D. LA SITUATION EN TUNISIE
Aux termes de la résolution 1791 (2011) adoptée en janvier dernier, l'Assemblée parlementaire s'est engagée à suivre de près les développements politiques en Tunisie et à définir les contours de son assistance à ce pays, dans sa transition vers la démocratie. Le texte soulignait la nécessité, pour les nouvelles autorités tunisiennes, de garantir les libertés politiques et d'abolir, en particulier, la peine de mort. Le gouvernement tunisien était, par ailleurs, invité à intensifier sa coopération avec le Conseil de l'Europe, en adhérant notamment aux instruments juridiques ouverts aux non-membres. L'expertise de la Commission de Venise était également sollicitée.
Six mois après le début de la « Révolution de jasmin », la commission des questions politiques a souhaité dresser un bilan des réformes entreprises par le gouvernement transitoire. La résolution adoptée par l'Assemblée souligne, à cet égard, les efforts accomplis pour organiser le plus rapidement un scrutin. La résolution propose à cet égard que l'Assemblée participe à l'organisation et à l'observation de ces élections. Elle invite les forces politiques et civiles tunisiennes à mener campagne dans un climat serein, l'État devant s'engager dans le même temps à rester neutre. Le financement des partis politiques doit, par ailleurs, respecter les critères élémentaires de transparence.
L'Assemblée s'inquiète néanmoins de la dégradation économique et sociale du pays, marquée par une forte progression du taux de chômage.
M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC) , intervenant au nom du groupe ADLE, a tenu à insister sur cette question qui n'est pas sans incidence sur la volonté d'une large partie de la jeunesse de quitter le pays :
«Lorsque notre Assemblée a créé, en juin 2009, le statut de partenaire pour la démocratie, nous étions nombreux à imaginer que les parlements du Maroc et de la Tunisie seraient les deux premiers à pouvoir y prétendre. L'histoire est venue bouleverser ces prévisions et notre calendrier ; ce matin, seul le Maroc s'est vu ouvrir ce statut. Cela s'est confirmé également : le partenariat pour la démocratie est une bonne formule pour accompagner la mue démocratique des assemblées, mais il n'est pas directement adapté à la construction d'un régime démocratique, tâche à laquelle s'est attelée la Tunisie. Après le partenariat pour la démocratie, il nous resterait donc à imaginer et à instaurer un partenariat pour la construction de la démocratie !
L'excellent rapport de la présidente du groupe au nom duquel j'ai l'honneur de m'exprimer, notre collègue Anne Brasseur, rappelle que la Tunisie a besoin d'un soutien plein et entier, d'un engagement actif de l'ensemble des organes du Conseil de l'Europe : non seulement de l'Assemblée parlementaire, mais aussi du Comité des ministres, du Secrétariat général et de l'ensemble de nos directions générales.
Les défis qu'elle doit surmonter sont en effet immenses. Ils en décourageraient beaucoup. J'admire donc la détermination des responsables de la transition en Tunisie. Ces défis à relever dépassent le stade de la réforme constitutionnelle et embrassent les domaines économique et social. En effet, la Révolution du jasmin n'a pas été sans conséquences sur l'activité du pays, le secteur touristique étant, notamment, largement touché. Paradoxalement, les aspirations à la liberté peuvent faire peur.
Les nuages qui obscurcissent l'avenir économique de la Tunisie poussent une partie de sa population, notamment les jeunes, à choisir l'exil. N'oublions pas que si certains d'entre eux peuvent être appelés à s'épanouir dans nos pays et à nous offrir leurs talents, il ne faudrait pas qu'ils manquent à leur pays d'origine qui doit impérativement et très vite retrouver les chemins du développement économique. Lampedusa ne doit pas être la seule réponse européenne aux difficultés que rencontrent les Tunisiens...
Sur le plan institutionnel, le Conseil de l'Europe a un rôle primordial à jouer en accompagnant notamment le processus électoral en cours, mais aussi en renforçant les contacts entre notre Organisation et les autorités chargées des questions de justice, d'enseignement, d'égalité.
Au plan économique, il convient d'étudier la possibilité de dégager de nouvelles aides pour le redressement du pays. Le G20 l'a fait à l'occasion de son sommet de Deauville. Il convient désormais de rechercher tous les canaux de financement possibles. Je m'interroge, à cet effet, sur la possibilité de gager de nouvelles aides sur les fonds gelés de la famille Ben Ali, actuellement bloqués au sein d'établissements financiers européens. Ils sont d'un niveau autrement important que ceux qui ont pu être dégagés jusqu'ici et devraient permettre de lancer des investissements porteurs d'avenir pour les jeunes Tunisiens, qui pourraient alors rester chez eux. Après tout, il sera probablement démontré que ces biens appartiennent bien aux Tunisiens !
