2. Une efficacité non avérée
L'efficacité des EPM se décidera pour une large part sur les conditions dans lesquelles les mineurs pourront, à leur sortie de cette structure, s'insérer ou se réinsérer dans la société. Or, la capacité des EPM à favoriser la réinsertion peut être fragilisée par les conditions de recours à ce type de structures, la difficulté à maintenir les liens avec l'extérieur, ainsi que par la faiblesse des mesures d'aménagement de peine.
a) L'organisation des activités : un équilibre à trouver
En totale rupture avec l'oisiveté dans laquelle étaient trop souvent réduits les mineurs dans les établissements pénitentiaires, le projet des EPM a été bâti sur un temps de détention très actif.
Il fixait ainsi pour objectif vingt heures hebdomadaires de cours sur quarante semaines (les cours s'arrêtent généralement à la fin de la première semaine de juillet pour reprendre au début de la dernière semaine d'août).
A titre de comparaison, la moyenne des cours en quartier mineurs ne dépasse pas douze heures (et sept heures pour les jeunes filles détenues dans les quartiers femmes).
Tel est le cas au centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis où l'éventail des heures d'enseignement va de 3 heures (tutorat pour les moins motivés) jusqu'à 18 heures. A l'instar des autres quartiers mineurs, une scolarisation ne présente pas au CJD de caractère systématique : un quart des mineurs détenus environ n'assistent pas aux cours.
L'enseignement concentré en principe dans la matinée est complété l'après-midi par une succession d'activités socio-éducatives.
Selon les éléments d'information communiqués par le ministère de l'Éducation nationale, ces efforts ont porté leurs fruits. En premier lieu, l'ensemble des mineurs en EPM est scolarisé, contre 88 % en quartier mineurs. Selon les témoignages recueillis par vos rapporteurs, les refus de scolarisation demeurent rares. En 2010, les enseignements ont permis à 183 mineurs d'être présentés à des examens de l'Éducation nationale, 73 % d'entre eux étant reçus. En outre, 269 mineurs ont réussi des validations telles que l'attestation scolaire de sécurité routière ou le brevet informatique et Internet.
A la lumière de l'expérience, cependant, le rythme de la journée de détention dans les EPM a rencontré deux limites.
En premier lieu, elle a entraîné une surcharge globale des activités à destination du mineur tandis que la priorité donnée aux temps collectifs sur les temps individuels est apparue excessive .
Elle ne favorise pas, en effet, les moments de retour sur soi que les psychologues s'accordent à reconnaître indispensables dans la prise de conscience de l'acte de délinquance.
Différents correctifs ont été apportés de manière pragmatique à ces inconvénients. D'abord, le temps d'enseignement a souvent été réduit du quart au regard de l'objectif affiché de vingt heures. Tel est le cas dans l'EPM d'Orvault. Ensuite, les temps collectifs ont été assouplis. Ainsi, à l'EPM de Porcheville comme à celui de Marseille, le groupe des mineurs au sein de chaque unité est partagé en deux de sorte que les repas du midi et du soir puissent être alternativement pris de manière collective ou isolée.
En second lieu, l'effet de cette prise en charge intensive est largement neutralisé par la durée souvent très courte de détention . En effet, la durée moyenne de détention -comparable en EPM et dans les quartiers mineurs- s'établit à 2,5 mois : près de 80 % des mineurs sortent avant trois mois de détention . Comme l'ont relevé presque tous les responsables des EPM rencontrés par vos rapporteurs, le temps de passage en EPM ne permet pas de déterminer, pour chaque mineur, un projet cohérent comportant notamment un suivi pédagogique.
Une note du garde des sceaux en date du 11 juin 2010 pose pour principe l'affectation et l'orientation en EPM des mineurs incarcérés pour une durée de deux mois et plus, condamnés ou en détention provisoire. Mais les tendances actuelles tardent à s'infléchir.
b) Le difficile maintien des liens avec l'extérieur
Les parloirs ont lieu généralement le mercredi après-midi, le samedi matin et après-midi ainsi que le dimanche matin et après-midi et le cas échéant, le jour férié matin et après-midi. La durée des parloirs varie de 30 à 45 minutes. Elle peut être prolongée d'une heure à la demande écrite du mineur.
