4. Une évaluation insuffisante
a) Un manque de données objectives
Une donnée est souvent citée par le Gouvernement pour démontrer l'efficacité du dispositif CEF : près des deux tiers des mineurs placés en CEF ne commettraient pas d'infraction dans l'année suivant la fin de leur placement. Ce chiffre est notamment repris dans la circulaire de la DPJJ du 13 novembre 2008 visant à améliorer la prise en charge des mineurs placés en CEF ainsi que dans l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, définitivement adopté par le Parlement en juillet 2011 18 ( * ) .
Or il ressort de l'ensemble des auditions réalisées par vos co-rapporteurs que cette donnée ne repose sur aucune étude scientifique établie .
D'après les informations communiquées par la DPJJ, les seules données disponibles sont issues d'une étude réalisée au cours de l'année 2008 par le ministère de la Justice. Celle-ci, basée sur l'examen des bulletins n°1 du casier judiciaire de 358 mineurs placés dans treize CEF entre 2003 et 2006, visait à mesurer le taux de réitération à l'issue du placement.
Cette étude met en évidence l'existence d'une corrélation inverse entre le taux de réitération et la durée du placement : les mineurs restés plus de 170 jours (cinq mois et demi) en CEF réitèrent significativement moins que les autres .
Or, d'après les informations communiquées par la DPJJ, seul un tiers des mineurs placés en CEF restent plus de six mois . Un tiers reste moins de trois mois et le tiers restant entre trois et six mois (voir supra ).
En tout état de cause, la réitération demeurerait malgré tout élevée.
Cette étude indique également :
- que le risque de réitération est proportionnel au nombre d'infractions commises avant l'entrée en CEF ;
- que la nature et la gravité des antécédents sont sans incidence sur la réitération ;
- que les mineurs qui ont connu des incidents en CEF réitèrent davantage que les autres ;
- enfin, que 75% des mineurs qui réitèrent après un placement en CEF commettent plusieurs infractions.
Vos co-rapporteurs attirent l'attention sur le fait que la non-réitération ne peut être, en outre, qu'un objectif a minima assigné aux CEF.
Un indicateur plus pertinent de la « performance » de ces établissements pourrait être établi à partir de l'examen de la réinsertion des mineurs dans un dispositif de droit commun à l'issue du placement.
Là encore, très peu de données sont disponibles.
Le ministère de l'Education nationale a communiqué à vos co-rapporteurs les données suivantes, établies à partir de l'interrogation de 21 CEF : sur 460 mineurs accueillis dans ces CEF en 2010-2011, 122 ont poursuivi une formation générale, technologique ou professionnelle à l'issue du placement (26,5%), 64 ont été inscrits en stage de formation professionnelle (14%), 30 ont poursuivi une formation dans un centre relevant de la PJJ (6,5%) et 11 ont trouvé un emploi (2,4%). Au total, près de la moitié des jeunes concernés auraient réintégré un dispositif de droit commun à l'issue du placement .
L'évaluation du suivi des mineurs par l'Education nationale est toutefois rendue plus difficile dès lors que le mineur atteint l'âge de seize ans et n'est de ce fait plus soumis à l'obligation scolaire.
Il conviendrait également de tenir compte de la situation scolaire du mineur avant le placement (selon les données communiquées par le ministère de la justice, près de 60% des mineurs placés en CEF en 2010 étaient déscolarisés à leur arrivée au sein de la structure) ainsi que de la durée du placement (voir supra ).
Enfin, comme l'ont souligné plusieurs personnes entendues, il est extrêmement délicat, au vu des caractéristiques du public accueilli, de définir un indicateur pertinent permettant d'évaluer l'efficacité du placement. Comme l'a expliqué M. Hamady Camara, directeur du CEF de Liévin, certains mineurs présentent des carences éducatives telles que la seule prise de conscience de la gravité des actes commis et le fait d'en accepter la responsabilité peuvent être considérés comme une réussite...
Conscient de ces insuffisances, le ministère de la Justice envisage de mener, de concert avec la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE), qui fédère la plupart des associations gestionnaires des CEF privés, une étude destinée à évaluer l'impact de la prise en charge en CEF sur la situation globale des mineurs (santé, relations familiales, capacité de réinsertion, etc.).
