C. UN PILOTAGE À PARFAIRE

1. Un pilotage par les ARS encore difficile à évaluer
a) De faibles marges de manoeuvre

Dans le guide méthodologique d'aide à la contractualisation que le ministère de la santé a mis à la disposition des ARH/ARS, celui-ci s'adresse ainsi aux directeurs d'agence : « si le calibrage en 2005 des dotations initiales des établissements antérieurement sous dotation globale a été pris en charge par la DHOS, ces dotations pouvaient dès l'origine être modifiées à votre niveau lors de la phase d'allocation par établissement. Depuis lors, vous avez donc vocation à reprendre la main sur les dotations MIGAC ».

Or, ainsi qu'il ressort des déplacements effectués par votre rapporteur spécial, les marges de manoeuvre des agences dans l'allocation des crédits aux établissements de santé sont extrêmement réduites, compte tenu de plusieurs facteurs :

- la détermination de certaines enveloppes au niveau national , notamment s'agissant des plans de santé publique ;

- la rigidité de l'enveloppe « AC » sur le long terme compte tenu du soutien accordé aux établissements de santé dans le cadre du plan « hôpital 2007 », comme cela a été précisé précédemment ;

- les mesures de gel décidées depuis 2009 sur l'enveloppe « AC » des MIGAC.

b) Une difficile réallocation des dotations entre établissements dans une logique d'efficience

Comme cela a été indiqué précédemment, les ARS sont incitées à utiliser les données du retraitement comptable des établissements et les référentiels de coûts mis à leur disposition pour confronter la réalité des coûts des missions aux dotations allouées et demandées par les hôpitaux.

Cette confrontation est sans doute effective à certains endroits comme a pu le constater votre rapporteur spécial à Lille au cours de son déplacement. Mais cette pratique est-elle généralisée ?

Exemple de l'effort de contractualisation entre l'ARS du Nord-Pas-de-Calais et le CHRU de Lille

« Le travail réalisé en 2008 conjointement avec l'ARH Nord-Pas-de-Calais a permis d'aboutir à une notification détaillée des missions relevant d'un financement en MIGAC-MERRI. D'un point de vue méthodologique, le CHRU de Lille a mobilisé les médecins et l'encadrement soignant afin d'établir, pour chaque activité entrant dans le cadre du décret de 2007, une fiche détaillant les objectifs, les ressources mobilisées et les indicateurs d'évaluation (au total pour le CHU, 70 fiches ont été élaborées). Au cours de deux journées de travail, l'ensemble de ces fiches a été présenté à [l'ARH]. Le guide méthodologique constitue un référentiel commun. Ces échanges à la fois ouverts et contradictoires ont permis d'aboutir à une notification détaillée des financements en MIGAC et MERRI variables, actée dans l'avenant n° 2 au CPOM . »

Source : réponses transmises par le CHRU de Lille à votre rapporteur spécial à l'occasion de son déplacement

Afin d'aider les ARH/ARS dans leur contractualisation avec les établissements, le ministère de la santé a mis à leur disposition différents outils : des documents types (avenant MIGAC au CPOM, arrêté de fixation de la dotation MIGAC), des supports d'analyse des dossiers, des modèles de financement, des fiches support par MIG reprenant les références juridiques, le périmètre de la MIG, etc.

Les ARS doivent théoriquement utiliser ces référentiels pour négocier avec les établissements. Ces outils doivent constituer des points de repère qui garantissent l'équité de financement entre les régions et entre les établissements concernés.

Cependant, comme le soulignait l'Inspection générale des affaires sociales dans son rapport précité sur le financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé 19 ( * ) , les ARH/ARS se heurtent à plusieurs difficultés dans la réallocation de crédits entre établissements, notamment le manque d'informations disponibles, les contraintes politiques, la difficulté intrinsèque de l'exercice .

Surtout, l'IGAS relevait un décalage important entre les pratiques des ARH et les recommandations nationales . Elle indiquait notamment :

« Tout se passe comme s'il était normal que les instructions nationales ne soient pas vraiment suivies d'effet : le national soumis à des contraintes, notamment vis-à-vis du Parlement, est conduit à promouvoir des politiques formellement rigoureuses même si elles ne sont pas vraiment effectives. Aussi les directeurs d'ARH admettent ne pas gaspiller leur énergie à essayer d'infléchir les directives de l'administration centrale pour leur donner un caractère plus opérationnel. [...]. Le niveau national semble nourrir plus d'illusions quant à la conformité de l'action des ARH. Il est vrai que les ARH ont renoncé à lui signaler leurs difficultés à mettre en oeuvre les instructions nationales ».

