Audition de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de la vie associative
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Madame la Ministre, merci d'avoir répondu à l'invitation de notre mission pour nous apporter votre éclairage.
Nous serons d'autant plus attentifs que votre audition clôture quatre-vingts auditions.
Nous aimerions connaître votre sentiment sur les priorités et les publics cibles de la politique de prévention des toxicomanies.
Vous avez la parole.
Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d' État chargée de la jeunesse et de la vie associative . - Merci.
Messieurs les Présidents, Madame et Monsieur les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les membres de la mission d'information sur les toxicomanies, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'auditionner sur ce sujet difficile que vous abordez avec courage, sérénité et liberté. Je salue l'immense travail que vous avez accompli jusqu'ici, avec déjà quatre-vingts personnes auditionnées.
En tant que secrétaire d'État à la jeunesse et à la vie associative, je suis en effet particulièrement sensible à la question de la consommation des substances psychoactives, qu'elles soient licites ou illicites. Mon propos n'est pas de dire que ces substances sont exclusivement consommées par les jeunes ou que les jeunes en sont tous consommateurs - ce propos serait inexact et stigmatisant pour la jeunesse - mais je crois qu'il est de notre devoir d'être particulièrement à l'écoute sur ce thème.
En effet, on constate que plus le démarrage des consommations est précoce, plus les risques ultérieurs de dépendance sont importants. Or, on observe un rajeunissement alarmant de l'âge moyen d'initiation aux différentes substances psychoactives.
D'autre part, la jeunesse est une période d'expérimentations, de découvertes, de développement de sa sensibilité propre au monde ; elle est une période exaltante mais également transgressive, semée de pièges et d'embûches. C'est aussi une période de souffrance. Je rappelle que le suicide est en France la deuxième cause de mortalité des moins de 25 ans.
C'est pour cette raison que j'ai demandé au psychiatre Boris Cyrulnik de me remettre un rapport sur le suicide des jeunes. Dans le rapport d'étape, qu'il m'a d'ores et déjà remis et qui sera publié à la rentrée, il développe une corrélation entre carences affectives et suicides.
A mes yeux, la consommation de substances psychoactives licites ou illicites constitue un appel au secours, un signal de détresse, qu'il s'agisse de la consommation de drogues en tous genres, d'alcool en quantité excessive ou encore d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs.
La France a été pendant longtemps le premier pays en Europe en matière de consommation d'antidépresseurs. Nous sommes aujourd'hui au troisième rang mais cela concerne encore 6 millions de personnes. 13 % des jeunes de moins de 16 ans auraient déjà eu recours à des tranquillisants ou à des somnifères.
Selon l'OFDT, 30,4% des jeunes disent avoir expérimenté un produit phytothérapique ou homéopathique, 18,4% des tranquillisants, 14,6% et 7,2% respectivement des somnifères et des antidépresseurs, 2 % des thymorégulateurs, 1,4% des neuroleptiques et 1 % de Ritaline - produit surtout administré aux jeunes garçons hyperactifs.
J'interprète ces chiffres comme des indicateurs du mal-être d'une partie de la jeunesse française. Selon l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, la consommation d'alcool et de drogue est considérée comme un signe de détresse et un facteur de risque de basculement vers des comportements suicidaires.
Il convient donc d'agir, notamment par la prévention, pour protéger les jeunes de leurs propres excès. Il me semble essentiel d'associer les jeunes à cette action de prévention, de les y impliquer. C'est le choix constant du gouvernement. Je pense ainsi au concours « Talents versus Drogues » organisé par la MILDT et le ministère de la jeunesse en janvier 2011, qui proposait à des jeunes de créer une musique, un clip et une pochette de disque, rappelant qu'au-delà des dangers sanitaires, les drogues ont des répercussions multiples : problèmes scolaires, accidents de la route, accidents du travail, déstabilisation de quartiers voire de sociétés entières, répercussions négatives sur l'environnement, etc.
Cette campagne, via des canaux de diffusion très accessibles et très ciblés - sites gratuits en ligne de musique et de vidéos, radios jeunes - a permis à des jeunes de faire de la prévention auprès des jeunes.
Je crois que ce genre d'initiatives doit être soutenu et encouragé ; l'information par les pairs est pour moi le canal de communication le plus efficace. C'est pourquoi nous nous sommes associés à cette campagne de la MILDT.
J'ai été particulièrement sensible au travail porté par le ministère de la jeunesse, accompli par Sabrina Boudouni, jeune en service civique, auprès de la brigade de prévention de la délinquance juvénile du Gard.