La question économique n'est pas anecdotique. La tentation de l'émigration révèle une réelle déception de la population à l'égard des nouvelles autorités qui ne sont pas encore jugées capables d'incarner l'espoir d'une amélioration des conditions sociales que sous-tendait aussi la Révolution du jasmin. N'oublions pas que c'est une manifestation de désespoir face au coût de la vie qui a conduit les Tunisiens à se lever. Comme le disait Anne Brasseur dans son propos : pour pouvoir voter, il faut d'abord pouvoir manger. La vie, c'est évidemment d'abord la liberté, mais c'est aussi le développement !
Sachons être aux côtés des Tunisiens avec détermination et confiance. Il est vrai que nous pourrions faire ce choix parce que c'est notre intérêt. Disons fortement que nous faisons avant tout ce choix parce que c'est leur avenir, l'avenir qu'ils se choisissent et qu'ils vont continuer à construire désormais en pleine liberté. »
Mme Christine Marin (Nord - UMP) a également abordé la question de la jeunesse dans son intervention, appelant à la mise en place d'une aide spécifique à destination de cette catégorie de la population :
«Je salue le rapport remarquable de M me Anne Brasseur sur la situation actuelle en Tunisie.
Je ne vais pas prolonger le concert de louanges à l'égard de la révolution tunisienne, bien que je m'y associe, ni dire à mon tour l'importance de la loi sur la parité et l'entier soutien que nous nous devons d'apporter au gouvernement transitoire dans sa difficile tâche de concrétiser la révolution démocratique - oui, je dis bien concrétiser.
Le rapport ne cache pas les difficultés auxquelles est confronté le gouvernement transitoire face à l'impatience légitime de la rue. Impatience qui se traduit d'ailleurs, paradoxalement, dans les faits par une immigration illégale massive qui soumet nos frontières à une pression migratoire difficilement tenable.
Il est vrai que nos opinions publiques sensibles, voire extrêmement sensibilisées, depuis les débuts de la crise économique, à la question migratoire s'inquiètent des conséquences de la révolution tunisienne. Le rapport sur le débat d'urgence avait, d'ailleurs, lors de la dernière session, souligné les incohérences qu'il y avait à quitter un pays qui venait d'opter pour la démocratie et mettait fin à un gouvernement répressif et corrompu.
Seules les conséquences économiques de la situation tunisienne expliquent cette immigration massive, conditions économiques dégradées qui ont, par ailleurs, présidé au déclenchement de la révolution.
La jeunesse tunisienne - et les messages de notre Organisation et de l'ensemble des démocraties européennes doivent aller dans ce sens - est une force vive pour la reconstruction démocratique du pays.
Son avenir est en Tunisie et non dans de supposés eldorados européens. Les élections à venir doivent permettre de faire émerger de nouvelles forces politiques du fait de l'interdiction temporaire de l'ancien parti. A ce titre, la reconstruction tunisienne offre un avenir réel à la jeunesse de son pays.
Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne pourraient parfaitement accorder une aide financière passagère pour que les jeunes Tunisiens ne soient pas tentés par des départs rapides vers des eldorados mensongers. Il est difficile de dire à une jeunesse impatiente qu'elle devra attendre, que le processus de transition démocratique sera long, peut-être difficile, et que les bénéfices économiques ne seront pas non plus nécessairement immédiats.
Mais peut-on souhaiter aux jeunes Tunisiens des emplois sous-payés et le risque d'être renvoyés vers leur pays comme des citoyens de seconde zone, parce qu'ils n'auront pas accès à des papiers légaux pour résider sur le sol européen ? Peut-on réellement souhaiter les laisser en pâture aux marchands de sommeil et de travail, qui ne feront qu'exploiter leur jeunesse et leurs forces pour mieux s'enrichir à leurs dépens ? Ne vaut-il pas mieux attendre, mais être libres ?
