D. UNE PRIORITÉ : LA MULTIPLICATION DES ÉCHANGES HUMAINS PAR LA SUPPRESSION DES VISAS ET LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION CULTURELLE, SCIENTIFIQUE ET UNIVERSITAIRE
La création d'un espace de libre circulation des personnes par la suppression de l'obligation de visa constitue une forte attente des citoyens russes et une priorité de leur gouvernement.
La Russie représente aujourd'hui pour l'Union européenne et pour la France le premier pays en termes de demandes de visa. Sur près de 2,1 millions de demandes adressées aux autorités françaises en 2009, plus de 250 000 concernaient des ressortissants russes, contre 360 000 pour l'ensemble des pays du Maghreb (dont 150 000 pour le Maroc).
Or, le risque migratoire en provenance de Russie paraît peu élevé. Ainsi, le taux de refus concernant la Russie est très faible puisqu'il n'est que de 2,4 % contre une moyenne de 10 %. Dans certains pays, notamment en Afrique, le taux de refus est même supérieur à 50 %. De plus, en 2006, seulement 744 mesures d'éloignement ont été prononcées en France à l'encontre de ressortissants russes.
La procédure de délivrance des visas constitue un important obstacle au développement des échanges, qu'il s'agisse du tourisme ou des relations économiques. Elle présente, en outre, une charge non négligeable tant pour les consulats européens en Russie, que pour les consulats russes en Europe. Avec seulement trois consulats, l'un à Moscou, l'autre à Saint-Pétersbourg, et un troisième qui vient d'ouvrir ses portes à Iekaterinbourg, et un nombre limité de personnel, les autorités consulaires françaises peinent ainsi à traiter ce grand nombre de demandes de visa dans de brefs délais, même si des progrès ont été réalisés depuis la mise en place d'une externalisation. De même, la procédure de délivrance des visas au consulat russe à Paris s'apparente à un véritable parcours du combattant, digne du « Procès » de Kafka. À cet égard, l'accord conclu sur la facilitation de la procédure de délivrance des visas n'a pas permis de résoudre toutes les difficultés et la mise en place de la biométrie risque de poser de sérieux problèmes étant donné l'immensité du pays. Les représentants de la communauté d'affaires française en Russie ont également mentionné les difficultés posées par la procédure d'enregistrement en Russie. Lors de mon entretien à Moscou avec le directeur chargé des affaires consulaires au ministère russe des affaires étrangères, M. Andreï Karlov, celui-ci s'est d'ailleurs déclaré prêt à supprimer la procédure d'enregistrement dès lors qu'un accord serait trouvé sur la suppression des visas.
Les pays de l'Union européenne ont récemment accepté de lever l'obligation de visa de court séjour à l'égard de l'ensemble des ressortissants des pays des Balkans occidentaux (à l'exception toutefois du Kosovo) et envisagent d'aller vers une libéralisation des visas avec tous les pays du Partenariat oriental, dont l'Ukraine, la Moldavie ou les pays du Caucase.
Dès lors, pourquoi ne pas envisager de supprimer l'obligation de visa entre l'Union européenne et la Russie et créer un véritable espace européen de libre circulation des personnes ?
La suppression de l'obligation de visa constituerait un signal fort en direction de la Russie et favoriserait les échanges entre les citoyens des pays de l'Union européenne et les ressortissants russes.
Afin de lever les réticences de plusieurs Etats membres, comme l'Allemagne, on pourrait imaginer de lancer une expérimentation en levant les visas sur le trafic transfrontalier entre les habitants de l'enclave russe de Kaliningrad et l'Union européenne , sur la base de la récente initiative russo-polonaise. Cela permettrait de mettre un terme à la question délicate du transit entre l'enclave de Kaliningrad et le reste du territoire de la Fédération de Russie et de servir de « laboratoire » pour la levée des visas avec la Russie.
On pourrait aussi, dans le cadre du réexamen de l'accord de facilitation de la délivrance des visas, assouplir certaines modalités, par exemple en posant le principe selon lequel, lors de la première demande, un visa de moins de trois mois est accordé, mais, lors de la deuxième demande, le délai passe à un an et, lors de la troisième demande, le durée du visa serait équivalente à celle du passeport, soit cinq ans.
Afin d'accompagner la suppression de l'obligation de visas, la coopération entre l'Union européenne et la Russie en matière de protection des frontières et de lutte contre l'immigration clandestine pourrait être renforcée.
On pourrait ainsi envisager une coopération plus poussée entre la garde-frontière russe et les garde-frontières de l'Union européenne, en partenariat avec l'agence européenne de protection des frontières Frontex, ainsi que des initiatives communes en matière de lutte contre l'immigration illégale et la traite des êtres humains.
L'Union européenne et la Russie devraient également développer leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent sale et la criminalité organisée internationale.
La coopération scientifique et technique constitue un terrain privilégié pour un approfondissement des relations entre l'Union européenne et la Russie.
La coopération spatiale repose ainsi sur une collaboration très étroite qui s'est développée depuis déjà de nombreuses années, grâce à la France en particulier, comme l'illustre le lancement de fusées « Soyouz » à partir de la base de Kourou en Guyane.
Dans de nombreux domaines, l'Union européenne et la Russie pourraient lancer des initiatives et des projets communs de coopération scientifique et technique, en s'appuyant notamment sur le « Partenariat pour la modernisation » . On peut citer notamment : le nucléaire, les nanotechnologies, la génétique, la biotechnologie, le réchauffement climatique, etc.
Ainsi, pourquoi ne pas envisager de constituer des « pôles d'innovation communs », sur le modèle des pôles de compétitivité, qui associeraient des entreprises privées, des laboratoires de recherche, des universités et grandes écoles, etc. ?
La coopération décentralisée représente aussi un terrain privilégié pour la coopération entre l'Union européenne et la Russie, afin que les échanges ne se limitent pas à Moscou et à Saint-Pétersbourg, mais qu'ils se développent aussi avec les autres régions et grandes villes de l'immense territoire russe.
Enfin, il convient d'insister tout particulièrement sur l'importance des échanges culturels et universitaires.
La coopération dans le domaine de la culture et de l'éducation constitue un vecteur important de rapprochement entre les peuples.
C'est aussi le meilleur moyen de faire progresser la démocratie et les droits de l'homme en Russie.
Or, force est de constater que, malgré les nombreuses déclarations soulignant l'importance de ces aspects, l'Union européenne ne s'est guère donné jusqu'à présent les moyens de mener une action ambitieuse dans ces domaines. Ainsi, moins d'une centaine d'étudiants russes seulement bénéficient actuellement d'une bourse de l'Union européenne pour étudier dans une université ou une grande école située dans l'Union européenne.
L'Union européenne pourrait ainsi lancer un nouveau programme destiné à renforcer les relations avec la Russie dans le domaine de la culture , en encourageant notamment la circulation des films et des artistes, la traduction d'ouvrages ou encore l'organisation d'événements culturels communs.
On pourrait s'inspirer à cet égard du succès de l'année culturelle croisée « Année de la France en Russie » et « Année de la Russie en France », qui a eu lieu en 2010.
De même, il paraît indispensable de renforcer la coopération dans le domaine de l'éducation. L'Union européenne devrait encourager plus fortement la mobilité et les échanges des étudiants, la reconnaissance mutuelle des diplômes ou la coopération entre les établissements scolaires, les grandes écoles et les universités.
Pourquoi ne pas envisager un ambitieux programme Union européenne-Russie dans le domaine de l'éducation en multipliant le nombre de bourses destinées aux étudiants russes désireux de venir étudier dans l'Union européenne ?