2. L'encadrement du financement des candidats et des partis politiques

Le droit français se distingue, par ailleurs, par un encadrement strict du financement des partis et groupements politiques et des campagnes électorales : la France est ainsi le seul pays d'Europe occidentale à avoir interdit tout financement de la vie politique par des personnes morales de droit privé, c'est-à-dire par des entreprises. Comme le soulignait le Service central de prévention de la corruption, cette prohibition vise principalement à « diminuer les risques de ploutocratie et prévenir l'instrumentalisation des campagnes électorales par des groupements économiques » 20 ( * ) : en ce sens, la législation française sur le financement de la vie publique est un instrument de prévention des conflits d'intérêts, puisqu'elle empêche que les candidats à une élection ou les partis politiques ne soient financièrement redevables envers des intérêts privés et que, une fois arrivés au pouvoir, ils ne cherchent à les favoriser de manière indue.

3. Des obligations déclaratives déjà fortes

Alors que certains proposent de mettre en place une obligation de dépôt d'une déclaration d'intérêts pour tous les détenteurs d'une fonction publique élective importante, il convient de rappeler que le code électoral impose déjà aux sénateurs comme aux députés deux types de déclarations, qui contribuent largement à la prévention des conflits d'intérêts.

a) Les déclarations de situation patrimoniale

Instituée en 1988 par la loi organique et la loi ordinaire du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique 21 ( * ) , la déclaration de patrimoine permet de s'assurer qu'un parlementaire ne s'est pas enrichi de façon illégitime au regard de ses revenus officiels, par l'examen de sa situation patrimoniale. Au-delà des seuls conflits d'intérêts, ces dispositions font partie de l'arsenal de lutte contre la corruption des élus et dirigeants publics .

L'article L.O. 135-1 du code électoral dispose que les députés, et en application de l'article L.O. 297 les sénateurs également, sont tenus de déposer une déclaration de situation patrimoniale au début et à la fin de leur mandat auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. L'article L.O. 128 sanctionne d'une inéligibilité d'un an l'absence de dépôt de la déclaration.

Il s'agit d'une « déclaration certifiée sur l'honneur exacte et sincère de sa situation patrimoniale concernant notamment la totalité de ses biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis en application de l'article 1538 du code civil ». Outre les biens propres du parlementaire, sont ainsi également visés les biens de la communauté des époux si le parlementaire est marié. L'évaluation des biens mentionnés dans la déclaration est faite « à la date du fait générateur de la déclaration comme en matière de droit de mutation à titre gratuit ».

En pratique, une déclaration doit être déposée dans les deux mois qui suivent le début du mandat ; une nouvelle déclaration doit être déposée deux mois au plus tôt et un mois au plus tard avant la fin du mandat. Elle peut être accompagnée d'observations sur l'évolution du patrimoine. Pendant la durée de leur mandat, les membres du Parlement doivent également signaler toute modification substantielle de leur patrimoine, « chaque fois qu'ils le jugent utile ».

La Commission pour la transparence financière de la vie politique doit ainsi être en mesure d'apprécier l'existence éventuelle d'une évolution anormale ou inexpliquée du patrimoine d'un parlementaire au regard de ses activités et de ses revenus. Ce contrôle nécessite de pouvoir justifier de l'origine des éléments nouveaux de patrimoine et des éventuels revenus qui ont permis de les constituer, ce qui tend à dissuader tout enrichissement illégitime qui pourrait résulter de la dépendance à l'égard d'intérêts privés.

De plus, la loi organique n° 2011-410 du 14 avril 2011 relative à l'élection des députés et sénateurs prévoit de punir de 30 000 euros d'amende et, le cas échéant, de l'interdiction des droits civiques et de l'interdiction d'exercer une fonction publique le fait d'établir une déclaration de situation patrimoniale mensongère, soit en omettant sciemment de déclarer une part substantielle du patrimoine, soit en fournissant une évaluation mensongère. Dans l'état actuel du droit, il n'existe pas de sanction en cas de déclaration mensongère, mais seulement en cas d'absence de dépôt de la déclaration. Une telle disposition permettrait de renforcer la rigueur de l'obligation déclarative et donc la capacité de contrôle de la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

Les pouvoirs de la Commission pour la transparence financière de la vie politique

Créée en 1988, la Commission pour la transparence financière de la vie politique est aujourd'hui composée du vice-président du Conseil d'État, qui en assure la présidence, du premier président de la Cour de cassation et du premier président de la Cour des comptes, ainsi que de membres de ces trois institutions.

Les déclarations de situation patrimoniale des parlementaires sont déposées auprès de la Commission, qui reçoit également les déclarations établies par les autres élus ou dirigeants publics soumis à cette obligation.

Selon l'article L.O. 136 du code électoral, ces déclarations peuvent être transmises aux autorités judiciaires, à leur demande, « lorsque leur communication est nécessaire à la solution du litige ou utile pour la découverte de la vérité ».

En dehors de ce cas, seul le parlementaire ayant déposé la déclaration ou ses ayants-droit peuvent obtenir communication de cette déclaration. Le contrôle que vise à permettre cette obligation déclarative, à la charge de la Commission, ne nécessite pas la publicité des déclarations pour être efficace. La publication ou divulgation de tout ou partie des déclarations est d'ailleurs punie d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, au titre de l'atteinte à la vie privée (article 226-1 du code pénal).

En vertu du second alinéa de l'article L.O. 136-1 du code électoral, lorsqu'un parlementaire n'a pas déposé sa déclaration de patrimoine, la Commission saisit le Bureau de l'Assemblée concernée, lequel saisit le Conseil constitutionnel, qui constate l'inéligibilité prévue à l'article L.O. 128 et prononce la démission d'office du parlementaire. Cette situation ne s'est jamais produite depuis la mise en place de la législation sur la déclaration de situation patrimoniale.

