MERCREDI 18 MAI 2011
Présidence de M. François Pillet,
sénateur, coprésident, et de
M. Serge Blisko,
député, coprésident
Audition du Professeur Dominique Maraninchi, directeur général, et de Mme Nathalie Richard, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat - Professeur Maraninchi, merci de nous apporter le témoignage de votre expérience. Vous êtes président de l'AFSSAPS mais également cancérologue et avez présidé l'Institut national du cancer.
Je vous propose de nous présenter les missions de l'AFSSAPS dans le domaine de la toxicomanie et des stupéfiants.
Professeur Dominique Maraninchi - Merci.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, je suis un jeune directeur général de l'AFSSAPS et très fier d'assumer cette fonction.
D'après les conventions de l'ONU, chaque État doit désigner une organisation responsable de l'application de deux conventions internationales, l'une sur les stupéfiants, l'autre sur les substances psychotropes ; en France, c'est l'AFSSAPS qui assure cette mission.
Le rôle de l'AFSSAPS est d'assurer la sécurité et de suivre la distribution de l'ensemble des produits de santé sur le territoire. L'AFSSAPS a donc le pouvoir, de par la loi, de réglementer, de prendre des décisions de police sanitaire ; pour ce faire, elle s'appuie sur des expertises et exerce également des responsabilités sur les corps d'inspection et de contrôle.
Il s'agit donc de procéder à une analyse extrêmement fine de tous les produits de santé pour s'assurer du respect des sources de production et de la qualité des produits.
L'AFSSAPS a l'avantage de pouvoir fédérer en son sein les acteurs qui participent à la lutte contre la toxicomanie et à l'usage de psychotropes ; elle rassemble l'ensemble du dispositif existant en France. Les centres d'évaluation et d'information de la pharmacodépendance se réunissent et préparent les travaux de la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes. L'AFSSAPS compte un département dirigé par Nathalie Richard, ici présente, qui coordonne l'ensemble de ces travaux et travaille en association avec la MILDT, l'OFDT, l'OEDT. L'AFSSAPS pèse aussi dans ce domaine à l'échelle européenne.
Le contrôle du marché des substances est un élément extrêmement important pour suivre les pratiques illicites dans les zones frontières. Tous les produits de santé sont en effet destinés à faire du bien mais peuvent aussi avoir des effets secondaires dangereux. En cancérologie, la consommation de kilos de morphine est signe d'accès au traitement de la douleur et non forcément un abus d'usage. Nous nous situons donc dans un contexte global.
L'AFSSAPS exerce le contrôle du marché de l'ensemble de ces substances et occupe une position privilégiée pour travailler sur la notion de bénéfice-risque des drogues à visée thérapeutique ou qui comportent des dangers.
L'AFSSAPS a la responsabilité de la mise sur le marché, de la surveillance et de l'utilisation de ces substances, en particulier les substances impliquées dans la dépendance aux opiacés -Subutex ou Méthadone. Nous sommes là dans le domaine de la régulation des produits pharmaceutiques, l'AFSSAPS intervenant également sur les conditions de traitement et de distribution des produits proposés au ministre de la santé.
La troisième faculté de l'AFSSAPS -peut-être mieux exercée dans ce domaine que dans d'autres- est d'évaluer et de surveiller un produit une fois celui-ci mis sur le marché, de rassembler des études et des expertises en provenance de milieux et d'acteurs divers -pharmacies, médecins sentinelles, système médico-légal, études programmées de pharmaco-épidémiologie utilisant les données de l'assurance-maladie. Il s'agit d'un élément critique qui permet une meilleure vision du bon usage du médicament avant de prendre des décisions.
L'AFSSAPS a également la capacité de repérer, d'analyser et d'interpréter les signaux relatifs à l'usage et à l'usage abusif de drogues.
Enfin, l'AFSSAPS a la capacité de proposer le classement des substances dans la liste des stupéfiants.
Les pratiques médicales sont en cours de traitement. Nous étudions par exemple les ordonnances sécurisées et la généralisation de leur usage ou l'empilement de divers types d'ordonnances dans les cabinets médicaux.
Le choix de la France a été de confier à l'AFSSAPS cette mission exercée dans le cadre de ses responsabilités générales. Le département de Nathalie Richard utilise donc l'ensemble des ressources d'évaluation et de vigilance au sein de la direction de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques, avec toute la spécificité liée à la nature de ces produits.
Nathalie Richard pourrait peut-être à présent prendre des exemples plus concrets pour illustrer certains de mes propos...