Interrogés sur cet écart entre d'un côté, le « désabusement » des ARH qui renoncent en quelque sorte à faire remonter les difficultés auxquelles elles sont confrontées et, de l'autre, « la candeur » de l'administration centrale qui semble se complaire dans cette situation, les interlocuteurs de votre rapporteur spécial ont admis prudemment qu'il pouvait s'agir du décalage très souvent observé entre le niveau national et le niveau local.

En tout état de cause, le bilan de la contractualisation entre les ARH et les établissements de santé dressé par le ministère de la santé dans le rapport de 2009 au Parlement sur les MIGAC était assez contrasté . En particulier, le ministère notait que des efforts étaient à poursuivre sur les points suivants :

« - accentuer les redéploiements inter-établissements effectués par seulement 40 % des ARH, contre 68 % pour les redéploiements intra-établissement (entre MIG) et 68 % pour les redéploiements entre MIG et AC ;

« - généraliser lorsque cela est possible les procédures d'appel d'offre et d'appel à candidature : 11 ARH (44 %) seulement [avaient] lancé un appel à candidature ou un appel à projet pour sélectionner les établissements de santé gestionnaires de certaines MIG ;

« - mieux informer le corps médical qui doit être considéré comme un partenaire indispensable à la contractualisation. En effet, 28 % des ARH seulement [avaient] associé les responsables médicaux des MIG à la négociation de l'avenant MIG pour leur établissement. Ce chiffre faible explique certains retours critiques de la communauté médicale sur les MIGAC, retours souvent liés à ce qui est perçu comme de l'opacité dans les relations ARH-établissement sur le dossier MIGAC ;

« - limiter au minimum le recours à des engagements financiers pluriannuels . » 20 ( * )

Votre rapporteur spécial encourage la mise en oeuvre régulière de bilans de la contractualisation entre les ARS et les établissements de santé .

La DGOS lui a, à cet égard, indiqué qu'une nouvelle version du guide méthodologique d'aide à la contractualisation sera diffusée auprès des agences . Ce guide présentera notamment les critères d'éligibilité des établissements à chaque MIG, ainsi que le périmètre précis des activités couvertes par celle-ci afin d'éviter que la dotation aboutisse à une surcompensation financière de la mission. Par ailleurs, les référentiels de coûts seront actualisés.

c) La mise en place en 2011, à titre expérimental, d'une justification au premier euro

Dans le cadre de la campagne tarifaire de 2011, le ministère de la santé a souhaité expérimenter la mise en place d'un dispositif de « justification au premier euro » s'agissant des MERRI .

La notion de « justification au premier euro », en vigueur dans le budget de l'Etat depuis la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, consiste à justifier la délégation de crédits dès le premier euro, contrairement à la distinction budgétaire traditionnelle entre « services votés » et « mesures nouvelles ». Dans le dispositif de l'ordonnance de 1959, bien qu'ils représentaient une partie considérable du budget, les « services votés » étaient adoptés en une seule fois et automatiquement reconduits chaque année ; seules les mesures nouvelles faisaient l'objet d'un vote et donc d'une justification spécifique.

Appliquée aux MIGAC, la justification au premier euro implique, pour le ministère et les ARS, de pouvoir justifier l'ensemble de leurs délégations de crédits et ainsi de pouvoir établir un lien entre les crédits demandés et les déterminants de la dépense .

Votre rapporteur spécial invite le ministère, sur la base du retour d'expérience de 2011, à envisager la généralisation de cette pratique qui devrait permettre d'accroître la transparence du système d'allocation des MIGAC, ceci d'autant plus qu'une partie encore importante des MIG est attribuée à titre reconductible (78,3 % des crédits MIG alloués en 2009) 21 ( * ) .

Cette mesure ne gagnera cependant sa pleine efficacité que si, de leur côté, les établissements de santé mettent en place une comptabilité analytique des coûts .

En tout état de cause, ce procédé devrait permettre d'avancer sur le débat actuel entre sous ou sur-financement des missions d'intérêt général, qui n'a pu être tranché précisément par aucun des interlocuteurs de votre rapporteur spécial.

d) Quelles améliorations attendre de la mise en place des ARS ?