La délivrance des permis de visite est subordonnée à l'accord du juge pour les mineurs prévenus et à celui du chef d'établissement pour les mineurs condamnés. D'après les informations recueillies par vos rapporteurs à Porcheville, les permis sont accordés de manière automatique aux membres de la famille proche. En revanche, la visite d'amis suppose au préalable l'avis des titulaires de l'autorité parentale et une enquête administrative effectuée auprès de la préfecture. Cette procédure, lourde, a pour effet de limiter les visites au cercle familial des mineurs.
Les détenus peuvent bénéficier de trois parloirs par semaine quels que soient leur catégorie pénale ou leur régime de détention (détention ordinaire ou cellule disciplinaire).
Depuis 2008, la téléphonie s'est développée dans les EPM : en principe chaque unité de vie dispose d'un poste de téléphone. Tous les détenus condamnés et, sous réserve de l'autorisation des magistrats (mentionnée généralement sur la fiche individuelle) les détenus prévenus peuvent téléphoner. Ils doivent, à cette fin, fournir les numéros et l'identité des personnes qu'ils souhaitent appeler afin que le bureau de gestion de la détention procède aux vérifications nécessaires. Les numéros autorisés sont enregistrés et chaque détenu possède un mot de passe pour y accéder à la condition d'avoir crédité son compte (pour les mineurs indigents, la PJJ et l'administration pénitentiaire, comme à Porcheville, peuvent créditer de deux euros le compte téléphone). Les conversations, systématiquement enregistrées, peuvent être écoutées et stoppées. Comme le notait le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l'issue de la visite de l'EPM d'Orvault, les écoutes sont rares, voire inexistantes, par manque de personnel.
Si le nombre des appels tend plutôt à augmenter à Porcheville (les détenus peuvent passer en moyenne 13 appels par mois), en raison de l'accord plus fréquent accordé par le magistrat aux mineurs prévenus (même si cet accord limite souvent les appels aux seuls parents), les visites concernent encore un nombre trop réduit de mineurs : 50 % à Lavaur, Orvaux, Quiévrechain, Meyzieu ; 66 % à Porcheville et 75 % à Marseille.
Comme l'ont relevé plusieurs des interlocuteurs de vos co-rapporteurs, ces écarts s'expliquent principalement par le contexte social et culturel des familles dans certaines régions. Ainsi, à Marseille, la structure familiale demeure très présente y compris dans les milieux défavorisés. En contrepartie, l'administration de l'établissement ne peut pas satisfaire toutes les demandes de visites. La mission d'inspection AP-PJJ notait que « dans les régions de l'Ouest et du Nord de la France, les liens familiaux sont plus fréquemment délités ».
L'éloignement de l'EPM complique encore ces visites. Bien que le taux de mineurs recevant des visites soit plus favorable à Porcheville que dans la majorité des autres EPM, vos rapporteurs ont constaté l'absence de desserte de l'établissement, relégué en périphérie de zone industrielle. La gare la plus proche est distante de trois kilomètres et l'arrêt de bus est à 900 mètres (au surplus les horaires de passage du bus ne correspondent pas aux horaires de visite). La direction de l'établissement a indiqué à vos rapporteurs que malgré les démarches entreprises dès 2007, aucune solution n'a pu être trouvée pour financer la mise en place d'une ligne de bus qui aurait été nécessairement déficitaire.
Dans ce contexte, les conditions d'accueil des familles méritent une attention particulière. A Porcheville, un espace famille, construit en avril 2009, est animé par des bénévoles du Secours Catholique présents quotidiennement pour assurer le soutien des familles avant et après le parloir.
