II. LES RÉFORMES MISES EN oeUVRE
Deux grandes réformes ont été menées en 2010 afin, d'une part, d'assurer le retour à l'équilibre à moyen terme des régimes de retraite, d'autre part, de traiter la question de la dette sociale accumulée.
A. LA RÉFORME DES RETRAITES : DES ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTES POUR ÉQUILIBRER LES RÉGIMES
La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a suscité des débats animés au Parlement et dans la société. Compte tenu de la situation des comptes des principaux régimes de retraite, les évolutions qu'elle prévoit étaient indispensables. Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques démontre cependant que la réforme ne suffira probablement pas à assurer l'équilibre des comptes à l'horizon 2020.
1. Rappel des principales dispositions de la réforme
La loi du 9 novembre 2010 est constituée de huit titres respectivement consacrés :
- aux dispositions générales et au pilotage des régimes de retraite ;
- aux dispositions applicables à l'ensemble des régimes ;
- aux mesures de rapprochement entre les régimes de retraite ;
- à la possibilité du parcours professionnel ;
- aux mesures de solidarité ;
- aux mesures relatives à l'égalité entre les hommes et les femmes ;
- aux mesures relatives à l'emploi des seniors ;
- aux mesures relatives à l'épargne retraite.
a) Les dispositions relatives au pilotage des régimes de retraite
Plusieurs dispositions de la loi concernent la gouvernance et le pilotage des régimes de retraite :
- création d'un comité de pilotage des régimes de retraite , qui devra remettre chaque année au Gouvernement un avis sur la situation financière des régimes de retraite, sur les conditions dans lesquelles s'effectue le retour à l'équilibre du système de retraite à l'horizon 2018 et sur les perspectives financières au-delà de cette date ;
- organisation, par le comité de pilotage des régimes de retraite, à compter du premier semestre 2013, d'une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d'une réforme systémique de la prise en charge effective du risque vieillesse . Parmi les thèmes de cette réflexion, devront figurer les conditions d'une plus grande équité entre les régimes de retraite légalement obligatoires, les conditions de mise en place d'un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition, et les moyens de faciliter le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d'activité. Le comité de pilotage soumettra au Parlement les conclusions de cette réflexion.
Cette disposition, introduite dans le projet de loi par le Sénat, à l'initiative notamment du rapporteur de la commission des affaires sociales, Dominique Leclerc, doit permettre d'engager une réflexion approfondie sur l'opportunité de transformer le régime de retraite français plutôt que de procéder à des ajustements successifs qui accentuent sa complexité et sa faible lisibilité ;
- extension du droit individuel à l'information sur la retraite instauré en 2003 : il s'agit de mettre en oeuvre une information des assurés sur le système de retraite par répartition dès le début de la vie professionnelle, de prévoir un entretien à partir de quarante-cinq ans sur les droits constitués par un assuré et les perspectives d'évolution de ces droits, de fournir aux assurés d'une estimation indicative globale de leurs droits à partir de cinquante-cinq ans ;
- transmission au Parlement, avant le 1 er octobre 2011, d'un rapport faisant le point sur la situation des assurés ayant relevé de plusieurs régimes d'assurance vieillesse (polypensionnés) ;
- définition d'une nouvelle procédure de fixation de la durée d'assurance : à compter de la génération 1955, la durée d'assurance ou de services et bonifications sera fixée chaque année par décret pris après avis du Conseil d'orientation pour les retraites (Cor), quatre ans avant que la génération concernée n'atteigne l'âge de soixante ans.
b) Les dispositions applicables à l'ensemble des régimes
Les dispositions du titre II de la loi du 9 novembre 2010 sont au coeur de la réforme.
L'âge d'ouverture des droits à la retraite est fixé à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1 er janvier 1956, à raison d'une augmentation de quatre mois par génération à compter du 1 er juillet 2011.
Pour les fonctionnaires dont la pension de retraite peut être liquidée à un âge inférieur à soixante ans, l'âge d'ouverture du droit à pension de retraite est progressivement relevé de deux années.
Dans les mêmes conditions, l'âge auquel les assurés bénéficient du taux plein même s'ils ne justifient pas de la durée requise d'assurance est relevé de soixante-cinq à soixante-sept ans. L'âge du taux plein reste cependant fixé à soixante-cinq ans pour certaines catégories d'assurés :
- les assurés qui bénéficient d'un nombre minimum de trimestres au titre de la majoration de durée d'assurance ;
- les assurés qui ont apporté une aide effective à leur enfant handicapé ;
- les assurés du régime général, des professions agricoles et de la fonction publique lorsqu'ils remplissent trois conditions : avoir eu ou élevé trois enfants, avoir interrompu ou réduit leur activité professionnelle pour se consacrer à l'éducation de ces enfants, avoir validé, avant cette interruption, un nombre de trimestres minimum.
