2. L'introduction, en 2006, de délais maximaux de placement
a) Une règle claire mais d'application souple
Parmi les modifications apportées à la LPJ en 2006, la plus substantielle est sans conteste l'introduction d' une durée maximale d'hébergement 44 ( * ) , modulée en fonction de l'âge de l'enfant et applicable tant dans le cadre d'une entente avec les parents sur des mesures volontaires que dans celui d'une ordonnance du tribunal (respectivement, art. 53.0.1 et 91.1 de la LPJ) 45 ( * ) . Elle est fixée à :
- douze mois si l'enfant est âgé de moins de deux ans ;
- dix-huit mois si l'enfant est âgé de deux ans à cinq ans ;
- et vingt-quatre mois au-delà.
Si, à l'expiration de ce délai, le retour de l'enfant dans sa famille n'est pas possible, le tribunal doit alors rendre une décision visant à assurer un milieu de vie stable à l'enfant de façon permanente , la jurisprudence ayant établi que la durée maximale d'une ordonnance rendue en vertu de la LPJ peut s'étendre jusqu'à la majorité de l'enfant.
Toutefois, dans l'exercice de sa compétence, le tribunal peut toujours passer outre la durée maximale dans les circonstances suivantes :
- si le retour de l'enfant dans son milieu familial est envisagé à court terme 46 ( * ) ;
- si l'intérêt de l'enfant l'exige 47 ( * ) ;
- ou pour des motifs sérieux, notamment dans le cas où les services aux parents n'auraient pas été rendus. Depuis 2006 est en effet inscrit dans la loi le droit des parents de recevoir des services sociaux et de santé adéquats (art. 8 de la LPJ).
A l'inverse, le tribunal peut, à tout moment à l'intérieur de la durée maximale d'hébergement prévue, statuer sur un projet de vie pour l'enfant dès lors que sa sécurité ou son développement sont toujours compromis 48 ( * ) .
Ainsi la détermination de délais maximaux de placement, loin d'être une clause-couperet, est toujours laissée à l'appréciation du juge .
b) La recherche d'une stabilité accrue pour les enfants et d'une participation active des parents
La définition d'une durée maximale d'hébergement répond à plusieurs préoccupations :
- en encadrant l'application dans le temps des mesures de placement, elle vise à mettre fin aux cas d'« enfants «ping-pong» vivant des placements et des déplacements multiples à la suite de tentatives de réinsertion familiale infructueuses ou de problèmes de ressources d'accueil » 49 ( * ) ;
- en fixant, dans l'esprit des parents, un horizon temporel clair, ceux-ci sont fortement incités à participer activement à la résolution de leurs difficultés ; l'expérience a en effet démontré qu' en l'absence de date butoir, peu de parents s'amendent véritablement ;
- de la même façon, toutes les ressources concernées, à commencer par le DPJ et les centres jeunesse, sont également invitées à saisir l'urgence de corriger la situation et de se mobiliser pour venir en aide aux parents ;
- enfin, en adaptant la durée d'application des mesures à l'âge de l'enfant, il est tenu compte des recherches les plus récentes sur l'attachement et le développement du cerveau chez l'enfant ; celles-ci soulignent l'importance d'offrir des conditions de stabilité le plus tôt possible dans la vie de l'enfant afin de limiter les séquelles possibles sur son développement, ses capacités relationnelles et d'adaptation. Or, plus l'enfant est jeune et plus il convient d'agir rapidement .
c) Le maintien ou le retour dans la famille comme projets de vie privilégiés
Alors que certains ont pu craindre, au moment de la révision de la LPJ, que la fixation d'une telle durée maximale n'aboutisse à une hausse du nombre des placements définitifs en dehors de la famille, la règle reste strictement conciliée avec les principes de primauté de la responsabilité parentale et du maintien ou du retour dans la famille comme projet de vie privilégié (respectivement, art. 2.2 et 4 de la LPJ 50 ( * ) ).
En pratique, l'approche retenue par le DPJ consiste à élaborer concurremment 51 ( * ) , et ce dès le début de l'intervention, deux projets de vie , l'un privilégié - et généralement axé sur le maintien ou le retour dans le milieu familial -, l'autre alternatif - solution de repli n'advenant que lorsqu'il est contraint de renoncer au projet de vie privilégié pour des motifs cliniques ou judiciaires.
Ainsi le DPJ doit-il tout mettre en oeuvre pour prévenir le retrait du milieu familial en intervenant dès les premières difficultés et envisager des solutions alternatives, à commencer par le recours aux ressources de l'environnement immédiat de l'enfant (milieu familial élargi, voisinage).
Lorsque le retrait ne peut être évité, il convient de privilégier, dans l'ordre, le placement auprès d'une personne significative pour l'enfant, l'hébergement dans une famille d'accueil, voire dans un centre de réadaptation avec pour perspective le retour dans la famille. A défaut, c'est toujours l'intérêt de l'enfant qui présidera au choix du projet de vie alternatif 52 ( * ) , la décision d'actualiser le projet devant systématiquement être soumise au tribunal.
Hors les cas d'adoption ou de tutelle qui y mettent nécessairement fin, l'intervention du DPJ peut alors se poursuivre jusqu'à la majorité de l'enfant.
Les différents types de projets de vie
Source : manuel de référence sur la
protection de la jeunesse,
ministère de la santé et des
services sociaux.
Proposition
n° 4
: envisager l'introduction, dans la
législation française, de délais maximaux de placement des
enfants en danger, établis en fonction de leur âge, au-delà
desquels une solution de vie stable devra avoir été
trouvée. Comme au Québec, l'application de cette règle
serait conditionnée à l'accompagnement effectif des parents et,
dans tous les cas, laissée à l'appréciation du juge qui
pourrait toujours y déroger à raison de circonstances
particulières.
|
* 44 Auparavant, la loi ne visait que le principe de la diligence de l'intervention.
* 45 A des fins de simplification, la suite du développement n'a trait qu'aux seuls cas d'ordonnances rendues par un tribunal.
* 46 La notion de « court terme » variant en fonction de la situation et de l'âge de l'enfant visé.
* 47 A titre d'exemple, lorsque le DPJ envisage de faire nommer un tuteur à l'enfant et saisir de nouveau le tribunal avec la procédure appropriée, ou si l'enfant est confié au père biologique et que celui-ci a engagé une démarche pour faire reconnaître sa paternité.
* 48 Considérant par exemple que l'histoire psychosociale de la famille, au regard des placements précédents de la fratrie et des résultats infructueux des nombreux services déjà offerts aux parents, laisse à penser qu'un retour dans le milieu familial ne sera pas davantage envisageable pour le dernier enfant placé.
* 49 Comité d'experts sur la révision de la loi sur la protection de la jeunesse, ministère de la santé et des services sociaux (2004).
* 50 « La responsabilité d'assumer le soin, l'entretien et l'éducation d'un enfant et d'en assurer la surveillance incombe en premier lieu à ses parents » (art. 2.2) ; « Toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l'enfant dans son milieu familial » (art. 4).
* 51 Et non plus successivement, comme par le passé, afin de parvenir à stabiliser la situation de l'enfant au plus vite.
* 52 Avec pour objectif d'assurer à l'enfant la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente (art. 4, 57 et 91.1 al. 3 de la LPJ).