Selon les réponses de la DGOS au questionnaire de votre rapporteur spécial, « il est attendu de la mise en place des ARS qu'elles accentuent la logique de redéploiement inter-établissements des crédits.

« Dans le cadre du travail sur le système d'information financier des ARS, il sera par ailleurs nécessaire de permettre à l'administration centrale d'améliorer les retours sur la mise en oeuvre des référentiels de modélisation et par là même la qualité de l'évaluation qui en sera faite.

« Par ailleurs, les ARS bénéficieront d'une vision consolidée des financements ville/hôpital et Etat sur les politiques de santé. Pour certaines d'entre elles (par exemple l'éducation thérapeutique des patients ou les réseaux de santé), il existe des zones de recoupement, et donc des possibilités d'optimisation . »

Mais de trop grands espoirs ne sont-ils pas fondés sur la mise en oeuvre des ARS ?

S'il est vrai que le pilotage par l'efficience des dépenses hospitalières et donc de la dotation MIGAC s'inscrit dans leur feuille de route, elles auront néanmoins sans doute beaucoup d'autres priorités à gérer les premières années de leur mise en place compte tenu de l'ampleur et de la portée des missions qui leur ont été confiées .

Les déplacements de votre rapporteur spécial soulignent en particulier la nécessité de veiller à deux éléments :

- d'une part, le recrutement de personnels aux compétences adaptées aux nouvelles fonctions et aux nouvelles responsabilités des agences , notamment en matière de pilotage de la performance hospitalière ;

- d'autre part, le maintien d'une relation de proximité entre les ARS et les établissements de santé . Certaines des personnes auditionnées par votre rapporteur spécial ont en effet exprimé le sentiment d'un éloignement de leurs interlocuteurs depuis la mise en place des ARS.

2. Des disparités régionales encore fortes

Le pilotage par l'efficience de l'allocation des MIG passe également par la poursuite d'une politique de rééquilibrage interrégional des dotations . En effet, compte tenu des situations historiques, les niveaux des dotations régionales sont très hétérogènes, comme en témoigne le tableau suivant.

Dotations MIGAC par régions en 2011

(en milliers d'euros)

Régions

Montant de la dotation MIGAC

Alsace

212 743,44

Aquitaine

327 626,91

Auvergne

151 775,34

Bourgogne

170 229,17

Bretagne

304 499,28

Centre

238 794,69

Champagne-Ardenne

161 008,48

Corse

28 654,91

Franche-Comté

120 521,92

Ile-de-France

1 823 980,29

Languedoc-Roussillon

265 168,43

Limousin

101 956,34

Lorraine

262 101,26

Midi-Pyrénées

332 488,37

Nord - Pas-de-Calais

434 342,13

Basse-Normandie

163 355,59

Haute-Normandie

189 879,00

Pays de la Loire

316 222,58

Picardie

183 660,67

Poitou-Charentes

159 861,43

Provence-Alpes-Côte d'Azur

550 873,27

Rhône-Alpes

678 980,96

Guadeloupe

56 851,39

Guyane

51 546,45

Martinique

62 170,40

Source : Arrêté du 29 mars 2011 fixant pour l'année 2011 les dotations régionales mentionnées à l'article L. 174-1-1 du code de la sécurité sociale et les dotations régionales de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation

a) Des efforts de rééquilibrage géographique menés par la DGOS

Plusieurs leviers d'action permettent d'agir pour opérer des rééquilibrages géographiques.

Entre 2006 et 2008, ce sont les rééquilibrages à partir de la diffusion de référentiels de coûts aux ARH qui ont été privilégiés. Théoriquement, les ARH/ARS sont tenus de justifier dans l'avenant MIGAC du CPOM les éventuels écarts avec les modélisations fournies, afin que les politiques qu'elles mènent ne contribuent pas à générer des inégalités interrégionales.

A compter de 2008, un rééquilibrage entre régions a été initié au moyen de la répartition des mesures nouvelles de crédits d'aide à la contractualisation .

Cette politique a été renforcée à compter de 2009 par un rééquilibrage direct des financements entre régions, à la fois sur les marges de manoeuvre régionales (aide à la contractualisation) et sur les dotations MIG finançant des missions destinées à la population régionale 22 ( * ) , soit en 2011 trente-et-une MIG pour un total de 1,1 milliard d'euros.