Le service civique, créé par la loi du 10 mars 2010, suite à la proposition du sénateur Yvon Collin, offre à tout volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet collectif, d'une mission d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel ou concourant à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention.
C'est à ce titre que Sabrina a participé à l'animation de modules de prévention auprès des jeunes, sous le tutorat d'un gendarme de l'unité ; elle rencontre des adolescents au comportement déviant et a participé activement à la préparation et à l'animation des journées de prévention.
Je tenais à lui rendre hommage car elle participe également aux auditions de jeunes enfants victimes de violences sexuelles.
Le groupement de gendarmerie du Gard a été la première unité de la gendarmerie à bénéficier d'un agrément pour l'accueil d'un volontaire du Service civique. Cette pratique a été identifiée comme exemplaire et sera désormais soutenue par une circulaire du ministre de l'intérieur Claude Guéant datée du 8 juin 2011, selon laquelle « les volontaires pourront s'inscrire dans l'action de prévention des brigades de délinquance juvénile de la gendarmerie qui mènent au quotidien des actions de sensibilisation à destination d'un public de jeunes mineurs ».
Là encore, ce dispositif permettra à des jeunes de s'adresser à d'autres jeunes, ce qui constitue le canal de prévention le plus efficace à mes yeux. C'est pourquoi je crois primordial que tous les jeunes qui sont amenés à être en contact avec d'autres jeunes soient formés sur le thème des addictions.
Chaque année, près de 50 000 jeunes obtiennent le BAFA (brevet d'aptitude à la formation d'animateur) dont le ministère de la jeunesse et de la vie associative a la charge. Chaque année, près de 4 millions d'enfants et de jeunes sont encadrés en centres de loisirs.
Le ministère va donc prendre un décret afin de fixer un module de formation et de sensibilisation à la prévention des conduites addictives pour que cette compétence soit inscrite dans les diplômes et les formations qualifiantes des animateurs.
En parallèle, des actions de prévention seront proposées en milieu de loisirs par les acteurs associatifs du champ de la jeunesse et de l'éducation populaire.
La jeunesse ne comprend pas toujours l'incohérence de certains discours publics évoquant l'addiction à l'alcool. L'alcool n'a pas si mauvaise presse, alors qu'il fait partie des produits psychoactifs ; nous sommes un peu trop indulgents, en France, à l'égard d'une consommation excessive.
Je voudrais attirer votre attention sur trois de mes inquiétudes principales à ce sujet...
Premièrement, l'alcool est associé à des moments festifs. Si, en volume, les jeunes boivent moins d'alcool que nous, l'ivresse augmente.
Les accidents de la route demeurent la première cause de mortalité pour les moins de 25 ans. Les accidents avec alcool représentent 35 % des tués. Des pans entiers de notre jeunesse sont fauchés par l'alcool.
Les grands événements festifs, en France, sont souvent le théâtre de drames terribles. Je rappelle qu'à Nantes, en 2010, lors d'un « apéro géant », un jeune homme ivre est décédé des suites d'une chute. 57 personnes ont été hospitalisées. Le dernier « apéro géant » de Nantes, en juin, s'est déroulé sans incident, malgré quelques hospitalisations.
Des groupes de travail consacrés à la surconsommation d'alcool chez les jeunes et à l'organisation d'événements festifs par les jeunes, mis en place par le ministère de la jeunesse et le ministère de la santé au printemps 2010, ont ainsi associé des professionnels de santé et de la prévention et des jeunes.
J'ai nommé dans chaque département un médiateur pour les rassemblements festifs organisés par les jeunes. Ces médiateurs départementaux sont coordonnés par un référent national au sein de mon ministère. Une « fiche réflexe » a également été diffusée nationalement pour accompagner la mise en place de rassemblements festifs. Il n'est pas toujours nécessaire, selon moi, de tout interdire et il vaut mieux accompagner pour éviter que des drames se déroulent dans une forme de clandestinité...
Ma deuxième inquiétude concerne la progression inquiétante du « binge drinking », consommation supérieure à cinq verres d'alcool pris à la suite en un temps limité, généralement inférieur à deux heures. Quelle que soit la quantité nécessaire, seule l'ivresse est recherchée par ces jeunes qui ne boivent en général pas quotidiennement et, en volume, moins que leurs aînés.
