E. QUELLES PERSPECTIVES POUR LA FRANCE ?
Les effets sur la France d'une normalisation du régime de croissance suivi par l'Allemagne ne doivent être ni négligés ni surestimés.
1. Éviter le pire
Le scénario contraire en approfondissant les déséquilibres en Europe et ceux subis par la France aurait des incidences peu mesurables. Il faudrait accorder une préférence à l'euro ou à la croissance à court -moyen terme.
Cet arbitrage s'imposerait plus encore aux pays dont la compétitivité relative s'éloigne encore plus de celle de l'Allemagne.
Par ailleurs, même s'il n'est pas sûr que la France soit la première bénéficiaire de l'adoption d'un autre équilibre économique, en Allemagne, elle en bénéficierait indirectement, via ses effets sur les autres pays européens, et directement.
2. Des effets qui ne doivent pas dispenser d'efforts pour maximiser les chances de croissance
Si à court terme, les effets directs d'une normalisation de la trajectoire allemande pourraient être appréciables bien que modestes, les perspectives de plus long terme paraissent montrer que la France ne devrait pas escompter de la croissance en Allemagne un rétablissement de ses équilibres extérieurs.
L'étude de la DGTPE mentionnée précédemment ainsi que les estimations précitées de l'OFCE rangent le bénéfice tiré par la France d'un rééquilibrage de son commerce international consécutif à une reprise de la demande intérieure en Allemagne (et, un peu aussi à une appréciation du taux de change réel de ce pays) autour de 0,2 à 0,3 point de PIB par an. Les estimations peuvent varier sur ce point en fonction des modifications intervenant en Allemagne.
Pour les pays partenaires, l'acceptation par l'Allemagne d'une détérioration de sa compétitivité-prix en plus de celle d'une accélération de sa demande intérieure pourrait démultiplier les effets du changement de trajectoire de l'Allemagne sur leur croissance.
Mais, la possibilité d'une telle configuration est faible, comme on l'a indiqué, ses effets ne seraient probablement vraiment nets que si la compétitivité-prix de l'Allemagne se détériorait suffisamment (ce jugement dépendant de celui porté sur les ressorts actuels de la compétitivité du pays).
L'une des raisons pour lesquelles une accélération de la demande intérieure se produisant en Allemagne exercerait des effets limités sur la croissance des partenaires est qu'elle se porterait sans doute largement sur le secteur des biens non-échangeables qui sont relativement peu tributaires des importations.
Il est possible que ce soit plutôt par ses effets sur la capacité d'exportation de l'Allemagne que passe une accélération de la demande intérieure dans ce pays.
L'Allemagne aurait tout simplement moins de capacités d'exportation. Mais, l'ajustement des importations des partenaires pourrait n'être pas immédiat. Dans un premier temps ils pourraient subir l'impact d'une tension sur les prix d'exportation de l'Allemagne, ce qui dégraderait transitoirement leur balance commerciale vis-à-vis de l'Allemagne notamment.
La durée de la transition serait d'autant plus courte que des offres alternatives se présenteraient. Mais, pour que la balance commerciale des pays s'améliore vraiment, il faudrait que l'adéquation entre leur demande et leur production s'améliore sans quoi le rétablissement des balances commerciales bilatérales avec l'Allemagne n'aurait pas de retentissement sur leur balance commerciale générale.
À plus long terme, le décalage prévisible entre une croissance allemande ralentie par la décrue démographique non compensée par des gains de productivité dont la préparation aura été insuffisante, et la croissance des autres pays européens devraient installer des déséquilibres commerciaux en Europe sauf modifications radicales des termes de la compétitivité entre les pays ou (et) ajustement des taux d'épargne 72 ( * ) .
Le schéma idéal serait que les pays européens réalisent des gains de productivité offensifs leur permettant de combiner une forte croissance et un maintien de leur compétitivité externe.
Les ajustements des balances commerciales seraient favorisés par une distribution des gains de productivité conformes aux besoins de rattrapage des économies relativement peu compétitives et par une inversion des données générales de la compétitivité des pays européens et en particulier des coûts salariaux.
Ceci suppose des efforts de la part des pays qui divergent de part et d'autre d'un sentier d'équilibre, y compris donc de l'Allemagne.
Mais, sans une réduction des avantages compétitifs de l'Allemagne indépendants de ses coûts, les ajustements réalisés dans les pays en déficit pourraient n'y exercer que peu d'effets.
Or, cette mise à niveau n'est probablement pas également à la portée de tous.
La France, malgré le recul inquiétant de sa base exportatrice, pourrait disposer d'atouts persistants sur son territoire, notamment du fait du maintien d'un potentiel de recherche et de formation supérieure adapté aux besoins du pays dans la mondialisation, atouts dont la préservation est indispensable mais que l'appareil de production doit mieux valoriser.
Son adaptation à la globalisation qui, comme pour l'Allemagne, est passée par l'exploitation des logiques de la division internationale du travail doit aller au bout de cette logique en développant l'activité sur le territoire national. Compte tenu des limites d'une telle stratégie pour les entreprises de services, il importe de regagner une vigueur industrielle qui s'est affaissée, ce qui suppose de respecter les conditions d'une ré-industrialisation réussie de la France.
* 72 Le vieillissement relatif de l'Allemagne pourrait y contribuer si l'on suit la théorie du cycle de vie mais la pertinence de celle-ci peut être asymétrique. Dans cette hypothèse, la perspective d'un vieillissement augmenterait l'épargne sans que l'élévation de l'âge moyen une fois acquis ne se traduise par plus de consommation.