Selon l'article 3 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, il appartient à la Commission d'apprécier la variation de la situation patrimoniale entre le début et la fin du mandat, « telle qu'elle résulte des déclarations » et des observations des élus intéressés. Puisqu'il ne s'appuie aujourd'hui que sur les seules informations déclarées, ce contrôle devrait se trouver renforcé du fait de la sanction des déclarations mensongères, prévue par le projet de loi organique relatif à l'élection des députés et des sénateurs, tel qu'il a été adopté par le Sénat le 2 mars 2011, et de la mise en place d'un « droit de communication » permettant à la Commission de prendre connaissance des déclarations d'impôt sur le revenu et d'impôt sur la fortune souscrites par les assujettis -et donc de vérifier la sincérité et la véracité des données transmises par les déclarants.

b) La déclaration d'activités

Pour permettre l'application de la législation sur les incompatibilités concernant certaines activités professionnelles ou certaines fonctions (voir infra ), l'article L.O. 151 du code électoral dispose que tout parlementaire doit déposer sur le Bureau de l'assemblée dont il est membre, dans les trente jours suivant son entrée en fonction, une « déclaration certifiée sur l'honneur exacte et sincère comportant la liste des activités professionnelles ou d'intérêt général, même non rémunérées, qu'il envisage de conserver ou attestant qu'il n'en exerce aucune ». Cette déclaration n'est pas publique. Toute modification intervenant en cours de mandat doit être signalée dans les mêmes formes.

L'absence de dépôt de la déclaration d'activités est sanctionnée par la démission d'office, prononcée par le Conseil constitutionnel sur requête du Bureau de l'Assemblée concernée ou du garde des Sceaux. Il s'agit donc d'une sanction lourde et particulièrement dissuasive.

La déclaration d'activité exige ainsi de chaque parlementaire la transparence sur ses éventuelles activités professionnelles lucratives , sous le contrôle de ses pairs au sein du Bureau. A l'instar de la déclaration de situation patrimoniale, l'enjeu n'est pas la publicité de la déclaration vis-à-vis de l'opinion publique, mais la réalité du contrôle des informations qu'elle contient. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de contrôle des incompatibilités au vu des déclarations d'activité illustre bien la réalité de ce contrôle, le Conseil ayant rendu 28 décisions depuis 1958. De la sorte, un certain nombre de conflits d'intérêts, dans les cas prévus par la législation sur les incompatibilités, sont évités.

Le rôle des Bureaux en matière de contrôle
des déclarations d'activités et de patrimoine

En application de l'article L.O. 151 du code électoral, le Bureau de chaque Assemblée exerce un rôle en matière de résolution des incompatibilités avec certaines fonctions et activités : il examine les déclarations d'activités déposées en début de mandat par les membres de l'Assemblée , afin de s'assurer de leur compatibilité avec le mandat parlementaire. En cas de doute ou de contestation, le Bureau est tenu de saisir le Conseil constitutionnel 22 ( * ) , ce qui se produit régulièrement. Le garde des Sceaux et l'intéressé lui-même peuvent également saisir le Conseil constitutionnel.

Le Bureau de chaque Assemblée, qui exerce une forme de contrôle par les pairs des activités compatibles ou non, permet très vraisemblablement de dissuader ou d'empêcher l'exercice d'un certain nombre de fonctions ou d'activités incompatibles, sans nécessité de saisir le Conseil constitutionnel.

Lorsqu'un parlementaire ne dépose pas la déclaration d'activités dans le délai prévu, le Bureau de l'Assemblée concernée doit saisir le Conseil constitutionnel (avant-dernier alinéa de l'article L.O. 151 du code électoral).

Par ailleurs, lorsque la Commission pour la transparence financière de la vie politique lui signale qu'un parlementaire n'a pas déposé sa déclaration de situation patrimoniale, le Bureau de l'assemblée concernée doit aussi saisir le Conseil constitutionnel (second alinéa de l'article L.O. 136-1).

Ainsi, toute carence constatée dans les obligations déclaratives des parlementaires suppose l'intervention, certes sans marge d'appréciation, des Bureaux des Assemblées, aux fins de saisine du Conseil constitutionnel. Si le garde des Sceaux dispose aussi de cette compétence de saisine en lieu et place du Bureau, comme en matière d'incompatibilités, il ne l'exerce jamais : la saisine du garde des sceaux, à supposer qu'il soit informé de la situation, permet de s'assurer que le Bureau ne négligera pas de procéder lui-même à la saisine.


* 20 Service central de prévention de la corruption, rapport annuel pour 2005. En outre, les dons de personnes morales de droit privé sont, de facto, inexistants en Suède.

* 21 Loi organique n° 88-226 du 11 mars 1988 et loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique.

* 22 Dans sa décision n° 76-3 I du 20 décembre 1976, le Conseil constitutionnel a précisé comment il convenait de comprendre cette procédure : « en ce qui concerne les questions de compatibilité des fonctions ou activités d'un parlementaire avec l'exercice de son mandat, il appartient, tout d'abord au Bureau de l'Assemblée dont il est membre d'examiner si ces fonctions ou activités sont compatibles avec l'exercice du mandat ; que, par suite, le Conseil constitutionnel ne peut être appelé à apprécier si l'intéressé se trouve dans un cas d'incompatibilité qu'après cet examen et seulement si le Bureau a exprimé un doute à ce sujet ou si la position qu'il a prise fait l'objet d'une contestation, soit par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, soit par le parlementaire lui-même ».

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