Mme Nathalie Richard - M. Maraninchi a bien situé le rôle de l'AFSSAPS. Il convient de souligner la position de référent qu'occupe l'AFSSAPS par rapport à l'ONU et à l'OICS. L'AFSSAPS transmet en effet annuellement des rapports à l'OICS concernant la consommation et la production de stupéfiants.
L'AFSSAPS ne s'occupe pas que des produits de santé mais est également en charge de l'ensemble des substances psychoactives, ainsi que des drogues. C'est pourquoi nous travaillons également sur les alertes sanitaires liées à celles-ci.
L'AFSSAPS s'appuie sur un réseau de centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance. Les CEIP sont au nombre de treize et sont situés sur l'ensemble du territoire français ; ils sont essentiellement composés de pharmacologues et de toxicologues.
Le rôle de l'AFSSAPS concernant le marché licite des stupéfiants est peut-être moins connu. La France est le second pays producteur de stupéfiants dans le monde, derrière l'Australie. Cette production est mise en oeuvre par Francopia, filiale de Sanofi, qui cultive en France deux variétés de pavots, utilisés à la fois pour la production de dérivés de morphine mais également pour la production d'Oxycodone ou de Buprénorphine.
Cette production licite de stupéfiants par la société Francopia est réalisée en lien avec l'AFSSAPS. Nous sommes donc en charge de ce contrôle licite des stupéfiants et des cultures de pavots en France.
La lutte contre la douleur s'est développée en France à partir de 1999 avec trois plans triennaux. On a ainsi vu la consommation et la production d'Oxycodone passer de un kilo à 657 kilos en 2009, la transformation en médicament entraînant une consommation beaucoup plus importante.
Le second axe de développement et de production est la Buprénorphine. La production est passée, pour cette dernière, de 151 kilos en 1998 à 339 kilos en 2009, soit environ 117 000 patients sous Buprénorphine, Subutex et générique. Pour la Méthadone, on est passé de 149 kilos en 1998 à 816 kilos actuellement, soit 3 700 patients.
Ces médicaments sont indispensables en termes de lutte contre la douleur ou contre la toxicomanie. Cette mission de contrôle des stupéfiants par l'AFSSAPS est donc absolument nécessaire en termes de santé publique.
En France, seuls deux médicaments ont une AMM et sont commercialisés dans le cadre de la dépendance aux opiacés : le Subutex, commercialisé en 1996, dont cinq génériques sont maintenant sur le marché et la Buprénorphine, psychotrope dont la prescription suit une partie de la réglementation des stupéfiants, avec prescription sur ordonnance sécurisée et limitation de la durée de prescription à 28 jours. Toutefois, la Buprénorphine et le Subutex ne sont pas des stupéfiants.
Ces deux médicaments peuvent être prescrits par n'importe quel médecin, ce qui n'est pas le cas de la Méthadone.
En effet, il a fallu enrayer l'épidémie de Sida et généraliser l'utilisation de la Buprénorphine, beaucoup moins dangereuse que la Méthadone, dont la toxicité directe est bien plus importante. La Méthadone a été dans un premier temps réservée à des centres de soins spécialisés, la Buprénorphine étant beaucoup plus générale.
L'AFSSAPS et les services répressifs ont identifié cinq types d'utilisation problématique du Subutex, en particulier une auto substitution par certains patients, un usage toxicomaniaque, une utilisation par voie injectable et par sniff. Cette utilisation hors AMM induisait un certain nombre de problèmes graves de santé publique -dépressions respiratoires, infections, problèmes vasculaires- ainsi qu'un nomadisme médical et le développement d'un trafic international pour le Subutex.
Dès 2007, l'AFSSAPS avait déjà informé les professionnels de santé sur les risques et le bon usage de la Buprénorphine et attiré l'attention des médecins sur la nécessité de suivre leurs patients de façon plus étroite, recommandant que le nom du pharmacien figure sur l'ordonnance du patient afin de créer un lien entre médecin et pharmacien, et de favoriser une meilleure prise en charge du patient. Cette recommandation s'est concrétisée par un arrêté de l'assurance-maladie.
Le second type de mesure a porté sur la mise en place d'un plan de gestion des risques pour la Buprénorphine, le Subutex et ses génériques, avec suivi de pharmacovigilance et d'addictovigilance. L'AFSSAPS réalise des bilans très réguliers ; le dernier a été présenté en janvier 2011. Il est vrai que l'on continue à avoir des problèmes de mésusage, d'injection et de détournement mais on rencontre ces problèmes davantage avec le Subutex qu'avec les génériques. C'est ce qui ressort des études des CEIP.