C'est pourquoi nous allons engager une véritable campagne de prévention à travers un concours avec des réseaux sociaux sur les dangers de l'alcool, en utilisant le canal de l'humour et de la dérision.
Je tiens également à saluer l'initiative de Valérie Pécresse qui, suite à la remise du rapport de Martine Daoust, rectrice de l'Académie de Poitiers, s'est prononcée pour des week-ends d'intégration sûrs et responsables. Elle a demandé la mise en chantier de trois mesures destinées à rendre plus efficace le dispositif juridique actuel.
J'aimerais enfin attirer votre attention sur un point mal connu mais qui constitue également une grande inquiétude pour moi. Il s'agit de l'alcool utilisé comme anxiolytique, l'alcool étant consommé comme une sorte d'automédication par des jeunes particulièrement vulnérables, chez lesquels on peut déceler des symptômes dépressifs, des troubles anxieux, des états pouvant conduire à des tentatives de suicides ou à des comportements violents.
On sous-évalue le suicide en France. Derrière ce mot se cachent les tentatives, les comportements suicidaires et les actes de violence à l'égard de soi-même. Selon moi, consommer des produits psychoactifs, c'est d'abord exercer une violence vis-à-vis de soi-même.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu longue sur ce thème spécifique que constitue l'alcool mais, je le répète, il bénéficie d'une trop grande indulgence qui peut avoir des conséquences terribles pour les plus faibles et les plus vulnérables.
Protéger les jeunes de leurs propres excès, tel est l'enjeu de notre lutte contre les pratiques addictives. Pour pouvoir être cohérents, nous devons avoir le courage de prendre position sur un certain nombre de sujets qu'on n'ose pas toujours aborder.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci de toutes ces précisions et également d'avoir réservé aux élus la primeur de certaines informations !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je voudrais revenir dans un premier temps sur le suicide des jeunes qui, en France, me semble trop important. Nous avons à ce sujet demandé au directeur général de la santé de conduire une enquête épidémiologique portant sur la corrélation entre suicides et drogues ou produits psychotropes.
Vous nous avez dit - et je m'en réjouis - qu'un module allait être instauré dans la formation des jeunes encadrants destinés à exercer dans les clubs sportifs ou les associations culturelles au sujet de l'usage des produits.
Un certain nombre de parents m'ont rapporté que les premières initiations à la consommation de cannabis, par exemple, étaient dispensées lors d'un stage sportif par les encadrants eux-mêmes ! C'est inadmissible ! Je me félicite donc de la mise en place d'un tel module !
Il serait également intéressant de faire passer le message chez les encadrants actuels, qui n'ont peut-être pas les mêmes réserves. Notre discours n'est pas clair -et ce depuis de longues années. Il faudrait prendre des dispositions en ce sens...
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Nous avons pu constater une certaine inertie de la part de l'éducation nationale, malgré les préoccupations que suscitent ces comportements chez beaucoup de personnalités. On confie à des intervenants extérieurs - police, gendarmerie - le soin de faire de l'éducation à la santé, en particulier en matière de conduites à risque.
Votre inquiétude pourrait peut-être être transmise à votre puissant voisin, dans la mesure où il me semble que l'éducation nationale est là pour enseigner. Cela semble faire partie des sujets qu'elle ne paraît pas aimer traiter. Qui va le faire ? On évoque la médecine scolaire, dont on connaît le peu de moyens ! Il est donc temps de pousser un cri d'alarme, le cloisonnement aboutissant au fait que les jeunes sont peu en contact avec les intervenants chargés de la prévention.
Mme la ministre . - Les encadrants sont les canaux par lesquels on peut faire passer certains messages. Au moindre signalement ou à la moindre dérive - et nous y veillons - les moniteurs ne peuvent plus exercer leur activité. L'exemplarité est le mot d'ordre de notre ministère.
99,9 % de ces jeunes paient pour recevoir une formation pour s'occuper des autres. Nous soutenons certaines associations pour délivrer le BAFA et vous-mêmes, en tant qu'élus locaux, financez ces jeunes à qui je tiens à rendre hommage. Ce sont des gens extrêmement responsables qui accueillent quatre millions de personnes au cours de l'année. C'est une opportunité à ne pas manquer pour faire passer des messages pédagogiques.
Nous allons ainsi les charger de travailler sur la prévention des IST et sur les méthodes de contraception. Il est pour nous essentiel de traiter du bien-être des jeunes à travers les activités de loisirs et d'animations. Les moniteurs constituent les ambassadeurs d'un certain nombre de messages qu'il n'est pas aisé de faire passer par d'autres structures.