Les Tunisiens se sont libérés de la tutelle de Ben Ali car, comme dans la fable de La Fontaine « Le loup et le chien », ils préféraient l'âpre liberté du loup à la grasse domesticité du chien. Faisons-leur confiance, aidons-les dans le respect des choix qu'ils ont faits, mais ne leur laissons pas croire que leur avenir n'est pas chez eux. Apportons donc une réponse ferme aux tentatives d'immigration. »
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - NC) a souhaité, pour sa part, insister sur la décision du gouvernement d'instaurer une parité parfaite au sein de la future Assemblée constituante tunisienne :
«Je tiens à saluer l'excellent rapport de notre collègue Anne Brasseur sur la situation en Tunisie. En tant que président fondateur et honoraire de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, je ne peux que me réjouir de ce travail. Il met en effet en exergue la volonté du Conseil de l'Europe de développer une politique de partenariat et de voisinage avec les pays Sud de la rive méditerranéenne, politique de partenariat qui est à l'origine de la naissance de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée. Bien sûr, les buts des deux institutions ne sont pas redondants. Il ne s'agit pas ici de ne s'intéresser qu'à des problématiques méditerranéennes mais de développer un partenariat plus complet avec un pays dans lequel la transition démocratique est à l'oeuvre.
Je me réjouis de l'avènement de la révolution démocratique tunisienne, révolution voulue par le peuple tunisien, qui a montré une maturité démocratique hors pair. Néanmoins, la révolution n'est pas achevée, elle n'en est qu'à ses prémices. Le rapport a raison de souligner les risques de radicalisation des acteurs de la révolution qui ne verraient pas immédiatement se traduire, dans le quotidien, les bénéfices du changement politique.
Paradoxalement, la Tunisie, qui a fondé une part non négligeable de son économie sur le tourisme, pâtit d'une image négative dans l'opinion internationale, dont les médias sont en grande partie responsables. La question qui se pose, dès lors, à nous est celle de savoir comment soutenir la transition démocratique en Tunisie, sans que notre soutien s'apparente à une quelconque forme d'ingérence.
Soutenir la Tunisie signifie en premier lieu soutenir le secteur du tourisme, qui souffre des inquiétudes non fondées des opinions publiques européennes quant à l'instabilité du pays. Je me suis rendu récemment en Tunisie, et pas uniquement à Tunis. J'y ai rencontré le Président de la République et j'ai pu constater que le pays n'est en rien devenu dangereux, que la parole s'est libérée et que les contacts avec les habitants se sont multipliés.
Nous avons la chance d'assister aujourd'hui à la naissance d'une démocratie. Apportons notre soutien à la Tunisie et à son peuple ! Ils ont besoin de nos investissements, à ce jour très nettement insuffisants.
Je tiens à saluer la remarquable décision prise par le gouvernement transitoire d'élire l'Assemblée constituante conformément à une parité parfaite. Le niveau d'éducation des femmes tunisiennes, leurs droits civiques égaux à ceux des hommes et leur attachement à la laïcité n'ont pas été pour rien dans la réussite de la révolution tunisienne. Les femmes seront un atout dans la constitution des nouvelles institutions démocratiques tunisiennes et nous devons les encourager à prendre une part importante dans les institutions de demain.
J'étais, il y a quelques jours, à Lampedusa. On a pu y voir une actrice connue, ce dont on peut se féliciter. Une délégation de l'Assemblée parlementaire s'y est rendue également, en toute discrétion, car on n'a pas le droit de spéculer sur la misère des gens. Cette petite île de 6 000 habitants a reçu jusqu'à 1 500 migrants par jour. Je ne suis pas certain que d'autres pays auraient mieux réagi que ne l'a fait l'Italie. En tout cas, il me semble indispensable de mettre en place un système de gardes-côtes européens pour faire face à des situations de crise aussi exceptionnelles que celle de Lampedusa. Aujourd'hui, on ne constate pratiquement plus aucune arrivée de migrants tunisiens à Lampedusa. C'est une bonne nouvelle. Les jeunes Tunisiens restent désormais dans leur pays pour construire leur démocratie. »
L'Assemblée a, par ailleurs, souligné la fragilité de la situation dans le pays, tant au plan politique qu'au niveau sécuritaire. Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a, dans son intervention, insisté sur les déceptions qui se font jour, cinq mois après la chute du président Ben Ali :
«Il y a beaucoup d'émotion dans les interventions. De fait, la situation en Tunisie est insupportable, et nous avons tous envie de dire : « Quel dommage ! »
À l'origine de la Révolution du jasmin survenue en janvier 2011, un jeune homme - souvenons-nous de lui, on commence à ne plus en parler autant qu'auparavant -, Mohamed Bouazizi, originaire de Kasserine, une région de l'intérieur, est en colère. Il s'immole par le feu. Le pays s'enflamme et, avec lui, tous les pays arabes. Puis l'affaire prend les proportions que nous savons.
Remercions cette jeunesse, remercions ces héros anonymes en nous remémorant leur nom, au moins un instant. Ils ont su dire non, ils ont érigé le front du refus. Ils ont, tout simplement, exprimé leur besoin de liberté. Ont-ils eu, ont-ils conscience de l'onde de choc qu'ils ont provoquée ?