Il est à noter qu'en 2010 et 2011, le rééquilibrage opéré sur les dotations AC a consisté à faire peser sur les seules régions sur-dotées une partie des mesures d'économies imputées sur les dotations MIGAC.

b) Des résultats à amplifier

Des progrès importants sont encore à réaliser .

En matière d'AC, la DGOS estime, dans le rapport 2010 remis au Parlement sur les MIGAC, à 140 millions d'euros le redéploiement interrégional nécessaire. Or l'effort a porté sur seulement 3 millions en 2009, 28 millions en 2010 et 27 millions d'euros en 2011, soit en cumulé 58 millions d'euros, c'est-à-dire 40 % de l'effort à accomplir.

Quant aux MIG à caractère régional, le rééquilibrage a porté sur 7 millions d'euros en 2009, 16,1 millions d'euros en 2010 et 16 millions d'euros en 2011. Ces sommes cumulées représentent ainsi 3,5 % de l' « assiette » choisie pour le rééquilibrage des dotations régionales.

Le rééquilibrage des MIGAC de 2009 à 2011

Enveloppe

2009

2010

2011

MIG à caractère régional

7 millions d'euros transférés des six régions les mieux dotées vers les six régions les moins bien dotées

16,1 millions d'euros transférés des huit régions les mieux dotées vers les neuf régions les moins bien dotées

16 millions d'euros transférés des neuf régions les mieux dotées vers les huit régions les moins bien dotées

Marges de manoeuvre AC

3 millions d'euros transférés des trois régions les mieux dotées vers les trois régions les moins bien dotées

Concentration de 28 millions d'euros d'économies sur les sept régions les mieux dotées

Concentration de 27 millions d'euros d'économies sur les sept régions les mieux dotées

Source : rapport 2010 au Parlement sur les MIGAC et circulaire n° DGOS/R1/2011/125 du 30 mars 2011 relative à la campagne tarifaire 2011 des établissements de santé

En 2011, un changement de méthodologie bienvenu a été mise en oeuvre. Le critère de redéploiement intègre, en sus de la population, un indicateur sur l'état de santé de cette population (taux de mortalité), afin de mieux prendre en compte les besoins effectifs des différentes régions.

3. Des mesures de gel qui posent des difficultés de gestion pour les établissements de santé

Le dernier élément relatif au pilotage des dotations MIGAC que souhaite aborder votre rapporteur spécial sont les conséquences, au niveau des établissements de santé, des mesures de gel décidées depuis 2009 sur cette enveloppe.

S'il a noté la finalité recherchée par ces mesures du point de vue du pilotage macro-économique des dépenses de santé (le respect de l'ONDAM), il relève les fortes difficultés qu'elles peuvent entraîner dans la gestion des hôpitaux.

Nombre de ses interlocuteurs ont en effet insisté sur trois principaux « effets indésirables » des mesures de gel effectuées sur les dotations MIGAC :

1) la distribution des aides en fin d'exercice accentue le sentiment d'opacité dans l'allocation de ces dotations et ne permet pas aux établissements d'afficher un budget crédible dès le début de l'année ;

2) les messages de gestion diffusés en interne sont en outre brouillés : au moment de la première délégation de crédits, lorsqu'un déficit semble s'imposer, des mesures correctrices sont recherchées au sein de l'organisation de l'établissement ; mais ce discours de rigueur est discrédité quand le résultat de l'établissement apparaît finalement excédentaire, grâce au dégel de ces aides ;

3) les crédits mis en réserve, puis dégelés, sont enfin principalement utilisés pour éviter les déficits de fin d'année et non, compte tenu de leur distribution tardive, pour financer des projets construits et importants pour les établissements.


* 19 IGAS, « Le financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé » - novembre 2009.

* 20 Rapport 2009 au Parlement sur les missions d'intérêt général et l'aide à la contractualisation des établissements de santé.

* 21 Rapport 2010 au Parlement sur les missions d'intérêt général et l'aide à la contractualisation des établissements de santé.

* 22 Ont en effet été exclues des rééquilibrages géographiques : les MIG à caractère national (comme celles destinées à financer les centres nationaux de référence), les MIG à caractère interrégional (par exemple, les centres antipoison). Ont également été exclues les MIG financées sur les crédits non reconductibles à la suite d'appels à projets ainsi que celles sur lesquelles des travaux spécifiques sont menés par ailleurs (comme les actes hors nomenclature).

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