L'inspection AP-PJJ avait regretté que les services éducatifs n'aient pas encore suffisamment développé de stratégie d'accompagnement des familles pour maintenir ou recréer des liens familiaux avec le mineur incarcéré. En particulier, elle avait noté que les services de l'aide sociale à l'enfance ne sont que « rarement sollicités alors qu'ils sont susceptibles d'accorder des aides pour le financement du trajet des familles les plus démunies ».
c) La faiblesse des aménagements de peine
Les différents interlocuteurs de vos rapporteurs se sont accordés sur un constat : le nombre très réduit de mesures d'aménagement de peine. En dehors des réductions de peine et des permissions de sortie, les libérations conditionnelles, les placements extérieurs ou les semi-libertés ne concernent qu'un petit effectif de mineurs (voir tableau ci-après).
Ainsi, à Porcheville, un seul aménagement de peine a été octroyé à un mineur au cours de l'année 2010. Les représentants de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, en particulier, ont relevé l'absence de « sas » de sortie avant une libération. En outre, l'observation formulée par notre collègue Jean-René Lecerf, à l'issue de son déplacement à l'EPM de Quiévrechain 38 ( * ) , a conservé son actualité : « la moitié des aménagements de peine se soldent par un échec du fait de l'absence de respect par le mineur délinquant des obligations fixées par le juge ».
Sans doute l'appréciation que peut inspirer cette situation doit être pondérée par deux éléments : la part souvent importante de prévenus au sein des EPM, lesquels, par hypothèse, ne sont pas susceptibles de bénéficier d'aménagements de peine ; la brièveté, en général, des peines d'emprisonnement qui, dès lors, se prêtent moins à un aménagement.
Ces considérations prises en compte, le nombre réduit d'aménagements de peine s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs. En premier lieu, comme l'ont expliqué à vos rapporteurs les responsables de l'EPM de Porcheville, les magistrats tendent à considérer le placement en EPM comme la sanction ultime pour des mineurs qui n'ont pas su ou voulu tirer parti des dispositions plus favorables qui ont pu leur être précédemment proposés. Dans cette perspective, il n'apparaît pas illégitime d'appliquer une exécution pleine et entière de la peine. Toutefois, cette observation ne vaut pas pour un EPM comme celui de Marseille qui, loin de constituer un ultime recours, apparaît, faute de structures alternatives, comme une première solution de détention.
En outre, la mission d'inspection AP-PJJ avait souligné les « difficultés rencontrées par les services éducatifs, dans l'élaboration des projets de sortie et des projets d'aménagement de peine » en les imputant à un défaut d'anticipation et à une insuffisante maîtrise des textes et des procédures.
Taux d'aménagement de peine et répartition selon les différentes modalités d'aménagement de la peine
Source : ministère de la justice
Par ailleurs, les représentantes de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) ont déploré l' absence de quartiers de semi-liberté au sein des EPM qui auraient encouragé le développement de ce type de mesure au bénéfice de l'apprentissage des responsabilités par le mineur. Animés par une préoccupation comparable, les responsables de l'EPM de Porcheville avaient envisagé d'instituer des mesures de placement extérieur : quatre cellules auraient été dévolues à des mineurs accompagnés en journée vers des structures PJJ du département des Yvelines (soit vers des plates-formes d'insertion, soit vers un restaurant d'application, en fonction du projet prévu par le mineur). Ces détenus auraient bénéficié par ailleurs d'un suivi scolaire par les enseignants de l'EPM ainsi que d'un suivi médical et médico-psychologique avec les responsables de l'UCSA. Selon les informations communiquées à vos rapporteurs, ce projet n'a pu se concrétiser faute, pour la PJJ, de disposer des moyens suffisants pour assurer l'accompagnement et le suivi éducatif des mineurs qui bénéficieraient d'un tel régime.
* 38 Avis sur les crédits de l'administration pénitentiaire, loi de finances pour 2009, n° 104, tome III, 2008-2009, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a08-104-3/a08-104-31.pdf .