J'ai également confié à Israël Nisand, chef du service gynéco-obstétrique du CHU de Strasbourg, une mission sur la contraception et l'avortement des jeunes filles car je crois à l'intervention du monde associatif ou des personnes compétentes dans les établissements scolaires - médecins, jeunes, gendarmes, parents... Une association exemplaire, l'Union de la prévention pour le suicide des jeunes, animée par une mère qui a perdu son fils, est sans doute la meilleure ambassadrice qui soit pour aborder ces sujets.
En tant que ministre des associations, j'ai tendance à pousser dans cette voie mais je ferai bien évidemment passer le message à mon puissant voisin de l'éducation nationale !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - J'ai été très attentif à l'annonce que vous avez faite de l'aménagement du BAFA. C'est une excellente idée de vouloir faire de la prévention dans un contexte non-contraint, par le biais de jeunes. Cela ne résoudra pas tout mais c'est une approche qu'il sera bon d'ajouter aux autres.
Mme Michèle Delaunay, députée . - Utilise-t-on assez le milieu sportif, vecteur d'une image de santé et de performances ? C'est un messager positif...
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Le milieu sportif amateur !
Mme Michèle Delaunay, députée . - Bien entendu : clubs sportifs, fédérations... Je ne pense pas au milieu professionnel, sur lequel j'émets quelques doutes !
Ces personnes sont généralement très engagées. Ne peuvent-elles véhiculer ce genre message et servir d'exemples ?
Mme la ministre . - Les associations sportives amateurs constituent le plus grand nombre d'associations liées à la jeunesse. C'est souvent un vecteur de lien social : certains jeunes en rupture avec l'école peuvent se retrouver à un match de foot ou de rugby ; cela constitue des liens très forts et prévient les comportements à risques.
Une des pistes de réflexion dans ce domaine réside dans la vie de quartier et la culture des clubs. L'un des plus grands risques pour la jeunesse est l'isolement, le cloisonnement. Faire du sport, faire une partie d'échecs permet aux jeunes de créer du lien social et d'avoir un certain nombre de référents. Il vaut mieux chahuter sur un terrain de rugby plutôt que de rester seul, isolé chez soi. Cela fait partie des éléments essentiels pour briser le cercle vicieux de l'état dépressif. Ce sont des propositions sur lesquelles nous travaillons.
Vous m'avez posé la question de savoir à quel âge doit commencer la prévention. Les fragilités affectives d'un individu se révèlent très tôt. Les enfants qui dirigent leur violence contre eux-mêmes ont connu des violences dans leur milieu très proche ou ont été témoins ou victimes de violences.
On ne parle pas suffisamment des personnels de la petite enfance. Ce sont des acteurs essentiels pour construire les individus en cas de carence affective du milieu familial. On sait à quel point le rôle de socialisation des tout-petits est important. Les personnels de la petite enfance éprouvent souvent un attachement très fort à l'égard des enfants et ont des liens de confiance avec les familles. C'est souvent à travers le petit que l'on va découvrir un problème avec un plus grand.
Toutes ces politiques mettront quelques années à se mettre en place ; elles doivent constituer des approches qui se construisent très tôt. C'est l'ensemble des personnels du monde éducatif au sens large qui doit être concerné par ces formations et ces sensibilisations. Cela ne concerne pas uniquement l'éducation nationale mais également la petite enfance, les moniteurs, les éducateurs et l'enseignement supérieur.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Comment l'interdit qui pèse sur les drogues illicites peut-il être transgressé ? S'agit-il d'une recherche de transgression de la part des jeunes ? Cette banalisation ou cette tolérance ne posent-elles pas problème ?
Par ailleurs, un débat est engagé à l'occasion de cette mission sur l'éventuelle dépénalisation ou non du cannabis. Comment le considérez-vous dans votre ministère ?
La première consommation de drogues illicite, notamment de cannabis, constitue très souvent un dossier classé pratiquement sans suite ou qui donne lieu à un vague rappel à la loi plus ou moins appliqué. L'institution d'une amende contraventionnelle immédiate vous paraît-elle susceptible d'alerter les jeunes et les familles sur ce problème ?
Mme la ministre . - Mon rôle est de protéger la jeunesse. J'aurais pu vous parler d'un autre produit psychoactif licite, la cigarette. Les premières expérimentations ne concernent pas le cannabis mais la cigarette. Elles se font avant 14 ans pour l'alcool et le tabac. Or, on sait le nombre de décès par cancer provoqué par une consommation continue de tabac...
