2. Les limites de la gouvernance actuelle : une seconde étape nécessaire
a) Des dispositifs encore incomplets
Si les avancées sont réelles en matière de gouvernance économique, le second acte de la crise grecque vient souligner la persistance de dysfonctionnements réels au sein de la zone euro, caractérisée, notamment, par une cacophonie à haut niveau sur les solutions à mettre en oeuvre : l'Allemagne insistant fermement sur le thème de la restructuration douce, en dépit des objections de la Banque centrale européenne et d'un certain nombre de ses partenaires. La présidence de l'eurogroupe anticipe, quant à elle, les décisions du Conseil européen et du FMI sur le versement d'une aide complémentaire. La gouvernance politique de la zone euro implique une communication plus adaptée, cohérente, capable en cela de rassurer les marchés financiers.
C'est en ce sens qu'il convient de comprendre les récents propos du président de la Banque centrale européenne en faveur de la création d'un véritable ministre des finances de l'Union européenne. Jean-Claude Trichet milite pour que le Conseil des ministres des finances puisse opposer un veto à certaines décisions de politique économique nationale, dès lors que le pays concerné a sollicité l'aide de la zone euro. Lors de la négociation du traité de Maastricht, la France militait déjà pour que le Conseil des ministres des finances puisse décider de mesures contraignantes à l'égard d'un Etat qui divergerait de la stratégie économique de la future zone euro. Le Conseil aurait ainsi pu inscrire d'office, dans le budget de l'Etat concerné, une réduction des dépenses ou une augmentation des impôts. Berlin s'y était à l'époque opposée, arguant que celle-ci remettait en cause le principe d'indépendance de la Banque centrale européenne.
b) Les questions de la valeur de l'euro et du positionnement économique de la zone dite périphérique
Le renforcement de la gouvernance économique de la zone euro ne peut éluder un débat sur la valeur même de la monnaie commune. L'effet anesthésiant de la monnaie unique a déjà été abordé à l'occasion de l'étude des crises irlandaise et portugaise. La force de la monnaie, son côté valeur refuge, a longtemps protégé certains Etats membres sur le marché obligataire. Elle s'avère néanmoins relativement inadaptée dès lors que ces pays, du fait de la crise, doivent privilégier les secteurs tournés vers l'exportation face à une demande interne logiquement atone. C'est le cas de l'Irlande, mais aussi et surtout, de la Grèce et du Portugal. La valeur de la monnaie unique fragilise cette réorientation jugée indispensable. L'euro reste trop élevé face aux devises américaine et chinoise.
Paradoxalement, l'annonce d'un nouveau soutien à la Grèce contribue à renforcer la valeur de l'euro sur les marchés, comme en témoigne le niveau atteint par l'euro le 6 juin dernier : 1,4658 dollar et fragilise par avance l'efficacité des réformes structurelles annoncées. Or, certains analystes estiment que la zone sud de l'Union européenne n'est plus compétitive si l'euro dépasse les 1,3 dollar.
En l'état actuel, la valeur de la monnaie fragilise toute tentative pour les pays périphériques d'adopter le modèle exportateur du nord de l'Union. Il est cependant permis de s'interroger sur la validité même de ce choix économique. Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, la moitié des excédents de la zone nord de l'Union européenne se fait au détriment de la zone sud. Dans le cas où les Etats concernés parviendraient à se réindustrialiser et à devenir des puissances exportatrices, la partie nord de l'Union européenne aurait donc à pâtir de cette mutation économique. Dans le même temps, l'ensemble de l'Union européenne deviendrait fortement exportatrice, renforçant logiquement le déficit extérieur des Etats-Unis, fragilisant un peu plus la valeur du dollar... au risque d'une perte de compétitivité de la zone périphérique.
c) L'intervention financière de l'Union européenne : un défi politique et social
La crise actuelle représente un défi politique et social de grande ampleur pour l'ensemble des gouvernements de la zone euro. Le recours à l'intervention financière de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, en Irlande et au Portugal, a notamment conduit l'opposition à la victoire aux élections législatives qui ont suivi. Le pouvoir grec est fortement contesté alors que le gouvernement espagnol a subi une défaite à l'occasion des élections locales. L'apparition à Madrid du mouvement des « indignés » concrétise une nouvelle forme de contestation visant à la fois les autorités locales et les projets de coordination économique développés au sein des instances communautaires.
C'est à ce titre, notamment, que le retour à la croissance au sein de ces économies doit faire figure de priorité absolue pour permettre aux populations concernées de mieux admettre les cures d'austérité imposées ici et là. Il s'agit, de fait, de redonner du sens au projet monétaire européen, présenté initialement comme un outil de convergence économique et appréhendé aujourd'hui comme un instrument au service du moins-disant social.
Par ailleurs, sans négliger les impératifs économiques qui conditionnent l'intervention financière de l'Union européenne en Grèce, en Irlande et au Portugal, il convient d'éviter d'y renforcer, par le biais de taux d'intérêts trop élevés, l'atonie économique et la frustration sociale concomitante. C'est dans ce sens que le Fonds monétaire international a estimé que l'Union européenne devait assez rapidement réduire ces taux. Un financement flexible et à faible coût pourrait plus facilement appuyer, tant d'un point de vue économique que social, un ajustement budgétaire, une restructuration bancaire et des réformes qui stimulent la compétitivité et la croissance.
C'est également dans ce cadre que doit également être lancée une réflexion ambitieuse sur les obligations européennes. Le projet développé par le think tank Bruegel sur cette question peut sembler le plus adapté, même s'il reste aujourd'hui peu soutenu. Il distingue, à cet effet, bonds bleus et bonds rouges. Le bond bleu agrège une partie de la dette publique des États membres de la zone euro, inférieure à 40 ou 60 % de leur PIB. Le « prix » ou taux d'intérêt de cet emprunt commun serait de fait modéré. Un pays dont le niveau d'endettement dépasse ce seuil de 40 ou 60 % du PIB devrait alors émettre des obligations rouges nationales. Un tel système ne fragiliserait pas les pays les plus vertueux et responsabiliserait, dans le même temps, les États les plus endettés sans les condamner.
Par delà, une telle mutualisation pourrait déboucher sur la création effective d'un véritable marché européen des obligations, capable d'attirer entre 5 et 6 000 milliards d'euros d'investissements.