Les résultats de cette étude seront particulièrement précieux pour permettre de mieux connaître le devenir des mineurs à leur sortie du dispositif.
b) Une insuffisance d'outils statistiques
Au-delà de la difficulté à établir des critères d'évaluation pertinents, vos co-rapporteurs ont pu mesurer, à travers les éléments fournis par le ministère de la Justice, que celui-ci ne disposait pas des outils statistiques lui permettant de mesurer l'efficacité de son action.
Ainsi :
- ni les données recensées dans les directions interrégionales de la PJJ par le logiciel Images s'agissant du secteur associatif, ni celles recensées par le logiciel G@me s'agissant du secteur public ne permettent de distinguer les mineurs placés en CEF en fonction du fondement juridique du placement (contrôle judiciaire, sursis avec mise à l'épreuve, aménagement de peine ou libération conditionnelle). Or, une analyse du devenir judiciaire des mineurs sortants de CEF ne peut ignorer l'importance de cette donnée ;
- le ministère de la Justice fait également valoir que les outils statistiques actuellement disponibles ne permettent pas de connaître précisément le passé pénal des mineurs accueillis ainsi que l'infraction principale ayant justifié le placement - la CNIL n'ayant pas autorisé la mention du motif de l'infraction dans les bases de données G@me et Images ;
- le déploiement progressif de Cassiopée dans les juridictions devrait par ailleurs se traduire par une perte des données antérieurement saisies dans les logiciels alors utilisés ;
- enfin, seule une étude fondée sur l'interrogation du casier judiciaire national permettrait d'évaluer le taux de réitération des mineurs après leur majorité - le « panel des mineurs » de la PJJ s'interrompant à 18 ans.
c) Un dispositif sollicité
En l'absence de données tangibles, vos co-rapporteurs ont donc été tenus de s'en remettre à des éléments d'appréciation plus subjectifs, issus pour l'essentiel des témoignages des magistrats, des acteurs de terrain et des professionnels de l'enfance délinquante qu'ils ont entendus ou rencontrés.
A cet égard, il ressort des auditions et des déplacements qu'en dépit de fortes disparités d'un centre à l'autre, le dispositif des CEF fait, dans son ensemble, l'objet d'appréciations plutôt positives de la part des professionnels engagés dans la prise en charge des mineurs délinquants.
En particulier, les représentants de l'Union syndicale des magistrats (USM), du Syndicat de la magistrature (SM) et de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) ont considéré, au vu des retours d'expériences de leurs adhérents et sans pour autant s'abstenir d'émettre un certain nombre de réserves, que dans l'ensemble, les CEF paraissaient offrir un mode de prise en charge adapté à certains adolescents particulièrement difficiles, rétifs à toute autre forme de prise en charge moins « contenante ».
La grande majorité des personnes entendues ont surtout salué le fait qu'un placement en CEF permettait d'éviter l'incarcération du mineur et de lui offrir « une dernière chance », alors même que de précédentes prises en charge auraient échoué.
Cette appréciation plutôt positive se traduit par un fort taux d'occupation des CEF , proche dans certaines régions de la saturation . Ainsi, en mai 2011, le taux d'occupation théorique (ou « taux de prescription ») des CEF était de 87% 19 ( * ) - ce qui tend à démontrer qu'ils répondent à une réelle demande des juges pour enfants.
Ce constat a été partagé par la Défenseure des enfants, qui a considéré que « les centres éducatifs fermés [étaient] un dispositif intéressant, de par leur projet éducatif complet et les moyens offerts en termes de personnel et de budget » 20 ( * ) .
* 18 Etude d'impact annexée à ce projet de loi, page 81.
* 19 Le taux d'occupation effectif était inférieur d'environ 10 points. Le taux d'occupation ne peut en principe atteindre 100% en raison des contraintes inhérentes à l'accueil d'un public particulièrement difficile : renouvellement de placements pour des durées aléatoires, fugues, incarcérations en cours de placement, hospitalisations, etc.
* 20 Rapport précité, page 75.