Cinq mois après ce grand élan révolutionnaire, à la croisée des chemins, bien des incertitudes subsistent. En Tunisie, un gouvernement provisoire est en place, qui assume un processus de transition. Sa légitimité est contestée. Il a entraîné la démission du premier gouvernement, interdit le parti unique et a fini par organiser les élections à l'Assemblée constituante, qui auront lieu le 23 octobre 2011.
L'après-Ben Ali n'est pas facile. La situation est fragile. Certains disent que rien n'a changé. Bien sûr, rien n'a changé encore. Il y a beaucoup de déception, de désillusion, de fractures. En outre, la situation économique est profondément dégradée. Le pays est au bord de la banqueroute. Ses problèmes - chômage, précarité, grave crise du tourisme, secteur essentiel de l'économie - sont profonds et structurels.
Que pouvons-nous faire ? Quels sont les leviers de notre action ? Sur ce point, tout a déjà été dit.
D'abord, la solidarité. Notre action est humanitaire, mais notre générosité n'est pas suffisante. Très vite, les grands élans fléchissent. Pourtant, la Tunisie a besoin de nous tous les jours !
Ensuite vient la solidarité organisée. Les problèmes sont économiques, c'est vrai. Ils sont l'affaire, vous avez raison de le dire, des gouvernements nationaux d'Europe - et de certains plus que d'autres. Ils appellent sans doute des investissements immédiats. On a parlé de plan Marshall ; quelque nom qu'on lui donne, une démarche collective s'impose d'urgence. Les jeunes en ont besoin ; nous le leur devons bien. Car ils doivent rester dans leur pays. Il serait si injuste qu'ils doivent, les premiers, quitter le pays qu'ils ont libéré !
Enfin, notre action sera politique. Nous l'engageons enfin. Peut-être aurions-nous pu le faire plus tôt au niveau du Conseil de l'Europe. Quoi qu'il en soit, ce pays sera un partenaire pour la démocratie. Nous qui nous interrogeons sur nos futures missions à l'heure où les membres venus de l'Est s'apprêtent à intégrer progressivement l'Union européenne, nous avons tant de missions à accomplir, de débats à engager ! Je le répète, peut-être ces pays attendaient-ils que nous allions vers eux avant. Faisons-le en tout cas maintenant, et réjouissons-nous qu'ils nous rejoignent bientôt !
Merci, Anne ! »
La résolution adoptée par l'Assemblée invite par ailleurs les autorités tunisiennes à renforcer leur coopération avec le Conseil de l'Europe, au travers de la Commission de Venise, de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Commissaire aux droits de l'Homme, et d'adhérer aux accords partiels élargis à l'instar du centre Nord Sud ou de l'Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs.
Les accords partiels permettent aux États qui le souhaitent de collaborer ensemble dans le cadre du Conseil de l'Europe, sans exiger que l'ensemble de ses membres y participent. Seuls les participants à l'accord partiel contribuent à son financement. Il est élargi lorsque des États non membres du Conseil de l'Europe peuvent y participer. D'un point de vue statutaire, un accord partiel demeure une activité du Conseil de l'Europe. Il a, néanmoins, son budget et ses activités propres, lesquels sont déterminés par les seuls membres de l'accord partiel. Le Centre Nord-Sud (CNS) ou Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales a été créé en 1989 et officiellement mis en place en mai 1990, à Lisbonne. Composée de 19 États membres du Conseil de l'Europe et de trois États tiers (Cap-Vert Maroc et Saint-Siège), cette agence a une double mission : - Fournir un cadre à la coopération européenne pour sensibiliser davantage le public aux questions d'interdépendance mondiale ; - Promouvoir des politiques de solidarité conformes aux objectifs et principes du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire dans le respect des droits de l'Homme, de la démocratie et de la cohésion sociale. Crée en 1987 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, l'accord EUR-OPA Risques majeurs est une plate-forme de coopération dans le domaine des risques majeurs entre les pays d'Europe et du Sud de la Méditerranée. Son domaine de compétence est lié aux catastrophes naturelles et technologiques majeures - la connaissance, la prévention, la gestion des crises, l'analyse post-crise et la réhabilitation. Les objectifs principaux de l'Accord EUR-OPA Risques majeurs sont de resserrer et de dynamiser la coopération entre les États membres d'un point de vue pluridisciplinaire, afin d'assurer une meilleure prévention et protection face aux risques et une meilleure préparation en cas de catastrophes naturelles et technologiques majeures.
Il compte aujourd'hui 26 États membres, dont
l'Algérie, le Liban et le Maroc.
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