Un autre problème a préoccupé l'AFSSAPS, la composition du générique du Subutex, qui comportait plus d'excipients solubles et était moins injectable que le Subutex, la galénique pouvant réduire ou augmenter son effet.
Une étude mutualisée va être mise en place par l'Agence avec l'ensemble des laboratoires génériqueurs et princeps, sous le contrôle de l'AFSSAPS, afin d'avoir une idée plus précise du mésusage.
Enfin, l'AFSSAPS, à la demande de la Commission nationale des stupéfiants et psychotropes, a rédigé avec des addictologues, des pharmaciens et des toxicologues, une mise au point destinée à favoriser le bon usage de la Buprénorphine. Cette mise au point est destinée essentiellement aux généralistes, qui sont les grands prescripteurs de Buprénorphine. La prescription généralisée de Buprénorphine posant peut-être le plus de problèmes, le but est de mieux informer les médecins prescripteurs, qui ne sont pas forcément spécialistes. Cette mise au point devrait être publiée en juin.
Le second médicament à disposer d'une AMM dans le cadre du traitement de substitution de la dépendance aux opiacés est la Méthadone, mise sur le marché en 1995 sous forme de sirop, dont la formulation empêche l'injection. Cela s'est avéré efficace et empêchait également le trafic car il n'est pas aisé de revendre des flacons de Méthadone au marché noir.
La toxicité de la Méthadone étant plus importante que celle de la Buprénorphine, les conditions de prescription sont dans un premier temps beaucoup plus contraintes pour la Méthadone en sirop, avec une primo-prescription par des spécialistes dans les centres spécialisés de soins aux toxicomanes et dans des milieux hospitaliers spécialisés.
La Méthadone sous forme de gélule est apparue en 1997, développée par le même laboratoire. Celle-ci présentait une plus grande acceptabilité pour les patients. Elle est plus maniable, sans sucre et sans alcool, ce qui n'était pas le cas du sirop.
Si la gélule est plus maniable pour les patients, elle l'est également pour les trafiquants. L'AFSSAPS a donc souhaité encadrer la délivrance de la gélule et a réservé sa prescription à des sujets stabilisés sous sirop sur le plan des pratiques addictives et sur le plan médical. Le patient retourne donc en centre de soins pour la prescription de la gélule et peut être pris en charge ensuite par son généraliste.
Par ailleurs, un plan de surveillance de la Méthadone extrêmement important a été mis en place ; il fait appel aux centres de pharmacovigilance et aux centres d'addictovigilance ainsi qu'aux centres antipoison pour ce qui est des intoxications.
Le bilan à deux ans est plutôt rassurant pour la Méthadone sous forme de sirop et la Méthadone en gélule. Le seul point qui pose encore problème à l'AFSSAPS et aux autorités sanitaires en général est lié à la toxicité et aux intoxications accidentelles chez l'enfant, chez qui l'on déplore un certain nombre de cas graves. Le blister contenant les gélules est si bien sécurisé que les patients déconditionnent les gélules et ouvrent les flacons de sirop qui sont également sécurisés. Les enfants peuvent donc avoir accès à ces produits et deux ou trois catastrophes ont déjà eu lieu. On essaye donc de faire en sorte que la communication soit renforcée autour de cette problématique.
Il existe bien sûr des médicaments utilisés hors AMM, comme les sulfates de morphine, le plus ancien étant le Néocodion, qui ne pose toutefois plus trop de problèmes...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat - N'est-il pas retiré du marché ?
Mme Nathalie Richard - Non. Certaines personnes l'utilisent encore comme substitution d'appoint ; en général, ce sont des toxicomanes assez anciens mais le Néocodion ne présente plus, comme dans les années 1980-1990, de problèmes de santé publique depuis l'apparition de la Buprénorphine.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale - Les comprimés de Néocodion étaient pilés et injectés...
Mme Nathalie Richard - Les comprimés étaient en effet plus détournés que le sirop...
Deux autres sujets sont en cours d'étude, la DGS ayant saisi l'AFSSAPS et la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes au sujet de la possibilité d'utiliser des médicaments injectables dans le cadre particulier de la substitution d'une part et, d'autre part, de la mise à disposition de la Naloxone, antidote de l'héroïne qui, dans plusieurs pays, a fait ses preuves en matière de prévention des overdoses mortelles.