c) Les mesures de rapprochement entre les régimes de retraite
La loi contient d'importantes dispositions destinées à harmoniser certaines règles applicables aux différents régimes de retraite :
- sur une durée de dix ans, le taux de cotisation des fonctionnaires sera aligné sur celui des salariés cotisant à l'assurance vieillesse ;
- la pension minimale garantie dans la fonction publique est réformée pour la faire converger vers les règles du minimum contributif dans le régime général. Le bénéfice du minimum garanti est désormais subordonné à l'accomplissement d'une carrière complète dans des emplois relevant des différents régimes de retraite ou au fait d'atteindre l'âge d'annulation de la décote ou encore de respecter la durée de service nécessaire pour l'annulation de la décote ;
- le dispositif de départ anticipé après quinze années de service des fonctionnaires parents de trois enfants est fermé à compter du 1 er janvier 2012 . En outre, l'année prise en compte pour le calcul des droits des assurés concernés sera désormais celle au cours de laquelle ils atteindront l'âge de soixante ans, sauf pour ceux qui auront demandé à liquider leur pension avant le 1 er janvier 2011 (jusqu'à présent l'année prise en compte pour le calcul des droits était celle au cours de laquelle les assurés avaient réuni les conditions pour bénéficier du départ anticipé) ;
- les régimes complémentaires obligatoires des artisans et des commerçants sont fusionnés pour créer un régime de retraite complémentaire obligatoire des professions artisanales, industrielles et commerciales .
d) Les dispositions relatives à la pénibilité du parcours professionnel
La pénibilité des parcours professionnels a été l'un des sujets les plus débattus de la réforme. La loi comporte de nombreuses mesures destinées à prévenir et à compenser la pénibilité. Elle prévoit notamment la création d'un dossier médical en santé au travail destiné à retracer les informations relatives à l'état de santé du travailleur, et aux expositions auxquelles il a été soumis. Par ailleurs, à compter du 1 er janvier 2012, les entreprises d'au moins cinquante salariés qui emploient une proportion minimale de salariés exposés à des fonctions de pénibilité seront soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d'action d'une durée minimale de trois ans relatif à la prévention de la pénibilité.
Pour compenser la pénibilité, la loi prévoit que l'âge de liquidation de la retraite prévu par le code de la sécurité sociale est abaissé pour les assurés qui justifient d'une incapacité au moins égale à 20 % . Ces dispositions sont également applicables aux assurés justifiant d'un taux d'incapacité minimal de 10 %, sous réserve qu'ils aient été exposés pendant un nombre d'années déterminé par décret, à un ou plusieurs facteurs de pénibilité et qu'il puisse être établi que l'incapacité permanente dont ils sont atteints est directement liée à l'exposition à des fonctions de risques professionnels. Le financement de la compensation doit être assuré par la branche AT-MP (accidents du travail - maladies professionnelles).
La loi prévoit en outre, à titre expérimental, la mise en place de mécanismes de compensation de la pénibilité au niveau des branches professionnelles.
Enfin, un comité scientifique a pour mission d'évaluer les conséquences de l'exposition aux facteurs de pénibilité sur l'espérance de vie avec et sans incapacité des travailleurs. Sur la base de ses travaux, un rapport présenté par le Gouvernement au Parlement avant le 1 er janvier 2014, devra formuler des propositions en vue de prendre en compte la pénibilité à effets différés.
e) Les mesures de solidarité et relatives à l'égalité entre hommes et femmes
La réforme des retraites comporte plusieurs mesures de solidarité. Elle proroge l'existence de l'allocation veuvage, abrogée par la précédente réforme. Elle étend la retraite complémentaire obligatoire du régime des exploitants agricoles aux aides familiaux et aux collaborateurs de chef d'exploitation ou d'entreprise agricole. Elle exclut le capital d'exploitation de l'assiette du recouvrement sur succession des prestations de minimum vieillesse des exploitants agricoles.
En ce qui concerne l'égalité entre hommes et femmes, la loi prévoit la soumission des entreprises d'au moins cinquante salariés à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action défini dans le rapport établissant la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.
f) Les mesures relatives à l'emploi des seniors
La loi du 9 novembre 2010 met en place une aide à l'embauche des demandeurs d'emploi âgés de cinquante-cinq ans et plus . Elle autorise le financement, au titre de la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue dans le cadre du plan de formation, des dépenses correspondant à une part de la rémunération des salariés de cinquante-cinq ans et plus assurant le tutorat de jeunes de moins de vingt-six ans embauchés en contrat de professionnalisation. Par ailleurs, le texte permet aux demandeurs d'emploi qui bénéficiaient, au 31 décembre 2010, de l'allocation équivalent retraite, de continuer à en bénéficier jusqu'à l'âge de liquidation des droits.
g) Les mesures relatives à l'épargne retraite
Enfin, la réforme comporte quelques mesures destinées à favoriser l'épargne retraite. Alors que le code du travail permet aujourd'hui de verser les droits inscrits au compte épargne-temps sur le Perco (plan d'épargne pour la retraite collectif), la loi permet également de faire contribuer ces droits à d'autres prestations de retraite revêtant un caractère collectif et obligatoire. En l'absence de compte épargne-temps, le salarié peut verser les sommes correspondant à des jours de repos non pris, dans la limite de cinq jours par an, sur le Perco ou d'autres prestations de retraite revêtant un caractère collectif et obligatoire.
