2. Pas de sortie spontanée par le haut apparemment
On doit examiner si les mécanismes sous jacents à la trajectoire allemande comportent une perspective de rééquilibrage spontané de l'équilibre de la croissance.
On peut observer qu' a priori les épisodes de désinflation compétitive sont au mieux des jeux à somme nulle. Il est contradictoire de poursuivre un objectif d'élévation du rythme de croissance en combinant des équilibres dont les uns vont dans ce sens (l'augmentation de la contribution du commerce extérieur à la croissance) quand d'autres sont recomposés dans un sens allant à l'opposé (les revenus, la demande domestique).
Si le surcroît de croissance provenant du commerce extérieur est compensé par un déficit de croissance résultant des équilibres domestiques, l'opération est, au mieux, blanche. La croissance n'augmente pas, seule sa composition est affectée. Le jeu est au mieux à somme nulle.
C'est généralement ainsi qu'il en va dans un premier temps et la question qui se pose est de savoir si cet enchaînement peut évoluer vers un autre équilibre plus satisfaisant (et plus satisfaisant que celui prévalant avant la mise en route de la désinflation compétitive).
Dans une acception optimiste, la désinflation compétitive est vue comme une marche d'escalier, une sorte de « remise à zéro des compteurs », un équivalent à une dévaluation de la monnaie nationale permettant de purger des désalignements de compétitivité, de solder le passé. On lui confie même des vertus supérieures aux dévaluations en ce qu'elle repose, non sur le maniement éventuellement insuffisant, car essentiellement nominal, d'une unique variable - le taux de change -, mais sur des données plus fondamentales, appartenant à la sphère réelle de l'économie concernée : le niveau de ses coûts de production.
Cette présentation théorique rend-elle bien compte de la réalité économique ? On peut en douter si on la confronte avec les données empiriques offertes par l'observation.
Les données examinées montrent que « les années de plus forte croissance » sont, en Allemagne, précédées d'une (inhabituelle pour ce pays) contribution négative du commerce extérieur à l'activité économique. En cela, l'Allemagne diffère de nombreuses autres économies pour lesquelles une forte contribution de leur commerce extérieur à la croissance représente un indicateur avancé d'une accélération de la croissance économique l'année suivante telle que ces pays connaissent alors leur meilleure performance de croissance (France, Italie, Pays-Bas).
Pour l'Allemagne, ce n'est qu'en remontant deux années avant l'année de plus forte croissance qu'on distingue une corrélation entre une contribution positive élevée du commerce extérieur à l'activité économique du moment et le déclenchement d'une période de plus forte croissance qui suppose une accélération de la demande intérieure.
Contrairement à ce qui se produit généralement, l'occurrence d'une forte contribution du commerce extérieur à la croissance n'augure pas en Allemagne de l'entrée dans une phase sommitale de croissance dans le court terme 69 ( * ) .
Il faut pour cela qu'interviennent des changements qui, apparemment, ne sont pas contenus dans le régime de croissance permettant l'instauration de la désinflation compétitive.
Selon toute vraisemblance, alors que la désinflation compétitive n'augmente la croissance d'un pays que s'il sort de sa logique, ceci n'advient pas toujours spontanément de façon satisfaisante. Si le risque d'une sortie dans le déséquilibre est élevé comme on l'a indiqué, la perspective d'une sortie par le haut ne semble pas endogène.
Il est possible qu'une partie des résultats présentés ci-avant soit fondée sur des conditions économiques désormais historiques : la réunification allemande, l'existence d'un système monétaire européen multipolaire laissant aux concurrents de l'Allemagne la possibilité de recourir aux dévaluations pour rétablir une compétitivité structurellement peu favorable, l'existence de rigidités qui auraient disparu...
L'argument selon lequel les réformes entreprises en Allemagne auraient changé la donne doit donc être considéré. Mais, au total, la probabilité d'un changement durable de trajectoire de l'Allemagne comporte beaucoup d'incertitudes.
* 69 Inversement, une contribution négative à la croissance du pays survenue une année n'empêche pas l'économie allemande d'atteindre un pic de croissance.