisation qui est combattue par le législateur n'est pas liée à celle de l'acquisition des compétences nécessaires à l'exercice du mandat, acquisition devenue indispensable avec l'accroissement des compétences transférées aux collectivités territoriales, et le poids toujours plus lourd de la réglementation applicable. Les élus locaux doivent acquérir les compétences nécessaires, par le biais de leur droit à formation par exemple, à l'exercice de leur mandat, ils doivent également être en mesure de cesser leur activité professionnelle pour se consacrer à temps plein à la gestion de leur collectivité.
Néanmoins, le maintien du principe de gratuité a conduit le législateur à écarter, au nom du risque de professionnalisation, certaines solutions préconisées pour renforcer le statut de l'élu. C'est notamment le cas de la proposition du rapport Mauroy de créer pour les présidents de conseil régional, de conseil général, les maires et leurs principaux adjoints, un statut d'agent civique territorial, salarié de leur collectivité.
Plus largement se pose en effet la question de savoir si le maintien de ce principe de gratuité a constitué un obstacle à l'élaboration d'un statut de l'élu comparable à celui mis en place dans certains pays où les élus exerçant leur mandat à temps plein disposent d'un statut assimilé à celui des fonctionnaires.
C'est le cas des maires en Allemagne ou aux Pays-Bas. Ainsi, en Allemagne, les maires des communes les plus importantes et les présidents de conseils d'arrondissements sont assimilés à des fonctionnaires pendant toute la durée de leur mandat, tout en conservant leur liberté d'action, tandis que les autres élus locaux, qui exercent leur mandat à titre bénévole, ne sont en général indemnisés que pour le manque à gagner et pour les frais liés à l'exercice de leur mandat.
Vos rapporteurs considèrent qu'il est temps de réfléchir aux conséquences de la suppression de toute référence au principe de gratuité dans le Code général des collectivités territoriales. Le maintien de ce principe est un frein à la constitution d'un statut moderne de l'élu local.
Proposition n° 12 : Supprimer l'article L. 2123-17 du Code général des collectivités territoriales, qui pose le principe de la gratuité des fonctions |
* 14 La proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local adoptée au Sénat le 30 juin 2011 supprime la possibilité de délibération contraire du conseil municipal mais ne modifie pas le seuil démographique d'octroi automatique des indemnités maximales (article 9 bis). Cet article résulte d'un amendement présenté par Mme Gourault en commission des lois et a été défendu en séance par M. Todeschini. Cf. compte-rendu des débats de la séance du Sénat du 30 juin 2011.
La proposition de loi tendant à rénover le statut de l'élu local du député Pierre Morel-A-L'Huissier prévoit quant à elle que l'ensemble des communes rémunèrent leurs maires au taux fixé par la loi, perdant alors son statut de plafond pour devenir impératif (article 1 er ).