III. LES RÉPONSES AUX PEURS EXPRIMÉES PAR LA SOCIÉTÉ

Dans la partie précédente, nous avons étudié le cas de figure où le risque est connu, et il était possible de statuer sur le décalage entre la peur, perception de ce risque par la population, et le risque objectivement mesuré. Dans ce cas, la réponse est la prévention.

Mais si le risque est indéterminé, on est, comme le dit Edgar Morin, dans le domaine « du risque du risque ». Ainsi, est-il possible de prendre des décisions ? Sur quels éléments se baser ? Peut-on faire des calculs subjectifs pour un risque pris collectivement ?

Comment se place le principe de précaution dans ce cadre ?

A. L'INNOVATION AU TRAVERS DU PRISME « PRINCIPE DE PRÉCAUTION »

Le mot « risque » lui-même est devenu polysémique puisqu'il désigne à la fois un risque objectif - la probabilité des dommages est connue, les techniques d'évaluation des risques s'appliquent sans problème - et un risque subjectif - les dommages peuvent être connus mais nous n'avons aucune idée de leur probabilité.

Dans ce dernier cas, les techniques d'évaluation des risques ne s'appliquent plus, sauf si l'on adopte une conception subjective des probabilités, que l'on considère alors comme un simple degré de croyance, pour pouvoir prendre la décision la plus éclairée possible.

1. L'attitude du public face à l'incertain : la recherche du « risque zéro » ?

Il ressort de notre questionnaire, des études que nous avons pu lire sur le sujet, et des entretiens qu'il nous a été donné de mener, que le public a conscience que le risque zéro n'existe pas.

En réalité, il semble que la question ne se pose pas en ses termes. Avant de parler de « risque zéro », il faut en effet s'assurer que les définitions sont les mêmes chez la personne qui pose la question et celle qui y répond.

Chacun s'accorde que le « risque zéro » mesuré objectivement est inatteignable. D'ailleurs, cette compréhension de l'impossibilité de s'affranchir de tous risques a franchi plus que la barrière de la compréhension puisqu'elle a également été formalisée dans le langage population sous le nom de loi de Murphy : «  S'il y a plus d'une façon de faire quelque chose, et que l'une d'elles conduit à un désastre, alors quelqu'un le fera de cette façon » .

Toutefois, il est indéniable que la frilosité ambiante face aux innovations relève pour partie d'une peur de la prise de risques, même minime .

Deux raisons peuvent expliquer cette attitude :

- Tout d'abord, le confort dans les pays développés, tel que le nôtre, implique que le public ne s'intéresse plus uniquement au risque, mais à la balance bénéfice-risque, qu'il calcule inconsciemment. Dans un environnement aussi policé que le nôtre, nul doute que la balance bénéfice-risque d'une innovation doit pencher fortement du coté des bénéfices pour que celle-ci soit acceptée.

Ainsi, les consommateurs ne voient pas d'avantage aux OGM, mais simplement une innovation qui remplace leur produit « bien rodé », pour reprendre le vocabulaire de la sous-partie précédente. Si l'on veut bien prendre des risques pour se soigner, on n'accepte pas d'en prendre pour manger.

A contrario, peu de gens délaissent leurs téléphones portables à cause de déclarations, non prouvées scientifiquement, de risques majeurs liés aux ondes électromagnétiques.

- Le concept même de « risque zéro » est dénué de sens quand il se base sur un calcul objectif. Les individus raisonnent suivant une conception bayésienne des probabilités, conception qui n'est malheureusement plus enseignée à l'école, et évaluent les probabilités subjectivement . L'approche bayésienne permet en effet de combiner des éléments objectifs avec des éléments subjectifs, des avis d'experts ou de personnes considérées subjectivement comme tel, pour faire évoluer cette probabilité en un degré de croyance.

L'esprit humain est-il bayésien ?

L'approche bayésienne des probabilités considère que la « plausibilité » d'une hypothèse est fonction du nombre de preuves qui jouent en sa faveur, et du poids que l'on attribue à chacune, contrairement à l'approche classique, ou « fréquentiste », qui se base sur des séries longues d'observations et de données statistiques.

Ainsi, il ne s'agit pas uniquement de preuves expérimentales déjà obtenues, mais aussi de probabilités de preuves, d'avis d'experts, de connaissances par l'expérience personnelle, auxquels on attribue une valeur de façon subjective.

Alors que normalement une preuve ou un contre exemple permet de faire définitivement pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, dans ce cas, on cherche surtout à accroître la plausibilité d'une hypothèse, par l'accumulation d'éléments. Plus l'hypothèse dispose d'éléments en sa faveur, plus elle sera considérée comme plausible ; et elle ne sera pas rejetée même si un certain nombre de personnes ou d'éléments la contredisent.

Or, face à une innovation, donc face une technologie comportant plus de paramètres incertains qu'une technologie éprouvée, une place plus importante est donnée aux éléments subjectifs.

Ainsi, la nouvelle frontière n'est pas de se prémunir du risque, mais de l'incertitude.

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