Pour ma part, je ne souhaite pas rendre licites des produits qui peuvent être dangereux pour la jeunesse mais plutôt tenir un discours cohérent. On ne peut être entendu des jeunes si on a un discours laxiste sur un certain nombre de produits psychoactifs licites, et un discours très ferme sur des produits psychoactifs illicites.
Mon collègue de l'agriculture sera peut-être mécontent mais je pense qu'une interdiction totale de l'alcool au volant ne serait pas une mauvaise chose ! Je ne ferai pas de différence entre les moins de 25 ans et les plus de 25 ans. L'alcool en voiture est dangereux. On a durci les dispositifs sur la question de l'alcool au volant en passant de 0,8 à 0,5 gramme : si demain on adoptait une tolérance plus basse, cela ne me gênerait pas !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Je comprends mais, en matière de santé publique, ramener la consommation de l'alcool ou du cannabis au problème de la prévention routière est très réducteur. On sait comment cela se passe : les jeunes sont à trois ou quatre dans la voiture mais seul le conducteur est à jeun, les autres étant intoxiqués par la consommation des produits psychoactifs. Je refuse de considérer que c'est un problème de prévention routière. Certes, on arrive à comptabiliser les morts sur la route de manière plus précise que les décès pour usage de drogues quelles qu'elles soient, mais on sait que le tabac, l'alcool, le cannabis ne provoquent pas de décès immédiat. Il en va de même pour l'héroïne ou la cocaïne, sauf en cas d'overdose !
Mme la ministre . - Il s'agissait d'un exemple.
Le nombre des décès attribués au tabac s'élève à 60 000 personnes chaque année ; pour, l'alcool on déplore 30 000 décès. Il suffit qu'une personne ait bu pour faucher quatre personnes. Je suis publiciste de formation et non pénaliste et je peux comprendre que l'on puisse estimer que la consommation de ces produits ne fait du mal qu'à soi-même, qu'il n'y a pas de conséquences sur les autres, sur l'environnement extérieur ou sur ses proches. Quand on est jeune, on a un sentiment de puissance. Les jeunes et les enfants n'ont pas la même perception de la mort que les adultes. Cependant, ma position est très ferme : je ne suis pas favorable à la dépénalisation du cannabis ! Tout ce qui peut conduire à traiter une forme de mal-être sans en traiter la cause me gêne.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Responsable du monde associatif et notamment sportif, seriez-vous prête à demander un dépistage de cannabis au cours des visites médicales ?
Mme la ministre . - Non. On ne peut le faire s'il s'agit d'un mineur sans l'autorisation préalable des parents. L'idée est de créer des liens de confiance avec la jeunesse. Si vous les suspectez systématiquement d'être des consommateurs de stupéfiants, le lien de confiance sera plus difficile à établir.
Cette mission fait suite au débat sur les salles d'injection contrôlée : la jeunesse consomme peu de drogues sous forme injectable. On compte 230 000 consommateurs de produits opiacés en France. La jeunesse est peu touchée. L'expérimentation et la transgression chez les jeunes concernent surtout l'alcool, le tabac et le cannabis mais peu les opiacés, malgré l'augmentation de la consommation que l'on constate et la baisse du prix du gramme de cocaïne. Le pourcentage est de moins de 3 %.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Je suis d'accord avec vous mais s'agissant du cannabis, ouvrir un journal régional le lundi matin est très préoccupant ! Il faut renforcer la prévention et éventuellement la répression et trouver de nouveaux moyens d'arrêter cette hécatombe.
Certes, on retrouve du cannabis mélangé à l'alcool mais j'ai l'impression qu'il y a toujours de l'alcool et non systématiquement du cannabis...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Vous avez raison...
Mme la ministre . - Le chef du service pédiatrique de Nantes a fait une tribune il y a trois ans dans Libération pour alerter l'opinion à propos de la question du « binge drinking » ; il rappelait qu'au CHU de Nantes, des jeunes de 11 à 12 ans arrivaient en plein coma éthylique !
C'est une minorité mais cela dénote quelque chose. Je sais que les débats se concentrent sur le cannabis. Je voudrais rappeler que pour avoir un discours cohérent, les adultes doivent être exemplaires. La jeunesse - que je trouve assez exceptionnelle, loin des clichés - ne fait pas de compromis et ne comprendra pas l'incohérence d'une telle position.