L'AFSSAPS a proposé un essai en France ; son rôle sera alors de veiller au respect réglementaire de l'essai clinique et à la traçabilité des médicaments, à leur bonne utilisation et à la surveillance de la pharmacovigilance.
Il faut citer le Rupnol s'agissant du détournement d'usage de certains médicaments. Dans les années 1990, certains médecins avaient lancé une pétition pour le retirer du marché français suite à des utilisations par les toxicomanes pouvant aller jusqu'à 200 comprimés par jour et par personne. La Commission des stupéfiants avait proposé un certain nombre de mesures de communication qui n'avaient pas donné les résultats escomptés. On a donc appliqué au Rupnol une partie de la réglementation des stupéfiants.
L'AFSSAPS a recommandé la prescription du Rupnol, hypnotique assez puissant, sur ordonnance sécurisée avec limitation de traitement à quatorze jours. L'utilisation chez les personnes dépendantes existe toujours mais les volumes de ventes ont été réduits de près de 60 %. Nous avons été les premiers surpris qu'une mesure réglementaire qui nous semblait insuffisante produise des effets aussi étonnants !
Professeur Dominique Maraninchi - Cet exemple illustre le problème des zones frontières. Peser sur les conditions de prescription et sur la responsabilité des prescripteurs peut être très efficace pour limiter les mésusages médicaux. Hors trafic, l'usage de benzodiazépine est extrêmement élevé en France et peut inciter certaines personnes à devenir dépendantes, même si les effets sont moins spectaculaires qu'avec d'autres drogues. Je trouve l'expérience éloquente...
Mme Nathalie Richard - Les CEIP et l'AFSSAPS ont mis en place des études épidémiologiques permettant de cibler les toxicomanes, dont on arrive à connaître les consommations et l'usage des produits quantitativement et qualitativement par le biais de la médecine générale et de la médecine spécialisée.
Nous avons par ailleurs utilisé les bases de l'assurance-maladie pour étudier la consommation des médicaments de substitution. Nous collaborons d'autre part avec les experts médico-légaux, dans le cadre de l'étude DRAMES, sur les décès par overdoses en Europe. Les substances sont clairement identifiées. Cette étude est une référence car elle permet de suivre la toxicité des médicaments d'une année sur l'autre.
L'AFSSAPS, l'INVS, l'OFDT et la DGS recueillent des signaux liés aux drogues -circulation d'héroïne très dosée ou coupée avec des produits qui ajoutent encore à la toxicité-, les évaluent et font remonter des messages d'alerte sanitaire. Nous en avons eu environ dix-huit en 2010 qui ont donné lieu à des communications vers les médecins, les services d'urgence et les addictologues.
Enfin, l'AFSSAPS et la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes ont pour rôle de proposer l'inscription des substances sur la liste des stupéfiants.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat - Merci. La parole est aux rapporteurs.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale - Merci pour cette présentation. Nous avons parfaitement saisi votre rôle d'évaluation et de régulation de tous ces produits psychotropes.
Mon attention a été attirée par les risques de toxicité de la Méthadone, impliquée dans plus de 34 % des décès par overdose, ce qui est énorme.
Le risque ne devient-il pas très important ? Doit-on persister dans cette substitution ou aller vers autre chose ?
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat - Existe-t-il un générique de la Méthadone ?
Mme Nathalie Richard - Non. La Méthadone, en France, est uniquement prescrite dans le traitement de substitution de la dépendance aux opiacés. Dans d'autres pays, on peut l'utiliser également contre la douleur.
Professeur Dominique Maraninchi - Vous posiez la question générale du bénéfice-risque. Celle-ci s'examine dans un contexte particulier, pour une population particulière.
La préoccupation porte sur les usages abusifs de Méthadone et sur les accidents mentionnés chez les enfants.
En tant que toxicologue, je ne puis qu'être préoccupé par le détournement d'usage et les conséquences en termes de risques et d'overdoses. Le dispositif n'est donc pas suffisant pour limiter le risque.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale - La Méthadone est-elle uniquement délivrée dans un centre de Méthadone ? La prise ne se fait-elle pas devant l'infirmier ou le médecin ?
Mme Nathalie Richard - La première prescription de Méthadone est faite dans un centre de soins par un spécialiste. Il peut y avoir ensuite délivrance dans les centres de soins mais également dans une pharmacie de ville
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale - Le patient n'est pas censé ramener le médicament chez lui ?
