2. La montée en puissance de la Chine et des autres puissances émergentes et l'attitude ambivalente de la Russie
La Russie et la Chine ont toujours entretenu une relation ambiguë sur la scène internationale, notamment au sein du « triangle stratégique » formé par ces deux pays avec les Etats-Unis. On se souvient qu'après s'être alliée à l'URSS face aux Etats-Unis, la Chine communiste s'était rapprochée des Etats-Unis, après le voyage de Nixon à Pékin, ce qui avait suscité des tensions avec l'Union soviétique.
Après le « désenchantement » du rapprochement avec l'Occident et la multiplication des différends avec les Etats-Unis, la Russie s'était tournée vers la Chine pour peser davantage sur la scène internationale. Le choix du Président Dmitri Medvedev d'effectuer en Chine son premier déplacement à l'étranger, hors des pays de la Communauté des Etats indépendants, était d'ailleurs révélateur de la réorientation de la politique étrangère russe.
La fourniture d'énergie et d'armements, tout comme l'attachement commun à un monde multipolaire et la coopération sur des grands dossiers régionaux, comme la Corée du Nord ou l'Iran, avaient permis à la Russie de nouer une étroite coopération avec la Chine. Ainsi, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité, la Russie et la Chine coopèrent depuis 2001, avec les trois Etats d'Asie centrale frontaliers de cette dernière, au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Tant l'ambassadeur de Chine en France, Son Exc. M. Quan Kong, que le directeur chargé des relations avec l'Asie au ministère russe des Affaires étrangères, M. Igor Morgulov, ont souligné les bonnes relations existantes entre les deux pays. Pourtant, on a souvent le sentiment que la question de la menace chinoise est dans tous les esprits des responsables russes, même si elle reste encore taboue pour nombre d'entre eux.
En effet, si les différends frontaliers avec la Chine semblent avoir trouvé une solution satisfaisante pour les deux parties, l'émergence de la puissance chinoise, le renforcement de son influence, notamment en Asie centrale, et surtout la pression démographique chinoise exercée sur les régions sous peuplées de Sibérie suscitent une grande méfiance de la part de la Russie.
En voulant se rapprocher du géant chinois, la Russie ne risque-t-elle pas de devenir un jour un satellite de la Chine ? Avec une population de 140 millions d'habitants, surtout concentrée dans la partie occidentale et confrontée à une crise démographique, face à une Chine en plein essor économique et peuplée d'1,4 milliard d'habitants, la relation entre la Russie et la Chine ne peut qu'être déséquilibrée.
C'est d'ailleurs peut-être pour éviter un tête-à-tête qui lui serait trop défavorable avec la Chine, que la Russie attache aujourd'hui une grande importance au BRIC.
DU BRIC AU BRICSA L'acronyme « BRIC », qui désigne le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, est apparu pour la première fois en 2001 dans un rapport de la banque d'investissement Goldman Sachs. Les quatre pays constituant le BRIC sont considérés comme des grandes puissances émergentes. Ils représentent actuellement 40 % de la population mondiale, 15 % du PIB mondial et 50 % de la croissance économique. Leur poids dans l'économie mondiale devrait s'accroître à l'avenir. En 2015, ces pays devraient assurer plus de 60 % de la croissance mondiale, selon le FMI. Le premier Sommet des BRIC a eu lieu le 16 juin 2009 à Iekaterinbourg en Russie, le deuxième à Brasilia au Brésil, le 16 avril 2010 et le troisième à Sanya en Chine, le 14 avril 2011. Lors de ce troisième Sommet, le BRIC s'est élargi à l'Afrique du Sud, devenant ainsi le « BRICSA ». Alors que la première vocation de ce groupe était surtout économique, et visait à renforcer leur place et leur influence dans les instances internationales, notamment par rapport aux Etats-Unis et à l'Union européenne, récemment, les pays du BRICSA ont cherché à jouer un rôle accru sur les grands dossiers internationaux. |
Les pays du BRICSA revendiquent une meilleure représentativité dans les instances économiques et financières internationales, notamment au FMI ou à la Banque Mondiale, et souhaitent peser davantage dans les négociations économiques et financières internationales, notamment au sein du G 20 ou de l'Organisation Mondiale du Commerce.
Récemment, ces pays ont également exprimé leur volonté de se concerter sur les grands sujets de politique étrangère.
De manière générale, les pays du BRICSA partagent un certain nombre de positions, comme l'attachement à un monde multipolaire et au principe de « non ingérence » dans les affaires intérieures, et se montrent souvent critiques en ce qui concerne l'« unilatéralisme » des Etats-Unis et, plus largement, la « domination » du monde occidental.
Les pays du BRICSA se sont ainsi abstenus ou ont voté contre lors du vote de la résolution n°1973 par le Conseil de sécurité des Nations Unies autorisant l'intervention en Libye et se montrent réticents à l'égard d'une éventuelle résolution condamnant la répression en Syrie.
La volonté de la Russie de voir le BRICSA jouer un rôle en matière de politique étrangère s'accommode cependant mal des importantes différences qui existent entre les pays qui composent cet ensemble et de leurs intérêts parfois divergents.
Ainsi, l'Afrique du Sud a une population de cinquante millions d'habitants, une croissance économique de l'ordre de 3,5 % et un PIB seize fois inférieur à celui de la Chine.
Les systèmes politiques de ces pays sont assez éloignés, avec d'un côté des démocraties pluralistes, comme l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud, et de l'autre côté des régimes autoritaires, comme la Chine.
Au niveau géopolitique, il existe également une forte rivalité entre la Chine et l'Inde et les intérêts de ces pays ne sont pas toujours convergents.
Ainsi, la Chine et la Russie, qui disposent chacun d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, ne montrent pas un grand empressement en ce qui concerne la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et à soutenir les revendications du Brésil et de l'Inde pour obtenir un siège de membre permanent.
Malgré la volonté de la Russie de diversifier ses relations afin de peser davantage sur la scène internationale, notamment face aux Etats-Unis, l'Union européenne reste, aux yeux des Russes, le partenaire naturel car, par son histoire, sa culture et son peuplement, la Russie fait partie de l'Europe.
Comme me l'a fait remarquer plaisamment l'un de mes interlocuteurs, lorsque les Russes souhaitent acheter des résidences secondaires, ils choisissent de préférence des résidences situées en Europe, au Royaume-Uni, en France ou en Italie, et non à Pékin ou à New Dehli.