b. Précaution, attrition, et raison : quel mode d'emploi ?
Mme Christine Noiville considère ainsi que le principe de précaution en lui-même est relativement peu cadré et nécessite un mode d'emploi pour sa mise en application, mais que la jurisprudence est relativement bien faite et permet d'en définir un cadre plus précis : les juges, au delà de la 1ere instance qui a connu quelques ratés, sont raisonnables et comprennent que le principe de précaution ne doit pas être un principe d'inaction totale.
Durant ces auditions, nous avons également entendu Joël de Rosnay, qui a exposé un principe qu'il défend : celui de l'attrition. Ce principe d'attrition, c'est d'intégrer en amont l'éventualité d'une perte irréversible de choses ou de personnes. L'attrition, c'est le taux acceptable de pertes, qu'il s'agisse de pertes matérielles (objets, équipements, ressources, revenus, etc), immatérielles (liberté, clients, relations, pouvoir, langue, croyances, nation, convictions, illusions, etc) et humaines (individus).
Donc nous avons d'un coté un principe de précaution qui dresse un Etat protecteur, et de l'autre une sorte de laissez-faire, où l'Etat a un rôle pédagogue vis-à-vis de l'absence de risque zéro, et obtient l'acceptabilité par les citoyens des risques et des pertes qui leur sont irrémédiablement associées.
Existe-t-il un juste milieu ? Le principe de précaution, même si la jurisprudence est pour l'instant relativement acceptable, n'a-t-il pas un impact négatif sur notre état d'esprit : l'entrepreneur ou le scientifique ne peuvent rien faire par peur d'un procès, le citoyen exige d'être protégé de tout, et comprend le principe de précaution comme un principe universel à appliquer dans tous les domaines sans exception ?
Le principe d'attrition est à notre sens trop éloigné du modèle français d'un Etat présent et interventionniste, dont l'un des rôles est de protéger le citoyen contre les risques. Il est en quelque sorte « libertarien » en proposant à l'individu d'assumer seul les conséquences de l'innovation.
Ainsi, il convient de définir par la loi un mode d'emploi qui permette de pallier à ces inconvénients et de faire du principe de précaution un principe de dernier recours, dans le cas d'un manque flagrant d'expertise, tant à l'échelon national qu'international, et l'impossibilité d'obtenir une évaluation objective du niveau risque.