Pendant longtemps, on passait de l'enfance à l'âge adulte en prenant ce qu'on appelle dans mon Berry natal une « biture »...
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Le Berrichon que je suis vous a parfaitement comprise !
Mme la ministre . - Ce sont ces schémas que l'on aimerait déconstruire. Le plus dangereux, ce sont les mélanges d'alcool et de cannabis, qui sont dévastateurs. C'est pourquoi il faut avoir un discours ferme sur l'ensemble des produits psychoactifs.
M. Patrice Calméjane, député . - Vous êtes venue plusieurs fois en Seine-Saint-Denis, dont une fois à Stains, un 31 décembre, dans un quartier particulièrement frappé par les conséquences de l'usage de différentes drogues.
L'adolescence est la période du défi vis-à-vis des adultes. Il existe différentes façons pour l'exprimer : premiers rapports, alcool, drogues, jeux dangereux. On vit dans notre pays un paradoxe avec le tabac et l'alcool. Je rappelle qu'en principe, la vente d'alcool et de tabac est interdite aux mineurs.
Faut-il en arriver à verbaliser la détention du cannabis ou autres ? Il existe très peu de rappels à la loi : ne conviendrait-il pas d'envisager une véritable verbalisation et de respecter l'interdiction de la vente ?
Aux États-Unis, on demande leurs papiers aux plus jeunes pour qu'ils puissent rester dans un café ! Il en va de même dans un certain nombre de pays du Nord de l'Europe.
Certes, il existe une forte pression des viticulteurs mais ce n'est pas le sujet. Je n'ai jamais vu non plus une caissière de supermarché demander ses papiers à un jeune qui achète un jeu interdit aux moins de 18 ans ! On a le même problème avec les jeux vidéo extrêmement violents. On s'étonne du taux de suicide mais la répétition d'images violentes peut également les expliquer. Il existe un certain nombre d'interdits sur le sujet dans notre pays !
S'agissant du sport, vous avez dit votre désaccord avec les contrôles. Aux États-Unis, certains corps de métiers pratiquent le dépistage - police, sapeurs-pompiers... Ne faut-il pas, pour responsabiliser les jeunes, l'envisager lorsqu'on se présente à certains examens ?
Mme la ministre . - Quand on devient fonctionnaire, on donne son extrait de casier judiciaire. Cela me paraît suffisant mais l'interdit a un effet dissuasif.
Dans l'étude de l'OFDT de 1999, plus de 40 % des jeunes disent ne pas expérimenter de produits psychoactifs parce que c'est interdit. Personnellement, je ne l'ai pas fait - mais j'avais sans doute d'autres règles de transgression. On ne peut reprocher aux jeunes d'être irresponsables si nous ne posons pas nous-mêmes nos propres limites. On doit être exemplaire à l'égard de soi-même comme avec les autres.
Se vanter d'avoir consommé des produits psychoactifs n'est pas la chose la plus intelligente que font certains. Ne demandez pas ensuite à des jeunes de ne pas le faire ! Nous sommes tous acteurs de la prévention de produits psychoactifs ou du mal-être des jeunes, de la petite enfance à l'enseignement supérieur en passant par l'école.
On montre souvent les quartiers de Seine Saint-Denis sous un certain visage qui ne reflète pas ce département. A Stains, le 31 décembre, j'ai rencontré des jeunes en situation d'échec scolaire, sans emploi, qui allaient faire de la prévention en matière de consommation de produits stupéfiants. Ces jeunes de 18-19 ans, qui sont aujourd'hui en mission de service civique non rémunérée, se rendaient dans les établissements scolaires faire de la prévention et s'occuper d'enfants exclus de l'école pour éviter qu'ils ne se retrouvent sans aucun accompagnement.
Je veux rendre hommage à ces jeunes à qui on n'a donné aucune chance mais qui, grâce à un cadre stable, à Stains, dans un quartier difficile, font de la prévention. C'est sur ce modèle que j'aimerais que les adultes prennent exemple !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Vous avez évoqué le Berry. Je vous rassure : la grande majorité de la population berrichonne continue à se doper à la tendresse et à l'herbe des prés !
Mme la ministre . - Je suis favorable à la proposition de Jean-Robert Pitte, qui a contribué à classer la gastronomie française au patrimoine mondial de l'UNESCO et qui a suggéré une initiation à l'oenologie plutôt qu'à des alcools très forts venus de certaines contrées où il fait froid ! C'est par la pédagogie que l'on apprend les choses !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci.