3. La question des effets du fractionnement des chaînes de valeur sur la compétitivité
a) Des avantages théoriques

En théorie , le recours aux importations de biens intermédiaires suite à la libéralisation des échanges accroît la compétitivité des entreprises concernées . Elles bénéficient de fournitures à coûts moins élevés. De plus, elles disposent d'un éventail de biens plus ample.

Ces enchaînements sont toutefois suspendus à des conditions particulières :

la disponibilité à l'étranger de biens intermédiaires plus diversifiés, avantage de la libéralisation qui est probablement asymétrique et croissant à raison inverse du niveau d'industrialisation du pays importateur ;

la variabilité des recours aux importations de biens intermédiaires d'une catégorie donnée ; si toutes les entreprises d'un secteur ont un comportement homogène (et bénéficient de conditions de prix analogues), l'avantage compétitif est effacé ;

un comportement de marge permettant de tirer effectivement parti de la réduction des coûts de production. Autrement dit, les prix de vente doivent être flexibles à la baisse.

À défaut d'effet de compétitivité , l'importation de biens intermédiaires peut provoquer des gains de productivité : même dans l'hypothèse où tous les producteurs y recourent parallèlement, l'existence de prix moins élevés (et éventuellement les effets d'un surcroît de concurrence entre les producteurs des biens intermédiaires sur les prix de leurs produits) s'accompagne d'une contraction des coûts de production qui exerce un effet statique (et éventuellement dynamique) 40 ( * ) sur leur productivité.

b) Des vérifications plus ambigües en pratique

Plusieurs études ont été réalisées pour apprécier différents effets microéconomiques du fonctionnement des chaînes de production par recours à la sous-traitance étrangère ou investissement direct à l'étranger.

Les résultats sont généralement favorables . La substitution de la production étrangère à la production locale est plus que compensée par un effet de compétitivité qui accroît la production des entreprises.

Les effets sur l'emploi se compensent quant à eux au détriment des emplois les moins qualifiés mais à l'avantage des emplois plus productifs.

Ces études ne sont pourtant pas sans soulever des questions.

En premier lieu , les méthodes employées peuvent troubler l'interprétation de leurs résultats , en particulier parce qu'elles comportent souvent des biais de sélection . Les données utilisées excluent parfois des entreprises dont l'existence a pu être remise en cause par le processus d'externalisation internationale ; les entreprises étudiées peuvent disposer de caractéristiques qui, indépendamment de ce processus, leur auraient permis de se développer. La France illustre bien cette hypothèse puisque les entreprises procédant à l'externalisation de leur chaîne de valeur sont aussi les plus dynamiques (avant toute opération de cette sorte).

En deuxième lieu, des travaux de même sorte conduisent à des résultats différents ou à nuancer la portée des résultats favorables.

En ce sens, plusieurs études montrent que les profits tirés de l'externalisation sont associés à l'ouverture de l'éventail des biens intermédiaires disponibles. Dans ce cas, la libéralisation des échanges agit comme substitut à des transferts de technologie.

Mais l'absence de tout effet sur la productivité de l'intensification des biens intermédiaires importés est parfois la conclusion principale comme c'est le cas dans le travail portant sur la productivité des entreprises allemandes entre 2001 et 2005.

c) Des incertitudes sur les incidences macroéconomiques

Enfin, il peut exister un écart sensible entre les travaux microéconomiques et des constats plus macroéconomiques 41 ( * ) .

Tel est le cas notamment pour les effets sur l'emploi de la substitution de consommations intermédiaires étrangères à des consommations intermédiaires locales.

Alors que plusieurs études microéconomiques, centrées sur les entreprises concernées font valoir que l'internationalisation des firmes à travers le fractionnement de leurs chaînes de production exerce des effets neutres sur l'emploi, la plupart des travaux relatifs à la substitution d'une industrialisation à l'étranger à la production locale conduit à des effets de contraction de l'emploi national.

Le champ de ces études ne recouvre pas toujours strictement le phénomène du recours à des importations de biens intermédiaires. Mais leur objectif est de mesurer les effets directs de la désindustrialisation des pays concernés liée à l'extension des activités de leurs firmes à l'étranger, ce qui les apparente à la question abordée ici.

Les estimations du nombre d'emplois touchés par les délocalisations varient mais ne révèlent pas un phénomène massif : 13 500 emplois par an pour Aubert et Sillard pour la période 1995-2001, 1 % de l'emploi industriel dans l'hypothèse d'un commerce équilibré ; 20 % de la désindustrialisation mesurée à partir du niveau relatif de l'emploi dans l'industrie...

Si les effets de la désindustrialisation associés à l'intensification du recours aux productions industrielles réalisées à l'étranger (que cela soit accompagné ou non d'importations en retour) sont modérés comparativement avec les autres mouvements de main d'oeuvre, ils sont généralement négatifs pour l'emploi. Encore faut-il ajouter comme nuance que les études effectuées ne sont souvent pas « bouclées » macro-économiquement. Autrement dit, les processus connexes et leurs effets sur l'emploi (les effets indirects en somme) sont rarement pris en compte.

Quand on évoque ces derniers effets, c'est souvent pour relativiser encore l'impact de la mondialisation sur l'emploi dans les pays à hauts revenus. Notamment, on met en évidence l'impact de la hausse de la compétitivité des entreprises sur la dynamique des salaires et de la demande. Comme celle-ci s'adresse principalement au secteur des services, on remarque que la désindustrialisation (venant de l'externalisation de processus industriels) nourrit la désindustrialisation (résultant de la déformation structurelle des activités de production sous l'effet de la restructuration de la demande). Tout juste concède-t-on que les emplois peu qualifiés sont particulièrement concernés par le processus mais en faisant valoir les effets favorables produits sur les emplois qualifiés.

d) Questions pour l'avenir

Le fractionnement international des chaînes de valeur s'inscrit dans une logique de division internationale du travail visant à exploiter les avantages comparatifs des pays sous-traitants. Elle correspond à la tendance des organisations contemporaines à privilégier la réticulation par rapport à l'intégration dans des structures uniformes.

Cette organisation est vulnérable à la qualité du fractionnement du réseau, ce qui n'est pas sans augmenter le risque industriel.

Par ailleurs, sa cohérence peut être affectée dans l'hypothèse où les coûts de fonctionnement du réseau augmentent. Ceci pourrait se produire si les prix de l'énergie ou ceux des nuisances environnementales devaient croître à l'avenir.

Ces événements ne sont pas improbables.

Les prix des échanges peuvent être influencés par les coûts des producteurs liés dans le réseau, qui peuvent réduire la désinflation importée dans l'hypothèse où les coûts augmentent dans les économies de provenance. Enfin, la disponibilité de ces biens n'est pas acquise. Le développement des économies sous-traitantes peut imposer une réallocation de leurs facteurs de production vers la satisfaction d'une demande intérieure en croissance. Ils peuvent enfin emprunter la stratégie de remontée des filières remettant en cause les avantages des donneurs d'ordre.


* 40 On dira que l'effet est statique s'il se borne à enregistrer l'impact de la baisse des prix de production sur la valeur ajoutée par l'entreprise (et les facteurs de production qu'elle continue de mettre en oeuvre). Il sera dynamique si le volume de la production s'accroît en conséquence d'une flexion des prix favorisant l'essor de la production.

* 41 La frontière entre raisonnement macroéconomique et microéconomique est souvent assez floue dans les études. On ne peut considérer que la macroéconomique commence quand un même phénomène dépasse une entreprise. Pour qu'on entre dans une approche macroéconomique, il faut que plusieurs phénomènes s'enchaînent à partir d'un phénomène initial. Mais, peu importe dans le cadre de ce rapport, où il s'agit fondamentalement de prendre en considération la complexité des interactions engendrées par l'externalisation.

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