Par ailleurs, lorsqu'un salarié ne demande pas le versement en tout ou partie des sommes qui lui sont attribuées au titre de la participation ou qu'il ne décide pas de les affecter à un compte constitué par l'entreprise, sa quote-part est affectée pour moitié dans un Perco lorsqu'il a été mis en place dans l'entreprise. La loi prévoit également l'assouplissement des conditions d'utilisation du Perp en permettant une sortie partielle en capital.
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La loi entre progressivement en application. Ses dispositions relatives au relèvement de l'âge d'ouverture des droits ont pris effet le 1 er juillet 2011 pour la génération née en 1951. Il conviendra de réaliser un premier bilan de sa mise en oeuvre lorsque l'ensemble des mesures d'application auront été publiées.
2. Une réforme insuffisante pour équilibrer les comptes des régimes
Dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes estime que l'impact de la réforme sur le solde de l'ensemble des régimes de retraite a été surévalué par le Gouvernement.
Elle note tout d'abord que la présentation qui a été faite de la réforme par le Gouvernement inclut deux composantes qui peuvent difficilement être retenues pour apprécier l'impact de la réforme sur les finances publiques :
« La première, intitulée « Effort de l'Etat en faveur de ses fonctionnaires » et qui représente 15 milliards d'euros chaque année, correspond de manière purement conventionnelle à l'augmentation de la contribution du budget général au compte d'affectation spéciale des pensions de 2000 à 2010.
« La deuxième, qui consiste en un basculement de cotisations versées à l'Unedic vers des cotisations de retraite, est envisageable mais encore hypothétique. Les partenaires sociaux se sont accordés en mars 2011 sur le principe d'une baisse des cotisations de chômage, mais son ampleur est indéterminée et elle est soumise à une double condition relative aux évolutions du solde annuel et de l'endettement de l'Unedic . »
Par ailleurs, la Cour insiste fortement sur l'optimisme des hypothèses prises en compte pour établir les projections d'évolution des comptes des régimes de retraite. Ces projections s'appuyaient sur le scénario économique intermédiaire du Conseil d'orientation pour les retraites (Cor), caractérisé par une baisse du taux de chômage jusqu'à 4,5 % en 2024. Ce scénario peut être considéré comme optimiste au regard de ce qui a été présenté en mai 2011 par le Conseil d'analyse stratégique et la direction générale du Trésor.
La Cour énonce plusieurs facteurs susceptibles de modifier substantiellement les prévisions relatives à l'état des comptes des régimes de retraite à l'horizon 2020 présentées par le Gouvernement (déficit global de 2,6 milliards d'euros) :
- elle note que le Cor estimait à 3,8 milliards le besoin de financement supplémentaire des régimes de retraite en 2020 dans son scénario le plus défavorable (avec un taux de chômage de 7 % à long terme) ;
- elle relève que l'Arrco et l'Agirc ont réalisé de nouvelles projections de leurs soldes techniques à la fin de 2010, dont il ressort que, pour un même scénario économique que celui du Gouvernement, le solde des régimes supplémentaires pourrait être dégradé de 2,5 milliards en 2020 ;
- elle souligne que l'Insee a présenté de nouvelles projections démographiques à la fin de 2010 où la population française est un peu plus nombreuse en 2020. L'écart par rapport aux projections antérieures utilisées par le Cor étant plus important pour la population de soixante-cinq ans et plus que pour la population de vingt à soixante-quatre ans, le déficit des régimes de retrait serait aggravé de 3,5 milliards en 2020 ;
- enfin, la Cour observe que le recul de l'âge minimal de départ en retraite pourrait avoir un impact sur des dépenses sociales autres que les retraites : allocations de chômage, revenu de solidarité active, pensions d'invalidité... Le seul impact sur l'Unedic a été évalué à 0,4 milliard.
En conclusion de cette énumération, la Cour des comptes considère que « les risques pesant sur la prévision d'un déficit des régimes de retraite ramené à 2,6 milliards d'euros en 2020 sont de l'ordre de 10 milliards et le déficit à cette date pourrait donc être supérieur à 12 milliards ».