Mme Nathalie Richard - Si, bien sûr. La durée maximale de prescription est de quatorze jours ; le patient peut donc se faire délivrer la Méthadone par une pharmacie de ville et la prendre chez lui.
C'est un spécialiste qui délivre la primo-prescription. Le relais peut ensuite être pris par un médecin de ville. Ces médecins sont en général très impliqués -peut-être plus que ceux qui prescrivent du Subutex. La prise de produit ne se fait pas forcément devant un personnel médical.
Le problème de la toxicité de la Méthadone a été appréhendé dès le départ. Le fait que Subutex et Méthadone n'aient pas les mêmes conditions de prescription, de délivrance et d'accès était prévu, la Méthadone comportant davantage de contraintes. Certes, on rencontre plus d'overdoses chez les sujets sous Méthadone, produit extrêmement toxique -1 mg par kilo peut tuer une personne naïve- mais il faut toutefois ramener le nombre de décès à celui des patients traités...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale - Ce n'est pas anodin !
Mme Nathalie Richard - En effet mais la Méthadone étant en général réservée aux patients les plus difficiles à traiter et figurant de ce fait parmi les sujets à risques, le nombre d'overdoses mortelles est également plus élevé.
La question nous préoccupe ; nous avons mis en place un plan de gestion de risques renforcé avec les centres antipoison pour bien appréhender le problème de la toxicité.
Mme Samia Ghali, sénatrice - Quels sont les chiffres des overdoses dues aux autres produits ?
Par ailleurs, avez-vous mené une étude sur l'usage de Méthadone dans le cas où la drogue serait légalisée ?
Mme Nathalie Richard - En 2009, le nombre de décès par overdose lié à l'utilisation de produits ou de médicaments était de 260 -chiffre fourni par des toxicologues analystes. Les drogues illicites représentaient 53 % et les drogues licites 57 % des cas de décès.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale - Qu'entendez-vous par drogues licites ?
Mme Nathalie Richard - Il s'agit de médicaments contre la douleur qui sont détournés. On trouve dans ces chiffres 48 cas de décès imputables à la Méthadone et 30 cas de décès par Buprénorphine.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat - Qu'en est-il des suicides médicamenteux ?
Mme Nathalie Richard - On ne les compte pas dans les décès par overdose.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat - Il s'agit quand même d'une forme d'overdose !
Mme Nathalie Richard - On a volontairement restreint le champ. Il est difficile de faire la différence avec un toxicomane qui se suicide mais il ne s'agit pas ici de chiffres de suicides.
Professeur Dominique Maraninchi - Ce type d'accès permet de mener une politique de prévention de la catastrophe ; on n'est toutefois pas totalement efficace, certains utilisant des mélanges très farfelus.
L'analyse porte sur l'overdose mortelle, qui ne prévient pas totalement tous les inconvénients de la toxicomanie. Que ce soit avec la Méthadone, très dangereuse mais cadrée, ou avec des drogues licites détournées, on retrouve des cocktails extrêmement dangereux.
Quant à la permissivité éventuelle, la zone frontière est celle des psychotropes. Il s'agit de médicaments utiles, comme les antalgiques. Notre problème est d'en réguler le détournement de l'usage. Il nous semble que la régulation des conditions de prescription et le contexte sont extrêmement importants. La responsabilisation des médecins et des pharmaciens constitue un élément très important. La prescription de Méthadone est d'autant plus grave de conséquences que le sujet se trouve dans un contexte social particulier. Augmenter l'accès ne peut donc entraîner qu'une suite de conséquences néfastes.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat - L'AMM est-elle révisée au niveau européen ?
Par ailleurs, êtes-vous saisi d'une demande d'AMM concernant le cannabis en matière d'usage médical ?
Mme Nathalie Richard - Même si l'Union européenne nous reproche que nos chiffres ne sont pas fiables, ce sont les plus bas d'Europe ! Nous avons mis en place un comptage croisé entre l'INSERM, l'étude DRAMES et la police. Nous arrivons à 500 décès par overdose en France, donnée inférieure aux chiffres européens.
Par ailleurs, aux États-Unis, l'Oxycodone est un problème de santé publique extrêmement grave que l'on ne rencontre pas en France.
Quant à l'AMM de la Méthadone, elle est nationale.
Professeur Dominique Maraninchi - Nous en avons donc la responsabilité totale. Il n'existe aucun frein européen -pas plus que pour le Médiator. L'AFSSAPS a autorité, pour des raisons de santé publique, à prendre des décisions qui, dans l'affaire du Médiator, pour diverses raisons, n'ont pas été prises.
Mme Marie-Thérèse Hermange , sénatrice - Il n'existe pas d'alerte de la Sécurité sociale dans le cas où une personne voudrait s'approvisionner deux fois de suite en Subutex à un jour d'intervalle ! Ce n'est pas le cas pour les autres ordonnances renouvelables...
Mme Nathalie Richard - Il est en effet étonnant que les patients qui se fournissent en Subutex plusieurs fois de suite soient remboursés sans contrôle. En 2004, l'assurance-maladie a mis en place un plan d'action permettant d'identifier les posologies de Buprénorphine supérieures à 32 mg, voire plus importantes et également de savoir si le patient avait plus de trois prescripteurs.
Dans ce cas, une alerte des caisses d'assurance-maladie est déclenchée. Il existe d'ailleurs un service contentieux...
Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice - J'ai pourtant en tête un cas concret !
Mme Nathalie Richard - C'est à l'assurance-maladie de vous répondre. Le nombre de prescripteurs intervient, de même que la posologie. Le système a été renforcé depuis 2007 et s'est révélé efficace.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale - Vous avez évoqué des propositions d'inscription de substances sur la liste des produits stupéfiants et des psychotropes. Quelles sont-elles ?
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat - Quel est le temps de réactivité ?
Mme Nathalie Richard - Cette inscription est du ressort de la santé ; c'est bien la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes qui examine les substances et qui propose leur classement au ministre.
Cette procédure nationale est une transposition des procédures internationales mais l'ONU a laissé toute latitude aux États signataires, si une substance pose problème, de l'examiner et de la classer sur la liste des stupéfiants. C'est ce que nous faisons. L'AFSSAPS a ainsi récemment proposé le classement d'une nouvelle drogue de synthèse, la Méphédrone. L'intervalle entre l'arrivée de la substance sur le territoire et son classement sur la liste des stupéfiants a été de six mois.
Il existe une procédure européenne similaire. La France a classé la Méphédrone sur la liste des stupéfiants et l'Europe a interdit et réglementé son accès six mois après.
Les États signataires peuvent donc réguler l'inscription des substances et les inscrire sur la liste des stupéfiants. Il s'agit de l'arrêté du 22 février 1990 ; trois annexes constituent la transposition des substances inscrites à l'ONU, l'annexe 4 comportant un classement franco-français. Depuis 2001, trente substances ont été placées sur la liste des stupéfiants.
Quant à la légalisation du cannabis, elle n'est pas du ressort de l'AFSSAPS. En France, il existe un certain nombre de médicaments dont certains sont sous conditions temporaires d'utilisation et qui contiennent des THC de synthèse, comme le Marinol. Dans un cadre particulier, un médecin peut demander que son patient utilise ce médicament. Des ATU -autorisations temporaires d'utilisation- ont donc été délivrées.
En France, l'utilisation thérapeutique du cannabis n'est pas autorisée, contrairement au THC.
Professeur Dominique Maraninchi - Nous devons renforcer la médicalisation de la prescription d'un nombre de substances de plus en plus grand et être capables de les surveiller. Il existe des mesures compliquées mais aussi des mesures simples. Les débats portent depuis des années sur l'utilisation d'ordonnances sécurisées. Ce sont des questions de priorité : favorise-t-on les ordonnances bizones pour le remboursement ou des ordonnances sécurisées pour être sûr du bon usage d'un médicament ?
Sécuriser l'usage de beaucoup de médicaments, même non classés, pourrait améliorer la sécurité sanitaire et renforcerait la responsabilité des prescripteurs. Ceux-ci commencent à y être sensibles. Il ne faut surtout pas donner libre accès à ces médicaments, qu'il s'agisse de produits de substitution ou de médicaments très utiles dans certains cas. Il faut donc qu'on les traite comme des médicaments comme les autres.
Je me souviens qu'en 1975, on testait déjà le THC pour ses vertus anti-vomitives dans le cadre d'essais cliniques qui n'ont pas démontré leur efficacité. On rencontre beaucoup d'allégations autour de ces substances et il faut que l'on puisse mieux les étudier scientifiquement. Certains cadres restreints permettent de le faire par le biais d'autorisations d'essais cliniques.
Nous pouvons vous faire parvenir des documents complémentaires si vous en avez besoin...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale - Il serait intéressant que nous puissions avoir connaissance des analyses cliniques sur le cannabis...
M. François Pillet , coprésident pour le Sénat - Merci de ces précisions.